Abd al Hadi Awad, le martyr qui a vaincu ses geôliers par son sourire

[Par Raafat Alomar Alghanim]

Traduit de l’arabe par Emmanuelle Ricard

Abd al Hadi Awad

Abd al Hadi Awad

Il y a quelques jours, j’ai appris la mort sous la torture de l’activiste syrien Abd al Hadi Awad, dans une des prisons où se perpètrent les crimes d’al-Assad. Ce nom n’a pas trouvé d’écho dans ma mémoire, peut-être à cause de l’abondance des noms et des évènements que l’on entend, ou parce que je ne l’avais rencontré que rarement. Mais sa photo, lorsque je l’ai vue sur Facebook, à côté de laquelle figurait : « Mort en martyre sous la torture », m’a immédiatement rappelé le visage souriant que j’avais rencontré en 2012 au cours d’un stage organisé par l’institut NDI à Amman, avec un sourire que le coeur syrien ne peut ignorer, un sourire qui inspire l’optimisme et la confiance en soi, un sourire perpétuel comme un secret, d’une présence qui ne s’oublie pas.

Il vous serait douloureux d’apprendre que l’un de vos proches a disparu sans que vous en ayiez été informé. Mais il vous serait plus douloureux encore de trouver sa photo par hasard sur Facebook, en buvant un thé, ou en vous préparant à partir au travail, ou encore en parcourant avant de vous endormir les dernières nouvelles publiées par vos amis. Sa mort me parvient comme une surprise brutale, d’autant plus douloureuse que la torture en est la cause. C’est de cette façon, sans les préliminaires traditionnels de proches ou d’amis, ou même des médecins dans les hôpitaux, lorsqu’ils informent d’un nouveau décès, que m’est parvenue cette nouvelle, plus d’une fois, sur Facebook. Et c’est ce qui se produit régulièrement avec tous les Syriens qui cherchent les dernières nouvelles de leurs amis sur les réseaux sociaux et sont saisis d’apprendre la mort d’un fils de leur village ou d’un membre de sa famille. Le drame électronique des Syriens s’ajoute au drame de leur réalité, et ainsi échangent-ils leurs condoléances sur ces mêmes réseaux dans le temps syrien des condoléances.

Abd al Hadi Awad est mort après quatre mois d’emprisonnement. Originaire de Damas, il documentait les violations des droits des détenus. Ses geôliers lui ont fait goûter les tortures contre lesquelles il s’était élevé de sa plume et de sa voix, cette voix qui est restée libre jusque dans les prisons des tortionnaires alors même qu’il criait de douleur sous la torture. Une voix qui s’ajoute à la liste des crimes perpétrés par le régime d’al-Assad, une voix dont ceux qui s’intéressent à celui qui la porte ne peuvent rester du côté des assassins, un visage dont ceux qui le voient sourire ne peuvent imaginer l’agonie sous la souffrance, sans ressentir un choc envers ces tortionnaires qui vivaient avec lui dans le même pays.

Abd al Hadi a oeuvré loin de la scène médiatique. Il n’était pas célèbre sur les pages de Facebook, même s’il avait de nombreuses connaissances du fait de son infatigable activité. Abd al Hadi Awad était membre de l’Institut Démocratique Syrien, de la Tribune Démocratique et du Mouvement de l’Appel. Ceux qui l’ont rencontré s’accordent sur son amour du travail en toute discrétion à l’écart des médias et sur son activité inlassable, lui, jeune qui avait l’ambition d’une Syrie libre, dont nous serions fiers et qui serait fière de nous, et rêvait non du prestige et des honneurs mais d’une vie simple.

Lorsque j’ai appris la nouvelle et que je n’ai plus pu en douter, j’ai écrit : « ceux qui connaissaient Abd al Hadi Awad savent combien ses assassins méritent la mort ».
Ses amis également, n’ont, au début, pas cru cette nouvelle, et se sont demandé si c’était bien vrai. Voici quelques extraits de ce qu’ils ont écrit sur lui :

« Le bruit court que Abd al Hadi Awad est mort sous la torture. Ceux qui l’ont connu savent combien est grand le crime commis par les mains de ses assassins. Les mots ne suffisent pas », Khalaf Ali al Khalaf.
« Je vais rassembler vos photos et les cacher, je vais remplir les murs de vos photos, j’ai peur de perdre quelqu’un… je ne veux pas y croire… paix à ton âme, à ta belle âme… nous les pourchasserons, et nous arriverons à la Syrie dont nous rêvons », Chadi Abou Karam.
« Honneur à toi, honte à tes assassins qui souillent la Syrie et son peuple. Tu resteras dans nos mémoires l’emblème du Syrien dont la Syrie est fière ! », Bassam ‘Owayl.
« Abd al Hadi Awad était un Syrien, un activiste civil des droits de l’Homme, originaire de Damas. Il a oeuvré loin de toute publicité ces dernières années, inconnu des réseaux sociaux, occupé seulement à travailler » ; « Abd al Hadi, je ne veux pas croire ce que j’entends, que Dieu t’accorde sa miséricorde, bienheureuse est la terre de Damas dans laquelle tu reposes », Sami Choukri.

