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Présidentielle/RD Congo :  David contre Goliath

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Depuis dimanche 8 octobre, le tableau des candidats à la présidentielle de la République démocratique du Congo 2023 est complet. Ils sont 25 prétendants sur la ligne de départ. Le président sortant, Félix Tshisekedi rempile pour un second mandat, à côté des poids lourds de l’opposition que sont Martin Fayulu, Moïse Katumbi ou Matata Ponyo. Y compris le Dr Mukwege pour le compte de la société civile. Et consorts.

Jamais élections n’auront suscité autant de frénésie que de paroles vaines, jusqu’à la bêtise. En raison du contexte tout particulier qui les caractérise : le vide du pouvoir. Mais, aussi, paradoxalement, le plein de moyens de communication et la vitesse qu’ils donnent à l’information. Tout se sait. A la minute près.

Mais, frénésie, pourquoi pas intérêt, alors que cette dernière dimension intègre les éléments constitutifs d’une élection ? Parce que, à vrai dire, depuis que le général Mobutu a confisqué la démocratie, en 1965, la politique en RD Congo est devenue l’objet de folklore. Par la force ou par la fraude, on y accède pour détourner les deniers publics, faire bombance et tourner le peuple en bourrique.

 Il y va ainsi d’élections en élections. Y compris celles auxquelles le peuple est appelé à participer, en moins de trois mois. Au fait, si les hommes passent, le système de prédation qu’ils ont érigé à tous les niveaux du fonctionnement de l’Etat demeure intact. Félix Tshisekedi ne s’en est pas écarté. Au contraire, il y a remis une couche. Népotisme, tribalisme, chapeautés par un début de dictature redoutable, sont des faits indéniables, qui ont émaillé son quinquennat.

Cas Mukwege : en délibération

Les exemples en cela sont légion. Mais, on en choisira que le plus illustratif d’entre tous et, sans doute, le plus discréditant. Il s’agit de cette promesse faite, en fanfare, par le chef de l’Etat, en juin 2021, à Butembo, dans l’est du pays : « Tant que je n’aurai pas réglé le problème de sécurité dans l’est du pays, je considérerai n’avoir pas réussi mon mandat ». A tout le moins, une telle promesse au peuple a valeur de serment.

Bien plus, depuis, le phénomène a pris de l’ampleur. Selon la déclaration de la représentante de l’ONU en RD Congo, Madame Bintou Keïta, sur les antennes de RFI, mercredi 11 octobre, neuf personnes par jour perdent la vie, du fait des violences des groupes armés. Et ce, depuis le mois de janvier 2023. Plusieurs provinces en font actuellement les frais, apprend-on des sources concordantes, jusqu’aux portes de Kinshasa.

Qu’en dire, sinon réclamer haut et fort la démission du chef de l’Etat, pour parjure ? Dans d’autres cieux, c’est une affaire entendue. Sans autre forme de procès.

© Valeriano Di Domenico

La question reste donc posée, parce qu’au sommet de l’Etat, on n’en a pas conscience. Mais, surtout, parce qu’il y a une nouvelle donne dans le paysage politique. Il s’agit de l’entrée dans la danse électorale d’un groupe d’opposants populaires, diplômés, crédibles, sinon ayant montré leur efficacité pour la promotion de la chose publique.

Ils s’appellent Martin Fayulu, vainqueur des élections de 2018, mais privé de sa victoire par l’ancien président Joseph Kabila (situation désignée par la diplomatie française de « compromis à l’africaine »), Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la province du Katanga, Augustin matata Ponyo, ancien premier ministre, économiste de haute volée et les autres, Delly Sesanga, juriste apprécié.

Mais le plus coriace des challengers face au président sortant, c’est le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018. De son état, médecin gynécologue-obstétricien, le Nobel est aussi professeur des universités ; bâtisseur affirmé – ayant construit plusieurs écoles, ainsi que le célèbre hôpital spécialisé de Panzi, à Bukavu, le tout dans la province du Sud-Kivu -, pasteur adulé dans sa ville natale de Bukavu, polyglotte et écrivain de talent, avec à son actif plusieurs ouvrages, dont le tout dernier intitulé « La force de la femme ».

Bien sûr, sa popularité ne crie pas sur tous les toits comme celle, jadis, attribuée à l’ancien président américain Obama, aux Etats-Unis. Néanmoins, le Dr Mukwege est dans l’esprit de la plupart des Congolais. En situation de délibération.

Qu’en penser ? Un tel homme intelligent, travailleur acharné, qu’accompagne une probité indubitable, serait-il incapable de « réparer » le pays, à l’instar de ce qu’il réalise dans son hôpital, en « réparant » des milliers de femmes violées ? En quoi l’image, pour ceux qui l’ont critiquée, est-elle fausse ? L’image n’est-elle pas l’une d’expressions de la pensée et même des figures de style préférée en journalisme, en particulier ?

Le dictateur Yahya Jammeh, battu

On a évoqué, au début, la présence de la « parole vaine », en voilà une, explicite ! Quand on parle, en public, de ce qu’on ignore… on glisse vite vers la bêtise. Boileau ne conseillait-il pas sans cesse : « Evitez la bassesse »

Qu’on s’entende sur la personnalité d’un Nobel : c’est un « grand ». Ailleurs, c’est une autorité dont la voix porte, et qui mérite respect. Dans l’imaginaire collectif, un Nobel est un personnage qui habite le nouvel Olympe, au-dessus de nos têtes. Aussi voit-on rarement un Nobel descendre de son piédestal pour une arène politique. Ce qui démontre pour le médecin congolais son ardent désir de servir son peuple, en perdition, aux dépens de toutes les autres considérations.

