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En Algérie, la gestion des cultes est dans l’impasse

[Par Larbi GRAÏNE]

Algérien d’origine kabyle mais de confession chrétienne, Slimane Bouhafs a été condamné par la Justice algérienne à 5 ans de prison ferme pour « atteinte à l’islam et au prophète Mohamed ». Ces accusations sont basées sur des messages qu’il aurait postés sur Facebook. Ses avocats ont fait appel et le verdict est attendu pour le 6 septembre prochain.

Slimane Bouhafs (Source : siwel.info)

Slimane Bouhafs
(Source : siwel.info)

Ad ṣelliɣ af nbbi lmexttar taqbaylit teswa kter (je traduis du berbère (1), je prie sur le Prophète élu (Mahomet) mais la kabylité est d’un meilleur prix.) (2) Ce blasphème prononcé par un thaumaturge kabyle du XIXe siècle, Cheikh Mohand-ou-Lhoussin, illustre parfaitement la philosophie qui imprègne l’islam kabyle sous l’ère du maraboutisme et du confrérisme. L’islam est alors compris comme une religion de tolérance et de pardon, qui de par cette qualité ne saurait absorber le code de l’honneur adopté en pays kabyle. Mais sous l’impulsion du réformisme musulman d’origine levantine, né en réaction à l’expansionnisme colonial, le mouvement national algérien a combattu d’une manière opiniâtre l’islam traditionnel. Pourtant, la période ayant précédé le réformisme a été jalonnée par de hauts faits d’armes sous la conduite de grands marabouts. Mais, le récit national, très lacunaire sur ce point, attribue la résistance à autre chose que le maraboutisme. Si la mémoire de l’Emir Abdelkader est officiellement célébrée et honorée, on fait tout pour faire oublier ses origines maraboutiques. (3) Ce qui est mis en avant c’est son côté guerrier et chevaleresque et sa stature d’homme d’Etat. (4) De même, on éprouve de la gêne quand il s’agit d’évoquer la révolte kabyle de 1871 à laquelle avait participé le chef de l’ordre confrérique Rahmaniyya, le cheikh Aheddad. En outre, l’évocation de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh, puissante famille maraboutique du Sud-Oranais, est encore perçue comme problématique du fait qu’elle fait référence à une tribu de marabouts. La volonté d’occulter l’islam traditionnel a été imposée au FLN par les Ulémas. L’historiographie algérienne, d’ailleurs, fait débuter l’histoire de l’Algérie le  1er novembre 1954, soit au moment du déclenchement de la guerre d’indépendance. L’Algérie indépendante a, ensuite adopté l’islam comme « religion d’Etat ». Cette formulation est une pure abstraction, car l’Etat y prétend connaître ce qu’est l’islam. Ce dernier n’ayant pas de clergé, il va s’en accaparer pour fabriquer une religion artificielle expurgée de toute spiritualité. Ce qui fera office de clergé est une espèce de cléricature fonctionnarisée disséminée dans les rouages administratifs de l’Etat. Un ministère des Affaires religieuses est requis pour moduler la religion, désormais propriété de l’Etat, et assurer la police des cultes autres que musulmans. C’est alors qu’on assistera à la naissance d’un marketing islamique radiophonique et télévisuel, dont la finalité est de scénariser les rituels religieux.

Alors que l’islam traditionnel s’appuie sur les zaouïas et les écoles coraniques, le néo-islam se développera sur les pupitres d’écoliers, les universités et autres instituts spécialisés, sur les ondes de la radio, de la télévision, les séminaires de la pensée islamique animés par de doctes messieurs rappelés de l’Orient. L’islam est forcé de se couler dans le moule de la République une et indivisible, et gommer toutes ses aspérités jusqu’à devenir une matière irrémédiablement lisse. Le prêche hebdomadaire télévisé sert de modèle pour des milliers de mosquées que compte le pays qui répète à l’envi le discours des imams souvent dépourvus de culture générale. Sans s’attarder sur le drame qui va éclater durant les années 1990, il convient de signaler l’émergence depuis le début des années 2000 d’une nouvelle communauté religieuse extérieure à l’islam : les convertis au christianisme dont Slimane Bouhafs, 49 ans, en est un bel exemple. Sortis du giron du mouvement évangélique, leur nombre qui n’est pas encore estimé en l’absence d’enquêtes officielles ou officieuses, semble tout de même important en Kabylie. D’après des recoupements personnels, dans cette région berbérophone, le mouvement évangélique est en constante progression. Pour l’instant on n’en connait pas la raison précise. Est-ce une réaction au déni identitaire ? aux restrictions des libertés ? Je pense qu’on ne tardera pas à le savoir.