« Retour sans cimetière » : La parole a Djibril Diaw

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Djibril Diaw, auteur et réalisateur mauritanien, nous présente son film documentaire « Retour sans cimetière », tourné dans le village de Donaye en Mauritanie, à côté la frontière sénégalaise, où les négro-mauritaniens de l’ethnie Peul sont obligés d’enterrer leurs morts hors de leurs terres. Le sujet du film a causé l’exil forcé de Diaw, aujourd’hui accueilli par La Maison des journalistes.

La première sortie officielle du film a été mardi 13 mai, à 20h, à la « Peniche Anako » de Paris, dans le cadre du Festival « Docs Afriques ». « J’espère – explique Djibril Diaw – que ce film répondra à l’attente du public, qui découvrira aussi le vrai visage de ce village qui se bat. Le film traite des questions le plus courantes en Mauritanie, notamment le problème de la spoliation des terres, le problème de l’identité nationale qui se pose et en général le problème des négro-mauritaniens dans ce pays qui se cherche depuis l’indépendance ».

 

 

 

Huit ans et demi de prison d’une jeune femme

[Par Saida Huseynova]

huit« Je ne l’ai jamais avoué, mais le plus horrible fut ce premier pas à l’intérieur de la cellule. La porte qui se referme. La clé qui tourne deux fois dans la serrure. Et le sentiment de désolation qui vous envahit »… avoue Zara Mourtazalieva, journaliste tchétchène, dans son livre, un témoignage de son histoire, qui vient d’être publié en français.
Zara Mourtazalieva est née en 1984 en Tchétchénie, République autonome de Russie. En 2003, après la mort de son père, cette jeune étudiante arrive à Moscou pour y gagner sa vie. Le 4 mars 2004, elle est interpellée à la sortie de son travail, une pratique courante de la police moscovite envers des personnes « de nationalité caucasienne » (expression couramment utilisée par la police pour designer l’origine ethnique des ressortissants du Caucase). Mourtazalieva va tomber dans le piège ; elle sera arrêtée, accusée de terrorisme, à cause d’un petit paquet d’explosif qui sera placé dans son sac au commissariat, en son absence. Par la suite avec cette fausse accusation elle sera condamnée à huit ans et demi de détention en colonie pénitentiaire malgré la mobilisation des médias et nombreuses ONG de défense des droits de l’homme.
Dans son livre « Huit ans et demi. Une femme dans les camps de Poutine » Zara Mourtazalieva raconte tout ce qu’elle a subi et supporté pendant huit ans et demi ; le piège, l’injustice, la solitude, la douleur, la peur, la force, la vie en prison, l’amitié, la famille, l’amour… et l’espoir… L’espoir qui ne la quittera jamais, l’espoir qu’un jour tout ce cauchemar se termine, ce seul espoir lui donnera envie de rester en vie et surtout de rester elle-même dans le monde cruel de la prison.
Dans son livre elle témoigne surtout de la vie en colonie pénitentiaire, l’injustice totale envers les femmes ; les humiliations, les coups, les tabassages, la violence, le travail forcé, les punitions qui parfois, conduisent à la mort. Elle compare le système pénitentiaire du régime de Poutine à celui de Staline. Le régime qui détruit les destins des milliers de personnes et le système judiciaire, comme une usine, qui ne sert qu’à fabriquer des prisonniers.
Mourtazalieva raconte également les histoires d’autres femmes détenues dans la prison où les innocentes et coupables sont destinées à souffrir ensemble. Mais aussi l’amitié et la solidarité qui se forment entre elles. D’une coté, on devient témoin de la bravoure de ces femmes, de l’autre de la tendresse et la féminité qu’elles essayent tant de ne pas perdre, de ne pas devenir cruel dans le monde sévère de la prison.
En prison, on devient définitivement réaliste, avoue Zara Mourtazalieva. Condamnée alors qu’elle n’avait que vingt ans, en 2004, elle quitte la prison le 3 septembre 2012, la veille de son vingt-neuvième anniversaire. Ces années de détention ne l’ont pas affaiblie, au contraire. Elle décide de combattre l’injustice du système judiciaire en Russie. Mourtazalieva n’a jamais reconnu sa condamnation, le verdict de la justice. Après sa libération elle vient en France et réside à la Maison des journalistes à Paris. Elle obtient l’asile politique et veut continuer son combat commencé. Zara Mourtazalieva est soutenue par plusieurs ONG de défense des droits de l’homme.

