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Semaine des ambassadeurs : le regard de la diplomatie sur le terrorisme

[Par Johanna GALIS]

Le 30 août dernier a eu lieu la journée portes ouvertes de la Semaine des Ambassadeurs, rue de la Convention à Paris. L’une des conférences proposées abordait le thème de la sécurité des pays, quand leur stabilité est mise en danger par des attaques terroristes.

©diplomatie.gouv.fr

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Quelles armes diplomatiques utiliser contre le terrorisme ? Quatre invités tentèrent d’apporter une réponse à cette question autour d’une table ronde animée par Isabelle Lasserre, journaliste au Figaro : Muriel Domenach, consule générale à Istanbul, Hélène Duchêne, ambassadrice et représentante permanente auprès de l’OTAN, Philippe Setton, ambassadeur et représentant permanent auprès de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) et du COPS (Comité de Politique et de Sécurité) de l’Union Européenne à Bruxelles, et Patrice Paoli directeur du Centre de Crise et de Soutien au Quai d’Orsay.

Le terrorisme tiraille la planète entière. Le regard des ambassadeurs, ancré au cœur du fonctionnement des pays et de leurs relations diplomatiques, peut apporter une certaine expertise sur sa gestion.
Les attaques ont pris une forme différente au fur et à mesure des années, a tout d’abord souligné Hélène Duchêne. Si l’on repense à l’attentat du RER B en 1995, qui avait été commandité par le GIA (Groupe Islamique Armé) d’Algérie, le groupe mettait en avant des revendications politiques bien précises. En ce qui concerne celles qui ont eu lieu sur le territoire français tout récemment, « Charlie » puis le 13 novembre, c’est graduellement la population entière d’un pays qui a été visée, toutes particularités confondues.

Hélène Duchêne ©acteurspublics.com

Hélène Duchêne ©acteurspublics.com

D’où un protocole d’action, pour anticiper, voire endiguer Daesh.

Pendant cette heure de discussion certaines personnes du public prennent la parole, pour interroger – et le nombre d’étudiants dans la salle se compte par brassées -, les divers moyens mis en place pour contrer cette menace.
Hélène Duchêne interviendra à nouveau, par cette phrase « Pour gagner la guerre, il faut d’abord gagner la paix ». Parce qu’une véritable guerre est mise en place contre Daesh, mais il s’agit de ne pas faire d’erreurs, pour ainsi éviter de faire basculer les pays dans une situation d’assistance alarmante, et chercher en amont à faire une coalition entre différentes entités qui pourront réassurer leur stabilité. En effet, elle rajoutera « Il y a un continuum classique dans la justice d’un Etat contre le terrorisme, de par la gestion militaire, la diplomatie, et le développement du pays ». Faire développer et communiquer ces domaines est donc un moyen essentiel pour faire barrage. Si un véritable consensus politique parvient à être créé, il y aura une politique durable et fiable pour les citoyens, et alors des résultats seront obtenus, avec en prime abord la confiance du peuple envers les dirigeants. L’accent devra donc être mis impérativement sur l’aide au développement des pays.

Muriel Domenach ©lagazettedescommunes.com

Muriel Domenach ©lagazettedescommunes.com

Muriel Domenach, déclare ensuite de son côté que le terrorisme doit se gérer dans ses flux migratoires : de par sa frontière de 900 km avec la Turquie, la Syrie et ses combattants de Daesh menacent l’équilibre de ce pays qui a connu un nombre très important d’attaques en l’espace d’un an. Consule générale à Istanbul, elle a vécu au moins quatre de ces attaques quand elle était dans le pays. Et de rajouter que la Turquie est victime de sa géographie, car elle est visée non seulement par Daesh mais aussi par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
Patrice Paoli interviendra par la suite pour souligner que les Français sont protégés par une action combinée des ambassades concernées quand ils sont à l’étranger et se trouvent la cible d’une attaque. Tout en ajoutant que des cellules de crises ont été développées au France pour apporter une assistance immédiate aux victimes, le service public Français étant mobilisé sur ce point.