Les convertis au christianisme, une nouvelle donne

Quoi qu’il en soit, l’irruption des convertis sur la scène nationale algérienne est une nouvelle donnée importante. Certes, une tentative d’évangélisation des Algériens durant la colonisation a eu lieu sous l’instigation du Cardinal de Lavigerie, mais elle s’est globalement soldée par un échec. Le peu de convertis qu’avait pu former cette campagne, ont, dès l’indépendance du pays, rejoint la France. Les personnages les plus connus de cette communauté chrétienne aujourd’hui disparue, sont les membres de la famille Amrouche : Jean, Taos et Fadhma, tous écrivains qui ont fait de la revendication de la berbérité l’un de leur leitmotiv. En dehors de cet épisode, l’Algérie n’a pas connu de communauté chrétienne établie sur son sol. Sans remonter à l’Eglise d’Afrique et à Saint-Augustin, on peut trouver trace d’une très petite communauté chrétienne au temps de la dynastie berbéro-musulmane des Hammadides. Mais elle sera décimée au XIIe siècle sous les Almohades.

Le berbère devient officiel, mais la Kabylie continue d’entretenir son particularisme

En gros, la Kabylie est la région d’Algérie la moins infectée par l’islam bureaucratisé de l’Etat. Elle y a échappé grâce au mouvement culturel berbère et à la forte émigration vers l’Europe que connait la région depuis le début du XXe siècle. Avec l’affaire Bouhafs le gouvernement algérien se retrouve dans l’impasse. Si son illégitimité le pousse à rechercher le soutien des populations les plus travaillées par l’islam étatique, il échoue cependant dans sa tentative de mettre un frein aux campagnes d’évangélisation. Force est d’observer que sa loi sur le culte autre que musulman, qu’il a fait adopter en 2006 n’a pas eu l’effet escompté. Pis, la chape de plomb islamiste que les autorités font peser sur le pays est en train de créer une fissure entre la Kabylie et le reste de l’Algérie. Alors qu’il n’y a pas longtemps, la revendication kabyle se limitait à la langue, elle s’ouvre maintenant à la revendication d’un territoire.

Militants du mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) (Source: Algerie1.com)

Militants du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK)
(Source: Algerie1.com)

Le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) est en train de se tailler des fiefs dans certaines localités de cette région, lesquelles entendent ne pas se laisser soumettre à la morale publique imposée dans le pays et à la police des mœurs qui sévit à l’effet d’interdire la consommation d’alcool, les loisirs, etc.Le MAK est en possession d’un projet politique qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Il veut l’indépendance de cette région et il possède une politique claire envers les convertis auxquels il promet, – s’il venait à asseoir l’Etat kabyle – un régime de laïcité. En revanche, n’ayant aucun projet politique, en face l’Etat algérien navigue à vue. Actuellement il est occupé à gérer la maladie du chef de l’Etat dont il se plait, suivant un programme savamment orchestré, à en exhiber à la face du monde, l’image horrifiante.

 

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(1) Le berbère (tamazight) a été promu en février 2016 langue officielle en Algérie à côté de l’Arabe.

(2) Mouloud Mammeri, Inna-yas Ccix Muḥend ( Cheikh Mohand a dit), à compte d’auteur, Alger, 1990.

(3) Que cela soit dit en passant, Abdelkader dans son exil à Damas en Syrie, a sauvé des centaines de Chrétiens d’un massacre certain.

(4) D’une certaine manière le nationalisme algérien a repris à son compte le portrait d’Abdelkader tel qu’il a été élaboré par la France coloniale, qui insiste sur les traits nobles et aristocratiques de l’homme par comparaison avec ses comtes et marquis.

 
 
 

Du bikini au burkini: la métamorphose d’un maillot de bain sous la mondialisation

[Par Larbi GRAÏNE]

C’est dans les années 30 du siècle dernier, en Europe, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires.

