Comment répondre aux attentes des demandeurs d’hébergement ?

[Par Frédéric ROY]

Le SIAO 75 (Système intégré d’accueil et d’orientation) tenait conférence mardi dernier pour présenter son bilan et inviter les travailleurs sociaux partenaires à réfléchir à la question centrale de l’évaluation dans l’orientation des demandeurs d’hébergement vers les structures auprès desquelles ils trouveront refuge.

Dessin tiré de motione.over-blog.com

Dessin tiré de motione.over-blog.com

Le SIAO 75 est un groupement de structures de l’hébergement et de l’insertion, financé par la branche hébergement et logement de la préfecture (la DRIHL). Il a pour rôle de centraliser une partie de la demande d’hébergement d’insertion à Paris et de l’orienter vers des structures sociales qui répondront à la demande première.
Puisqu’il s’agit d’insertion, les demandes sont envoyées par des travailleurs sociaux, le SIAO ne reçoit pas de demande de particuliers. Ceci dit, et c’était le sujet à l’origine des échanges, les travailleurs sociaux qui transmettent les demandes doivent systématiquement le faire avec la personne en mal logement-hébergement intéressée et renseigner un formulaire de demande se terminant par une évaluation la plus précise possible et une préconisation vers telle ou telle structure d’insertion (CHRS, Pension de Famille, Résidence Sociale…)
Les places vacantes dans les structures d’hébergement sont dans le même temps signalées au SIAO. A ce dernier d’envoyer le bon requérant à la bonne structure pour que la mise en relation aboutisse à l’hébergement du premier par la deuxième. Car, c’est bien sûr à ces deux là que revient la décision finale.

Entre offre et demande

L’idée qu’une entité tierce centralise les demandes et les offres et fasse tampon semble être juste, l’idée que cette entité soit un groupement de coopération sociale à laquelle ont adhéré bon nombre de partenaires concernés est encore plus juste.
Le problème survient cependant dans la mesure où la création du SIAO ne résout en rien le problème du décalage entre offre et demande. Chaque travailleur social travaillait, avant sa création, avec son propre réseau et essayait de trouver une solution d’hébergement pour le public qu’il accompagnait. Aujourd’hui ces relations directes ont été interrompues et le SIAO intervient systématiquement. Ceci, pour certains, ne fait que complexifier un domaine qui l’était déjà trop.

L’écart entre offre et demande se creuse (du fait du manque de structures et de l’accroissement de personnes en situation de mal-logement) et le SIAO cristallise les déceptions des travailleurs sociaux qui sans lui avaient l’impression de faire mieux. Pire, l’intermédiaire n’est lui-même pas vraiment du métier et pourtant, il remet en cause le travail d’évaluation fait lors de l’orientation et de la préconisation par le travailleur social. De plus, de ce qu’on comprend des différents échanges avec les bailleurs, les critères d’accès au logement (suite logique d’un parcours d’insertion en hébergement réussi) sont tels que l’évaluation de la situation sociale des demandeurs n’entre que peu en compte dans l’acceptation de leurs dossiers ; d’où un paradoxe difficile à intégrer entre les attentes de la plateforme d’orientation qu’est le SIAO et les résultats que sont en mesure d’attendre les travailleurs sociaux référents et leur public.
Le SIAO a été perçu comme l’organisation qui pourrait résoudre une partie du mal hébergement à Paris, or elle ne l’est pas. Le SIAO 75 assure la veille nécessaire et transmet ses observations à l’Etat, son financeur, et aux collectivités pour qu’ils ajustent leur politique avec leurs priorités.

Après 3 ans d’existence le SIAO permet donc d’y voir plus clair (il publie chaque année un rapport d’activité très complet sur la situation de l’hébergement) mais ne répondra pas à la question de l’hébergement si sa mise en place n’est pas accompagnée de la création de solutions d’accueil supplémentaires.

Moi, je suis avec la mariée : un cinéma hors-la-loi

[Par Ahmad BASHA]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens
Article en version originale publié sur alModon, le jeudi 04/09/2014

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Avant et après les événements de la Mostra de Venise, les media italiens et internationaux n’ont cessé de parler du documentaire palestino-italien « Moi, je suis avec la mariée » de Khalid Suleiman Al Nassiry, Antonio Augugliaro et Gabriele Del Grande. L’agence de presse italienne ANSA est allée encore plus loin en décrivant le film comme étant « l’une des dix raisons qui font que nous nous rendons au festival ». De fait, les tickets d’entrée (mille sièges) pour la première projection, prévue à Venise jeudi soir dans le cadre de la manifestation « Perspectives Nouvelles », furent déjà distribués quatre jours auparavant. Le film fut présenté à la presse dans une projection exclusive, organisée la veille de la projection officielle.
Les réalisateurs de « Moi, je suis avec la mariée » – un palestinien et deux italiens – voulaient que leur premier documentaire soit une aventure pouvant potentiellement engager leur responsabilité légale ; une supercherie qu’ils ont eux-mêmes tissée et tournée à des fins purement humanitaires, dans le but de permettre à cinq réfugiés (des palestiniens et des syriens) de se rendre en Suède. Pour cela, les trois cinéastes ont demandé l’aide de leurs amis mettre en place leur stratagème. De nombreux jeunes se sont portés volontaires afin que la mission soit un succès. Tout fut organisé pour que le convoi ait l’air du cortège d’un mariage italien, qui se rendrait de Milan à Stockholm en passant par la France, le Luxembourg, l’Allemagne et le Danemark. Et c’est exactement ce qui s’est produit.

