Entrées par Rédaction

RENCONTRE. Ignace Dalle, le récit de carrière d’un véteran de l’AFP

Journaliste spécialiste du monde arabe. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille et en études arabes à l’université Saint Joseph de Beyrouth, Ignace Dalle est un ancien journaliste de l’Agence France Presse. Rencontre.

  •  Par Ange Fabre, étudiant en droit et science politique et Léna Jghima, étudiante, stagiaires à Maison des journalistes (MDJ). 

Mercredi 23 juin à 15 heures, la Maison des journalistes (MDJ) a eu l’honneur de recevoir Monsieur Ignace Dalle, journaliste spécialiste du monde arabe, ancien directeur du bureau de l’AFP au Maroc et auteur de nombreux ouvrages. Ce fut l’occasion d’entendre le récit de carrière d’un journaliste français passé, des années 1970 aux années 2000, par l’Egypte, le Liban et surtout le Maroc. Au fil de la narration d’Ignace on découvre une vocation faite de voyages, de drames et d’épreuves, mais aussi d’amitiés, le tout dessinant un intense récit humain, intellectuellement stimulant et émouvant. 

Un véteran de l’AFP

Journaliste spécialiste du monde arabe. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille et en études arabes à l’université Saint Joseph de Beyrouth, Ignace Dalle est un ancien journaliste de l’Agence France Presse. Il a passé de nombreuses années en poste dans le monde arabe, notamment au Liban, en Égypte et au Maroc. De 1992 à 1996, il dirige le bureau de l’AFP à Rabat. Il a été le premier journaliste à (longuement) écouter les rescapés de Tazmamart. C’est lui qui a recueilli et mis en forme les mémoires d’Ahmed Marzouki, dans le best-seller “Tazmamart cellule 10”. 

Ignace Dalle s’est installé face à une quinzaine de résidents, anciens résidents et membres de l’équipe de la MDJ pour partager son expérience et le récit de sa carrière. Il entame son récit par les raisons de cette vocation. Il raconte un voyage autour de la Méditerranée avant ses études qui le laissera amoureux du monde arabe et décidé à faire de cette passion son métier. Il sort diplômé de l’école de journalisme de Lille, travaille ensuite au Figaro et deux ans plus tard obtient une place d’envoyé spécial de l’AFP au Liban. 

Rencontre avec Ignace Dalle à la Maison des journalistes

Pour comprendre la complexité du monde arabe 

L’invité nous conte alors son arrivée dans un pays déchiré par la guerre à la fin des années 1970. Il fait son entrée dans Beyrouth bombardé en pleine guerre du Liban, il nous confie avoir été terrorisé dans son hôtel, allongé au milieu de la chambre. Le personnel, habitué à cet environnement violent, s’en amuse : « Si tu commences à te coucher dès que tu entends une bombe ça va être difficile ». Il met près de huit jours à s’habituer au contexte. Il affirme que ce fut son premier contact avec la guerre et sa brutalité, mais il confie « On s’habitue malheureusement assez vite à ces périodes de violence »

Travailler à Beyrouth et ses coupures d’électricité incessantes était particulièrement complexe. Ignace Dalle a ensuite suivi l’armée syrienne dans la guerre au Liban, il est le témoin interloqué des massacres fratricides entre peuples arabes au Liban, l’armée syrienne pourchassant les rebelles palestiniens dans les montagnes. “Beyrouth a été une très bonne école pour comprendre la complexité du monde arabe” résume-t-il. Mais il confie également avec une certaine tristesse : “Durant les années 1980 Beyrouth a été la seule ville méditerranéenne où il n’y avait plus de vie nocturne, couvre-feu oblige, où les patrouilles militaires seules animaient les rues.” 

En 1980, Ignace Dalle est nommé au bureau de l’AFP, au Caire. Un contexte difficile, les journalistes européens n’ayant que très peu accès aux informations, le gouvernement égyptien privilégiant les médias américains. Il explique que l’administration était particulièrement laborieuse et lente en comparaison avec le Liban. A côté de la “bureaucratie infernale” du Caire, il découvre un pays à l’histoire infiniment riche par son histoire, sa culture et ses habitants qu’il dit avoir trouvés très aimables. 

En 1981, le président Anouar El-Sadate est assassiné, cela lui “tombe sur la tête”. Il explique que l’événement est perçu comme une bonne nouvelle par une majorité du peuple égyptien, lequel est resté très rancunier envers le président depuis les accords de Camp David, lorsque Sadate négocia la paix avec Israël en 1978. Beaucoup d’Egyptiens jugent qu’il a tout cédé à Israël dans les négociations, nous explique Ignace Dalle. Il raconte également la difficulté pour couvrir l’événement, le pouvoir ne partageant pas les informations sur la santé du président hospitalisé avec les Européens mais seulement avec les journalistes américains. Il explique avoir même rencontré des difficultés pour écrire l’article sur la mort du président face aux réticences du chef de la traduction, pourtant lié par contrat à l’AFP, à traduire les papiers sur la mort d’El-Sadate. 

Chez “notre ami le roi” 

Ignace Dalle quitte ensuite l’Egypte pour le Soudan, où il affirme “souffler un peu”, loin de l’agitation du Caire. Puis une guerre civile y éclate en 1984, il retourne alors en France et, quatre ans plus tard, est nommé directeur du bureau de l’AFP à Rabat, au Maroc. 