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris (Source : galeriejoseph.com)

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris
(Source : galeriejoseph.com)

L’affaire du Burkini m’a poussé à réfléchir sur la question de savoir si le maillot de bain ou la tenue de plage, était connu, de par le passé, dans le monde musulman. Il semblerait que non. Les chroniques concernant un pays comme l’Algérie, évoquent pour la période précoloniale des baignades en mer où les hommes et les femmes s’y relayaient – comme au Hammam – à des horaires différents. Cependant, ces sorties à la plage n’avaient aucunement un caractère massif et routinier qu’on leur connait aujourd’hui. Elles concernaient plutôt les riverains qui y allaient en période de canicule. Mais ces chroniques restent muettes sur le type d’habit qu’on portait pour s’immerger dans l’eau. On peut imaginer que les femmes, malgré la permission qui leur est accordée, endossaient par pudeur d’amples robes et sarouels pour faire face à tout imprévu qui les mettrait en présence de l’élément masculin. Ou peut-être que les activités de baignades étaient tellement codifiées que les femmes devaient se sentir suffisamment à l’aise pour enfiler quelque tissu de leur fantaisie. Il n’empêche, contrairement à ce qu’on peut en penser, le maillot de bain « chrétien » n’a pas une grande histoire par rapport à celui des pays du Sud. Il apparaît au moment de la révolution industrielle du XIXe siècle. Comme le football, le maillot de bain est originaire de l’Angleterre alors en proie à un boom industriel sans précédent. Il se diffuse, ensuite, sur les côtes de la Normandie, en France, propulsé par l’essor du transport ferroviaire. Dès 1820, les plages sont fréquentées surtout par la bourgeoisie et l’aristocratie anglaises ou françaises, permettant le développement des stations balnéaires. Beaucoup y viennent sur recommandation de leur médecin pour soigner telle ou telle maladie, calmer une nervosité ou une douleur. La tenue de plage dont le souvenir a disparu aujourd’hui, consistait en une robe en laine portée indifféremment par les hommes et les femmes. S’il semble dégager un caractère prude, cet habit a été célébré par les vers de Charles Cros :

La robe de laine a des tons d’ivoire
Encadrant le buste, et puis, les guipures
Ornent le teint clair et les lignes pures,
Le rire à qui tout sceptique doit croire

C’est pendant cette époque qu’une nouvelle catégorie de voyageurs voit le jour. On les appelle « touristes ». Ces derniers parcourent les pays étrangers par curiosité et oisiveté. Cette définition péjorative va évoluer au fil du temps avant de se fixer dans son acception actuelle.
C’est dans les années 30 du siècle dernier, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires. Le bikini rime donc avec bombe. Le chanteur algérien d’expression kabyle, Idir, qui évoque dans l’une de ses chansons la femme-bombe, ne se doutait pas que cette représentation de la féminité est partagée de part et d’autre de la Méditerranée…
Ce rapide aperçu sur les conditions d’apparition du maillot de bain permet de mettre en évidence ceci : c’est que le bikini a fait oublier qu’il n’est que la réplique féminine de la tenue de plage masculine, qui est apparue en même temps que lui. En tant que tenue de plage, réservée spécialement à cet effet, le maillot de bain n’avait pas d’existence avant 1820 et sa diffusion massive ne devait devenir effective qu’à partir du moment où la législation sur le travail adoptera le principe des congés payés. D’où la notion de loisir qui va en découler.
C’est le salariat qui va fabriquer le « désir des rivages ». A partir du XXe siècle, le gros des troupes du salariat, formé par les classes moyenne et ouvrière, déferle sur les plages. C’est ainsi que les séjours en bord de mer deviennent un phénomène social. Plus qu’un lieu de détente, la mer mute en un lieu de consommation. Désormais hôtels, commerces, bungalows, piscines, ports de plaisance s’égrènent tout le long des côtes.

La mondialisation

On a beaucoup parlé de la mondialisation. Concrètement ce qui me semble l’expliquer le mieux, c’est l’architecture des maisons. Partout dans le monde, à quelque exception près, qu’on soit dans des Etats à régime démocratique, dictatorial, islamique ou laïque, le modèle est, en gros, le même. Il est la copie conforme de celui de l’Occident. La structure du chez-soi recouvre un espace réparti entre la cuisine, la salle de bain, le salon et les chambres (il faut ajouter pour les classes privilégiées, le jardin, la buanderie, la véranda et le garage). Cet espace domestique est organisé de manière à recevoir toute la panoplie d’appareils et de meubles fabriqués par les grandes multinationales : la machine à laver, le frigidaire, la cuisinière, le lave-vaisselle, la chambre à coucher, la télévision, l’ordinateur, le climatiseur, etc. En l’espace de quelques décennies, des millions de gens ont changé leur manière de s’asseoir, de manger, de faire leur toilette et même l’amour, désormais prescrit par la télévision satellitaire. Des maisons traditionnelles, voire des villages entiers ont été rasés par leurs propres occupants afin d’y faire édifier en leurs lieux et places des constructions conformes au schéma européen. De nos jours, les familles se prélassent sur des fauteuils autour du petit écran alors que leurs aînés ont grandi sur des nattes ou des tapis. En Algérie (j’évoque ce pays fréquemment car c’est celui que je connais le mieux), un seul meuble paraît avoir été détourné de sa fonction première. Je fais allusion ici à la bibliothèque. En effet, en dehors de la classe aisée, on la garnit généralement de bibelots et de porcelaine. J’y vois là, le résultat d’un bricolage de l’Etat-nation algérien qui, via l’école, signifie (en accord avec la mondialisation) qu’on peut se passer des livres dès lors qu’on importe tout ce dont on a besoin pour vivre décemment.
Cela dit, l’habit le plus répandu en Algérie, voire dans un nombre incalculable de pays dans le monde, n’est ni le burnous, ni la djellaba, ni la gandoura, mais bel et bien le blue-jean américain. Généralement quand des journalistes étrangers débarquent en Algérie, surtout, les confrères français, ce qu’ils remarquent en premier est le voile féminin. Un objet qu’ils ont d’abord découvert chez eux.