Un seul rêve rassemble les personnages principaux du film : arriver en Suède, espérant une vie meilleure pour eux et leurs familles, qui pourraient quitter la Syrie si leurs membres pionniers arrivaient à entrer au pays nordique. Les cinq immigrants se rencontrent sur l’île italienne de Lampedusa alors que la chance leur a déjà souri de nombreuses fois : la première fois, lorsqu’ils ont échappé à la mort dans leur pays ; la seconde lorsqu’ils sont sortis vivants des bateaux des passeurs et des malédictions de la Méditerranée ; la troisième fois, lorsqu’ils ont rencontré les trois réalisateurs qui allaient les aider dans la traversée vers leur rêve.
Dans leur documentaire, qui dure une heure et demie, les trois cinéastes présentent une œuvre cinématographique particulière. Ils condensent avec application la durée de leur voyage – qui se déroula du 14 au 18 octobre 2013 – afin que ce dernier devienne un instant de connivence, comme un jeu, dès le départ, entre les cinéastes et leurs personnages d’un côté, le film et ses spectateurs de l’autre. Pour servir l’objectif du cortège, les réalisateurs ont eu recours à un jeu cinématographique qui impose une élégance visuelle que l’on retrouve dans les images et les plans travaillés du film. De même, la musique du film – qui est essentiellement basée sur des instruments à percussion – et les intertitres précisant les noms des lieux traversés durant les différentes étapes du voyage contribuent à présenter un espace cinématographique irréel, factice mais aux détails soignés. Suivant la même logique, l’Europe dont ils ont entendu parler, l’Europe dont 17 des membres ont annoncé qu’ils accueilleraient des réfugiés, n’est pas celle qui existe réellement.
A travers ce travail, les trois cinéastes ont enfreint les lois en vigueur, les exposant à des poursuites judiciaires pouvant aboutir à des peines allant jusqu’à 15 ans de prison. L’équipe du film a eu recours aux éléments techniques habituels mais avec l’objectif délibéré de montrer que le cinéma a la capacité de truquer la réalité. Le cinéma devient ici un outil pour traverser le réel et rejoindre le rêve. Comme le décrivait Walt Disney : « Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire ».
Après le début du voyage, le temps réel s’enfuit, s’ouvrant sur de nombreux lieux et espaces sillonnés par les personnages du film. Depuis l’histoire d’Ahmad, qui s’est réveillé au milieu de cadavres durant son voyage où près de 250 corps ont été perdus en Méditerranée, jusqu’au récit que fait Tasmeen de ses souvenirs avec ses amis activistes et combattants dans l’armée libre au camp de Yarmouk. Tasneem – qui est arrivée d’Espagne pour jouer le rôle de la mariée dans la supercherie à laquelle elle a volontairement contribué – est elle aussi venue d’un autre lieu : celui du film Les Chebabs de Yarmouk, quand elle était encore à Damas et qu’elle passait son temps avec Hassan Hassan et ses amis sur les toits du camp de Yarmouk pendant le tournage de ce film.
Les variations de lieux durant le voyage du film accompagnent aussi les transitions entre les souvenirs de chaque personnage. Du camp de Yarmouk jusqu’à la patrouille côtière à Maltes ; du mariage auquel a assisté Gabriele à Alep en 2012 jusqu’à sa proposition concernant l’idée de Moi, je suis avec la mariée ; et du film Les Chebabs de Yarmouk jusqu’aux lieux cités dans les chansons qui les aident à patienter à mesure qu’ils se rapprochent du « rêve » nordique.
Les lieux s’entremêlent et bifurquent, les nouvelles du pays et de ses habitants se perdent. Ainsi, le père s’épuise afin d’obtenir le droit au regroupement familial pour sa famille, même s’il ne sait pas si le nombre de ses proches est resté le même que celui qu’il a en tête. Tous arrivent et le film s’achève. Restent les barils du système. Les gens continuent de fuir la Syrie « en payant des milliers de dollars pour mourir dans la mer », comme le dit l’un des personnages du film.
Le documentaire Moi, je suis avec la mariée suit un scénario prévisible. Il ne contient ni péripétie ni surprise. Tout ce qui arrive est attendu. La structure du film n’est pas classique : le drame vient de la difficulté qu’ont les personnages de rester en accord avec eux-mêmes alors qu’ils doivent jouer un rôle, du fait de leur confusion face à un univers inconnu et de la manière dont ils se confrontent aux éléments du monde « nouveau » à partir d’une langue, d’une musique, d’une manière de penser, etc. En revanche, plusieurs scènes tranchent avec le style général du film, comme la scène de lecture de poésie et celle du chant de Tasneem face à la mer, par exemple. L’unité du film – qui est construit dans la forme comme dans le fond sur l’idée de jeu – souffre de la présence de ces scènes.
Les cinq arrivants semblent participer à une mascarade ayant lieu dans un endroit étrange, qui n’a aucun lien avec les personnages, sauf à travers la supercherie mise en place. Les paradoxes se révèlent dans le caractère poétique des personnages, à travers leur spontanéité dans un cadre pourtant construit, leur rapport avec la réalité et leur attente concernant leur rêve. Le rêve se trouve peut-être ici dans la capacité qu’a le cinéma de changer la réalité.
A propos de la participation du film à la Mostra de Venise, Al Nassiry a précisé au journal alModon : « Notre rêve a franchi une nouvelle étape dans sa réalisation, dans un sens métaphorique, bien évidemment. Imaginez avec moi la situation: un immigrant fuit une guerre contre laquelle l’Occident n’a pas fait ce qu’il devait faire pour y mettre un terme. Il traverse la mer, souffre de la soif, de la faim et du fait que les Européens arrivent tardivement pour le sauver. Il arrive pieds nus et reste longtemps dans les camps de détention européens. Puis il s’en échappe mais les lois européennes lui interdisent de se rendre dans l’endroit sûr qu’il souhaite. Il se retrouve donc confronté aux passeurs qui sont des trafiquants d’êtres humains qui travaillent, en fait, grâce aux lois européennes ». Et à Al Nassiry de conclure : « Les immigrants qui sont arrivés pieds nus en Europe marcheront sur le tapis rouge du plus ancien festival cinématographique au monde ».
Peut-être que l’entrée des réfugiés à Venise, après leur traversée accompagnés de trois cinéastes qui ont commis un délit d’après la loi italienne, est une belle preuve que le cinéma est toujours capable d’action et de transgression. Car toi, « si tu peux le rêver, alors tu peux le faire ».