Entre-temps, lors de son passage en France il connaît un douloureux épisode avec la sortie de son livre “La Syrie du général Assad” qui décrit le fonctionnement du régime syrien. Il reçoit des menaces de mort, lui et sa famille subissent des intimidations, Rifaat al-Assad, frère du dictateur alors en place et exilé en France, lui fait un procès, avec une armée d’avocats français. Le motif de ses accusations devant la justice est que les témoignages cités dans l’ouvrage ne présentent pas de sources. Pour protéger les personnes qui ont pu lui permettre d’obtenir ces informations, Ignace Dalle n’a pas donné le nom de ses informateurs. Or, s’il l’avait fait, le régime syrien aurait retrouvé ses sources, qui auraient été en grand danger. Il ne peut donc donner d’informations sur ses sources . Les juges, compatissants, le condamnent à un franc symbolique et lui épargnent les frais de publication du dossier de jugement. 

Arrivé au Maroc en 1992, Ignace Dalle succède au précédent directeur du bureau de l’AFP à Rabat, mort dans un accident de voiture. Malgré quelques soupçons et questionnements il s’avérera que c’était véritablement un accident. L’invité relate alors au public un événement très important de son parcours. Peu de temps après son arrivée à Rabat, il reçoit la visite de trois anciens prisonniers politiques, dont le militaire Ahmed Marzouki, venus faire entendre leur voix au sujet des indemnisations promises par le roi suite à leur détention, promesses restées sans acte. Ignace Dalle nous confie l’admiration qu’il éprouva pour le courage de ces trois individus risquant la prison et la mort dans leur quête de justice. Il s’investit pour leur cause et travaille durant cette période avec l’Association marocaine des droits humains, qu’il juge très compétente et surtout courageuse car poursuivie un peu partout par les autorités monarchiques. Au sein de cette association il se lie d’amitié avec Ahmed Marzouki, un survivant de Tazmamart. Enfermé pendant 18 ans, cet ancien officier, devenu écrivain et activiste politique, lui raconte son enfer durant ses années de détention. L’ancien journaliste de l’AFP recommande à ce sujet la lecture du livre Tazmamart cellule 10, best-seller d’Ahmed Marzouki sur son calvaire dans l’enfer de cette prison secrète destinée aux prisonniers politiques. 

Il termine sa période marocaine en 1996 dans une atmosphère de fin de règne d’Hassan II, synonyme d’un assouplissement du régime, lequel relâche alors des familles d’opposants et libère plusieurs prisonniers. Marzouki devra cependant attendre 1999 et la mort d’Hassan II pour publier son ouvrage. 

Il rentre en France puis est envoyé en divers lieux couvrir l’actualité, le Togo, Mururoa et les essais nucléaires français, la Bosnie durant la guerre. Il est ensuite nommé rédacteur en chef de l’AFP sur les affaires américaines et nord-européennes puis directeur de la documentation et des archives 

Lorsqu’il est interrogé sur les moments les plus frappants de sa carrière, Ignace Dalle répond : l’assassinat de Sadate, événement majeur tant pour l’Histoire que pour sa carrière de journaliste mise alors à rude épreuve. Il cite aussi la découverte de la terrible prison marocaine de Tazmamart et des récits “à faire des cauchemars debout”, des horreurs qui y sont commises contre les opposants politiques. Au-delà de ces épisodes politiques sombres et parfois cruels, Ignace Dalle affirme avoir gagné et conservé beaucoup d’amitiés au Maroc, au Liban, en Algérie, etc. 

Regard sur un monde des médias en transformation 

Dressant un bilan d’une région qu’il a si bien connue, Ignace Dalle décrit un monde arabe de nos jours bien moins accessible qu’au début de sa carrière, du fait des guerres civiles et du durcissement des régimes. Il explique qu’il est désormais très compliqué d’y voyager de manière indépendante, d’aller y faire des reportages, et cela même sur la majeure partie du continent africain, de manière plus générale, “Autrefois on pouvait faire une grande partie du continent en voiture d’un pays à l’autre, aujourd’hui c’est impossible”. Les journalistes africains présents acquiescent alors avec une certaine mélancolie. Les auditeurs ont pu ensuite le questionner sur l’actualité du métier de journaliste et sur certains événements de l’actualité récente. Il explique que désormais dans beaucoup de pays les journalistes correspondants sont des locaux à qui les agences envoient directement du matériel journalistique. Ces correspondants sont souvent polyvalents et traitent l’aspect technique, le montage, la vidéo, l’enregistrement, le travail écrit et de documentation eux-mêmes. Cependant, dans les régions où l’actualité demeure particulièrement complexe à décrypter, comme au Liban ou en Syrie, le besoin d’envoyer des journalistes experts et spécialisés demeure. 

Un changement d’époque dans le journalisme. Il décrit également comment les correspondants francophones ont laissé la place à une majorité de correspondants anglophones au Proche-Orient ces vingt dernières années. 