Une beauté qui fait blessure

http://deco-design.biz/

Haude Bernabé. Photo tirée par http://deco-design.biz/

En la regardant, cette femme douce et menue, il est difficile de l’imaginer dans une forge entourée d’éclats de feu, parmi des pinces, des marteaux et des enclumes. Et pourtant, la forge est le lieu que Haude Bernabé, sculptrice originaire de Brest, a choisi comme lieu privilégié de son art, dans lequel domine un élément dur et fort comme le fer. « Je ne vois pas le métal comme un matériel dur et froid: quand on le travaille avec le feu ses caractéristiques changent, il devient quelque chose de plus malléable, et pourtant quelque chose qui dure ». Haude Bernabé nous accueille dans son atelier de Montrouge, près de Paris, entourée de silhouettes éthérées et légères, de visages pleins de grâce, interrogatifs et perturbateurs. Puis, elle met ses gants épais, déjà usés, ses lunettes de soudure et allume la flamme.

 

Comme Héphaïstos dans son enfer de feu, Haude transforme avec la flamme la matière froide, lourde et réfractaire, en figures légères et élégantes. Des visages murmurants, figures anthropomorphes, sont créés avec des matériaux de rebus recueillis et transformés, comme quand enfant, elle fabriquait ses jouets avec ce qu’elle trouvait abandonné par les vagues sur la plage. « Je travaille avec le métal de récupération que je vais chercher chez un ferrailleur de Brest, donc il s’agit de pièces qui viennent des bateaux, de l’arsenal de Brest, un fer qui a déjà vécu, et je tiens compte de la forme qu’il a, que j’y trouve. J’aime quand il y a une certaine patine, quand il y a les marques du temps, quand il y a déjà une histoire. Des fois c’est le fer lui-même qui me donne l’inspiration: des figures se manifestent. En effet, rien n’est jamais fixé, il s’agit d’une interaction ». Fer, donc, mais aussi bois, plastique, tissu, deviennent dans la forge de l’artiste, poésie et matière.

Haude Bernabé au travail dans son atelier

Haude Bernabé au travail dans son atelier

« La sculpture pour moi, c’est une exigence, une nécessité, quelque chose d’un peu inépuisable. J’ai besoin des trois dimensions : pour moi l’expression passe par la matière ». La parole, traitée comme matière à fusionner avec le feu, lui est souvent source d’inspiration, pour créer des sculptures qui ne soient pas seulement des objets mais qui soient aussi pensés, des émotions rendues visibles. Une phrase d’Albert Camus devient titre d’une oeuvre « Nous allumons dans un ciel ivre les soleils que nous voulons ». C’est un tourbillon de petites silhouettes humaines comme celles des festons pour les enfants, qui planent dans le ciel comme tirées par le vent, se transformant sous nos yeux en paroles, en poésie. Ou encore, c’est un grand visage, suspendu parmi les paroles qui murmurent la phrase de Jean Genet « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible ». « La parole, la littérature, la poésie, c’est là où souvent je rebondis, ou plutôt, c’est pour moi une sorte de synesthésie: il y a un mot qui crée une image ou bien un volume, et à partir de là, je travaille ». Un travail tout récent, avoue l’artiste, né de l’envie de « matérialiser les mots ».

 

L'atelier animé de Haude

L’atelier animé de Haude

 

Des figures aux profils minces, hommes et femmes fusionnés dans un vortex d’amour, mais aussi des squelettes, des poupées qui évoquent le vaudou ou des caillots de métal d’où sortent des bras et des yeux, habitent l’atelier bondé de Haude. « Je ne sais pas qui sont les figures qui sortent, qui sont dedans, des fois je le sais mais des mois après je l’oublie. Ca n’a pas d’importance, c’est l’être humain que je veux représenter ». Et c’est l’être humain, avec toutes ses contradictions, sa beauté comme son inquiétude et ses peurs, que rencontre le visiteur, submergé par des visions et des émotions contradictoires. « Je trouve que dans la beauté il y a une blessure, il y de l’accidentel. Je ne cherche pas à faire du beau. Je cherche à faire quelque chose qui touche, et pour moi c’est plutôt l’interaction entre la personne et la sculpture qui peut créer la beauté ».

 

Vidéo réalisée par Pierre TOH – Interview par Djibril DIAW

 

 

La leçon de courage de Michel Thierry Atangana : « La foi m’a permis de tenir », affirme l’ex prisonnier

[René DASSIE]

renedassie@sfr.fr

Lors de sa première sortie officielle samedi 1er mars au siège de Sos Racisme à Paris, Michel Thierry Atangana a fait part de la force de conviction qui lui a permis de survivre dans des conditions extrêmes pendant ses dix-sept ans de prison. Il a aussi insisté sur son innocence et rendu un hommage appuyé à Pius Njawé, l’ancien patron du quotidien Le Messager  qui fut le premier journaliste camerounais à s’engager en faveur de sa libération.