Le combat pour la presse libre continue !

[Par John CHITAMBO LOBE]

La Maison des Journalistes a Paris-France est un refuge des journalistes exilés en France, une organisation unique dans le monde sans but lucratif.  Elle a organisé une rencontre entre journalistes exilés membres de la rédaction de L’œil de l’exilé et l’équipe de Mediapart,  journal numérique en ligne bilingue (anglais, espagnol et français). Cette rencontre avait pour but d’échanger des idées et des expériences, d’évoquer des défis, de parler des risques et des dangers de la pratique du  journalisme dans le monde actuel.

Visite à Mediapart [Crédit Photo  Muzaffar Salman] (7)

La liberté de la presse partout est un combat toujours actuel. Elle se porte mal dans beaucoup des pays. Cette liberté  est ignorée, elle est en danger, bafouée.

Les journaux ont toujours suscité la méfiance du pouvoir politique. De ce fait, la liberté de la presse ne s’est imposée qu’au prix de longues luttes…  mais si nous œuvrons ensemble, la victoire est probable. La liberté de communication et d’opinion est l’un des droits les plus précieux qui existent. Tout citoyen doit donc pouvoir parler, écrire, éditer librement.

Parce qu’il véhicule des informations et des idées,  le journal, s’il est libre, est capable d’ouvrir de vastes horizons  par sa nature et son caractère explosif puisqu’il contribue à la formation des opinions particulières et collectives de tout le monde dans un pays.

Plus le pouvoir est arbitraire ou antidémocratique et plus ses détenteurs ont des raisons de neutraliser les propos qui peuvent salir leur crédibilité, inciter le peuple à  la contestation, voire encourager à la révolte. C’est pourquoi  l’État concerné s’emploie à réprimer toute critique,négative ou non conforme a la pensée officielle.

 

Une liberté reconnue

 

Image tirée de http://www.sentinelleducontinent.com/

Image tirée de http://www.sentinelleducontinent.com/

La liberté de presse est aujourd’hui solennellement proclamée et universellement reconnue. Elle figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 (Article 19), ainsi que dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Le droit à la  liberté d’expression et de communication des informations et des idées est aussi affirmé par la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Article 10).

L’État n’est pas le seul ennemi de la presse. Dans certains pays, les journalistes subissent les attaques de tous ceux qu’ils gênent avec des révélations et publications de leurs activités…mais l’État reste souvent  le principal obstacle à la liberté de la presse… surtout dans des pays en voie de développement en Afrique, au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique Latine et du Sud.

 

Information, démocratie et formation

Sécurité numérique pour les journalistes en exil Aujourd'hui, jeudi 11 septembre, 'Atelier à la Maison des journalistes

Sécurité numérique pour les journalistes en exil
Aujourd’hui, jeudi 11 septembre, ‘Atelier à la Maison des journalistes

La liberté de la presse fait l’objet dans chaque pays démocratique d’une protection particulière, parce que l’information constitue l’une des conditions essentielles du  fonctionnement démocratique de la société. Les journaux doivent toujours s’adresser à la raison des lecteurs et doivent leur fournir des informations, des analyses, des révélations, des commentaires sérieux avec le souci majeur de présenter et d’expliquer l’actualité afin de la rendre compréhensible avec une transparence totale, sans risque de corruption, pour tous et partout.

Constatant les problèmes de sauvegarde de la liberté de la presse , la Maison des Journalistes et l’Université de Clemson,Caroline du Sud,  ont organisé des sessions de formation sur la Sécurité Numérique avec le spécialiste John Gaynard. Il a informé les journalistes présents de l’importance qu’il y a à travailler dans l’anonymat et sur  l’utilisation de l’Antivirus, CCleaner, TOR, Friendica, Cloudflare, Prey a mobile protection, Thunderbird&PGP pour le cryptage des mails ou pour chiffrer les courriers électroniques  sur Tails USB key/Cle USB Tails.

Toutes ces  précisions concernant les dangers encourus dans le monde virtuel, toutes ces techniques numériques et ces stratégies permettant de travailler dans l’anonymat ont pour but de protéger les journalistes et de leur éviter de tomber dans des pièges qui mettraient leur liberté – et celle de la presse – en danger.

 

 

Cameroun, Appel de la Lékié : Paul Biya un otage dans le viseur ?

[Par René DASSIE]

Derrière les déclarations officielles de soutien et de fidélité qui émanent des cercles tribaux autour du président camerounais se cachent des concurrents au trône qui n’hésiteraient pas à l’éjecter si l’occasion se présentait.