Répondant à une interrogation sur le problème des “fake news”, Ignace Dalle explique alors l’enjeu crucial de crédibilité et de légitimité pour de grandes agences comme l’AFP, particulièrement vigilante face à la menace nouvelle et grandissante des “fake news” et de la désinformation. Ignace Dalle nous rappelle alors les mesures mises en place par de nombreux grands médias comme l’AFP comme un pôle entier de “fact checking” au sein de l’agence. Interrogé sur la possibilité d’apporter son expertise aux médias français pour un journaliste exilé, l’ancien correspondant fait état de la difficulté de trouver du travail pour les journalistes réfugiés en France, qui peinent dans leurs recherches alors qu’ils pourraient pourtant apporter un éclairage important aux rédactions françaises. 

Une question émerge alors sur la fermeture du compte twitter de Donald Trump. L’invité du jour reconnaît le mal fait par l’ex-président des Etats-Unis à la crédibilité de la presse et les nombreuses fake news qu’il a relayées. Cependant, il ne donne pour autant pas tout son crédit à des mesures comme celle-ci, qu’il juge, bien que satisfaisantes à court-terme, problématiques quant à l’utilisation arbitraire qui est faite de la liberté d’expression par le réseau social. “C’est vrai que ça nous a fait du bien qu’il se taise un peu celui-là, mais bien sûr on ne peut pas dire que ce soit une vraie solution.” ironise-t-il. 

Enfin, livrant son opinion sur la presse internationale à la demande du public, Ignace Dalle vante les mérites de la presse britannique qu’il juge intellectuellement remarquable, citant The Economist et The Guardian. Il rappelle aussi que la BBC, institution remarquable bien que déclinante, reste incontournable. Il se montre plus modéré sur les médias américains, recommandant CNN pour sa couverture de l’actualité internationale. 

Interrogé sur la qualité du contenu livré aujourd’hui par l’AFP Ignace Dalle vante la qualité de l’agence, malgré des moyens bien moins étendus que ceux des agences anglo-saxonnes. Il loue également son recul vis-à-vis de la politique étrangère française sur laquelle elle ne s’aligne pas automatiquement, conservant une approche critique. 

Photo de souvenir avec les participants

Les bouteilles d’eau bien entamées et les têtes stimulées, vient cependant l’heure de clore cette rencontre ayant duré près de deux heures. Certains spectateurs regrettent de ne pas pouvoir poursuivre encore l’échange qui aura captivé l’attention du petit monde réuni durant cet après-midi du 23 juin à la Maison des journalistes.


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Mamadou Bah en France : de la rue à la Maison des Journalistes (PORTRAIT 2/2)

« Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Mamadou Bhoye Bah. 

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes. 

Mamadou Bhoye Bah arrive en France en octobre 2017. Une vie très difficile s’ouvre à lui. Il n’a plus rien, ses diplômes sont dévalorisés en France, sa famille est restée en Guinée. Il se retrouve seul mais découvre très vite la Maison des Journalistes, par le biais d’une association qui organisait des maraudes. Pour pouvoir y accéder, il faut remplir le formulaire en ligne. Sans téléphone, sans ordinateur, sans internet, c’est presque mission impossible. Mamadou vit donc dans la rue. Il raconte: « Chaque matin, quand tu te lèves, tu ne sais pas d’où tu viens et où tu vas. C’est très compliqué à gérer ».  Au fil des rencontres, Mamadou finit par être « invité » à rejoindre un camp. Cela lui fait penser à un camp militaire, mais il s’agit en fait d’un camp de migrants dont plusieurs associations humanitaires s’occupent près de la Porte de la Chapelle, à Paris. D’abord réfractaire à cette idée, il est convaincu par plusieurs personnes qui lui indiquent que cela l’aidera à trouver un logement, à s’en sortir. Il s’y rend, observe, se renseigne. « Il y a des gens qui dansent, qui se vident l’esprit. Moi je reste là, assis ». Il discute pendant de longues minutes avec une bénévole d’Emmaüs. Elle ne lui cache pas qu’il est très compliqué d’obtenir un titre de séjour, ou tout autre document lui permettant de régulariser sa situation en France, encore plus dans ce camp. Ses a priori confirmés, Mamadou décide de quitter le camp. « Je leur ai raconté que j’avais oublié un sac dans la rue, que je devais à tout prix aller le récupérer. Et puis c’est comme ça que je me suis enfui ». Il y revient finalement une semaine plus tard, après avoir rencontré un guinéen, qui, lui aussi, était passé par ce camp. Ce dernier confie à Mamadou que beaucoup se battent pour pouvoir intégrer cet endroit, qu’il doit saisir sa chance.

Pour l’anecdote, Mamadou réussit à réintégrer le camp car il est pris pour un autre. « Coïncidence ou choix du destin, un autre guinéen, appelé Mamadou, était présent sur les listes du camp. C’est comme ça que j’ai réussi à y entrer de nouveau ». Il est donc logé dans un petit abri en contre-plaqué, insalubre, il l’avoue, mais c’est toujours mieux que la rue. Il y reste dix jours, avant que les Restos du cœur, pour lesquels il était bénévole, ne lui trouvent un hébergement dans le 94. Il réussit alors à collecter toutes les informations nécessaires pour rejoindre la Maison des Journalistes. Après plus d’un an passé dans la rue, il trouve enfin un hébergement stable, et des personnes décidées à l’aider dans toutes ses procédures.