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel ( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel
( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Pour eux, les jambes de millions d’Algériennes moulées dans des blue-jeans trop serrés ne sont pas dignes d’intérêt. Un certain orientalisme y sévit encore, vaille que vaille, alors que l’ancien monde s’est écroulé comme un château de cartes. Hormis la barbe et le costume de l’islamiste invétéré, sous la mondialisation, on ne trouve plus sur quoi disserter. Le monde s’est tragiquement rétréci. Finie l’époque où l’on commentait le blanc immaculé du burnous d’Abdelkader, le turban d’El-Mokrani et le caftan des odalisques recluses dans les demeures d’Alger. A vrai dire l’histoire de l’habillement est à écrire. La mondialisation mène la guerre contre les habits traditionnels, les langues et les dialectes, les cultures et les monnaies locales. On ne compte plus les parlers menacés d’extinction.

La naissance du burkini

Le burkini porté par une musulmane ( Source : wikimedia.org )

Le burkini porté par une musulmane
( Source : wikimedia.org )

Il ne fait aucun doute que le burkini est un habit moderne.
D’inspiration islamique il se veut comme une alternative au bikini. Cette nouvelle offre d’habillement intervient après une première expérience du voile islamique qui se voulait comme un substitut du voile traditionnel (dont la forme et les couleurs, la taille et la manière de le porter, diffère suivant les pays et les cultures). En Algérie le hidjab a pris la place du haïk. Le hidjab n’étant lui-même que la forme islamique mondialisée.
Le progrès de la mondialisation qui a balayé costumes et coutumes, fit donc le lit de l’islam mondialisé qui a vite imposé les siens. Le marketing islamique s’appuie sur une technique très simple pour promouvoir ses produits. Il doit procéder à la halalisation de l’objet occidental dont il cherche à s’approprier le concept. Dans le fond le burkini ne s’oppose pas au bikini. En France, il est l’indice probant que les masses « musulmanes », en tant que partie prenante du salariat français, se coulent dans le moule de la mondialisation occidentale. Que cherche ce burkini si ce n’est à ramener et à faire traîner les corps des femmes « musulmanes » sur le bord des plages ? à les faire profiter du bien-être de la mer et à les soumettre à la loi de la consommation et du marché, quand bien même si cela soit sous le label islamique ? Sa finalité, fondamentalement, est la même que le bikini. Peut-être que l’horreur et le dégoût que ce maillot de bain inspire à certains « occidentaux » découlent-t-ils de sa ressemblance scandaleuse avec le modèle qu’il veut insidieusement cloner en faisant mine de s’en écarter ? Cette intention ne se lit-t-elle pas jusque dans son nom ? Décidément, le choc des civilisations n’aura pas lieu, car c’est vers l’uniformité que le monde est en train de cheminer. Le bilan du port du hidjab en Algérie durant ces dernières années, peut faire apparaître qu’il a plus participé au mouvement de la mondialisation qu’il s’en extrait.