Le president du Cameroun Paul Biya [Photo tirée de lionindomptable.com]

Le president du Cameroun Paul Biya [Photo tirée de lionindomptable.com]

Depuis le retour du multipartisme au Cameroun dans les années 90, les cercles tribaux autour du président Paul Biya ne cessent de montrer qu’ils sont prêts à tout, y compris la guerre civile, pour conserver le pouvoir. De sorte que chaque fois que le pouvoir a semblé leur échapper, ils n’ont pas hésité à jouer avec le feu, en agitant le spectre de la division selon les critères de différentiation ethnique, provoqué et entretenu un climat nauséabond de suspicion, pour parvenir à leurs fins.
C’est dans cette perspective qu’il convient de situer leur dernière sortie du mardi 02 septembre, qu’ils ont appelé « l’appel de la Lékié », du nom d’un département proche de Yaoundé, connu pour sa fidélité au président.
L’intitulé exact du document paraphé par un ministre et d’autres personnalités : «Appel de la Lékié pour une guerre totale contre la secte islamiste et étrangère et ses complicités au Cameroun», qui suscite des réactions passionnées, rappelle ainsi que le Cameroun – comme son président l’avait déclaré en mai à Paris à l’issue du mini-sommet consacré à Boko Haram sous la houlette de François Hollande – fait face à une menace guerrière venue de l’étranger, en l’occurrence le Nigeria voisin. Plus loin, le document affirme aussi que dans leurs débordements meurtriers sur le territoire camerounais, les islamistes – qui ont fait de la lutte contre les valeurs de la civilisation occidentales leur leitmotiv- bénéficient de soutiens locaux.

L'appel de la Lékié : Cliquez sur l'image pour le lire (http://fr.scribd.com/)

L’appel de la Lékié : Cliquez sur l’image pour le lire (http://fr.scribd.com/)

Il s’agit dans les faits, puisque l’un des signataires du document se trouve être un membre du gouvernement en plein exercice de ses fonctions, d’une officialisation de la rumeur entretenue depuis quelques semaines, selon laquelle derrière le voile islamiste, se cacherait une insurrection armée partie du Grand-Nord Cameroun pour s’emparer du pouvoir.
Plus loin, le document rendu public après un conciliabule à Obala, petite ville de la Lékié explicite sous la forme négative, les intentions de ceux-là qui manœuvreraient dans l’ombre, pour arracher le pouvoir à Paul Biya.
Non au « chantage politique assimilable à une tentative de prise en otage ou de déstabilisation des institutions de la République ou à une conspiration politique, inspirée par des fins diverses, notamment des ambitions politiques personnelles ou régionalistes », peut-on lire dans le texte complaisamment publié par le quotidien officiel «Cameroun Tribune» et repris sous forme de publicité payante par des médias privés.
On a tôt fait de comprendre, la « déstabilisation des institutions » dans ces conditions n’étant pas l’affaire des citoyens ordinaires trop occupés à batailler pour joindre les deux bouts, que les signataires du document visent sans les nommer des élites politiques et économiques originaires de la partie septentrionale du Cameroun, qui pourraient légitimement aspirer à exercer un jour la magistrature suprême, dans un pays qui depuis trente-deux (32) ans, n’a pas connu d’alternance politique.
Ce sont eux que le texte qu’un journal local a qualifié de « document détonant sorti tout droit du laboratoire de la haine » désigne comme ennemis à abattre. Manœuvre politicienne sous faux drapeau.
Si l’accusation de conspiration dont ils sont ainsi l’objet est en effet gravissime, elle parait cependant douteuse, eu égard à la réalité sur le terrain. Il est en effet difficile d’admettre que des personnes influentes, engagées dans une rébellion pour prendre le pouvoir adoptent la stratégie à la fois ruineuse, stupide et suicidaire, de commencer par dévaster le territoire qui pourrait leur servir de base de repli. Jusqu’ici en effet, seuls les populations du Grand-Nord Cameroun ont payé un lourd tribut aux incursions des islamistes, ceux-ci ayant égorgé des dizaines d’entre eux, incendié les écoles de leurs enfants, détruit ou pillé leurs biens.

En réalité, l’« Appel de la Lékié » s’inscrit dans la logique des manipulations politiciennes habituelles de la caste qui règne à Yaoundé.

Le sommet du pouvoir se montre en effet de plus en plus chancelant, absent, hésitant et muet comme si par son silence assourdissant il se déclarait forfait et cherchait preneur pour une place manifestement vacante. Dans ce contexte, les milieux tribaux autour de Paul Biya, arc-boutés à leurs prébendes, ont de nouveau ressorti la vieille ruse de la stigmatisation d’une partie de la classe politique et partant, des populations qui leur seraient favorables, pour conserver le pouvoir, au prix d’une dangereuse diversion.

Henri Eyebé Ayissi et Jean Bernard Ndongo Essomba [Photos tirées de africapresse.com]

Henri Eyebé Ayissi et Jean Bernard Ndongo Essomba [Photos tirées de africapresse.com]