Mamadou lors d’un entretien avec le député Sébastien Nadot à la MDJ

En parallèle, il complète une licence 2 et une licence 3 en sciences de l’éducation. Il s’inscrit également en Master 1 en 2020 afin de pouvoir passer les concours de l’enseignement. Sans naturalisation, impossible pour lui de passer le concours, mais sans ce concours pas d’emploi, et sans emploi la naturalisation est inenvisageable.

Une intégration pas facile

Pris dans une spirale infernale, Mamadou est finalement engagé en tant que professeur contractuel dans l’enseignement primaire. Il fait des remplacements, ici et là. Il écrit des articles pour le journal de la Maison des Journalistes (L’oeil), de manière bénévole. « Le journalisme, c’est le seul métier que je peux exercer gratuitement ». Malgré son expérience, il ne trouve aucun poste dans ce domaine. « Même les journalistes français ont du mal à trouver du travail, alors les journalistes étrangers, même francophones, je ne vous en parle pas ». L’idée reste là, dans un coin de sa tête, d’un jour reprendre sa passion et de rejoindre une radio. Il en parle longuement, pour lui, le journalisme et l’enseignement sont deux métiers qui vont de pair. La facilité d’accès aux réseaux sociaux, à l’information de toute sorte, implique d’être bien éduqué, d’avoir été averti de la manière dont il faut prendre l’information et se l’approprier. Il apprend à ses élèves à se nourrir intelligemment des informations qu’ils reçoivent, tout en restant en alerte. Il leur apprend aussi à faire valoir leur droit, à ne jamais se laisser faire à ce propos. « Je suis touché quand mes élèves me confient qu’ils m’admirent, et qu’ils aimeraient un jour, comme moi, devenir journaliste ».

Les élèves de Mamadou pendant un atelier de peinture

L’intégration en France n’est pas chose facile donc. Mamadou l’illustre assez bien : « Il faut reconstruire ta vie. Alors que tu avais atteint 10, il faut recommencer à 0. Mais est-ce que tu es sûr que tu pourras encore atteindre 10 ? La réponse est non ». Il poursuit avec un adage africain : « Le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile ». Peu importe ce qu’il fera ici, il est sûr de ne jamais avoir le même statut qu’une personne qui est née et a grandi toute sa vie en France.

 

Un exil loin de la famille

Désormais bien établi, Mamadou le reconnaît : « La Guinée reste mon premier pays, mais la France est devenue mon pays d’accueil ». S’il avait le choix, s’il n’était pas menacé, il n’hésiterait pas une seconde et rejoindrais sa femme et sa fille, toutes deux restées en Guinée. Mais selon lui, la situation ne risque pas de s’améliorer tout de suite. « Ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait toujours des régressions ». Lorsqu’on lui parle du régime politique, il le qualifie de dictature. Par une jolie métaphore il précise : « Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Certes des élections ont lieu, mais ce sont des élections formelles, avec beaucoup de fraudes et de corruption. Outre le contexte politique, Mamadou déplore tout particulièrement le fait que sa fille soit privée d’une présence paternelle. « À partir du moment où vous êtes absent, l’enfant va lui-même se poser des questions : pourquoi cette personne qui était là, qui me faisait tout, qui était présente devant chaque situation et difficulté n’est plus là ? ». Mais un jour, il les retrouvera.


Si vous avez aimé cet article, lisez l’épisode 1.

 


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PORTRAIT. Avec Anas, photojournaliste syrien, «dans sa maison»

Photojournaliste syrien réfugié en France, Anas a été au plus près du drame syrien pendant sept ans dans la périphérie de Damas.

  •   Par  Ange Fabre, étudiant en droit et science politique et Clémence Papion, étudiante en Master de Droit International Public, stagiaires à la  Maison des journalistes. 

“Je suis Anas Mohamed Ali. Syrien, vivant en France depuis avril 2019, je viens de la Ghouta orientale près de Damas et j’ai 27 ans.” C’est ainsi, sur un ton mesuré, que se présente Anas. Ce qui frappe à la première rencontre avec lui, c’est le calme de son expression verbale, la douceur de ses gestes et la sérénité dans son regard, tout cela contraste avec la rudesse de son récit.

      Anas a connu la Révolution syrienne, en 2011, puis la guerre jusqu’en 2018, année pendant laquelle il s’est réfugié en France. Lorsque la Révolution éclate, en 2011, 

tous les médias et journalistes étaient pro-gouvernementaux”. Il se retrouve acteur de l’Histoire, par la force des choses et débute sa vocation de photojournaliste, “A chaque manifestation quotidienne il n’y avait aucun journaliste. J’ai commencé par filmer avec mon téléphone, ayant pris cette habitude, les gens m’ont appelé journaliste. Cette activité est ainsi devenue mon métier.” Anas a appris sur le tas pendant les événements. Au début, il développe cette activité de photojournaliste via les réseaux sociaux et un média syrien “peu renommé”. “ Au début, je filme pour les gens parce que j’adhère au mouvement, mais au bout de trois, quatre ans je fais comme tous journalistes, ayant appris sur internet, et en ayant fait ma profession, sans donner mon avis personnel. Avoir cette éthique journalistique expose les journalistes au danger des groupuscules de l’opposition syrienne un peu partout dans le pays. C’est ce qui m’est arrivé moi-même lorsque Faylaq al-Rahmane [La Légion du Tout Miséricordieux ») un groupe islamiste rebelle] m’a arrêté pendant deux jours. On m’a libéré uniquement grâce au soutien des ONG. En 2014 Jaych al-Islam (L’armée de l’Islam, un groupe rebelle de la guerre) m’a contraint de signer un engagement dans lequel j’atteste ne plus interview les ancienes détenus maltrétaites dans leur geôles”.  