Nonobstant ses accointances avec l’islam politique, qui empêche sa lisibilité, le hidjab est en réalité un voile-leurre qui légitime le travail féminin et qui permet aux jeunes filles de conduire des voitures, de faire du commerce et d’exercer le métier de journaliste. Une des percées spectaculaires du voile est d’avoir justement réussi à recouvrir la tête de très nombreuses journalistes présentatrices de journaux télévisés. Jamais les femmes salariées n’ont-elles été aussi nombreuses, puisqu’elles se sont même taillé la part du lion dans des secteurs stratégiques comme la Santé et l’Education nationale. Je ne dirais pas que c’est grâce au voile. Le voile n’est qu’un instrument de la mondialisation islamique, elle-même pendant de la mondialisation occidentale. Ce sont les évolutions en cours dans les sociétés musulmanes qui sont en train de changer les choses. L’arrivée des femmes (fussent-elles voilées) sur le marché du travail en constitue la pierre angulaire. Il est permis de supposer qu’à brève ou longue échéance, la question de l’obsolescence du voile, est appelée à être posée sur la place publique.Les cultures issues de l’islam auront alors à faire face à l’obstacle qui se dresse sur la voie de leur sécularisation : casser le tabou de la virginité dont le voile est le symbole.(1)
L’idée de s’affranchir de cet obstacle qui, pour l’instant, leur paraît quelque chose de monstrueux, pourrait bien trouver dans les transformations en cours les conditions de sa transcription dans l’action.

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(1) Cf. Malek Chebel, L’esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Paris, 2003. 

Algérie : El Watan, symbole de contre-pouvoirs

[Par Elyse NGABIRE]

Malgré toute la pression, censure, etc. exercée contre la presse algérienne dans des contextes politiques contraignants, « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl montre le combat quotidien des journalistes pour défendre leur liberté et celle du peuple.

3

Michel David et Larbi Graïne

Mardi, 2 février à l’Espace Saint-Michel, à Paris. Le film « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl est projeté devant un public varié de journalistes, écrivains, réalisateurs, etc. « Contre-pouvoirs » nous transporte dans une rédaction bien particulière : celle du grand journal algérien El Watan. L’ambiance conviviale qui règne lors des différentes conférences de rédaction de ce journal : une remarque par-là du directeur de publication sur un article, défense de son sujet par ici du journaliste-auteur. Et après, ce sont des discutions qui s’en suivent entre collègues qui n’ont certainement pas les mêmes sensibilités ou convictions politiques.
2Dans un climat ouvert, tolérant et démocratique, aucun sujet n’est tabou : de la politique à l’économie, de la justice à la société, etc. tout est commenté, analysé à bâton rompu et sans faux-fuyant avec un esprit collégial. Parfois, le respect du deadline est problématique et le secrétaire de rédaction doit jouer son rôle de rappeler à chaque fois que de besoin. Le bruit de l’imprimerie juste dans les enceintes d’El Watan est devenu la routine et n’empêche pas aux journalistes, rédacteurs, directeurs, etc. de se concentrer sur leur travail.
Le film a été tourné au moment précis de l’histoire politique algérienne : la réélection de Bouteflika pour son quatrième mandat. Et le titre de La Une d’un numéro d’El Watan sorti à cette époque ne s’empêche pas de titrer : « Bouteflika élu dans un fauteuil ».
5Le droit, dit-on, s’arrache, il ne se donne pas. El Watan a donc très bien compris qu’il doit se battre pour sa liberté et son indépendance. Les armes de cette « guerre », explique Larbi Graïne, journaliste algérien de la MDJ, ne sont autres que les enquêtes fouillées que le grand journal algérien mène, des reportages sur le factuel, etc. ; bref, l’exercice du métier de journalisme avec un professionnalisme inattaquable.
En outre, poursuit Michel David de Zeugma Films, distributeur de ce film, l’autonomie financière permet aux journalistes d’El Watan, d’être encore plus indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics.
Signalons qu’El Watan fait un tirage de 130 mille exemplaires. Il a son propre imprimerie et prochainement, il va déménager dans son bâtiment qu’il vient de construire avec ses propres moyens financiers.
Et le film « Contre-pouvoirs » a été dédié aux 120 journalistes algériens assassinés durant la décennie noire des régimes militaires dictatoriaux.



OCDE, 7e Forum Nouveau Monde : Facebook fustigé pour son machisme

[Par Larbi GRAÏNE]

Facebook qu’on connait plus par le gigantisme de son réseau social (plus de 965 millions d’utilisateurs au quotidien) que par son entreprise, est l’une des sociétés les plus hermétiques aux femmes dans le monde, à en croire des participants à une conférence intitulée « Vers un nouveau monde plus féminin » qui tentait de dresser l’état des lieux de la place des femmes dans « la conduite des affaires publiques et privées, ainsi que dans l’évolution des mode de vie ».

