"Il a suffi d’un article pour que je me rende compte que je vivais dans une prison à ciel ouvert."

Le 14 février, Christian publie sa cinquième tribune contre le gouvernement de la République Démocratique du Congo sur l’Œil de la Maison des Journalistes. Loin de son pays et il se sent toujours investi du devoir d’informer mais surtout de dénoncer. C’est “une question de dignité” pour lui.

Arrivé en France le 14 juillet 2018, journaliste et reporter politique de la République Démocratique du Congo, il attend que l’OFPRA lui accorde le droit d’Asile.

Dénoncer !

Certains sont devenus journalistes à leur insu, mais ce n’est pas le cas de Christian. Lui veut “éveiller” la population et c’est ce qu’il a fait pendant neuf ans : rétablir les faits, vérifier et informer. Mais, habitué des quotidiens de Kinshasa (la capitale de la RDC), très vite Christian devient journaliste indépendant. Il passe du Journal du Citoyen à L’Observateur au journal Le Forum des AS. Il intervient de temps en temps sur la radio onusienne OKAPI. Plus qu’un habitué, Christian est passionné par son métier.


Au détour d’une phrase il explique avoir été incarcéré cinq fois lors de ses reportages et en 2014 son passeport a été confisqué par les autorités : “la routine”.


En effet, depuis l’expiration du mandat de Joseph Kabila en décembre 2016 et les 4,5 millions de déplacés en 2018 selon les Nations-Unies et les ONG (pour le gouvernement congolais on est plutôt autour de 230.000), les violences envers les journalistes sont récurrentes. Cependant, à chaque fois, il est assuré que la JED (Journaliste en Dan-ger), organisation de défenses des journalistes basée à Kinshasa, le défendra. Jours et nuits, cette association parcourt les prisons et les gendarmeries de la ville pour défendre des journalistes comme Christian. Comment se battre seul pour faire valoir ses droits quand aujourd’hui encore, la RDC s’appuie sur la loi répressive du 22 juin 1996 adoptée sous la dictature du maréchal Mabutu pour justifier ces atteintes à la liberté de la presse ?

Au fur et à mesure, sa voix prend plus d’ampleur et il s’exclame: "le peuple congolais en souffre et on ne peut pas le montrer?". Plus qu’une nécessité, le journalisme c’est toute sa vie. Et pour lui c’est sa manière d’exprimer l'amour qu'il ressent envers son pays. Il n’y a pas plus patriote que de proclamer des faits qui dévoilent les violences du pouvoir exécutif : “Si on dénonce, on aime son pays.”

Journalisme et Foi catholique

Ainsi, le parcours journalistique de Christian est ancré dans la société congolaise, rythmé par deux convictions : aimer son pays et sa foi en Dieu animée par son investissement dans sa paroisse. Forte de ses 35 millions de fidèles en RDC, l’Église Catholique est devenue un porte-parole des droits de l’Homme et de l’opinion publique.

Une "simple église au milieu du village" selon Christian et l’opposition politique selon le précédent gouvernement Kabila. Les 40.000 observateurs de l’Église, déployés lors des élections de décembre 2018 montrent clairement que cette institution est plus qu’un acteur communautaire, c’est un acteur politique. Ainsi, pour mobiliser la population, l’Église soutient le Comité laïque de coordination (CLC), à l’initiative de marches pacifiques pour le respect de l’accord de Saint Sylvestre. Signé le 31 décembre 2016 cette entente s’oppose à l’éternel report des élections.

S’engager !

Christian est loin d’être indifférent à ce mouvement. Sa tante, membre active de l’association de lutte pour les droits de l’homme, La Voix des Sans-Voix l’a incité à devenir un véritable activiste.

Engagé dans le “Collectif 2016”, dont le fondateur a été assassiné le 25 février 2018 pendant la marche pacifique du CLC, Christian dénonce pour “éclairer et mobiliser”. Alors, quand il a été contacté par le CLC pour rédiger un article incitant tous les citoyens à participer à cette marche, il s'est senti investi d’une cause si noble et légitime qu’il n’a pas hésité une seule seconde. Le 23 février, cet article est publié dans Le Forum des AS. Une journée plus tard, trois hommes en civil toquent à sa porte et une jeep l’attend. Pendant quatre jours, il subit de la torture psychologique.


Conscient d’être observé, il découvre que l’ANR (Agence national de renseignements) le traquait : ses messages, ses commentaires sur des sites, ses fréquentations. Le motif ? Christian menaçait la sécurité de l’État.


Déplacé de prisons en prisons, il passe six jours sans savoir ce que l’ANR veut faire de lui.

S’échapper !

Curieuse de son cas, une policière l’interroge sur les raisons de son état. Christian saisit sa chance et lui demande de contacter sa tante.


Les deux femmes établissent un accord et le 8 mars, la journée internationale de la femme jour où seules les femmes peuplent les rues, ce dernier s’échappe.


Son premier réflexe ? Aller à la paroisse la plus proche, s’en suivent quatre mois de fuite. Dans un premier temps il passe trois mois caché dans un monastère à l’extérieur de Kinshasa. Effrayé par tout, il ne parle à personne et ne sort pas. Dans l’attente d’un passeport, il reste deux semaines à Brazzaville en République du Congo. Arrivé à Paris, Christian revient à la vie et à peine est-il sorti, qu’il se rend dans l’Église la plus proche : l’Église Saint Bernard, où il est accueilli par le prêtre Hugo. Depuis, tous les dimanches il se rend à la messe.

Souvenir

"C’est suite à cet article que j’ai été persécuté.

J’ai proposé ce papier au Forum des AS et un jour plus tard à 22 heures, trois hommes habillés en civil étaient devant chez moi.

J’étais déjà au lit, puisque tu sais je suis chrétien et le lendemain j’allais à la messe du dimanche.

C’est ma femme qui a ouvert la porte. Elle a hurlé pour que je me cache. Quand je me suis échappé de la prison ma famille a dû partir de notre maison à cause de l’ANR qui venait toutes les nuits.

Depuis, je n’ai pas trop de nouvelles"

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