Cette stratégie de la division qui encourage la suspicion et poussent les citoyens à se regarder en chiens de faïence fonctionne depuis près de trois (03) décennies. Elle constitue avec la fainéantise et la villégiature, l’une des clés majeures de la longévité de Paul Biya au pouvoir.
En tête de la liste des signataires de l’ « Appel de Lékié », il y a deux personnalités politiques originaires du centre du pays, le bastion politique de Paul Biya : le ministre délégué au Contrôle supérieur de l’État, Henri Eyebé Ayissi et l’inamovible président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale du RDPC au pouvoir, Jean Bernard Ndongo Essomba. Avec eux , avancent masqués, d’autres personnalités politiques dans le proche entourage du chef de l’État.
Ce sont les mêmes qui depuis le coup d’Etat manqué d’avril 1984 contre Paul Biya œuvrent ouvertement pour saper l’émergence d’une conscience nationale, dans le seul but de conserver le pouvoir. Dans les années 90, lorsque le pays fut tout près de connaître l’alternance politique par la voie des urnes, ils stigmatisèrent les ressortissants de l’ouest, Bamilékés et Anglophones qui avaient massivement suivi la fronde contre le pouvoir et voté pour l’opposition. On vit ainsi apparaître le vocable « d’Anglo-Bami », pour désigner collectivement ceux-là qui appelaient au changement de tous leurs vœux. Des persécutions furent déclenchées contre eux et bon nombre de commerçants bamiléké furent chassés du sud du pays pendant que des hordes manipulées pillaient leurs biens. En représailles, des actions tout aussi malveillantes visèrent des fonctionnaires de l’ethnie du président, des bétis, vivant à l’ouest. On vit poindre le spectre de la guerre civile, lorsque l’ancien Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Basile Emah aujourd’hui décédé offrit lors d’une cérémonie publique à Paul Biya, tamtam, lance, arcs et flèches, pour bouter hors de la capitale ceux qui étaient désormais considérés comme des ennemis de l’intérieur, le pays n’étant engagé dans aucun conflit frontalier. Le calme revint difficilement et le trône fut conservé au prix d’un hold-up électoral.
Ce sont les mêmes qui poursuivant leurs œuvres, ont modifié la constitution le 18 janvier 1996, pour institutionnaliser le tribalisme, par le biais de la notion de populations autochtones. On sait que cette expression discriminante crée par ricochet celle d’allogènes, autrement dit d’étrangers de l’intérieur. Elle signifie que chaque Camerounais n’est plus partout chez lui sur l’ensemble du territoire national, mais qu’il reste rattaché à sa tribu et n’est au mieux que toléré, lorsqu’il s’installe autre part.

Ahmadou Ahidjo [Photo: © Archives cameroon-info.net]

Ahmadou Ahidjo [Photo: © Archives cameroon-info.net]

Elle va à l’encontre de l’esprit et de la pratique de l’unité nationale promu par feu Amadou Ahidjo le premier président, nordiste et musulman pratiquant. Elle s’oppose diamétralement au préambule de l’ancienne constitution qu’il a laissée et qui stipulait que « Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et se déplacer librement (…). Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines ».
Ce sont les mêmes enfin qui, en février 2008, au moment où la rue manifestait à la fois contre la faim et la modification de la constitution orchestrée par Paul Biya pour se représenter en dépit de la limitation des mandats qu’ il avait précédemment diligentée, avaient motivé la fameuse «Déclaration des forces vives du Mfoundi» (Yaoundé). Un texte aux relents xénophobes, aussi violent que l’ « Appel de la Lékié », sinon pire.
Morceaux choisis de ce petit bréviaire de la haine publié dans Cameroun Tribune, le quotidien officiel et outil de propagande d’État :
«Qu’il soit donc entendu que désormais, nous répondons aux coups par coups. À partir de maintenant, œil pour œil, dent pour dent»;
«En outre, nous invitons fermement tous les prédateurs venus d’ailleurs, de quitter rapidement et définitivement notre sol. Car ils n’y seront plus jamais en sécurité. Qu’ils disent à leurs commettants que les forces vives du Mfoundi ont de nouveau revêtu la tenue de combat de leurs ancêtres. Lesquels ont longtemps résisté à la pénétration européenne.»

Issa Tchiroma Bakary [Photo tirée de ndjoka.com]

Issa Tchiroma Bakary [Photo tirée de ndjoka.com]

Cette fois-ci, l’ennemi n’était plus seulement l’Anglo-Bami de l’ouest, mais aussi le Grand-nordiste que l’on croyait jusque-là lié au pouvoir par une sorte d’alliance politique connue sous l’appellation d’axe Nord-Sud. Il faut dire que quelques années plus tôt, certains membres de la classe politique parmi lesquels l’actuel ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary qui à l’époque végétait dans l’opposition, avaient publié le « mémorandum du Grand-Nord » pour raconter par le menu détail l’affreuse misère qui sévissait dans la région et l’abandon dont il avait été l’objet de la part du pouvoir central. Après la publication de la «Déclaration des forces vives du Mfoundi», plusieurs d’entre eux se sentirent visés et confièrent anonymement aux médias privés, la crainte qu’ils ressentaient quant à leur sécurité.

Paul Biya un otage (consentant) dans le viseur ?

On ne peut évidemment pas dédouaner le président camerounais des actions de son entourage puisque c’est lui qui l’a choisi et que comme chacun le sait, l’environnement immédiat d’une personne n’est autre que le reflet de sa personnalité. Cependant, si dans leurs anciens manifestes les gourous du pouvoir tribal visaient avant tout son maintien à la tête de l’État, eu égard aux prébendes qu’ils tirent de cette situation, leur objectif de 2014 semble plutôt être de provoquer un changement au sommet , au profit de l’un des leurs, même si par ruse, ils continuent de clamer leur allégeance à Paul Biya, à travers de faux serments de soutien, de déférence et de fidélité tribale.
De nombreux indices montrent en effet que l’«Appel de la Lékié» en visant les élites nordistes comme les ennemis de la République cherche en réalité à détourner l’attention, le temps de résoudre la sourde bataille de succession qui oppose les proches de Paul Biya.
Vieux, usé par l’exercice prolongé du pouvoir et sans doute aussi malade, le président se montre en effet dans ses rares déclarations publics, en totale déphasage avec la réalité. Il semble ne plus avoir d’intérêt que pour ses longs et multiples séjours helvétiques ou ses retraites dans le somptueux palais qu’il s’était fait bâtir à Mvomeka’a son village natal, dans le calme reposant de la forêt équatoriale.
L’«Appel de la Lékié» l’a ainsi surpris à Genève, ville qu’il avait directement rejointe après avoir participé à Toulon dans le sud-est de la France, à la cérémonie de commémoration du débarquement de Provence.
En Suisse, son silence face aux multiples interpellations d’une partie de la classe politique camerounaise et de la société civile qui le pressaient de revenir s’occuper de Boko Haram avait surpris et alimenté toutes sortes de spéculations sur son état de santé. Et comme il y a dix (10) ans, des rumeurs sur sa mort avaient commencé à circuler.
C’est dans ce contexte qu’est paru dans Mediapart, quotidien français en ligne, un article controversé, qu’une partie de l’opinion nationale pourrait considérer comme inspiré par les cercles proches de Paul Biya et qui désigne certains hommes politiques issus du Grand-Nord, comme les promoteurs d’une rébellion armée déterminée à marcher sur Yaoundé.