(source : bbc.com)

(source : bbc.com)

Organisée dans le cadre de la 7e édition du Forum Nouveau Monde qui s’est tenu à Paris le 9 et 10 novembre 2015 au siège de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), cette conférence a réuni sous la modération de Marjorie Paillon, journaliste à France 24, sept personnalités triées sur le volet. Si tout le monde s’accorde sur le constat qu’il faut agir sur les mentalités pour améliorer le sort des femmes, les avis néanmoins restent partagés sur les moyens d’y parvenir. Il y a ceux qui plaident pour des mesures institutionnelles au plus haut niveau et ceux qui croient que les initiatives individuelles ont leur importance.

Nathalie Loiseau (source : comite-richelieu.org)

Nathalie Loiseau (source : comite-richelieu.org)

C’est Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA de Paris qui a lancé la première charge contre Facebook et la Silicon Valley, qui abrite le site des industries de pointe aux Etats-Unis. « Je suis perplexe quand j’entends parler du numérique, ils ont crée les plus grands emplois mais on n’y trouve pas de femme » a-t-elle déploré d’un air dépité. Et de tonner « Silicon Valley méprise les femmes ». Pour Mme Loiseau, l’élément féminin ne représente que 12 % du personnel des sociétés leaders.

Gabriela Ramos (source : oecd.org)

Gabriela Ramos (source : oecd.org)

Gabriela Ramos, directeur du Cabinet du Secrétaire général de l’OCDE, abonde dans le même sens en déplorant le fait que « tous les développeurs de Facebook sont des hommes ». Elle s’est énergiquement attaquée à l’idée selon laquelle il y aurait un lien direct entre la transformation de la société et le développement de l’industrie du numérique faisant observer que cette industrie n’emploie «aucune femme ». En outre la question du quota qui a trouvé beaucoup de partisans, a accaparé une grande partie du débat qui s’est déroulé complètement en anglais.

Louis Schweitzer (source : lesechos.fr)

Louis Schweitzer (source : lesechos.fr)

Louis Schweitzer, commissaire à l’investissement et président d’Initiative France a estimé que les résultats du quota « sont positifs » et sont un « succès en France ». Analysant ce succès Schweitzer croit savoir que « les femmes qui arrivaient dans les conseils d’administration ne sentaient pas qu’elles avaient le droit d’y avoir leur place mais de prouver qu’elles la méritaient d’où leur propension à redoubler d’efforts ».

Denise Kingsmill

Denise Kingsmill

Pour sa part Baronne Kingsmill Cbe, membre du Conseil de surveillance d’E. ON, pense que la politique des quotas ne suffit pas pour instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes, plaidant pour une réforme des entreprises en s’appuyant sur l’exemple de Michel Landel, DG du Groupe français Sodexo (lui aussi intervenant) qui s’est astreint à une politique d’ouverture en direction des femmes. En effet le DG de Sodexo s’est montré un « féministe » invétéré, chiffres à l’appui, il montre comment la cause des femmes peut devenir « un argument d’entreprise ». Pour lui « l’égalité des gens, c’est ce qu’il faut faire » quoiqu’il affirme que 60 % de l’effectif de son entreprise sont des femmes et que 70 % des achats sont le fait de celles-ci. Landel conclut que l’employeur a un rôle à jouer pour parvenir à l’égalité effective entre les hommes et les femmes.

Janet Neo (source : linkedin.com)

Janet Neo (source : linkedin.com)

Janet Neo, directrice du développement durable de Fuji Xerox pour l’Asie-Pacifique a, quant à elle, insisté sur les pesanteurs des mentalités pointant les résistances qui se manifestent jusque dans le « vieux groupe japonais Fuji Xerox ». Selon elle une enquête a révélé que, 3, 3 % de femmes seulement étaient employées dans cette joint venture. Pis, « les femmes elles-mêmes ne comprenaient pas pourquoi l’employeur voulait changer les méthodes de management pour mettre fin à cette situation ». Malgré son exposé critique, Janet Neo ne s’est pas empêchée de regarder vers d’autres horizons, évoquant la trajectoire exceptionnelle de cette jeune femme de 26 ans, qui à Singapour, a su admirablement et sans soutien politique, s’attirer de nombreuses sympathies. Pour elle « le changement est possible, préconisant « l’action publique » mais également les initiatives liées aux individus qui estime-t-elle, ont le pouvoir de faire bouger les choses. Rappelons que le Forum Nouveau Monde est d’une périodicité annuelle, et est présidé par l’économiste Jean-Paul Fitoussi.