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« J’ai passé dix-sept ans avec une pointe d’oppression qui s’appellent le silence. Le code de détention qui était le mien m’interdisait de dire un seul mot à l’extérieur, sauf devant les juges. Et j’ai tellement parlé devant les juges et je n’ai pas tellement été entendu. Aujourd’hui je me retrouve avec des juges, mais vraiment de bons juges, ceux qui acceptent de m’entendre et de ne pas m’appliquer la présomption de culpabilité avec laquelle j’ai vécu pendant 17 ans. Dans mon affaire, la présomption d’innocence n’a jamais existé ».

 

Au siège de Sos Racisme sur la rue de Flandre dans le 19 e arrondissement de paris ce soir du samedi 1er mars , les premiers mots de Michel Thierry Atangana mettent un terme à la joyeuse agitation qui a suivi son arrivée. L’ancien prisonnier veut dire dans quel état d’esprit il a vécu ses dix-sept années de détention, mais surtout rendre hommage à ceux qui l’ont accompagné dans son combat.  Avant de prendre le micro devant le logo géant de l’association, la célèbre paume de main jaune portant l’inscription« Touche pas à mon pote », sous le crépitement des appareils photos,  M. Atangana a fait le tour de la cinquantaine de personnes, parents, soutiens et associatifs venues l’accueillir. Il a touché et embrasser la plupart de ses hôtes, un peu comme si le contact humain lui permettait de vérifier  qu’il ne rêvait pas, qu’il était bien vivant, et libre. Le choix de Sos Racisme comme premier lieu de prise de parole en public depuis son arrivée en France une semaine plus tôt s’est imposé tout seul, eu égard à l’implication de l’association dans sa libération.

Chemise clair et pull noir col en v, Michel parait récupérer rapidement. On reconnait à peine l’homme dont on avait, il y a à peine dix jours, que quelques photos décrivant sa détresse dans une cellule de sous-sol  humide et aveugle, si étroite qu’il ne pouvait y étendre les deux bras à l’horizontale. En l’examinant, les médecins militaires se sont d’ailleurs montrés surpris. « A l’hôpital des armées, un médecin s’est tourné vers moi et m’a dit, « dis-moi comment tu as fait pour survivre…. Il faut l’enseigner aux militaires qui demain iront en guerre ! Expliquez-nous comment on peut avoir vécu dans ces conditions et être debout aujourd’hui », rapporte-t-il.

 

La force de la foi

 

Avec Amanda Njawé, femme noire avec chaine en or

Avec Amanda Njawé, femme noire avec chaine en or

Michel Thierry Atangana explique qu’il a tiré de sa foi chrétienne le courage nécessaire pour faire face aux épreuves qu’il a subies. Catholique pratiquant, il revenait d’ailleurs de la messe lorsqu’il fût interpellé par la police camerounaise en avril 1997. En prison, il continuera à prier, à se rapprocher de Dieu. Il peut ainsi résister à toutes sortes de tentations, notamment la trahison, lorsqu’on lui proposera de dénoncer , en échange de sa propre liberté, son compagnon d’infortune, l’ancien ministre Titus Edzoa condamné pour les mêmes faits et aux mêmes peines que lui. Il refusera.

Il y a quatre ans, alors qu’il abordait sa treizième année de détention, le journaliste Bosco Tchoubet, patron de la radio TBC à Yaoundé relevait et saluait cette attitude immuable. Michel Thierry Atangana explique d’ailleurs qu’il était prêt à donner sa vie . « Il faut réaliser que la mort est possible pour la défense de ses idées. Quand on a une conviction, il faut accepter de la garder de la préserver, de la nourrir même s’il faut en mourir. J’étais prêt à mourir. Je vous le dis sincèrement », assure-t-il.

Il est alors d’autant plus déterminé, qu’il sait n’avoir rien à se reprocher, en dépit des contre-vérités savamment distillées par les autorités camerounaises sur sa nationalité et sur sa fortune supposée.  « Les rumeurs ont couru mais je n’ai jamais triché sur ma nationalité française. Je suis arrivé au Cameroun avec l’intention d’investir et j’ai obtenu pour cela une carte de séjour. Il s’agissait de doter le pays en  infrastructures structurelles et de créer des emplois. Le combat que vous avez soutenu, il faut le redire, est un combat noble et juste», lance-t-il à l’endroit de ses soutiens. Et d’ajouter, au sujet de la fortune qu’on lui a prêtée : « J’ai subi sept commissions rogatoires, c’est-à-dire qu’on vérifie ma vie dans le monde entier. Un jour, un militaire m’a dit à la fin d’un long interrogatoire que j’étais selon lui le seul homme apte à exercer la charge d’homme d’Etat, parce que de toutes les personnes qu’il avait interrogées,  j’étais le seul propre. Un ministre [camerounais] a écrit dans un journal que j’étais devenu fonctionnaire. Ce n’est pas vrai. Je suis resté dans le cadre de mes activités privées. Je n’ai pas trahi la France. Je n’ai pas trahi mes idéaux, je suis resté fidèle», jure-t-il.

