Des apatrides en Côte d’Ivoire : réalité ou fiction politique ?

[Par Armand IRE’]

La célèbre cantatrice Barbara Hendricks, revenue d’une mission en Côte d’Ivoire pour le compte du Haut Commissariat Réfugiés – HCR- dont elle est ambassadrice de bonne volonté, a brossé un tableau peu reluisant de la situation des apatrides dans ce pays.

Visite de Mme Barbara Hendricks, Ambassadrice de bonne volonté pour le HCR au bureau de Côte d'Ivoire Cote d'Ivoire  (source : http://data.unhcr.org/)

Visite de Mme Barbara Hendricks, Ambassadrice de bonne volonté pour le HCR au bureau de Côte d’Ivoire Cote d’Ivoire (source : http://data.unhcr.org/)

Selon la chanteuse et les nouvelles autorités ivoiriennes, ceux-ci sont au nombre de 700.000. Les « apatrides ivoiriens », sujet qui suscite bien des débats et qui a occupé une part non négligeable dans les causes de la crise ivoirienne. Retour sur un sujet brûlant, objet d’une communication lors de la conférence sur l’apatridie organisée le lundi 29 septembre 2014 à Paris par le HCR et le journal Le Monde diplomatique.
Dans un pays qui vit une vive tension politique découlant d’une crise armée qui a débuté en 2002, avec au centre la question de l’éligibilité d’un candidat qualifié d’étranger, il faut marcher sur des œufs lorsqu’il s’agit d’aborder l’épineuse question de l’apatridie. Lors des fameux accords de Linas-Marcoussis, accords signés dans le cadre de la résolution de la crise et difficilement appliqués par les partis en conflit, la question des apatrides avait été mise sur le tapis. Selon la table ronde initiée par le Président français d’alors Jacques Chirac, il fallait à tour de bras naturaliser des personnes, qui en disposition des articles 17 à 23 de la loi 61-415 abrogée par la 72-852, font des personnes nées en Côte d’Ivoire de parents étrangers, des Ivoiriens qui (dans le cadre du droit du sol qui a cédé la place ensuite au droit du sang) n’ont pas exercé leur droit à la nationalité ivoirienne mais sont devenus des Ivoiriens de facto. Le paradoxe ici, pour qui connaît ce pays de l’Afrique de l’ouest, c’est qu’il avait, avant la guerre, un bon état civil. Les personnes n’ayant pas pu bénéficier d’une déclaration de naissance pouvaient obtenir un jugement supplétif par voie de justice et cela d’une manière simplifiée. Des audiences foraines se sont déroulées sur toute l’étendue du territoire, malgré quelques soubresauts et ce pour permettre à chaque Ivoirien d’avoir une identité. Alors, d’où viennent ces nombreux apatrides ? Il va sans dire que cette récurrente question des apatrides en terre ivoirienne répond à des visées électoralistes.

Désormais une simple déclaration suffit
Il fallait créer un « bétail » électoral acquis à la cause du chef de l’état ivoirien actuel dont la nationalité a toujours été sujette à caution car, pendant longtemps, il a bénéficié de la nationalité burkinabée et ce, jusque dans l’exercice de fonctions de prestige et à l’international lorsqu’il était le représentant de l’Afrique au FMI dans les années 80. Avoir le courage de dire qu’il faut naturaliser plus d’un million de burkinabés qui vivent en Côte d’Ivoire depuis des décennies et qui n’ont jamais manifesté le désir d’être Ivoiriens, comme le stipule le code de nationalité, est, comme on le dit à Abidjan « le vrai point » de cette campagne médiatique sur les apatrides. De toute façon, désormais en Côte d’Ivoire l’acquisition de la nationalité en dehors du droit du sang ne passe plus par la naturalisation mais par une simple déclaration et ce depuis le 23 août 2013. Résultat d’une loi votée par les députés et qui a entraîné une véritable colère de plusieurs élus de ce parlement monocolore et de l’opposition mais surtout de la population.
L’Apatridie est un fléau qui existe dans le monde et qui touche dix millions de personnes. En embouchant la trompette de la lutte contre ce fléau, le Haut Commissariat des Refugiés-HCR- et ses partenaires tel que l’OFPRA-Office Français de Protection des Refugiés et Apatrides- et des organisations des Droits de l’Homme entendent mettre fin au calvaire de millions de personnes qui n’ont pas d’existence officielle. Un exemple, celui de l’Ouzbèque Anastasia Trévogin qui parce que, née dans un avion entre Moscou et Tbilissi, n’a jamais pu avoir un pays à cause de la dislocation de l’URSS. Son histoire, qui cependant s’achève bien grâce à la France est celle, sans heureux dénouement, de dix millions d’apatrides dans le monde parmi lesquels l’on a parfois compté des personnalités célèbres comme Daniel Cohn-Bendit qui a recouvré sa nationalité allemande il y a seulement quelques années.

Daniel Cohn-Bendit  (source : commons.wikimedia.org)

Daniel Cohn-Bendit
(source : commons.wikimedia.org)