Patrice Paoli ©france24.com

Patrice Paoli ©france24.com

Cependant, derrière cette lutte contre le terrorisme, nos libertés sont elles aussi remises en cause. Philippe Setton évoque la question du traitement des données personnelles, et le véritable besoin d’encadrer l’utilisation et la collecte de celles-ci dans l’Union Européenne. A quel point peut-on surveiller des citoyens pour rattraper ceux qui seraient sur le point de commettre un attentat?
Cette question, délicate, est selon lui au cœur d’une communication qui se doit d’être établie entre différents acteurs politiques et les citoyens, où il s’agirait de respecter à la lettre les traités édictés.

La conférence se termine après un peu plus d’une heure de discussion. Plusieurs mots d’ordre, pour établir un consensus juste et mesuré dans la gestion des Etats ont été évoqués pour essayer de lutter contre le terrorisme, ce fléau résolument contemporain tant il frappe de plus en plus fréquemment. A côté de la salle de conférences, où l’intervention est rediffusée sur internet, d’autres lieux de rencontre, dont un où l’on peut suivre sur grand écran la parole des invités. Le premier concours d’éloquence de la semaine des Ambassadeurs prend place peu après, où des jeunes, des « afficionados » de politique – essaieront d’obtenir par une vision et une prestance innovantes, les votes des ambassadeurs et du Ministre des Affaires Etrangères, Jean-Marc Ayrault.

La diplomatie française à l’épreuve de la laïcité

[Par Clara LE QUELLEC]

L’affaire très récente du burkini en France a ravivé les interrogations autour du concept de laïcité. L’ONU s’est d’ailleurs exprimée sur la question en estimant que les arrêtés anti-burkini « favorisaient la stigmatisation des musulmans ». Le troisième débat de la journée du mardi 30 août lors de la semaine des ambassadeurs fut consacrée à la thématique « État laïque, fait religieux et diplomatie ». L’occasion de revenir sur les fondements de la laïcité, son application française, sa promotion sur la scène internationale et son influence dans les relations diplomatiques de la France avec des pays étrangers. Le débat a rassemblé Gérard Araud, ambassadeur aux États-Unis, Jean-François Girault, ambassadeur au Maroc, Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège, Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses et membre de l’Observatoire de la laïcité et Lilian Thuram, grand témoin de la semaine des ambassadeurs et président de la Fondation « Lilian Thuram-Éducation contre le racisme ». La discussion a été animée par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef de La Croix.

Femme portant le burkini ( Source : huffingtonpost.fr)

Femme portant le burkini
( Source : huffingtonpost.fr)

« La laïcité n’est pas une opinion, c’est la possibilité d’en avoir une » rappelle Jean-Christophe Peaucelle. S’il est clair que le principe de laïcité repose sur trois fondements : la liberté de conscience et de culte, la séparation entre le politique et le religieux et l’égalité de tous devant la loi, son application pose à beaucoup certaines réserves, au sein même de la société française. La définition défendue par la France n’est pas non plus entièrement comprise autour du monde. Les sujets du débat s’intéressent principalement au rapport de la France entre État et religion, à la manière dont la laïcité est comprise dans les autres pays et aux moyens dont un État laïque mène sa diplomatie alors que la religion est très présente dans de nombreuses régions du monde. Autant de points qui ont permis d’apprécier les différences sociales, culturelles et politiques liées au fait religieux dans différents pays.

Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses et membre de l'observatoire de la laïcité (Source : gouvernement.fr)

Jean-Christophe Peaucelle
(Source : gouvernement.fr)

« Au Maroc – explique Jean-François Girault – la laïcité est comprise comme la liberté de croire ou de ne pas croire », précisant néanmoins que ce dernier aspect est le moins bien perçu. Pour les marocains, la religion fait donc partie de la vie et de l’identité et le Roi du Maroc y détient une forte légitimité à tous égards. L’ambassadeur mentionne notamment le travail du souverain dans la condamnation des obscurantismes.

