© Pyramide Films

« Vivants » : dans les coulisses du journalisme d’investigation

Mardi 30 janvier, l’Œil de la Maison des journalistes a pu assister en avant-première à la projection du l’œuvre cinématographique « Vivants », réalisée par Alix Delaporte. Fiction éclairant sur les difficiles conditions de travail des reporters, et présentée hors compétition à la 80e Mostra de Venise, « Vivants » sort en salle ce mercredi 14 février.

Entre paralysie budgétaire pour les reportages, ambiance familiale d’une petite équipe soudée, et frénésie de la passion du terrain, Alix Delaporte dépeint le quotidien de grands reporters d’aujourd’hui, désormais prisonniers de la course à l’information.

« L’international, tout le monde s’en fout »

En quelques lignes, le synopsis du film donne le ton : le grand reportage est abandonné par les médias français, qui selon eux « n’est plus assez rentable », car le public n’est plus au rendez-vous. « L’international, tout le monde s’en fout, les Français veulent rêver », rabâche-t-on aux oreilles de l’équipe. 

Pourtant, dans la réalité et selon le baromètre 2023 sur la confiance des Français dans les médias par « La Croix », 76 % des Français sondés disent suivre l’actualité « avec un grand intérêt ». Un des plus forts taux depuis 1987, et qui n’atteignait que les 62% en 2022. Et s’il y a une véritable « lassitude informationnelle », n’en demeure pas moins que les Français seraient enclins à de nouveaux reportages sur l’étranger. 

Toutefois habitués au grand reportage et à la guerre, l’équipe peine à se retrouver dans les sujets qu’on lui impose. Certains rêvent de retourner au front, d’autres de retrouver un sens à leur profession, mais tous ont envie de rester. Malversations financières, défilé de mode ou encore enquête sur la maltraitance animale, les journalistes ne se refusent rien et s’attaquent à tous les sujets, avec une voracité maîtrisée : le spectateur peut suivre leurs multiples aventures sans pour autant perdre le fil.

« T’as un gilet pare-balles chez toi ? »

« Le métier n’est pas menacé par les journalistes, mais par les financiers qui prennent le pouvoir dans les rédactions et pour qui les reporters de terrain deviennent un luxe inutile », avait confié la réalisatrice Alix Delaporte lors d’une interview le 19 janvier dernier. Un point de vue parfaitement visible tout au long de son œuvre, où l’équipe se confronte régulièrement aux décisions de la chaîne. Lorsque cette dernière leur propose enfin de couvrir un sujet international sur un conflit à Bangui, c’est sous l’égide de l’armée, au grand dam des reporters. L’armée limitera leurs déplacements et leur travail, mais la chaîne ne leur laisse pas le choix sans pour autant les accompagner dans leur préparation pour le front : celui qui possède un gilet pare-balles pourra partir, mais il n’est jamais question d’achat de matériel. 

Les journalistes se retrouvent alors à lister les personnes qui ont un équipement de protection personnel, quelques heures avant le départ. Finalement, Damien (interprété par Vincent Elbaz), grand reporter qui n’a pas la langue dans sa poche et seul à être équipé, reviendra de Bangui blessé après avoir été pris dans une fusillade.

Une situation qui se retrouve malheureusement dans la profession, où de nombreux journalistes tirent la sonnette d’alarme, à l’instar de l’ancien résident de la MDJ et reporter Mortaza Behboudi

Malgré les obstacles et les délais presque intenables, les reporters mènent leur barque et demeurent animés d’une véritable passion pour leur métier. Un vent d’optimisme guide les troupes et le film, qui n’hésite pas à casser les stéréotypes du métier. Il est par exemple dit que les grandes rédactions sont inaccessibles aux journalistes non diplômés d’une école reconnue, mais Gabrielle tente sa chance et intègre l’équipe par sa débrouillardise, sans avoir fait d’école. Une fraîcheur dans la réalisation nourrie par l’amour du reportage, que le spectateur peut clairement ressentir. 

Alix Delaporte, ancienne JRI aujourd’hui réalisatrice

Ayant fait ses armes comme camerawoman pour la boîte de production CAPA, Alix n’a pas tourné en terrain inconnu. Elle tenait à raconter cette histoire et s’est nourrie de celles d’autres journalistes qu’elle a interrogés, afin de gagner en crédibilité et réalisme. 

« Je ne peux pas prendre la parole sur des sujets d’actualité, ça n’est ni dans mes compétences, ni dans ma fonction. En revanche, je peux interroger le spectateur sur la nécessité de préserver la fonction du journaliste, à savoir la recherche de la vérité. Et pour l’obtenir, il faut aller sur le terrain et parfois se mettre en danger », avait-elle confié en interview.

Réalisatrice de quatre longs et courts-métrages, récompensée par un Lion d’Or en 2006 pour « Comment on freine dans une descente », Alix Delaporte signe donc son troisième film avec intensité. Avec Alice Isaaz, Roschdy Zem, Vincent Elbaz, Pascale Arbillot. Distribué par Pyramide Films. 

Maud Baheng Daizey