C’est que le Nobel congolais, du coup, a accepté de « jouer le jeu » : l’arène politique est comme un ring de boxe, où on se donne des coups. Il devra porter les coups contre son adversaire, mais des coups francs… et il en a plein dans son carcois, pour vaincre. C’est vrai qu’il se trouve en face d’un président en exercice, bien loti, soutenu en plus par ce qu’on qualifie de « prime du sortant ». Mais, l’histoire pointe, parfois, des paradoxes ahurissants, où un David parvient à battre un Goliath.

Le cas de la Gambie, en décembre 2016, est encore présent dans la mémoire. Adama Barrow, candidat de l’opposition unie, simple fonctionnaire, a battu le dictateur Yahya Jammeh, réputé féroce multi millionnaire, au pouvoir depuis 22 ans.

Cela peut être possible en RD Congo. Pourvu que l’opposition s’unisse et que chacun oublie son ego, au bénéfice du pays à l’article de la mort.

Pendant ce temps, des propositions se forgent et s’échangent. On voit acceptée, en majorité, une composition « idéale » de tête, formée du Dr Mukwege, auréolé de son estime internationale, comme président de la République, Fayulu, chevronné en politique, comme Premier ministre, Katumbi, à l’Intérieur, Matata Ponyo, à l’Economie et Sesanga à la Justice…

Si jamais ces élections ont lieu…

France – Afrique : va-t-on vers une mauvaise rupture ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Rien ne va plus entre la France et l’Afrique. Le premier constat est la situation des coups d’Etat successifs en Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso et Niger). L’autre observation est que cette révolte des militaires n’est pas menée seulement à l’interne, comme ce fut jadis le cas ; elle se retourne aussi contre l’ancien colonisateur, la France.  Et au-delà, contre l’Occident. Avec, régulièrement, un brin de brutalité verbale. Marquée, une fois, par un acte de violence sur l’ambassade de France, partiellement vandalisée à Niamey.

Cela est nouveau. Les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’apparentent à un fait d’incubation, qui a cours depuis des décennies. En d’autres termes, c’est l’écho aux ressentiments qu’exprime, désormais, tout le continent africain à l’égard de l’Occident. Côté pays francophones, la France, bien sûr, étant placée en première ligne, autant pour son passé colonial que pour ses attitudes jugées impérialistes.

La Françafrique, cette Hydre de Lerne, qui a traversé tous les gouvernements de la Ve République, est citée en mauvaise référence. En utilisant contre la bête la même épée que ses prédécesseurs, cabossée par des promesses non tenues, le président Macron a fini par mettre les feux aux poudres.

C’est le fait, global, dans lequel se détachent d’autres éléments répréhensifs, pour les Africains, tels l’indécision des troupes françaises à neutraliser les djihadistes au Sahel ou la présence de ces mêmes troupes pour constituer des bases militaires sur le sol africain, notamment.

S’y ajoute, en veilleuse,  l’appel lancé par Aminata Traoré, dans « Le viol de l’imaginaire ». L’écrivaine malienne demandait de tout faire pour « restituer aux Etats du continent leur pleine souveraineté et leurs prérogatives dans l’œuvre de réhumanisation de l’homme ». C’est tout dire.

De là à penser « coup d’Etat », il n’y a qu’un pas à franchir. Y compris, dans la foulée, à organiser des manifestations hostiles contre la France.

Le torchon brûle entre le Niger et la France

On le sent, l’idée, dans cet espace géographique, est d’arracher le continent des griffes du néocolonialisme. En vue de s’approprier une sorte de deuxième indépendance, après celle des années 1960.  Ainsi donc, le Niger ne sera pas le dernier de la série. Le coup d’Etat y est consommé, et rien d’autre ne dérangera ce nouvel ordre des choses. Lequel, à n’y prendre garde, fera tache d’huile.

Cependant, on n’en restera pas là. Il faut penser au revers du décor, à l’image des réactions qui ont suivi les indépendances africaines. L’Occident n’avait pas lâché prise, tout de go. Pour nombre de pays, il a fallu subir des guerres dites de « libération ».

Des guerres pour la préservation par l’Occident des matières premières (pétrole, uranium, cassitérite, diamants, etc.). Or, le même schéma, aujourd’hui, semble se redessiner… en creux.

La France, et par ricochet l’Occident, assisterait-elle les mains croisées devant la perte de son pré carré, surtout que celui-ci a tendance à basculer dans les mains de la Russie et de la Chine ? Ce qui saute déjà aux yeux, en attendant, est que les choses commencent à prendre une mauvaise tournure, avec cette crainte que la rupture ne risque d’être fâcheuse. Simple exemple : le Niger demande à l’ambassadeur de France de plier bagages, Paris dit sèchement « non ».

C’est un premier craquement de l’arbre sur lequel repose le poids des relations séculaires entre les deux pays. En tout cas, mauvais signe des temps !

Crédit photo : James Wiseman.

RD Congo : Tshisekedi met les gants contre l’Eglise Catholique

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Le sens du mot « démocratie » est galvaudé, en RD Congo. Et à qui mieux mieux. Tiré dans tous les côtés, selon les intérêts des uns et des autres. Un jour, on a entendu Mobutu dire, très sérieux : « Moi aussi, je suis un démocrate ». Alors que sa dictature était au zénith : tout ayant été mis sous le contrôle du MPR, parti unique.