Quand nous lui demandons s’il utilisait son propre nom et exprimait sa propre opinion il nous confie n’avoir révélé son identité qu’après trois, quatre ans. Comme dans tout régime despotique, la surveillance est omniprésente : “Dans chaque ville en Syrie il y a des collaborateurs, mais on ne sait jamais vraiment qui…” Les premières représailles n’ont pas tardé. Dès la première année sa famille en est le témoin direct : “Fin 2011, la police secrète, les moukhabarat sont venus chez moi et deux de mes frères. J’ai eu de la chance, je n’étais pas là, mais après cela j’ai dû me cacher sept mois.” Le régime de Bachar al-Assad veille, il est particulièrement visé en tant que photojournaliste mais également ses frères. “Quand ils venaient chez nous ils disaient que s’ils nous attrapaient ils enverraient nos têtes coupées. “Si on l’attrape on t’enverra sa tête morte”, disaient-ils à mon père. C’était les services secrets.” 

Pendant quatre ans, Anas a vécu le siège dans sa ville de Kafr Batna. “Le siège a commencé en 2013. Après on a eu les attaques chimiques, jusqu’à sa fin. Encerclés par les militaires, il nous était impossible de partir.” Durant ce conflit Anas nous narre avoir été au plus près des combats, entre les rebelles, l’armée du gouvernement et les russes. “J’étais photojournaliste dans les quartiers où il y avait des affrontements”. Ce travail était son quotidien, “si on a un travail avec un média on travaille, sinon on filme quand même parce qu’il y a forcément quelque chose qui va se produire, quelqu’un qui meurt ou une action importante, donc il faut toujours être prêt à filmer. L’appareil photo était toujours avec moi.” 

Durant sept ans vécus au plus près de la guerre, il explique avoir eu de nombreux problèmes, avec le régime qui le recherchait mais aussi avec les russes, le hezbollah, les iraniens… Lorsque la police secrète est venue le chercher, il s’est caché pendant sept mois, changeant sans cesse de cachette. Après la reprise de sa ville par les forces de Bachar Al-Assad soutenues par les Russes, il a été déplacé dans une ville au Nord de la Syrie. Rester était impossible. “ Les gens manifestaient depuis 2011. Si nous restions, nous étions morts ou prisonniers, il n’y avait pas d’autre choix, Certains sont restés, aujourd’hui ils sont en prison ou bien morts.” Son pays est désormais déchiré entre les influences étrangères, “Les turcs, les russes, les américains, les iraniens, chacun veut quelque chose de mon pays.

Anas a dû quitter sa ville au cours d’un déplacement forcé organisé par les militaires syriens et russes, comme soixante mille autres personnes. Il a dû payer 700 € à des passeurs pour pouvoir fuir en Turquie, en échappant aux militaires turcs. “J’ai fait comme les petits enfants. J’ai rampé par terre pendant 15h, devant éviter les militaires Turcs, toutes les nuits, et on se cachait la journée.” Une fois en Turquie il s’est envolé vers la France après avoir fait sa demande de visa obtenu en 3 mois, auprès de l’ambassade de France en Turquie. 

Quand on lui demande comment s’est déroulée son arrivée en France, Anas nous répond “C’était dur. La première année en France a été compliquée.” Il lui a fallu huit mois pour intégrer ce qui est désormais chez lui, la Maison des journalistes. Mais il a évidemment connu les déboires de tout exilé dans un pays inconnu et dont il ne parle pas la langue “ Chaque semaine ou chaque mois je me déplaçais chez mon ami ou chez une personne. Ne pas parler anglais, ni français, ne connaître personne…ce fut un peu compliqué la première année en France.” 

S’il reconnaît que “la première année en France c’était dur,” il affirme que “Maintenant ça va, je suis calme, j’apprends toujours le français.” Anas se qualifie de journaliste-citoyen. Cependant en France il ne peut continuer sa vocation à plein temps et doit travailler dans d’autres domaines pour vivre : “Je travaille avec les personnes âgées depuis un mois. Ça ne fait pas longtemps mais ça va, je suis heureux de travailler.” Il n’a pas renoncé à sa profession de journaliste et compte bien continuer à l’exercer : “L’an prochain je vais étudier la photographie, en ce moment je prépare le dossier pour m’inscrire à Paris 8.” Cela peut sembler ironique, ayant filmé la guerre au plus près pendant sept ans, de devoir ensuite étudier un métier déjà pratiqué, “Je pense avoir l’avantage de mon expérience.” nous répond-il modestement. Quand nous lui demandons s’il est confiant pour son admission il semble serein pour la suite, “Pour l’instant je suis étudiant à l’université, l’assistante sociale m’a dit de ne pas m’inquiéter et de rester calme, qu’on allait s’occuper de mon dossier. Mais ça va pour l’instant je ne m’inquiète pas car je sens que de bonnes choses arrivent.”