 

L’Islam et la République : La classe politique et les imams décriés

[Par Larbi GRAÏNE]

Actualité oblige, avec la tuerie de Charlie-Hebdo, la Mairie du XVe arrondissement de Paris a récemment accueilli une conférence sur le thème « l’Islam et la République », organisée par le Forum France-Algérie (FFA) en présence de son président, Farid Yaker.

Edwy Plenel et Ghaleb Bencheikh

Edwy Plenel (source : blogs.mediapart.fr) et Ghaleb Bencheikh (source : algeriepatriotique.com)

A la tribune, deux invités bien connus : il s’agit de Ghaleb Bencheikh, franco-algérien, docteur en sciences qui dirige la conférence mondiale des religions pour la paix et Edwy Plenel, journaliste-essayiste, ancien directeur du quotidien le Monde et cofondateur du journal en ligne Médiapart.
Les deux hommes ont paru s’accorder sur l’essentiel à savoir : la nécessité d’amorcer des réformes profondes à l’effet de renforcer le régime laïque, qui à leurs yeux est le plus à même de garantir l’ensemble des libertés pour tous les Français. Cependant si le premier a axé son intervention sur le culte musulman dont il a dénoncé le mauvais fonctionnement qu’il a attribué du reste à certains imams, le second, quant à lui, a fustigé la gestion de l’Islam par l’Etat français. Plenel est revenu sur la marche des « Beurs » en 1983 pour expliquer, que pour une fois que des Français d’origine algérienne ont manifesté pour l’égalité, c’est-à-dire en faisant valoir des revendications citoyennes, on avait recouru à la manipulation en renvoyant les manifestants à leurs origines. Et l’orateur de rappeler que Pierre Mauroy, alors Premier ministre, avait taxé ce mouvement social de « grèves islamistes » allant jusqu’à proposer « un coin pour faire la prière ».

La haine ne peut être mêlée à l’humour
Développant une idée très rarement entendue en France à propos des caricatures de Mahomet, Edwy Plenel pense que « l’espace public n’est pas là pour offenser les identités, ni les moquer ». « La haine, soutiendra-t-il, ne peut être mêlée à l’humour ». Plenel s’est dit malgré tout fan du « droit à la liberté d’expression et du droit à la transgression ». Il s’en est pris à Manuel Valls à qui il a reproché d’utiliser le terme d’apartheid, inadéquat selon lui, avec la réalité française. C’est le seul point sur lequel il sera taclé par l’autre animateur de la conférence. En effet Bencheikh estime que l’apartheid est « de facto même s’il n’est pas de jure ».

Pour une refondation de la pensée théologique

Analysant l’organisation du culte musulman en France, Ghaleb Bencheikh s’est résolu finalement à lancer un appel pour l’adoption de « la modernité intellectuelle » et de « la refondation de la pensée théologique » non pas par simple « aggiornamento ». Très remonté contre les imams, il a dénoncé l’obséquiosité de certains d’entre eux qui « répondent à des convocations » de la part de l’administration, chose qu’on n’a jamais vu s’appliquer, a-t-il expliqué, aux représentants des religions chrétienne et juive. Soulignant « le naufrage de l’école », Bencheikh a également déploré la « défaite de la pensée et la démission de l’esprit » chez les élites musulmanes.
D’après lui, lors des campagnes électorales, certains imams sont enclins à dérouler le tapis rouge aux hommes politiques alors qu’ils devaient tout simplement les boycotter, estimant que ces derniers ne méritent pas qu’on leur porte tant d’attention.

Monde des médias : Des journalistes exilés rendent visite à l’AFP

[Par Larbi GRAÏNE]