Le président Tshisekedi vient de lui emboîter le pas, le 25 juin, dans la province du Kasaï-Oriental, son fief. Il y était invité pour participer à la célébration du jubilé d’argent de l’évêque de Mbuji-Mayi, chef-lieu de cette province. Il en a profité pour répondre à la critique de la Conférence épiscopale nationale du Congo « CENCO », formulée sur la situation générale chaotique du pays. Dans sa défense, et après avoir déversé sa bile sur l’Eglise catholique, le chef de l’Etat a conclu, pince-sans-rire : « Démocrate, je suis, démocrate, je resterai… ».

Dans quel sens le fut Mobutu, dans quel sens l’est le dirigeant actuel de la RD Congo ? On ne peut pas se proclamer démocrate dans la tricherie, la corruption, le vol, le mensonge, la répression du peuple pour ses droits, etc. Au-delà de son sens classique, la démocratie est une vertu, entourée d’une constellation de qualités. Quand on y échappe, on est tout simplement « dictateur ».

Quid ? A l’issue de sa 60e Assemblée plénière ordinaire, le 23 juin, à Lubumbashi, province du Haut-Katanga, la CENCO dresse un sévère réquisitoire du régime en place. Dans son rapport, elle épingle la mauvaise gouvernance, sur fond de tribalisme béat ; les comportements dictatoriaux, dont les arrestations arbitraires, l’instrumentalisation de la justice et autres méfaits ; l’insécurité récurrente dans l’est du pays, dont une partie est occupée militairement ; la misère extrême du peuple ; le climat tendu, etc. Ajoutons qu’au plan économique, les choses vont également mal, quand la monnaie se déprécie de 1,1 %, en moyenne hebdomadaire, depuis le début de cette année.

Un langage de guerre

En conclusion, l’Eglise catholique, par le biais de la CENCO, appelle à la responsabilité de tout le monde. Au régime en place, de faire en sorte que les élections prévues, en décembre prochain, soient crédibles et au peuple de « se réveiller de son sommeil », afin de ne plus se laisser berner par ses fossoyeurs.

Pour le régime, c’est une provocation gratuite, puisque l’Eglise a quitté l’Evangile, son rôle, pour se mêler de la politique. Et le président de la République de se rependre en invective. Il voit, de prime abord, dans la démarche de cette institution « une grave dérive, qui risquerait de diviser le pays ». Puis, se posant en garant de la République, il avertit : « Je ne reculerai pas devant les menaces, les intimidations de tout genre ; je m’attaquerai sans hésitations, sans remords, à tout ce qui mettrait en danger la stabilité de notre pays ».

C’est un langage de guerre, et l’allusion clairement faite à l’égard de l’Eglise catholique. Personne n’est assez dupe pour ne pas le comprendre.

Rien d’étonnant. De Mobutu à Kabila fils, en passant par Kabila père, l’Eglise romaine au Congo a toujours été accusée d’immixtion dans les affaires de l’Etat. En réalité, sa faute a été et reste celle de vouloir rappeler aux dirigeants politiques les vertus de la démocratie. Pour le bonheur du peuple et le progrès du pays. En fait, « l’Eglise est société », comme les Cathos aiment le dire. Dans les Actes des Apôtres, l’évangéliste Luc le souligne, en indiquant à Théophile, un disciple, que le premier geste de Jésus était social. Il le dit en ces termes : « Théophile, j’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé à ‘faire’ et à enseigner, dès le commencement ». (Act. 1 -1).

« Faire avant d’enseigner ». Il est donc du devoir de l’Eglise de faire, autrement dit, de se mêler de la politique, quand celle-ci se fourvoie, au mépris absolu des intérêts du peuple, de la société. Quand on remonte l’histoire, on constate que le haro de l’Eglise romaine au Congo, en direction des gouvernants irresponsables est une constance. Conduisant, parfois, à un bras de fer sanglant : des chrétiens contestataires, sont impitoyablement tués, par les forces de sécurité. Mobutu et Kabila l’ont fait, ils n’ont pas vaincu. Et le « vae victus », le chant latin à la fois de victoire et de moquerie, c’est au peuple qu’il revient.

Caractéristiques des dictateurs

Or, c’est comme si cette leçon de l’Histoire n’a pas été comprise, puisque la mise en garde « indirecte » du chef de l’Etat à l’égard de l’Eglise n’annonce pas moins l’éventualité d’une nouvelle confrontation. Le ciel gris, empreint de mensonges et de toutes sortes de prétentions, couvre ces jours-ci la RD Congo. Il ne diffère pas de celui qui fut à l’origine des orages du temps de Mobutu et de Kabila. De ces prétentions, Tshisekedi s’en est appropriée une que nous entendons sortir souvent de la bouche de tous les dictateurs : « Je n’ai aucune leçon à recevoir, en matière de démocratie ».

Propos frasque, contredisant le célèbre « Ce que je sais, c’est que je ne sais rien », de Socrate, ne manque pas d’étonner. En cela, Tshisekedi s’oppose également à Kant, cet autre grand philosophe, sur le principe de « hétéronomie ». Celle-ci est l’ensemble des lois ou règles bénéfiques que nous recevons de l’extérieur, d’autrui, face aux désirs illimités de l’homme. C’est le contraire de « l’autonomie », qui, elle, laisse tout faire. La Grèce antique a aussi exploité ce thème, à travers le « complexe de Thétis ».