Malgré d’autres possibilités, il a choisi de rester en France. Il explique son choix, et nous rappelle que notre pays, pour beaucoup d’exilés et de réfugiés dans le monde, est un idéal, “la France c’est le pays qui nous accepte quand on vient par la Turquie, il n’y a pas d’autre pays. Mais, une autre raison est que la France est le pays des libertés. Beaucoup de gens rêvent d’y venir.” D’autres destinations en Europe lui ont été conseillées, mais Anas dit avoir tenu à rester ici, “Le premier mois ici en France, beaucoup d’amis m’ont conseillé, “ ne reste pas ici en France, pars en Belgique ou en Allemagne ”, j’ai dit non, je veux rester en France.” Les propos d’Anas peuvent toucher notre sensibilité patriotique mais nous rappellent aussi notre devoir vis-à-vis des valeurs humanistes qu’inspire notre pays, “Je trouve que les lois pour les réfugiés, pour les étrangers sont plus claires en France. Quand on voit le gouvernement du Danemark, qui souhaite renvoyer les réfugiés en Syrie.” 

De ses photos prises en Syrie, Anas explique qu’il ne les montre pas à tout le monde, de temps en temps à certains de ses amis intéressés, mais il ne les a jamais montrées aux médias français. “ Parfois il y a des médias qui viennent ici mais je n’aime pas leur en parler parce que je me sens mal, ils vont nous voir comme un cake, comme un gâteau : “Waouh toi Syrien tu as fait cela, plus jeune tu as été photojournaliste”. C’est normal, mais moi je me sens mal par rapport à cela.” Le regard de l’autre peut être dur voire violent. Quand on lui demande s’il a subi du racisme en France il répond “ je vois toujours des gens très gentils. J’ai beaucoup d’amis français gentils avec moi. Je n’ai jamais été victime d’actions bizarres.” Il retient cependant un épisode marquant, partagé par beaucoup de ceux qui viennent d’arriver en France et qui souhaitent travailler et commencer une nouvelle vie, celui de la confrontation avec l’administration de Pôle emploi. “ J’ai dit que je voulais travailler en tant que photojournaliste, elle m’a dit “Non tu ne peux pas.” J’ai demandé pourquoi et elle m’a dit que je ne parlais pas vraiment français.” Continuer son travail de journaliste ici en France, alors qu’il commençait à peine à apprendre le français, semblait inconcevable pour le personnel de l’administration française. “Elle m’a dit que le métier de photojournaliste serait trop difficile pour moi et que les français étudiaient 3 ou 4 ans pour le devenir. Moi j’ai dit que j’ai travaillé 8 ans mais elle m’a dit que ce n’était pas une bonne idée.” “Lorsque je lui ai demandé de répéter une de ses questions car je ne comprenais pas certains mots, elle m’a dit “C’est la France, il faut parler français.” Moi je parle français avec vous et je l’ai vécu comme du racisme.” Pour beaucoup de journalistes exilés en France, il est presque impossible de continuer, ils se voient donc souvent proposer d’autres métiers, plus “accessibles”, qui n’ont rien à voir avec leur vocation. “Elle m’a dit, ne travaille pas en tant que photojournaliste, va travailler comme électricien car il y a beaucoup d’argent, tu n’as pas besoin de parler français, tu travailles avec les arabes.”

Lorsque nous l’interrogeons sur un éventuel retour en Syrie, quand la guerre et les troubles seront passés, il nous répond assez catégoriquement, “ je pense que non.” Puis il hésite un peu, il nous dit que, peut-être, plus tard, il pourrait revenir pour sa famille “ juste pour les voir”. Les siens, il ne les a pas revus depuis son arrivée en France. Ses frères avec leurs femmes et leurs enfants y sont toujours : “ ils sont au calme, ils ont leurs enfants, ils travaillent… mais pour les autres familles comme mes parents la situation est compliquée, parce qu’ils sont à Damas.”

Au moment de clore notre entretien nous lui demandons s’il possède quelque chose qui lui rappelle son pays. Il part un moment puis revient avec un livre. Il nous montre Paroles de Jacques Prévert et tient à nous faire la lecture d’une partie d’un poème du recueil, “Dans ma maison”, tout en expliquant ce qui lui rappelle sa propre histoire. 

 


 

Dans ma maison

Dans ma maison vous viendrez

D’ailleurs ce n’est pas ma maison

Je ne sais pas à qui elle est

Je suis entré comme ça un jour

Il n’y avait personne

Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc

Je suis resté longtemps dans cette maison

Personne n’est venu

Mais tous les jours et tous les jours

Je vous ai attendue


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PORTRAIT. Meiirbek, journaliste kazakh exilé : «Continuer à écrire, c’est les protéger»

Meiirbek est né en 1984 en Chine mais a émigré, dès ses 22 ans, au Kazakhstan. Là-bas, il était ingénieur dans une entreprise pétrolière. Rien ne le destinait vraiment à s’engager dans une lutte pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. Et pourtant, en 2018, plusieurs de ses proches disparaissent un à un : l’un de ses professeurs, quelques collègues… Très vite, il comprend que ces derniers ont été emmenés dans des camps de concentration chinois.

  •   Par Clémence Papion, étudiante en Master de Droit International Public et Ange Fabre, étudiant en Droit et Science politique, stagiaires à la Maison des journalistes. 