 

Le soutien inattendu de Pius Njawé

Avec Etienne et Éric ses deux fils

Avec Etienne et Éric ses deux fils

 

On lit dans la Bible qu’avec la foi, on peut soulever des montagnes. Le Ciel semble avoir fini par entendre les prières de M. Atangana et à provoquer un renversement de situation en sa faveur. Plusieurs personnalités vont travailler bénévolement pour lui. Elles créeront une synergie qui conduira à sa libération.

Parmi elles, Pius Njawé, le défunt patron du quotidien camerounais Le Messager. Chrétien lui aussi, il publie, dans les dernières années de sa vie, des maximes religieuses en première page de son journal. Mais surtout, c’est un homme qui a voué sa vie au combat contre l’injustice. M. Njawé qui comme tout Camerounais n’a pas échappé à la propagande officielle qui a rendu illisible l’affaire Atangana décide de voir clair dans son dossier.  Après un long travail d’investigation, sa conclusion est sans appel : « Michel Thierry Atangana est victime d’un règlement de comptes politiques. Son cas démontre à suffire, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir en place », déclare-t-il à ses confères. Il fait de la libération de M. Atangana une priorité. Pour rencontrer celui-ci à qui la presse n’a pratiquement pas accès, M. Njawé fera usage d’une fausse identité, pour déjouer l’attention des gendarmes qui le gardent. «Quand Pius décide de débarquer au SED avec sa casquette, tournant le dos aux militaires, il s’assied à côté de moi et m’écoute, après avoir été abreuvé de mensonges pendant tant d’années, sachant aussi que tous les journalistes m’avaient tourné le dos, parce que pendant 28 mois je ne sortais de ma cellule qu’une heure par jour, j’étais enfermé 23 heures sur 24 », se rappelle ému,  Michel Thierry Atangana. «  Si je souhaite laisser une trace sur terre, c’est d’avoir participé à la libération d’un innocent », lui promet le patron du Messager.

Pius Njawé met en place en place au Cameroun le premier comité de soutien au prisonnier, à partir de l’année 2009 et en prend à la direction. Deux fois par semaine, il tient une chronique sur l’affaire dans son journal et entame une tournée de sensibilisation. « C’est lui qui ramène la vérité dans cette affaire », reconnait aujourd’hui Marc Ndzouba, l’actuel président du comité camerounais de soutien à Michel Thierry Atangana. En juin 2010, avant de se rendre aux Etats-Unis où il trouvera la mort dans un accident de la circulation, Pius Njawé s’arrête à Paris, le temps d’une conférence de presse consacrée à l’affaire Atangana, au Centre d’accueil de la presse étrangère de Radio France. « Il s’est battu pour moi. [Grâce à lui], une génération de lycéens camerounais et africains a commencé à s’intéresser à mon affaire. J’ai aussi commencé à voir des foules s’organiser pour venir à mon procès », témoigne M. Atangana. Après le décès de Pius Njawé, un autre journaliste du Messager, le pasteur Robert Ngono Ebodé prendra le relai au comité de soutien. Il décèdera huit mois plus tard, d’une crise cardiaque.

 

Comité français de soutien

 

De plus en plus sensibilisée, la France s’implique peu à peu dans la libération du prisonnier. Ce mouvement prend de l’ampleur après l’élection présidentielle de 2012 et l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Fortement ému par le sort de M. Atangana, le nouveau président, François Hollande s’engage en faveur de sa libération. Un comité de soutien voit le jour à Paris, piloté par Dominique Sopo, l’ancien président de SOS Racisme et Ibrahim Boubakar Keita, vice-président de cette association et président de BDM TV. La famille française de M. Atangana n’est pas en reste. C’est non sans appréhension que Michel Thierry Atangana du fond de sa cellule, découvre ses deux enfants dans les médias audiovisuels. L’aîné avait cinq ans au moment de leur séparation. Il est désormais un jeune adulte. « Quand je vois ce qu’Éric a fait… Parfois quand il parlait à la radio, je ne voulais pas l’écouter ; j’avais peur de le voir à la télévision. Un jour j’ai eu le courage, il était avec Dominique Sopo chez Paul Amar, j’étais tellement étonné de penser que j’étais son père», avoue-t-il. Et de poursuivre : « C’est terrible de voir son fils et d’être étonné d’en être le père. Éric a entrainé et encouragé Etienne son petit frère, ils ont encouragé leur mère, cela m’a permis d’avoir ce soutien, cette affection, qui n’a pas de prix ».