Dans notre contexte, ce propos est intéressant. En effet, il nous renseigne quand une personne est persuadée d’être suffisamment érudite, pour se passer des leçons d’autrui, il y a lieu de douter de ce qu’elle connaît réellement. C’est d’ailleurs là l’une des caractéristiques des dictateurs avérés. Ils pensent avoir raison en tout.

Vu ce qui précède, le bras de fer entre le président Tshisekedi et l’Eglise catholique est inévitable. L’un est déterminé à garder le pouvoir, à travers un deuxième mandat, à tout prix, tandis que l’autre (Eglise), en sentinelle, veuille au grain. En plus de pointer que le processus électoral est « mal engagé », elle a appelé le peuple à ouvrir l’œil… et le bon. Et le peuple connaît la voix du berger…

S’il y a bagarre, l’enjeu, comme on le voit bien, c’est la « démocratie ». Et, d’ores et déjà, on peut se prononcer sur le statut des belligérants. Qui est démocrate et qui ne l’est pas !

In Burkina Faso, is the government trying to silence the French media ?

Between disinformation campaigns and political propaganda, press freedom has deteriorated considerably in Burkina Faso. French media seem to be in the crosshairs of the Burkinabe authorities. Following the suspension of France 24 and Radio France Internationale (RFI) earlier this year, correspondents Agnès Faivre (“Libération”) and Sophie Douce (“Le Monde”) were recently expelled from Burkina Faso on April 1, 2023. Agnès Faivre agreed to answer our questions.

By Andea Petitjean

According to Reporters Without Borders (RSF), the Sahelian strip threatens to become “Africa’s largest information-free zone”. The countries of the Sahel are listed as “high-risk areas” for journalists, particularly Burkina Faso, Mali and Chad. There are many dangers for media professionals there, notably due to the presence of jihadists whose attacks have become increasingly frequent since 2015, bloody intercommunity clashes, and violent military juntas. Journalists are no longer safe and access to information is limited.

Head of state since 2022 following a double coup d’état, Captain Ibrahim Traoré continues to increase pressure on the media. According to the 2023 World Press Freedom Index published by Reporters Without Borders (RSF), Burkina Faso is ranked 58th out of 180 countries. According to RSF: “Whether in Mali, Burkina Faso or Chad, as soon as they come to power, the new authorities seek to control the media through bans, restrictions, attacks or arbitrary arrests”.

Public media are particularly vulnerable during putsches. The military sought to take control of national television and radio in order to announce their seizure of power and reshape the country’s media landscape. Journalism and press freedom are under threat, in favor of propaganda.

RFI and France 24 cover African news closely, and are (or at least used to be) two very popular media in Burkina Faso. Until now, a third of the population and over 60% of managers and executives followed France 24 every week in Burkina Faso. But the French media seem to be in the firing line of the Burkina Faso authorities, as recent events testify:

In December 2022, the Burkinabe government decided to ban Radio France Internationale (RFI) from broadcasting. On March 27, 2023, France 24 was banned from broadcasting. The government accused it of broadcasting an interview with the leader of Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM).

But that’s not all. On April 1, 2023, Sophie Douce and Agnès Faivre, correspondents for Le Monde and Libération, were expelled from Burkina Faso. Agnès Faivre lost her accreditation after “Libération” published the findings of an investigation on March 27, which strongly displeased the authorities. The journalist, now back in France, agreed to give us an interview:

What are the risks of being a journalist in Burkina Faso?

There’s a security threat in the country, which has been facing a jihadist insurgency since 2015 that has intensified considerably from 2018-2019. It’s deteriorating very quickly, with 12 out of 13 regions more or less intensely affected by incidents blamed on armed terrorist groups. It’s risky to travel, to go into the field. Very few journalists can travel, although some Burkinabè do, but they are very rare. Moreover, since Ibrahim Traoré came to power, freedom of the press and of opinion have been progressively curtailed. Other risks have emerged for journalists, with an increase in threats, pressure and intimidation.

How is the government trying to censor/control the media and put pressure on journalists?

There is direct pressure from the authorities, and frequent calls to order. Journalists have been summoned to the Service de la Sûreté, an intelligence service, and to the Conseil Supérieur de la Communication for reframing, while others have been sued for defamation or ordered to reveal their sources. When a journalist does not follow the regime’s propaganda, he or she is attacked on social networks, or even accused of being “stateless”. Last but not least, there are hate messages posted on Whatsapp calling for the murder of certain journalists, or the burning down of the premises of Omega Médias, a free-spirited audiovisual group.

What is the current situation between the media and the government? How would you define journalist-government relations in Burkina Faso?

It’s almost a dialogue of the deaf. Burkina Faso’s journalists are trying to negotiate greater freedom of expression, the means to cover the conflict, and better access to official sources, which have been considerably reduced since September 2022. But Burkina Faso’s journalists are demonized and have little room for maneuver.

Why were you expelled from Burkina Faso?

It was following an investigation that appeared in Libération on March 27. We received a video in which a man filmed seven children and teenagers lying on the ground, visibly dead, their hands tied and blindfolded. At one point, one of them lifts a stone and drops it on a child’s face, claiming he was still breathing. It was a very cruel video featuring men dressed in “half-season” fatigues and T-shirts. We investigated these extra-judicial executions and were able to identify that elements of the regular army were present, and that it had taken place in a barracks in Ouahigouya, a town in the north of Burkina Faso. Shortly after the attack on a VDP (Volunteers for the Defense of the Homeland) base, dozens of people had been rounded up in certain Ouahigouya neighborhoods, with the support of the army. The investigation strongly displeased the authorities.