Jean-François Girault, ambassadeur au Maroc (Source : ledesk.ma)

Jean-François Girault
(Source : ledesk.ma)

Au contraire, aux États-Unis où la devise américaine « In God we trust », adoptée en 1956 par le Congrès fait explicitement référence à la religion, le fait religieux est appréhendé de manière très libérale. « La laïcité américaine – commente Gérard Araud – se réfère au concept de religion neutre ». Alors qu’en France, cette dernière n’est pas valorisée, il est très courant dans les entreprises américaines d’afficher ses croyances au vu de tous et de célébrer « Dieu » dans l’absolu. Une promotion du communautarisme ? « Non – répond l’ambassadeur –  on assume tout simplement la diversité ». C’est ainsi que l’affaire du burkini a profondément choqué les Américains. Pour eux, la liberté individuelle des citoyens prime à tous égards. « Aux Etats-Unis, l’État est une menace pour les libertés, c’est l’individu qui doit décider ».

Gérard Araut, ambassadeur aux Etats-Unis (Source : innercitypress.com)

Gérard Araut
(Source : innercitypress.com)

Au sein du Vatican, si la loi française sur le mariage pour tous a heurté de plein fouet la doctrine de l’ Église, il n’est cependant pas question d’ingérence. Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège explique que ce dernier n’a « aucun problème avec la laïcité française ».

Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège (Source: france-vatican.org)

Philippe Zeller
(Source : france-vatican.org)

Le principe de laïcité en France reposant donc en partie sur la séparation du politique et du religieux, comment comprendre alors la protection de la diplomatie française envers les Chrétiens d’Orient ? Pour Jean-Christophe Peaucelle, interrogé sur ce point, il s’agit de ne pas nier le passé historique des relations et donc à la fois de ne pas abandonner « ses amis qui sont les siens depuis cinq siècles », de ne pas rester passif devant des actes inhumains « sous peine de perdre sa crédibilité » et de promouvoir ainsi « le pluralisme ethnique et religieux » qui constitue « l’avenir du Moyen-Orient ». « Pouvoir questionner sa religion » déclare Lilian Thuram, n’est-ce finalement pas cela qui constitue l’enjeu principal du débat ? Les récents événements terroristes en France mais également dans de grandes parties du monde perpétrés au nom de la religion musulmane ont par exemple révélé, à la différence du catholicisme, des interrogations sur l’absence d’autorité suprême dans l’islam. Dans les pays musulmans, « l’islam structure le politique, le social, l’espace, le temps » rappelle Jean-François Girault. L’ambassadeur note alors l’avancée du Maroc sur cet aspect avec la formation d’un Conseil des Oulémas (docteurs de la loi coranique) présidé par le Roi et l’accord signé entre la France et le Maroc pour la formation des imams qui reviendraient travailler dans l’Hexagone.

Lilian Thuram, président de la Fondation "Lilian Thuram-éducation contre le rascisme" (Source : leparisien.fr)

Lilian Thuram,
(Source : leparisien.fr)

Les relations entre la diplomatie et le fait religieux sous-tendent ainsi des rapports de force complexes. Jean-Christophe Peaucelle rappelle qu’une diplomatie ne doit en aucun cas « négliger le fait religieux » car celui-ci relève « d’une importance capitale dans de nombreuses sociétés » et constitue un facteur essentiel à prendre en compte dans les relations internationales. Ce que l’on peut retenir en tout point de ce débat est la difficulté toujours plus croissante de la libre appréciation d’un juste équilibre entre intérêt diplomatique, affirmation des valeurs de la Nation et mise en œuvre des principes d’égalité, de liberté de conscience et de religion.