Témoin lui aussi de la ténacité de son client, l’avocat Dominique Tricaud qui défend bénévolement Michel Thierry Atangana depuis des années,  multiplie les initiatives. C’est lui qui saisit le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Dans un avis publié en février, cet organisme ajoute la voie des Nations Unies aux demandes de libération du prisonnier qui pleuvent sur le Cameroun. « Me Tricaud a pris des risques, il ne m’a jamais rien demandé. Aucune note de frais. Je voudrais qu’il sache qu’il n’a pas eu tort de me faire confiance. Me Tricaud n’a pas placé sa confiance dans le néant. Sa cause est noble et juste», commente M. Atangana.

Aujourd’hui, Michel Thierry Atangana entend reconstruire sa vie, être utile à son prochain.« J’ai quitté mes enfants, ils étaient enfants. Ils ont perdu un père. A mon retour j’ai trouvé des adultes et ils ont retrouvé un grand-père avec les cheveux blancs. Mais ce qui importe c’est l’amour qui nous lie » « Je suis debout, fier de vivre, j’aime la vie. Je veux vivre. Je n’ai jamais eu l’intention de me suicider. Lorsque j’étais encore en prison, j’avais appris que les lycées se suicidaient. Passez le message, s’il vous plait.Aucune cause ne justifie le suicide. Battons-nous, restons debout, quitte à y laisser nos vie, mais sans nous la retirer nous-mêmes. Les hommes qui s’engagent autour de nous sont des hommes courageux. Soyons dignes de ce courage », lance-t-il à l’endroit des jeunes de France. Un pays duquel, dit-il, il ne faut jamais désespérer.

 

Réactions

Avec Sacha Reingewirtz

Avec Sacha Reingewirtz

Dominique Sopo président du Comité de soutient

C’est un beau combat qui se finit de façon très heureuse. Le fait que nous ayons pu récupérer Michel est aussi dû à sa force morale et c’est finalement un bel espoir pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans des conditions d’injustice comme il a pu souffrir. Cet exemples de ténacité, d’opiniâtreté, d’envie que justice que soit faite, il faut aussi dire merci à Michel parce que c’est grâce à des exemples comme le sien que d’autres personnes tiennent et ne désespèrent pas. il y a aussi l’avenir. Nous serons toujours là pour faire en sorte que Michel soit innocenté, même si personne aujourd’hui ne doute plus de son innocence après qu’il ait été sali pendant des années, c’est quelque chose de très dur sur le plan moral. On l’a accusé d’avoir voulu faire des coups d’Etat, d’avoir volé de l’argent, je ne sais quoi d’autre. Plus personne aujourd’hui ne peut plus croire à de telles fariboles, mais ce serait bien que ce soit officiel.

Sacha Reingewirtz Président de l’Union des étudiants juifs de France ( UEJF)

«  Il y a tellement de joie et d’espoir qui se dégage que j’en perds mes mots…..En tout cas, il y a un proverbe dans la tradition juive qui dit que « qui sauve une vie sauve le monde ». La libération de M. Atangana c’est vraiment un espoir pour les gens qui se battent pour la démocratie et la liberté. Les dirigeants et militants de SOS Racisme qui ont participé ont prouvé toute leur efficacité dans les combats qui sont menés en France, mais aussi de par le monde »

Sonia Aïchi, Présidente Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL)

C’est une énorme fierté, un honneur extrême d’avoir participé à ce combat. Aujourd’hui Michel Atangana c’est pour les lycées, tous les jeunes, le combat à part entière, c’est croire à la liberté, c’est croire en des valeurs que nous portons depuis très très longtemps et on est vraiment content qu’il soit là aujourd’hui.

Marc Nzouba, Comité de soutien, Cameroun

Michel Thierry Atangana a permis que beaucoup de Camerounais soient libres.  Des milliers de camerounais. Il a surtout permis de comprendre qu’un homme peut se battre pendant des années et réussir son combat contre un régime, le régime du Cameroun, le régime de Paul Biya qui a fini par plier. Et aujourd’hui, c’est une fierté, c’est également une leçon à la jeunesse : on, peut résister contre l’injustice. C’est d’ailleurs la première partie du combat. Voilà un homme qui débarque en Afrique pour aller développer un pays, celui qui l’a fait naitre. Malheureusement, la machine a failli l’écraser. Il y a laissé dix-sept ans de sa vie et aujourd’hui il est libre. Les jeunes doivent le prendre en exemple. Le combat de SOS racisme a fait naitre une branche de SOS racisme au Cameroun. Il est l’un des promoteurs et le président délégué. Avec son concours, cette entité deviendra comme celle de la France. Elle finira par être une entité africaine.