How did you find out that you had been expelled from the country?

The survey was published on Monday, and on Friday I was summoned to the Sûreté, the intelligence service. The interview lasted 1h30. That evening, the officer who had interviewed me came to my home to tell me, on the doorstep, that I’d been deported and that I had 24 hours to leave the country, but he gave no reason. Overnight, the disinformation campaigns targeting me and Sophie Douce began. The day I was summoned to the Sûreté, they also summoned my colleague Sophie Douce (“Le Monde”). We really didn’t understand why she was associated with this, as “Le Monde” hadn’t investigated the video.

Correspondents Agnès Faivre (« Libération ») and Sophie Douce (« Le Monde ») 

Following the suspension of both RFI and France 24, and the expulsion of correspondents from “Libération” and “Le Monde”, the NGO Amnesty International called on the Burkina Faso authorities to “cease attacks and threats against press freedom and freedom of expression” on April 7.

While French media no longer seem welcome in Burkina Faso, the presence of French military forces was also a source of great tension.

In January 2023, several hundred people demonstrated in Ouagadougou against the French presence, demanding, among other things, the departure of the French ambassador and the closure of the French army base at Kamboinsin, where 400 special forces are stationed. Finally, on February 19, 2023, the Burkinabe government announced the total withdrawal of French soldiers from Ouagadougou, after 15 years in the country. When he came to power in autumn 2022, Ibrahim Traoré had given France 30 days to withdraw its troops (until February 25, 2023).

AFRIQUE : la Turquie est-elle une amie de poids ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Les lampions se sont éteints sur la présidentielle turque. Le président sortant Erdogan l’a emporté haut la main. L’événement a intéressé autant les pays du Nord que ceux du Sud, la Turquie constituant une espèce de plaque tournante entre l’Occident, l’Afrique, le Proche-Orient et l’Asie.

Pour la première fois, le continent africain y a manifesté un intérêt indéniable, alors qu’il y a vingt ans, ce pays lui paressait quelque peu distant.

Les graines de cette coopération tous azimuts entre le pays de Mustafa Kemal et le continent sont plantées en 2003, avec l’arrivée au pouvoir d’Erdogan, en qualité de Premier ministre et, plus tard, de président de la République. Au point où, aujourd’hui, nombre d’observateurs n’hésitent pas à penser que « la Turquie en Afrique, c’est Erdogan ».

C’est lui qui, depuis deux décennies, essaie de distiller un soft power turc en Afrique. Pendant cet intervalle, en ce sens, la Turquie d’Erdogan fait flèche de tout bois. Celle de la diplomatie a atteint pleinement sa cible, par l’ouverture de 44 ambassades sur 55 pays.

A l’instar de la France, qui en compte 46. Démarche coiffée par également plus de 40 déplacements présidentiels. Un véritable marathon diplomatique – sans égal -, qui donne la mesure de l’action multisectorielle menée par Ankara.

Des échanges commerciaux multipliés par 9

Dans le domaine commercial,  les échanges annuels entre les deux partenaires, de 2003 à 2021,  sont passés de 4,4 milliards d’euros à 34 milliards d’euros, selon les chiffres du ministère turc des Affaires étrangères, repris par BBC World Service.

Avec à la clé l’attribution de plusieurs projets d’infrastructures, comme la piscine olympique de Dakar, au Sénégal, ou « la Kigali Arena », au Rwanda, le plus grand stade d’Afrique de l’Est. C’est déjà notable, à côté d’autres réalisations moins brillantes, à trouver ici et là.

Sur le plan militaire, Ankara possède une base militaire, à Djibouti, en Somalie. C’est dans l’air du temps. Mais, il se préoccupe également de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, où, dans le cadre des contrats d’armement, il a livré des drones TB2 au Mali et au Burkina Faso, ainsi que des véhicules blindés et autres systèmes de protection ou de surveillance.

Non sans oublier le domaine du développement et de l’humanitaire, à travers la présence des ONG bien structurées qu’elle finance grassement. Enfin, son œil est posé aussi sur le culturel, exclusivement sur la promotion des écoles coraniques, un des véritables leviers du soft power turc, en Afrique de l’Ouest, à dominante musulmane…

C’est peu dire que le pays d’Erdogan a pris des racines au continent. Dans un climat de confiance mutuelle. Tout est donc au beau fixe. A preuve, cette approbation unanime des chefs d’Etat, dès 2005, de compter la Turquie parmi les observateurs de l’Union africaine (UA) et, trois ans plus tard, de l’élever au rang de « partenaire stratégique ».

La présence massive des chefs d’Etats africains au troisième sommet Turquie-Afrique, en décembre 2021, à Istanbul, est une autre preuve de cette solide amitié partagée par les deux partenaires.

A tout prendre, la Turquie semble donc une amie sérieuse, avec qui l’Afrique peut compter pour exercer une coopération « gagnant-gagnant ». Selon la fameuse formule d’Erdogan : « L’Afrique pour les Africains ». Tout ce qui fait qu’il y ait brouille avec les autres pays amis, quand cette note manque au solfège.