IMG_1434-1024x1024Anciens et nouveaux résidents de la MDJ (Maison des journalistes) se sont offerts ce jeudi à Paris une visite de la mythique Agence France-Presse (AFP). Originaires comme on le sait de pays différents et dont les gouvernements respectifs exercent une surveillance étroite sur les gens des médias, les journalistes de la MDJ, outre qu’ils ont été subjugués par le gigantisme des moyens investis, se sont longuement enquis des conditions de travail prévalant dans cet antre du journalisme qui irrigue de ses dépêches pratiquement l’ensemble de la planète.
IMG_1527-1024x1024Les journalistes exilés se sont laissés guider à travers l’immense bâtiment de la Place de la Bourse, par Robert Holloway, Directeur de la Fondation AFP, une organisation à but non lucratif mise sur pied par l’agence France-Presse, pour promouvoir la liberté d’expression et monter des formations à portée professionnelle à l’intention des journalistes dans les pays en voie de développement. Le service photo préfigure à lui seul une étendue océanique. En temps normal, quelque 2000 à 2500 photos sont reçues et traitées quotidiennement. Quand un événement capital survient, des pics allant jusqu’à 3500 photos par jour sont enregistrés.IMG_1589-1024x1024 Ce record a été atteint durant tout le temps qu’avait duré l’effervescence provoquée par l’attentat terroriste contre Charlie-Hebdo. L’AFP s’est mise à la photo digitale depuis 1996 même si au début la qualité n’était pas toujours au rendez-vous. Il faut savoir que le sport (dont le football) se taille la part du lion à hauteur de 40 %. Cela représente une part de marché non négligeable même si « cela coûte très cher de couvrir le sport » souligne-t-on. Ici on s’enorgueillit de ce que l’AFP soit parmi les agences mondiales de presse la seule qui emploie un personnel issu de nationalités différentes, la nationalité française n’étant pas requise pour postuler à un poste.IMG_1568-1024x1024 Il en résulte que 80 nationalités y cohabitent et s’y côtoient, ce qui fait de l’AFP nous explique-t-on l’agence de presse « la plus réellement mondiale ». « Le recrutement international favorise la mobilité, ce qui constitue notre atout » explique la responsable de la rédaction francophone du service web et mobile. Crée en 1998, ce service qui inclut la vidéo fabrique des produits à partir de matériaux édités en six langues. Français, espagnol, allemand, anglais, arabe et portugais. 150 chaines de télévision dans le monde sont abonnées à l’AFP. Contrairement à ce qu’on pense, les images regardées sur la télé locale et qu’on croit avoir été prises d’autres télévisions, sont en réalité achetées à l’agence, chaque télévision se chargeant par la suite de confectionner son propre journal télé à partir du lot d’images auquel elle a accès par abonnement.IMG_1519-1024x1024 Si l’AFP mobilise à travers son réseau international quelque 1500 journalistes et près de 2300 collaborateurs, il n’en reste pas moins qu’elle éprouve des difficultés pour couvrir certaines régions du monde, notamment celles ayant sombré dans les conflits armés à l’exemple de la Syrie et de l’Irak où sévit l’organisation terroriste de l’Etat islamique. Philip Chetwynd, rédacteur en chef de l’AFP reconnait le problème. L’AFP a-t-il tenu à faire savoir veut préserver la vie des journalistes. Nous leur déconseillons catégoriquement de s’aventurer dans ces pays à risques a-t-il insisté. Et de préconiser le recours aux réseaux sociaux et aux collaborateurs résidant sur place et contactés par Skype notamment à Beyrouth.

Quand l’économie dicte nos choix

[Par Larbi GRAÏNE]

Comment les prix prennent le contrôle de nos vies d’Edouardo Porter« L’argent ne fait pas le bonheur » dit le proverbe. Et pourtant, tout vous amène à vouloir en posséder beaucoup. Dans son livre Comment les prix prennent le contrôle de nos vies, sur près de trois cents pages palpitantes et regorgeant d’humour, Eduardo Porter démonte les poncifs et les idées reçues circulant dans le domaine de la santé, de la psychologie et de l’économie.

Journaliste et économiste américain, Eduardo Porter a écrit un livre très documenté, considéré comme un best-seller. Les choix individuels ne sont pas dictés, comme on a tendance à le croire, par une volonté consciente, mais par les prix de ce que nous devons acheter ! Voilà une idée qui ferait se retourner dans leur tombe nombre de spécialistes métaphysiques et autres comportementalistes. « Les prix auxquels nous sommes confrontés, en tant qu’individus et en tant que sociétés – la façon dont ils modifient nos comportements et la façon dont ils évoluent selon les choix que nous faisons – nous permettent également d’adopter un point de vue privilégié sur le déroulement de l’Histoire » soutient d’emblée notre auteur. Les prix sont partout, dans les ordures, dans les services, dans les objets, dans la foi, dans la culture, y compris dans le débat sur l’immigration illégale qui est elle aussi « une affaire de prix ». Dans son épilogue, et ce, après avoir posé moult questions, Eduardo Porter se demande si l’être humain est vraiment un « être rationnel », alors que les « prix mentent ».

« Je recommande vivement ce livre à quiconque cherche un point de vue, souvent étonnant et pourtant très perspicace, sur la façon dont nous faisons nos choix, et qui renvoie à l’éventail complet des comportements humains », écrit en quatrième de couverture Gary Becker, Prix de la Banque de Suède en sciences économiques.

 

« Comment les prix prennent le contrôle de nos vies », essai d’Eduardo Porter, Nouveaux Horizons, Paris, 2012, 296 pages.