Hamidou Elhadji Touré, journaliste malien depuis maintenant 20 ans, revient sur son parcours pour l’Œil de la Maison des journalistes. De l’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta en 2013, au coup d’État militaire de 2020, en passant par la mainmise croissante sur l’information : Hamidou Touré narre son vécu en tant que journaliste au Mali, sur fond de corruption, d’insécurité et de régression des libertés civiles.
[par Théa DOULCET, publié le 17/04/2025]

© Hamidou Elhadji Touré
D’abord enseignant, Hamidou Touré s’est ensuite tourné vers le journalisme, suivant les traces de son oncle, ancien journaliste pour la presse audiovisuelle. Il s’enthousiasme : “Sa façon de faire, sa liberté à s’exprimer, et sa mobilité à aller à la recherche de la vraie information, c’est ça qui m’a motivé à devenir journaliste.” Il commence en tant que journaliste radio avant de devenir directeur de publication des médias en ligne indépendants Malimédias et l’Actu Hebdo. Dans un pays encore miné par les mariages forcés, les différents groupes terroristes comme Al-Qaïda, la rébellion touareg au Nord du Mali, ou encore les violences sexuelles, Hamidou Touré se spécialise dans les questions de sécurité et de droits de la femme.
La liberté d’expression au Mali : cheval de bataille de journalistes maliens comme Hamidou Touré
Au Mali, la liberté d’expression est constamment bridée et les médias indépendants en font les frais. L’information étant principalement véhiculée par l’État, des médias tels que Malimédias et l’Actu Hebdo sont en proie à une suppression des fonds budgétaires et une réduction significative de leur visibilité. Ainsi, les organes de Hamidou Touré ont cessé leurs publications, faute de soutien économique. D’ailleurs, la plupart de la presse écrite au Mali ne paraît plus de manière hebdomadaire, comme autrefois, mais mensuellement. “La presse est à l’agonie”, s’inquiète le journaliste.
Une situation qui va de mal en pire depuis le coup d’État militaire de 2020 qui renversa le régime démocratique d’Ibrahim Boubacar Keïta, déclare Hamidou Touré. Si une certaine liberté de la presse existait pendant le règne du président destitué, sous la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta, les médias sont entièrement relégués à l’État. Or, “Le journalisme a pour vocation de faire en sorte que la population se fasse une idée de l’actualité et de ce qui se passe dans leur pays” rappelle le journaliste malien. Et sans une presse libre et indépendante, pas de place au débat contradictoire, s’insurge-t-il.
Plus grave encore, des journalistes opposés au régime sont régulièrement menacés, voire torturés, à l’instar de Hamidou Touré. En 2018, il publie un post sur Facebook critiquant l’inefficacité du secrétaire général de la commission “vérité, justice et réconciliation”, chargé de la surveillance des atteintes aux droits de l’homme au Mali. En contrecoups de sa publication, celui-ci est séquestré, torturé et menacé de mort par le responsable de la commission, le colonel Makalou.
De nouveau traqué par le gouvernement en 2023, il quitte sa famille et part s’exiler en France. Puis, en janvier 2025, il trouve refuge au foyer d’hébergement de la Maison des journalistes. Là, il a l’occasion d’effectuer un stage immersif à Ouest France. La liberté, l’indépendance, et la démocratie dans la gestion de ce média stupéfient le journaliste. Ce sont ces valeurs qui forgent la liberté d’opinion, précise Hamidou Touré.
Un journaliste avec des engagements citoyens
C’est pour cela que celui-ci s’investit régulièrement auprès de diverses organisations œuvrant pour la paix, notamment dans les pays du Sahel. À titre d’exemple, il participe au Forum de Paris sur la Paix qui réunit des chefs politiques, mais aussi des entrepreneurs et des journalistes de différents pays, afin de discuter des leviers d’action pour renforcer la paix et favoriser la résolution des conflits globaux.
En plus de son travail de journaliste et de son engagement citoyen, Hamidou Touré est également le président du Réseau International des Journalistes Francophones pour l’État civil et la Citoyenneté, une organisation qui rassemble des journalistes, des professionnels et des experts qui ont à coeur la promotion de l’État et des libertés civiles dans les pays francophones.
L’espoir de la jeunesse
En parallèle, il est intervenu au lycée Pierre-Desgranges, à Andrézieux-Bouthéon, dans le but de sensibiliser des jeunes lycéens autour de la liberté de la presse. Selon lui, cette sensibilisation est cruciale afin de transmettre des clés de compréhension et d’analyse des enjeux liés à l’information aujourd’hui. Dans un monde régi par les réseaux sociaux et où les médias sont de plus en plus fragilisés, c’est à la jeunesse qu’il incombe de faire bouger les choses. “Elle est l’avenir de demain”, rappelle Hamidou Touré.
De cet atelier de sensibilisation, il retient la différence entre la jeunesse malienne et la jeunesse française, plus politisée. Les jeunes maliens n’ont connu que le chaos, la dictature et la souffrance, dans un pays où la situation politique semble sans issue. En effet, après une indépendance tardive, en 1960, les premiers jalons de la démocratie ne voient le jour qu’à partir de 1991. Une démocratie ensuite fragilisée par les coups d’État de 2012 et de 2020. La jeunesse malienne n’a, donc, pas de réelle conscience politique et n’est pas particulièrement opposée au régime, explique-t-il.
C’est que cette jeunesse n’a pas non plus la chance d’avoir les ressources éducatives nécessaires, affirme le journaliste. Contrairement aux élèves français qui bénéficient de diverses initiatives en milieu scolaire, que ce soit des visites au musée, des voyages, entre autres, l’école au Mali est confrontée à des défis majeurs, avec un taux de scolarisation
encore très faible et un enseignement défaillant.
En outre, les jeunes, à l’image du peuple malien, se taisent par peur de représailles. Néanmoins, Hamidou Touré croit toujours à un avenir meilleur au Mali, grâce à des “intelligences qui sont en train de se reconstituer” aux quatre coins du monde. Autrement dit, une jeunesse en exil, mais toujours en lutte.
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