Lorsque Meiirbek comprend que ses proches disparus sont déportés en camp de concentration, il décide  de s’engager dans la lutte pour révéler les agissements des autorités chinoises . Il rejoint donc une association pour la défense des droits humains au Kazakhstan : Atajurt Kazakh Human Rights. En son sein, il a participé à faire connaître des victimes, mais aussi des familles de victimes sans nouvelles d’un de leurs proches.

En 2019, le responsable de l’association est arrêté. « Le gouvernement kazakhe a des relations très proches avec le gouvernement chinois ». Allant encore plus loin dans la répression, les forces de l’ordre kazakhes ferment les bureaux de l’association et prennent tous les ordinateurs. Pour continuer à se faire entendre, tout en essayant d’éviter de se faire emprisonné comme son responsable, Meiirbek décide de créer un compte sur plusieurs réseaux sociaux sous une fausse identité. « J’ai créé un compte qui s’appelait Erkin Azat, Erkin, en turc ça veut dire liberté, et Azat, en persança veut aussi dire liberté ». Même les collègues de Meiirbek ne sont pas dans la confidence : « Je n’aime pas le dire aux autres. Si je le fais, peut-être que le gouvernement kazakhe le saura, et après ils me chercheront. On ne sait jamais qui travaille pour qui. »

Ce compte lui a été plus qu’utile. « Au sein de l’association, après avoir interviewé des victimes, on a contacté des médias, notamment au Kazakhstan. Mais ils n’en voulaient pas, ils ne veulent pas se mêler de ce qui touche à la Chine. Le gouvernement contrôle les médias au Kazakhstan. Toutes les infos que nous recevons ont été triées. » Des médias ont commencé à s’intéresser aux histoires qu’il racontait, aux témoignages qu’il relayait. « C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à recevoir des menaces, aussi bien par le gouvernement Kazakhe que par le gouvernement chinois. J’ai reçu des messages sur Messenger qui disaient « Votre responsable a été arrêté, le prochain sur la liste, c’est vous. Attention » ».

Le responsable de Meiirbek est finalement libéré au bout de quelques mois, après la pression importante  d’Amnesty International par le biais d’une pétition. Se sentant encore en danger, ce dernier émigre aux États-Unis. De son côté, Meiirbek continue sa lutte au Kazakhstan.

Afin de mieux comprendre le contexte de persécution des minorités ethnique au Xinjiang, Meiirbek nous explique la situation. « Xi Jinping est élu en 2012. C’est un dictateur. Lors de sa deuxième année de mandat, il commence à arrêter ses opposants politiques. C’est là que des camps ont commencé à être créés, en 2016 donc. À partir de septembre 2018, il a commencé à arrêter non seulement les opposants politiques, mais également plusieurs minorités présentes en Chine telles que les Ouïghours ou les Kazakhs. Pourquoi ? Pour créer une unité chinoise, une population totalement homogène, sans différence. Dans ces camps il faut parler chinois, aucune autre langue n’est acceptée. Comme excuse à ces arrestations, Xi Jinping évoque le terrorisme. Mais tous ceux que je connais qui ont été enfermés dans ces camps n’étaient pas des terroristes, le problème c’est leur appartenance ethnique.»

Grâce aux interviews qu’il a menées, Meiirbek sait que les personnes enfermées dans ces camps sont soumises à du travail forcé entre 10 et 12h par jour. « Surtout de la couture, et il faut aller vite. Il y a un quota de vêtements à produire par jour, et s’il n’est pas atteint, le salaire est réduit. Cette histoire de salaire, c’est pour faire beau sur le papier, mais chaque excuse est bonne pour le réduire : un retard, une couture de travers, un rythme trop lent. Si bien qu’à la fin du mois, le salaire est réduit à néant et ils ne reçoivent rien. »

Outre ces informations sur le travail forcé, Meiirbek a découvert des pratiques impensables visant à limiter le plus possible l’accroissement des minorités. Au fil des interviews, ce qui s’apparentait à de simples vaccins pour éviter les maladies au sein des camps, s’est finalement révélé être une campagne de stérilisation de masse. « C’est vraiment un génocide, on cherche à mettre définitivement fin à une ethnie, une population. Le pire, c’est que si une femme arrive dans le camp alors qu’elle est enceinte, même de sept ou huit mois, ils lui font subir un avortement. »

C’est avec beaucoup de force que Meiirbek nous raconte ces histoires qui font désormais parties de lui. Révolté par ce qui se passait autour de lui, il mène une lutte sans relâche, mettant sa propre liberté en péril. Alors que les menaces deviennent de plus en plus importantes, Meiirbek établit un contact avec plusieurs associations et médias français, ainsi qu’avec l’Ambassade de France au Kazakhstan. Grâce à leur aide précieuse, il a pu se réfugier en France où Amnesty International, France 24 et l’AFP l’ont directement dirigé et mis en contact avec la Maison des Journalistes. Au mois de mai 2019, Meiirbek en devient résident. Le choix de la France est comme une évidence pour lui : « En Belgique, on parle français au sein des enceintes de l’Union Européenne. En Suisse, on parle français au sein des enceintes de l’Organisation des Nations Unies. Donc je pense que le français est important pour moi, pour continuer mon travail, c’est pourquoi j’ai choisi la France. »

