En mai 2019, s’était tenu le conseil de sécurité de l’ONU sur la guerre du Cameroun qui oppose les séparatistes anglophones au gouvernement camerounais. Quelles furent donc les résolutions prises par ce conseil pour un retour au calme dans ce pays ? Où en est-on aujourd’hui avec cette crise ?
[par Grégoire Blaise Essono, publié le 30/04/2025]

Ce conseil était en fait une simple consultation. Son but était de faire sortir cette guerre, qui était restée jusque-là méconnue de la scène internationale, des carcans du Cameroun pour la mettre à la lumière du monde.
Donc, in fine, aucune déclaration ou résolution officielle, à propos de cette crise, n’avait été prise comme l’expliquait Cyril Bensimon dans les colonnes du quotidien Le Monde : « La consultation est informelle et ne donnera lieu à aucune résolution, communiqué ou déclaration officielle. Cependant, pour la première fois depuis son éclatement en octobre 2016, la crise qui sévit dans les régions anglophones du Cameroun sort de son huis clos domestique pour être abordée dans une enceinte internationale. »
Mais déjà, en 2018, lorsque le secrétaire général, monsieur Antonió Gueterres, avait évoqué cette guerre, alors qu’il présentait son rapport sur la sécurité en Afrique centrale, Moscou avait émis des réserves proches des points de vue de Pékin et des pays africains : « Il est important de ne pas dépasser la frontière entre prévention et intervention dans les affaires intérieures des États. Tout porte à croire qu’un certain nombre de nos collègues sont très proches de cela. Pour le moment, nous avons toutes les raisons de croire que le Cameroun est capable de résoudre ce problème épineux tout seul. Nous sommes disposés à aider, mais seulement si nos partenaires au Cameroun le jugent nécessaire. »
Idem. Ce fut donc, suite à cette déclaration et aux inquiétudes qu’avaient suscitées les rapports présentés par certains organismes internationaux, lors de ce conseil, qu’un dialogue national inclusif avait été organisé, à Yaoundé, afin de mettre un terme à ce conflit.
Le grand dialogue national
Ce fut sous l’égide de Paul Biya, président de la République du Cameroun, que le grand dialogue national avait eu lieu, du 30 septembre au 4 octobre 2019. Bien que quelques groupes de séparatistes avaient décidé de boycotter ce grand rendez-vous, certains d’entre eux avaient pris part y compris tous les membres du gouvernement.
Pendant cinq jours de travail intense, plusieurs commissions furent créées afin de répondre aux revendications des sécessionnistes : bilinguisme, diversité culturelle et cohésion sociale, système éducatif, système judiciaire, assistance aux réfugiés de retour et aux personnes déplacées, reconstruction et développement des régions affectées par la crise, désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants, rôle de la diaspora dans la crise et contribution au développement du pays, à la décentralisation et au développement local.
Bien plus, le 23 mars 2020, dans le souci de suivre de plus près les réalisations des commissions mises sur pied lors de cet événement, le président de la République avait crée un comité de suivi de la mise en oeuvre des résolutions prises lors de ce grand rendez-vous. Malgré de multiples postes qu’il cumulait déjà, John Nguté (Premier ministre, chef du gouvernement, président du grand dialogue national), avait été nommé président de ce comité.
Mais l’une des prouesses majeures de ce comité est l’application, lors de sa quatrième session, le jeudi 4 août 2022, du statut spécial accordé aux régions du sud-ouest et du nord-ouest, en créant les assemblées régionales et les « houses of chiefs ».
Quelle est donc la situation actuelle dans ces deux régions ?
Depuis que le gouvernement a commencé à mettre en oeuvre les recommandations du grand dialogue national, on constate le retour petit à petit des populations et une reprise des activités sociales et économiques. Beaucoup d’établissements scolaires et universitaires de même que beaucoup d’églises et de mosquées ont rouvert leurs portes. Les marchés et autres entreprises commerciales sont désormais opérationnels. La « Cameroon Development Corporation » (C.D.C.), deuxième employeur après l’État, a pleinement repris ses activités.