Me Abdoulaye Harissou [Photo tirée de 237online.com]

Me Abdoulaye Harissou [Photo tirée de 237online.com]

Dans la foulée de cette publication, Me Abdoulaye Harissou, notaire à Maroua (Extrême Nord) qui n’a pas d’activités politiques connues mais que l’on présente comme le gestionnaire testamentaire de plusieurs dignitaires de la région a été interpellé par les services de renseignement et mis au secret. Officiellement, il est soupçonné de « tentative de déstabilisation du Cameroun à partir des pays voisins». Certains journaux contrôlés par le pouvoir ont annoncé que d’autres arrestations et envois en exil à l’étranger suivraient. Toutes choses qui s’apparentent à une opération de purge politique.
« Lorsque la mort rôde autour d’un mortier, ce n’est pas le pilon qu’elle vise, mais celui qui le tient », dit un proverbe Peul. Le ministre Eyébé Ayissi et ses « frères du village » ont-ils cru que leur heure était arrivée avant que Paul Biya ne réapparaisse à Yaoundé, contraint comme certaines sources l’affirment par des chancelleries occidentales qui l’ont pressé de rentrer chez lui s’occuper de ses problèmes de Président ? Ont-ils tenté de l’écarter en douce ? À Yaoundé, certains observateurs avisés n’écartent pas cette hypothèse. Dans tous les cas, les monstres tribalistes qu’il a lui-même créés pour sécuriser et pérenniser son pouvoir ne songeraient désormais plus qu’à prendre son relais. Des noms circulent d’ailleurs – comme celui d’Edgard Alain Mebé Ngo’o ministre de la Défense souvent présenté comme dauphin présomptif- circulent.

Photo tirée de cameroon-info.net

Photo tirée de cameroon-info.net

Il apparaît en tout cas de plus en plus flagrant que Paul Biya n’est plus à l’abri derrière son cordon sécuritaire tribal. Ceux-là même qui jusqu’ici couvraient ses arrières ne semblent plus travailler que pour leur propre compte. Il doit cependant comprendre que si la menace qu’ils n’ont cessé de brandir finissait par aboutir, ils lui auront rendu le pire des services, en le faisant sortir de l’histoire par la petite porte. Car le monde entier ne retiendra de lui et de sa femme que l’image d’un couple tyrannique qui aura martyrisé son peuple et mis en péril la paix dans son pays.

Les vertus de l’apaisement

Jean Michel Nintcheu [Photo tirée de ]http://www.postnewsline.com/]

Jean Michel Nintcheu [Photo tirée de ]http://www.postnewsline.com/]

Cependant, l’espoir d’un retournement positif de la situation est encore permis. D’abord parce que les rédacteurs de « l’Appel de la Lékié » que le député de l’opposition Jean Michel Nintcheu a taxé de « pyromanes zélés » ne représentent pour l’instant qu’eux-mêmes. Les représentants légitimes des populations qu’ils ont régulièrement manipulées semblent avoir découvert leur jeu et se désolidarisent de leurs manœuvres. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les déclarations de rejet qui ont sanctionné l’« Appel de la Lékié ».
L’association des étudiants de ce département les invite ainsi à éviter «à l’avenir de traîner tout le monde dans des initiatives individuelles politico-tribales», et se déclare solidaire des souffrances des populations du nord du pays confrontés aux exactions des islamistes de Boko Haram. Denis Emilien Atangana, un ancien candidat aux municipales à Monatélé (chef-lieu du département de la Lékié) qui avait obtenu 41% des suffrages, leur dit à son tour de «cesser de mêler tout le monde à leur business». «Le phénomène Boko Haram me semble pour d’aucuns une opportunité de faire de l’activisme politique», a réagi pour sa part Marie Robert Eloundou, porte-parole de l’Association pour le développement de cette ville.
Autant de témoignages à l’apaisement et à la vigilance partagés par la grande majorité des Camerounais de l’intérieur et de l’étranger, qui sur les réseaux sociaux multiplient les appels au calme, rappelant que les ethnies comme les religions ont toujours coexisté pacifiquement dans le pays.
« Ceux qui jouent aux pyromanes agissent par stupidité et cécité politique. Les cas de la Côte d’Ivoire et du Rwanda sont toujours là pour nous rappeler qu’en cas de querelle politique, il vaut mieux sauter l’étape de la bagarre pour procéder à la négociation tout de suite », observe un politicien camerounais. « Au Rwanda, les organisateurs du génocide avaient avec eux le pouvoir, l’argent et les armes. Si leur entreprise criminelle fut couronnée de succès, celle-ci se transforma rapidement en une cinglante défaite politique et historique. Plusieurs d’entre eux ont été arrêté et jugé, et la justice internationale continue de traquer ceux qui avaient réussi à se cacher », ajoute-t-il.
Principal concerné, Paul Biya qui avait hérité de son prédécesseur la gestion d’un pays calme et confiant en son avenir peut encore aménager une porte de sortie honorable à la crise actuelle. On n’attend certes plus de lui qu’il répare comme par un coup de baguette magique les turpitudes de toute une vie qui ont appauvri son pays et l’ont conduit au bord de l’éclatement.