GUINEA. THE PRESS AGAINST THE MILITARY JUNTA

Journalist, TV host, producer and director of institutional documentaries and fiction, Alhussein Sano is a Guinean intellectual. He entered the media world with the creation of his production agency MAXI PLUS in 1995, and can look back on 28 years of journalistic experience. Now a member of the Maison des Journalistes, Alhussein discusses the weakening of press freedom in Guinea through his trials and tribulations.

In 2007, his CLAP arts and culture program became part of the national television network (RTG1) and is his proudest achievement. Satisfied with the ratings, the channel asked him to perfect the program schedule from 2009 onwards. Despite the promising career ahead of him, Alhussein nevertheless notes that replacements at RTG are based on ethnicity: “RTG’s administration was very Malinkinized from 2010 onwards (editor’s note: the Malinké ethnic group has become the majority among administrators), and it was impressive: the new editorial line was now based on praise for the new president at the time, Alpha Condé”, with no regard for journalistic neutrality. 

Despite the chaotic political situation, Alhussein was appointed program director in 2013, “at the suggestion of the director at the time.” He then pursued his projects for RTG and for MAXI PLUS, “one of the best-equipped production companies in the country.

Ethnicity, central to the life of a Guinean journalist

But in February 2019, just as President Alpha Condé had reached the end of his second term, the country went up in flames. President since 2010, Alpha Condé was attempting to amend the constitution to maintain his grip on power, triggering violently repressed demonstrations and the anger of the opposition. Alpha Condé’s rival political party, the FNDC, held elections despite dozens of deaths, reaffirming its position for a third term in 2020. A coup d’état by the military junta on September 5, 2021 finally led to his removal from office. 

A dark period for Alhussein, starting in 2019: invited by RTG’s managing director to a meeting of his political party, the RPG, Alhussein understands that he is expected to fall in line. “He decided that this was a good opportunity for me, because I belong to the Malinké ethnic group like him“, one of the country’s main ethnic groups, from which Alpha Condé is descended. “I was shocked by what he said,” explains our JRI in a relentless tone. “I told him that my profession as a journalist demanded impartiality in my work.” This resistance cost him his home and he paid for it with exile. He affirms that “I never accepted his proposal, because this community divide played no part in my decision, especially as I didn’t support their plan for a third mandate. Over time, the divorce between us became definitive.”

Little by little, Alhussein saw his responsibilities and his work trampled underfoot: the simple refusal to take part in a political meeting was enough to destroy his career in Guinea. “I was excluded from all the channel’s activities. Our relationship really soured because of my cousin Abdourahamane Sano, National Coordinator of the FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution), a civilian group opposed to the military junta.”

The high price of press resistance

A social opposition movement, the FNDC is behind a series of demonstrations against the modification of the Constitution in February 2019 against Alpha Condé. The CNRD offered his cousin Abdourahamane Sano a seat in the transitional government, which he refused. He had aroused the ire of the regime, which therefore focused on Alhussein.

“I was then replaced by an RPG party activist in my post, to break my career plan.” As if that wasn’t enough, Alhussein was demoted to head of the Production and Directing Section at RTG 2, a non-broadcasting channel. 

Still with a fierce desire to do his job and a production company of his own, the Guinean journalist concentrated on his projects, in particular making a documentary on the activities of the FNDC, for which his cousin worked. Unfortunately for him, the difficulties didn’t stop there.

He explains to our microphone that “following the coup d’état of September 5, 2021, perpetrated by the military group CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement), Guineans thought they had lost an executioner (Alpha Condé) and thought they had found themselves a hero, the head of the military junta Colonel Mamady Doumbouya.” Yet, as Alhussein so aptly recalls, Mamady Doumbouya “had witnessed and participated in the exactions of Alpha’s regime.” 

Skeptical, Alhussein observes the vise tightening around Guinean journalists, including himself. “Military regimes often show little respect for human rights, and use every means to silence political leaders who do not share their ideals,” he laments.

In January 2022, Alhussein was invited to a meeting with the new Secretary General of the Ministry of Communication, in order to reshape RTG1 and 2’s programs. Explaining that he wanted to maintain his professional integrity, Alhussein came up against a demagogic wall, costing him his position as Program Director. “The Secretary General called me out rudely: “Are you still refusing to help us? I was really surprised by this reaction, then he added in the same tone: “When you change your mind, the doors of the department will be wide open to you”. There was something fishy about all this verbal abuse. In April, I had another meeting in the General Manager’s office. Two men were in front of me: one said he liked my show, and the other confided in me that he wanted FNDC members to see my documentary“. 

A trap he doesn’t fall into. “I replied that, according to the contract, once the film had been made, the producer had to get the film back, along with all the media and rushes used. They insisted, to no avail. I suspected they were there to trick me.” 

As the discussion progressed, the men in the general manager’s office learned that Alhussein’s passport had expired. They offered to make a photocopy to end his administrative deadlock. Not fooled, Alhussein gave them only one passport, the other still holding a visa. “I understood that they were intelligence agents who wanted to confiscate my valid passport. It’s a very common practice in Guinea,” he says with some pride.

The press, collateral damage of a political crisis

Following the fall of Alpha Condé to the CNRD, the FNDC called for new waves of protests against the military junta. The junta had promised to hand over power to civilians, but settled in without announcing an expiry date.

CNRD and FNDC clashed on all fronts. “The military deemed it necessary to annihilate all FNDC actors who had played a major role in the downfall of Alpha Condé, as well as all supposed collaborators“, including himself. On July 5, 2022, as the FNDC organized a press conference, its members were brutally arrested by the police and beaten in front of the cameras. They were released after a week, at the request of the population.