Mais certains des groupes des séparatistes, contrairement à d’autres qui militent pour le fédéralisme et ont intégré le grand dialogue national, sont restés stricts sur leur position. Tel est le cas des « Ambazonia Defense Forces » (A.D.F.), le plus virulent d’entre eux. Ce groupe revendique une sécession pour la création d’un État autonome : la « Federal Republic of Ambazonia ». Pour cela, ses membres, les « Ambaboys », mènent dorénavant une guérilla.
Ils s’attaquent aux forces de défense et de sécurité dans leurs casernes et leur tendent aussi des embuscades. Les lances roquettes et des engins explosifs improvisés sont les armes qu’ils utilisent pour mener leurs assauts.
Les populations civiles sont aussi la cible de ce groupe sécessionniste. Elles subissent des braquages, du racket, des enlèvements avec demande de rançon. Les ADF utilisent entre autres des engins explosifs lorsqu’il s’agit d’attaquer des établissements publics comme des ministères ou encore des entreprises commerciales.
Quant aux écoles, cette milice a appelé au boycott scolaire afin de perturber la vie quotidienne. Pour ceux qui se dressent contre cette désobéissance civile, ces sécessionnistes n’ont aucun remords à leurs égards. Assassinats, menaces, harcèlements, kidnappings sont les moyens de coercition qu’ils utilisent pour s’imposer.
Cette situation pousse donc certaines populations à se déplacer vers les zones stables du pays ou encore vers les pays voisins. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent les rapports de l’ONU qui garde un oeil particulier sur ce conflit. Des rapports qui sont donnés par RISK & OPS : « Fin 2023, l’ONU rapportait que près de 360 000 personnes avaient été déplacées au sein des régions anglophones, environ 260 000 avaient fui vers les régions de l’Ouest, du Littoral et du Centre, et environ 90 000 vers le Nigeria. » Quant au nombre de civils tués par les deux camps, Human Wrights Watch les estimait à environ 6.000 au 1er janvier 2024.
Devant une telle situation macabre qui ne laisse aucun être humain égale à lui-même, nous sommes ainsi en droit de nous poser la question de savoir si, les causes et les solutions du « fait social » sont éclectiques, l’histoire de ce territoire ne peut-elle pas aider dans l’apaisement de ce conflit ?
Rappel historique
Après la conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique, le « Kamerun » devient un protectorat allemand suite au traité germano-douala de 1884. Mais, en 1916, au lendemain de la Première Guerre Mondiale qui se solde par la défaite de l’Allemagne, ce territoire entre sous mandat franco-britanique. La France occupe la partie orientale, soit les 4/5e du pays et l’Angleterre colonise le Nigeria et occupe ainsi la partie occidentale soit les 1/5e du territoire. Le même processus est réitéré lorsque ce territoire passe sous tutelle de l’ONU en 1945.
Le Cameroun oriental devient indépendant le 1er janvier 1960, le Nigeria accède aussi à l’indépendance. Le Cameroun occidental est soumis à un référendum. La partie nord ou le Northern Cameroon est rattaché au Nigeria et la partie sud ou le Southern Cameroon est rattaché au Cameroun oriental.
La fusion de ces deux États donne naissance, le 1er octobre 1961, à la république fédérale du Cameroun. Une fédération qui, au fur des ans, va disparaître au profit, d’abord d’un État unitaire, et pour finir, au profit d’un simple État à dominance francophone. Une technique douce de centralisation du pouvoir qui ne va pas plaire aux anglophones. D’où la naissance de plusieurs groupes protestataires qui revendiquent, particulièrement, le retour à une fédération.
Mais lors du grand dialogue national, cette question du retour à la fédération pour autonomiser ces deux régions ne sera pas abordée. C’est donc ce qui justifie autant de violence dans ces deux territoires.
Les prochaines élections présidentielles au Cameroun auront lieu en octobre prochain. Paul Biya, au pouvoir depuis 43 ans, est encore candidat à sa propre succession. Mais le problème anglophone n’a pas véritablement été résolu. N’est-il pas temps que l’ONU, qui porte une attention particulièrement sur ce problème, convoque une seconde réunion pour en discuter une fois de plus afin d’éviter un embrasement total de ce pays autrefois havre de paix ?
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