Ibrahim Boubakar Keita Porte-parole du comité de soutien en France

C’est une fierté extraordinaire pour chaque militant de SOS racisme dont nous célébrons cette année le trentième anniversaire, d’avoir contribué à la libération de Michel. SOS racisme ce n’est pas seulement la lutte contre les discrimination, le combat pour l’égalité, c’est aussi le mieux-vivre ensemble, les droits de l’homme.

 

Michel Thierry Atangana : un homme détruit pour rien

Par René DASSIE

michel atangana 1Jeune et brillant ingénieur financier, Michel Thierry Atangana, né au Cameroun, est devenu Français par naturalisation, en 1988. En 1994, il est envoyé au Cameroun, pour représenter les intérêts de grands groupes français, comme Jean Lefebvre, en activité dans le secteur routier de pays.
Comme la loi camerounaise ne reconnait pas la double nationalité, les autorités de Yaoundé lui délivrent un titre de séjour. Ses performances lui valent d’être désigné pour conduire la restructuration de la dette de certaines multinationales comme Nestlé et Phillips, dont les créances, évaluées à plusieurs milliards de Francs CFA, la monnaie locale, sont en souffrance dans ce pays d’Afrique centrale.
Parallèlement, Paul Biya, le président du cru, le nomme, par décret, président du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers (COPISUR). Sa mission ? Trouver des partenaires internationaux, capable de mettre sur la table les quelques 332 milliards de Francs CFA qui manque à l’Etat, pour financer ce projet ambitieux dédié au désenclavement des trois provinces du sud du pays. La tâche est d’autant plus ardue que le Cameroun, mauvais payeur, a perdu toute crédibilité, auprès des bailleurs de fonds internationaux.
Cependant, le jeune expert financier s’y lance avec passion. Ses efforts sont en train d’aboutir avec l’engagement à ses côtés des entreprises comme Pecten, la Banque BNP, La Lyonnaise des eaux. C’est alors qu’un événement imprévu se produit au Cameroun. Début 1997, un proche du président Biya du nom de Titus Edzoa, qui a été à la fois ministre, médecin personnel et confident du chef d’Etat démissionne avec fracas et annonce qu’il se présentera à la présidentielle contre lui. Des rumeurs démenties longtemps après présentent Michel Thierry Atangana comme celui qui sera son directeur de campagne. Les deux hommes se sont connus lorsque, Secrétaire général de la présidence, Titus Edzoa était l’interlocuteur du gouvernement camerounais auprès du COPISUR que dirigeait Michel Thierry Atangana.
Paul Biya décide de sévir contre son ministre devenu opposant et commence par frapper autour de lui. Michel Thierry Atangana est arrêté en mai 1997 et placé pendant 52 jours en garde à vue. Dans un premier temps, on l’accuse de grand banditisme. Puis cette infraction, jugée grossière, est requalifiée en détournement de deniers publics. Titus Edzoa est arrêté à son tour. Au terme d’un procès expéditif et sans la présence de leurs avocats, les deux hommes sont nuitamment condamnés à 15 ans de prison.
En 2008, défiant les ordres de sa chancellerie, un magistrat courageux prononce un non-lieu total en faveur de Michel Thierry Atangana. L’Etat fait appel et réussit à infirmer cette décision historique.
Le gouvernement entame alors un nouveau procès, exactement pour les mêmes faits. Les deux accusés suivront péniblement cette deuxième procédure, fait d’audiences perlées, espacées de plusieurs semaines, qui durera trois ans. Entre-temps, la Commission nationale anti-corruption (CONAC), un organisme mis en place par Paul Biya pour traquer les détourneurs de fonds publics constate que Michel Thierry Atangana n’est coupable d’aucune maladresse financière. Rien n’y fait. La justice camerounaise poursuit son cours, et s’arrange pour que son jugement coïncide avec la fin de la première peine prononcée 15 ans plus tôt. En 2012, Michel Thierry Atangana et Titus Edzoa écopent d’une nouvelle condamnation à 20 ans de prison augmentée de 5 ans de contrainte par corps. Selon les observateurs, ce jugement vient clôturer une énorme parodie de justice au cours de laquelle les magistrats en mission commandée, auront malmené les principes les plus élémentaires de la procédure pénale. On raconte que le ministre camerounais de la Justice, Laurent Esso, pilote à distance le procès. Certains juges sont exclus de la collégialité à la fin des débats et remplacés par des collègues plus conciliants, en dépit d’une interdiction formelle de la loi camerounaise. D’autres subissent des menaces de mort. Tentant de lire un verdict qui lui a été dictée sous la contrainte, un magistrat étouffe et subi une extinction de voix. Des mallettes bourrées de billets circulent. Elles ont pour effet de fluidifier les rapports entre les juges et leur ministère de tutelle. Mi-octobre 2013, la peine est rendue définitive par la Cour suprême du Cameroun, qui, au terme d’une audience éclair, rejette, le pourvoi en cassation de M. Atangana.