After a visit from government agents, Alhussein was forced to vacate his house without notice, and was summarily evicted. He took refuge with his family in Hamdallaye, but they were under surveillance and received impromptu visits from the army, forcing him to go into hiding with friends. 

On July 29, 2022, following a large-scale citizen mobilization, Alhussein decided to check on his family. “In less than 30 minutes, two pick-ups with hooded soldiers burst into the courtyard of the family home. They knew I was there and started searching the house, confiscating phones, stealing our money and brutalizing my sisters. I barely escaped by climbing over the backyard wall.” If he manages to escape, Alhussein must leave behind his precious computers, now in the hands of the military, as well as his editing equipment.

“In Guinea, when you’re arrested, you can be killed without follow-up, or you risk dying in prison or spending years there without being tried.”

For him, the entire Guinean press is on borrowed time. “Of course, it was the same with Alpha Condé; there’s a real continuity in his policies. You can’t say everything about the Guinean junta, and you can feel it.” Independent or state-owned, the media have been and still are muzzled by those in power. 

The latest examples include a journalist summoned in July after an article on a truckload of medicines blocked by the military, and another arrested for covering the social work of mine workers in Boké this year. An asphyxiating situation for Guineans, from which it seems impossible to escape.

“All the media are controlled by the Haute Autorité de la Communication, which has kept the same president after Condé. Scripts are drawn up by the government and distributed to the public media. If a radio station wants to be commercial, it will inevitably become political. They are the very expression and communication of power. If we don’t play the game, journalists can be banned from the airwaves,” says Alhussein.

Hardly optimistic, he would like to continue his work in France, “where freedom of expression is protected. The state protects its freedom better, so now I can talk about Guinea without being worried. Even if the head of the junta leaves, all his men have been placed in the ministries, it would be an illusion.” An impasse into which Alhussein no longer plans to slip. Other Guineans, however, continue to defy the authorities and the army by simply doing their job. Information soldiers whose courage should not be forgotten.

By Maud Baheng Daizey. Translation by Andrea Petitjean.

PORTRAIT. « Nous n’avons rien fait de mal, juste tendu notre micro et allumé la caméra »

Menaces de mort, agressions et intimidations sont devenues le quotidien des acteurs de la presse à travers le monde.

Les journalistes maliens en font la douloureuse expérience depuis plusieurs années, dont Malick Konaté, journaliste pour l’AFP et fondateur de l’agence de communication MAKcom, a dû quitter le Mali et se réfugier à Dakar en septembre, puis en France en janvier 2023. Il relate aujourd’hui pour la Maison des journalistes son histoire. Entretien.

Malick Konaté a plus d’une dizaine d’années d’expériences à son actif, après avoir été sélectionné en 2012 pour intégrer en tant qu’animateur la radio web des Jeunes Francophones du monde. 

Étoile montante à Bamako, il participe la même année à une formation au sein de RFI dans la capitale française.

Grâce à la chaîne privée malienne Wôklôni-TV, le jeune homme suit une formation avec l’école de journalisme de Lille, présente à Bamako. 

C’est en 2015 qu’il se lance dans une carrière de journaliste reporter d’images, fort d’un parcours déjà bien fourni. Très vite, il parvient à se hisser au rang de rédacteur-en-chef pour une chaîne de télévision privée jusqu’en 2018, où il en devient le directeur de la chaîne Africom-TV. 

Il entame alors ses premières productions pour l’AFP, et collabore aujourd’hui avec BFMTV, TF1 ou encore Al-Jazeera.

Prolifique, Malick tient également à partir de 2018 sa propre agence de communication, MAKcom, où une chaîne télévisée diffuse ses programmes depuis cinq ans.

Le trentenaire a toujours couvert des sujets sensibles au Mali et depuis le coup d’Etat de mai 2020, subit de grandes campagnes de dénigrement et de harcèlement sur les réseaux sociaux.

L’année 2022, le début de la fin

En 2022, une dizaine de personnes y étaient employées : ils subissent les vagues de harcèlement mais tiennent la barre, avant la date fatidique du 31 octobre 2022, où les campagnes prennent “des proportions hors-normes.”

BFMTV diffuse en France un documentaire intitulé “Wagner, les mercenaires de Poutine”, provoquant l’ire sur les réseaux sociaux maliens. Malgré ses efforts, le journaliste émérite n’a d’autre choix que de réduire ses effectifs. 

Selon de nombreux anonymes en ligne réclamant sa tête, Malick aurait tourné la séquence sur le charnier de Gossi, un massacre que l’armée française attribue à Wagner.

Malick Konaté n’a jamais tourné cette séquence. Les images du charnier de Gossi ont été tournées par un drone de l’armée française qui les a transmises aux rédactions”, explique BFM dans un article

La chaîne rappelle également que Malick “n’a jamais participé à la rédaction du reportage”, en vain : le journaliste est désormais victime de centaines de menaces en ligne et d’appels à “abattre l’ennemi.”

Accusé de tenter d’espionner et “vendre” le Mali à l’Occident, Malick est depuis victime d’éreintantes campagnes de harcèlement en ligne.Sur les réseaux sociaux, ce sont généralement des faux profils qui m’attaquent et me menacent de mort, mais je ne sais pas qui se cache derrière tout cela”, explique-t-il au téléphone d’un ton mesuré et grave, typique des journalistes radio. Imperturbable, Malick ne tourne guère autour du pot et répond de manière directe à chacune de nos questions.