 AP PHOTO/SIMON DAWSON

AP PHOTO/SIMON DAWSON

Il pourrait cependant poser des actes symboliques allant dans le sens d’un apaisement des esprits et d’une amorce de la réconciliation nationale. Par exemple, en libérant les personnes qu’il a injustement envoyées en prison. Puis en initiant un forum de réconciliation, version allégée de la conférence nationale à laquelle il s’était opposé dans les années 90, en la déclarant sans objet. Si les jugements de l’histoire sont parfois cruels et sans appel, les peuples ont toujours su apprécier les bonnes initiatives. Lorsque Nelson Mandela sortit de prison le 11 février 1990, il eut le choix entre susciter la vengeance contre la minorité blanche sud-africaine qui avait longuement opprimé la majorité noire et ruiner une bonne partie de sa propre vie, et prôner le pardon et la réconciliation. Il choisit la seconde possibilité. C’est aussi pour cela qu’il est devenu un monument de l’histoire de l’humanité.
Paul Biya n’a ni la carrure ni le courage de Mandela. Pour autant, il lui appartient de susciter entente et retour au calme, sans lesquels la mobilisation consensuelle et patriotique recherchée et souhaitée contre les extrémistes islamistes pourrait s’avérer fastidieuse et incertaine, à défaut d’être vouée à l’échec.
Pour une fois Monsieur Paul Biya, soyez au rendez-vous de la grande histoire du Cameroun.

 

 

Afrique : est-ce la fin de la torpeur ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

J.-J. Lema Landu

Depuis le début du troisième millénaire, livres et articles de journaux sur l’Afrique ont déserté le camp de l’« afro-pessimisme ». A l’appui des statistiques, ils parlent plutôt du « réveil du continent ». Non sans en souligner l’incidence au niveau de la coopération internationale, l’Afrique étant un énorme gisement des ressources naturelles. Les perspectives qui s’en dégagent sont des plus alléchantes.

Du coup, le continent, ce malade grabataire, est à l’honneur. Dans une formule simple, les grandes nations s’empressent de l’inviter pour « parler amitié et coopération ». Selon un nouveau mode d’emploi, basé sur la négociation entre partenaires et la réciprocité des intérêts. Exit donc l’imposition du plus fort comme ce fut jadis le cas. Ainsi des sommets « Afrique-France », « Afrique-Chine », « Afrique-Amérique », « Afrique-Japon ».

Pourtant, auparavant, l’Afrique n’avait jamais eu la cote. Des siècles de plomb, marqués par l’esclavage, aux indépendances en trompe-l’œil, dans les années 1960, en passant par une colonisation impitoyable, le continent fut constamment l’objet de mépris. En 1950, Mgr de Hemptinne, évêque du Katanga (RD Congo), oubliant les consignes de l’évangile qui prônent le respect de l’autre, déclarait sans détour : « La race noire n’avait rien derrière elle. Peuple sans écriture, peuple sans Histoire, sans consistance aucune… » (1). Et Sarkozy de le relaye, à Dakar, en 2007.

Qu’en est-il, aujourd’hui ? Pourquoi cette « nouvelle ruée vers l’Afrique ? ». Les experts répondent par la vertu des chiffres. Ils nous disent que le taux de croissance (la production totale comparée d’une année à l’autre) de l’Afrique va augmentant chaque année, au point d’avoir atteint 5,6%, en 2013. Signe que le continent s’est mis en marche et à se débarrasser de sa torpeur. Ce géant qui s’élève est aussi une puissance démographique : 1,04 milliard d’habitants, en 2012. Ce chiffre, selon les prévisions, sera doublé dans vingt ans. C’est, à l’horizon, un grand marché de consommation qui est en train de se tisser. D’où la préoccupation de grandes puissances de baliser, d’ores et déjà, le chemin de la coopération.

Mais, en Afrique, il n’y a pas que cela qui est positif. Si a corruption persiste, si la dictature, cachée, reste de mise dans les arcanes des pouvoirs (à l’exception de l’Afrique du Sud et de quelques rares autres Etats), si les détournements de deniers publics, ainsi que tous les autres fléaux traditionnels tiennent encore le haut du pavé, les peuples, tout au moins, ont maintenant conscience de leur responsabilité dans la marche politique de leurs pays. Le Printemps arabe, tel qu’il s’était manifesté, n’était autre chose que cette volonté affichée des peuples de s’approprier leur destin.

Place Tahrir [Photo tirée de parismatch.com]

Place Tahrir [Photo tirée de parismatch.com]

Cet événement de fond, après avoir produit un effet papillon, a changé la figure et l’air ambiant de l’Afrique. Au point de créer un climat de confiance pour les investisseurs qui pensent maintenant « afro-optimisme ». Au fait, qui ne rêve, en Afrique, d’ériger une « Place Tahrir » pour en finir avec des régimes prédateurs ?

(1) Jeune Afrique n° 2711-2712, dans « Qui a tué Lumumba ? ».

Médiapart c’est l’Afrique à part

[Par Armand IRE]

Au 8, passage Brulon du 12e arrondissement de Paris trônent des bâtiments en métal à l’architecture contestable. C’est à partir de ces lieux déjà historiques que « sévit » le journal en ligne l’un des plus indépendants de France et même d’Europe. Sans doute un immense privilège pour nous, journalistes exilés, de partager un moment l’espace de travail de ces confrères qui chamboulent volontiers le paysage politico-économique français. Un constat cependant : Médiapart est bien loin de l’Afrique noire. Compte-rendu de la visite.