Makaila Nguebla, une aura révolutionnaire !

Makaila Nguebla

Makaila Nguebla

[Par Jean MATI]

Accueilli à la Maison des Journalistes à Paris, le blogueur tchadien, Makaila Nguebla a finalement obtenu son statut de réfugié en France. Au terme d’un long feuilleton diplomatique, la reconnaissance par la République française de la protection internationale pour Makaila est un triomphe de la liberté d’expression et des droits de l’homme dans le monde. Retour sur le parcours d’un combattant de la plume.

Le jeune journaliste tchadien a été expulsé de deux pays africains : le Sénégal et la Tunisie. Il aura fallu attendre la France, un pays européen pour lui venir à la rescousse. En Afrique, il est extrêmement rare qu’un homme ou une femme devienne célèbre pour avoir été expulsé d’un pays. Mais dans un contexte aussi politisé que celui de l’ « Affaire Makaila Nguebla », l’occasion faisait sans doute le larron. Dès les premiers faits établis, on a imaginé une vieille histoire rocambolesque racontée par les sages conteurs africains sur un arbre qui cache toute une forêt. Officiellement, il a été expulsé du Sénégal vers la Guinée Conakry, en raison d’un séjour illégal mais cela ressemble fort à un simple prétexte. Les raisons évoquées par les autorités sénégalaises n’ont pas été convaincantes. Mais au-delà de cela, on pouvait bien penser que leurs motivations étaient ailleurs. Qui était derrière cette démarche ? Pourquoi Makaila Nguebla faisait-il peur ?

Pleins feux sur Makaila Nguebla

Né le 31 décembre 1970 à Ndjamena, la capitale tchadienne, Makaila Nguebla est issu d’une famille modeste. Ses noms ont une signification plus particulière. D’abord Makaila est un nom arabe d’origine africanisée, c’est-à-dire Mikail qui veut dire l’ange de la pluie ou des verdures. Nguebla, ensuite, veut dire la famille élargie.

A l’âge de 9 ans, Makaila perd son père. Élevé par sa mère, Makaila fréquente l’école Bololo à Ndjamena , le collège d’enseignement général N° 2 et le lycée technique commercial d’où il sort plus tard avec un Bac. Avec ses 1,72 m et 70 Kg, Makaila aurait pu faire un bon sportif, mais son intérêt pour le journalisme le pousse à créer son blog. En 2000 , il suit une formation à l’Institut tuniso-canadien en administration commerciale en Tunisie. En 2005, Makaila est expulsé de la Tunisie vers le Sénégal. Toujours politique ? Une petite odeur de ça. A Dakar, Makaila se reconstitue et s’arme de nouveau. Il intègre l’Institut Supérieur de Communication et de Journalisme. Après avoir obtenu son diplôme en journalisme, Makaila rejoint la radio « Manoore ». Selon les observateurs avisés, la notoriété de Makaila à Dakar serait à la base de son expulsion vers la Guinée.

Makaila est un homme de principe. Il est loin d’être ce prototype de personne qui épouse facilement l’inconscient populaire. Disposant d’un charisme naturel, Nguebla a une aura révolo qui cache pas mal sa gentillesse. Le natif de Ndjamena est aussi un vrai leader qui mène son peuple vers une direction grâce à son combat. L’option qu’il favorise est le changement au Tchad, c’est-à-dire le « dictateur Deby doit dégager ! » et laisser la place à la nouvelle alternative. Comme un militaire au front, la plus grande arme de Makaila Nguebla est bel et bien son blog – http://makaila.over-blog.com/ . Ce dernier fait tabac sur les réseaux sociaux et est bien présent dans le paysage médiatique francophone.

Pour M. Nguebla, son engagement militant résulte dans le fait que son pays, le Tchad, est soumis à une dictature extrême qui suscite une prise de conscience individuelle et collective basée sur un sursaut national pour trouver une solution à la démocratie et à un État de droit.

Malgré son combat pour le changement dans son pays, Makaila se veut juste un citoyen tchadien, journaliste, blogueur et militant des droits humains qui aspire à vivre chez lui dans le respect et la dignité . En attendant qu’il y ait une nouvelle donne au Tchad, Makaila garde toujours son foulard au cou en signe de combat. Une grande bataille pour la liberté d’expression et l’égalité des peuples.