Le journaliste, pion de conflits géopolitiques

J’ai prouvé qu’il ne s’agissait pas de mes images car je n’étais pas en capacité de les tourner moi-même. Mais les gens pensent que nous mentons, moi et les médias français. Ils cherchaient un alibi pour s’attaquer à la France mais pas de manière frontale, c’est pour cela qu’ils m’ont attaqué moi” détaille-t-il d’une voix neutre. “Nous ne pouvons pas toucher la France, alors nous allons abattre Malick.

Une période sombre pour le journaliste, alors frappé de plein fouet par la dépression et isolé par tous.

J’ai été attaqué à mon bureau par deux personnes cagoulées, et rien n’a été fait malgré ma plainte. Une autre fois, des messages audio ont circulé sur Facebook et WhatsApp, où mon identité était dévoilée et où on appelait à m’abattre.”

Bien que les autorités possèdent les informations personnelles du harceleur, l’enquête piétine.

Je recevais aussi beaucoup d’appels anonymes pour me dire qu’on allait me tuer”, précise-t-il également. En raison de toutes ces atteintes à sa sécurité, Malick quitte le pays le premier septembre 2022.

Je soupçonnais les autorités maliennes de savoir et d’approuver ce qu’il se passait autour de moi. Je me sentais perdu sur place.” Un journaliste abandonné par son propre pays, dont la Constitution garantit pourtant la liberté de la presse.

Mes plaintes n’aboutissaient pas, jusqu’à ce que je saisisse le groupement pour le maintien d’ordre afin de sécuriser mon bureau”, où il recevait des lettres de menaces ainsi que des visites peu amicales. 

L’État-Major a envoyé quatre agents à mon bureau le 1er juillet 2022. À leur arrivée, ils m’ont demandé 60 000 Francs CFA [NDLR : environ 90 euros], puis 50 000 par agent et par mois pour la protection, ce que j’ai accepté. Mais les agents ne sont restés que trois heures avant de retourner au camp, sans m’expliquer pourquoi. Ils ne sont jamais revenus”, le laissant encore plus dans la déroute. Malick comprend qu’il lui faut quitter le pays, et organise son départ. 

Mais même en-dehors du pays, le journaliste continue de subir des pressions. Le 2 novembre 2022, une brigade d’investigation judiciaire de Bamako l’appelle et l’informe que sa présence est requise dans le cadre d’une rencontre avec le commandant de la brigade, sans plus de détails.

Prudent, Malick rétorque qu’il n’est pas au Mali mais passera au bureau lorsqu’il reviendra à Bamako.

Le brigadier m’a rappelé un peu plus tard pour savoir quand je reviendrai, je n’ai pas répondu avec précision. Le soir, notre conversation a été divulguée pendant des lives sur les réseaux sociaux par des cyberactivistes.

On y disait que j’avais fui la justice et le pays, que le chef de la brigade tentait de m’arrêter. Le même jour, ils ont envoyé des militaires habillés en civil chez moi pour m’arrêter. Qui d’autre hormis la brigade pouvait-elle transmettre le contenu de notre échange ? Ils étaient en contact direct avec les cyber activistes.

Une population favorable à la presse et aux journalistes

Avec plus de 120 000 followers sur Facebook et 145 000 sur Twitter, Malick ne perd ni espoir ni foi envers la solidarité du peuple malien envers sa presse.

Je reçois régulièrement des appels et des messages vocaux de soutien, je suis parfois reconnu dans la rue à Paris où on salue mon travail. Je vois également défiler beaucoup de publications Facebook pour me défendre, les organisations de presse me soutiennent”, à l’instar de l’Association de la presse. 

L’engouement populaire nourrit ses ambitions, lui donnant “encore plus envie d’informer. Le métier est risqué mais en vaut la peine. Toutes les personnes interviewées dans ce reportage étaient informées et d’accord, même les intervenants connus au Mali. Nous n’avons rien fait de mal, nous avons juste tendu notre micro et allumé la caméra.

Pour Malick, ses détracteurs “sont des soutiens de la transition”, connus mais peu nombreux. “Ces personnes pensent qu’on doit prêcher dans la même trompette qu’eux, et voudraient que l’on supporte tous la transition.” Mais les journalistes “ne sont pas des soutiens” pour aucun camp politique. 

Nous devons constater les faits et donner l’information à l’opinion”, assène Malick au téléphone.

Ils nous dénigrent pour tout, ils n’ont pas compris et ne savent pas ce qu’est réellement le journalisme. Nous sommes vus comme des ennemis du pays, payés par l’Occident pour faire tomber le Mali. Peut-être sont-ils payés pour soutenir la transition. Après tout, le voleur pense toujours que tout le monde vole comme lui”, conclut le journaliste de l’une de ses célèbres maximes. 

Mais alors, que faire aujourd’hui ? Rien n’arrête Malick, qui poursuit ses investigations depuis la France. Mais il compte un jour “rentrer à Bamako si la situation se stabilise et que l’Etat assure ma protection.”

Il assure qu’il continuera son métier de JRI jusqu’à la fin. “Nous ne sommes ni amis ni ennemis de quelqu’un, nous ne sommes pas des communicants. Nous sommes là pour rapporter les faits, informer l’opinion. Il n’y a pas de démocratie sans la presse, l’une ne peut vivre sans l’autre. Mes concitoyens et le gouvernement malien doivent en prendre conscience.”

Crédits photos : Malick Konate.

Maud Baheng Daizey