Visite à Mediapart [Crédit Photo  Muzaffar Salman]

Visite à Mediapart [Crédit Photo Muzaffar Salman]

Les scandales révélés par ce quotidien numérique financièrement bien installé (du fait de ses 96.400 abonnés) sont nombreux et ont un impact important en France. Un exemple : l’affaire « Karachi » et la vente d’armes et de sous-marins au Pakistan avec, à la clé, d’astronomiques rétrocommissions (alors qu’Edouard Balladur était encore Premier ministre et candidat à la présidentielle française). Autre exemple: l’affaire Cahuzac du nom de l’ancien ministre délégué au Budget de François Hollande (qui, après avoir nié durant des semaines, jusque devant les députés a fini par reconnaitre qu’il possédait des comptes non déclarés en Suisse et à Singapour). Tombé à la suite des révélations de Médiapart, il est aujourd’hui mis en examen pour blanchiment d’argent et fraude fiscale. Ce serait un sacrilège que d’oublier dans l’énumération des « trophées » de Médiapart, la fameuse affaire Bettencourt du nom de la femme la plus riche de France : un scandale politico-financier qui a éclaboussé la Droite française (au Pouvoir au moment des faits) et surtout le chef de l’état d’alors Nicolas Sarkozy à qui cet organe n’a jamais « donné le lait ». Cet article à lui seul ne permet pas d’énumérer toutes les affaires avec effets « tsunami » mis au grand jour par Médiapart.

Visite à Mediapart : Intervention de François Bonnet [Crédit Photo  Muzaffar Salman]

Visite à Mediapart : Intervention de François Bonnet [Crédit Photo Muzaffar Salman]

L’Afrique noire méconnue
Comment se déroule une conférence de rédaction dirigée magistralement par François Bonnet, un ancien du journal Le Monde, tout comme d’ailleurs bon nombre de journalistes de cet organe ? Réponse : 20 minutes maximum où les enquêtes en cours et des sujets divers sont évoqués puis des rôles distribués. Même la situation financière de l’entreprise est évoquée au cours de cette rencontre quotidienne. Ici on va à l’essentiel. On est bien loin de la conférence de rédaction de « L’œil de l’exilé », le journal en ligne de la maison des journalistes où la pluralité des langues et nos nombreux « hors-sujets » nous éloignent de l’efficacité.
Seule ombre au tableau de cette visite inoubliable : le net constat de l’ignorance de l’Afrique noire par Médiapart. Si les guerres françaises au Mali, en Centrafrique mais aussi en Libye ont été condamnées par la rédaction, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe, sauf erreur, aucun « spécialiste » de l’Afrique noire au sein de la rédaction.
Ceci étant dit, parmi les aspects réellement positifs qui apparaissent ici, il y a cette volonté : Edwy Plénel, le fondateur de Médiapart et ses associés ont procédé à un savant dosage entre générations. Les plus âgés côtoient les plus jeunes. C’est là une équipe dont l’efficacité fait le bonheur des abonnés qui atteindront très bientôt la barre des 100 000. Pour 9 euros par mois ils reçoivent chaque matin, dans leur boîte mail, une info en prise directe avec les réalités. Une rédaction comme tout bon journaliste en rêve.

Visite à Mediapart [Crédit Photo  Muzaffar Salman]

Visite à Mediapart [Crédit Photo Muzaffar Salman]

Rencontre USA-Afrique : le ministre camerounais refuse les «diktats»

[Par René DASSIE]

Le gouvernement camerounais qui a participé au sommet Etats-Unis-Afrique de la semaine dernière ne semble pas apprécier les leçons de démocratie de Barack Obama, dont le pays souhaite conditionner l’octroi de l’aide aux Africains à la transparence politique et au respect des droits de l’homme.

C’est ce qui ressort d’une conférence de presse donnée à Yaoundé peu après la réunion de Washington, par le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary. « Ce que nous n’acceptons pas, c’est des dictées ou des diktats », s’est emporté le ministre, interrogé par un journaliste.

Evoquant l’âge avancé de Paul Biya, qui, officiellement âgé de 81 ans préside aux destinées du Cameroun depuis 32 ans, le ministre a indiqué que l’adversaire de Barack Obama à l’élection de 2008, le républicain John McCain était âgé de 72 ans à l’époque, et qu’il aurait 80 ans aujourd’hui tout en étant au pouvoir, s’il avait été élu.

Cette sortie inopinée de M. Tchiroma qui alterne régulièrement entre opposant farouche et thuriféraire de Paul Biya au gré de ses admissions ou limogeages du gouvernement de Yaoundé traduit le malaise persistant qui règne depuis quelques années entre Washington et Yaoundé, au sujet des droits de l’homme. L’administration américaine a en effet reconnu le statut de prisonniers politiques à des détenus camerounais, suscitant la colère de Yaoundé. C’est le cas de l’ancien ministre de l’Intérieur Marafa Hamidou Yaya, un Peul du nord du pays régulièrement perçu comme l’un des meilleurs successeurs possibles à Paul Biya, qui a été condamné à 25 ans de prison dans une affaire de détournement de fonds publics qui s’est depuis révélée inexistante.

C’est seulement fin juillet également, que Washington a accrédité Michael Stephen Hoza comme nouvel ambassadeur à Yaoundé, près d’un an après le départ Robert Peter Jackson, qui s’était montré très critique envers le système électoral camerounais.

Régulièrement épinglé dans les rapports d’organisations non gouvernementales occidentales au sujet de la violation massive des droits de l’homme, le Cameroun s’est rapproché ces dernières années de la Chine moins regardante. Yaoundé se trouve ainsi submergé de millions de dollars venus de Pékin. D’où sans doute, l’arrogance et le coup de gueule du ministre Tchiroma connu pour son langage peu diplomatique.