Ici, Meiirbek compte bien continuer sa lutte pour les Droits de l’Homme. « Je participe à beaucoup de manifestations, d’ailleurs j’ai encore été menacé en juin 2020 par un individu qui devait être proche du gouvernement chinois, dans la rue, comme ça. Il m’a posé beaucoup de questions. Heureusement, lorsque j’ai reçu ma carte de citoyenneté, la préfecture m’avait donné un numéro où appeler si j’avais un jour besoin d’aide. Je les ai appelés et le préfet de police l’a fait arrêter, mais il a fui. » Cette lutte, il ne la consacre pas seulement aux répressions menées par le gouvernement chinois. Il s’intéresse à toutes sortes de débats. Il explique de manière posée et réfléchie « Au Kazakhstan au début, nous avions pas mal de libertés. On avait Skype, Facebook, mais maintenant c’est devenu plus dur. Petit à petit l’étau se resserre sans qu’on s’en rende compte. Une telle répression, ça ne se fait pas d’un coup. Alors quand j’ai entendu parler de la loi Sécurité Globale en France, je me suis dit qu’il fallait manifester, pour empêcher le développement d’un processus de limitation des libertés. Donc je soutiens les droits de l’Homme pour tout le monde, même français et européens ».

Meiirbek interviewé en marge d’une manifestation, à Paris

Devant tant de détermination et d’engagement se pose la question des menaces subies par la famille. Les parents de Meiirbek, ainsi que deux de ses frères vivent au Kazakhstan, « Pour eux tout va bien ». Mais un de ses frères et sa sœur, eux, vivent en Chine. « Lorsque le gouvernement chinois a découvert l’identité d’Erkin Azat, c’est-à-dire moi, ils sont allés les voir et les ont menacé. Ils savaient que j’étais hors de portée alors ils leur ont dit que si jamais je continuais de rédiger des articles, c’est eux qui seraient enfermés. Mais je ne céderai pas. Continuer à écrire, c’est les protéger, car ainsi tout le monde est au courant. Si je me taisais, c’est là que ça deviendrait dangereux pour eux, et pour toutes les minorités. C’est ce qu’ils cherchent, étouffer le sujet. »

Lorsqu’on lui demande s’il pense que la situation pourra un jour s’améliorer en Chine, il apparaît mitigé. « Vous savez, la répression est de plus en plus grande. Toute excuse est bonne pour emprisonner quelqu’un : avoir dit As-Salam Aleykoum, être rentré dans une mosquée, avoir posé des questions aux forces de l’ordre lorsqu’on ne comprend pas pourquoi on fait l’objet d’un contrôle… Désormais, même les Han chinois peuvent être emprisonnés. Ils sont pourtant la population majoritaire au Xinjiang, région où les camps se sont développés.». D’un autre côté, il est certain que le fait que le sujet de l’enfermement des Ouïghours se développe au sein de la communauté internationale est une bonne chose. « Moi j’ai encore des contacts en Chine, et ils m’indiquent que la situation s’améliore un peu. Si on continue d’en parler, la pression s’intensifiera pour la Chine et elle sera obligée de ralentir cette politique de répression ».

Après deux ans de vie à la Maison des Journalistes, Meiirbek a désormais son propre logement en région parisienne. Motivé, il tient à perfectionner son français afin de pouvoir demander la nationalité française, pays qu’il qualifie comme sa “troisième patrie”. A ce sujet, il souhaite nous lire un texte qu’il a rédigé : « Qu’est-ce que la France m’a donné ? », un poème en hommage au pays qui lui a offert l’asile. Une fois la nationalité acquise, il souhaite intégrer une formation de journalisme. « Je suis citoyen-journaliste moi, je n’ai pour l’instant aucun diplôme en la matière. Mais c’est dans cette voie que je veux poursuivre ».


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Hong Kong. L’Apple Daily, symbole d’une presse à l’agonie

Le quotidien Hongkongais Apple Daily a annoncé jeudi 17 juin 2021 la fin de parution du journal, confirmant un peu plus l’agonie de la liberté d’expression dans la région administrative spéciale chinoise.

  •   Par. Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à la rédaction de l’Oeil de la Maison des journalistes. 

Ce journal incarnait l’esprit du mouvement pro-démocratie à Hong Kong et doit la fin de sa parution aux manœuvres de Pékin. Cela confirme la tendance dans la région où le principe “un pays, deux systèmes” sera bientôt un souvenir. Les libertés dont jouissaient les Hongkongais disparaissent les unes après les autres. 

L’emprise de Pékin sur Hong Kong se durcit de jour en jour. Tout d’abord, le 4 juin les autorités chinoises ont interdit la commémoration annuelle des évènements de Tian an Men. Cette première mesure brutale vient renforcer un contexte de répression des aspirations démocratiques. En effet, depuis un an désormais la loi de sécurité nationale, contre laquelle les hongkongais se sont battus l’année passée, est effective. Cette loi a considérablement renforcé les pouvoirs de la police qui, pour tout motif de soutien à Taiwan, au Tibet, au Xinjiang ou à l’indépendance de Hong Kong, peut perquisitionner sans mandat, arrêter, supprimer ou censurer tout contenu en ligne subversif. Depuis le 24 juin, c’est cette fois le principal journal d’opposition au pouvoir exécutif à Hong Kong qui a cessé son activité. L’emprise de Pékin sur l’ancienne colonie britannique se resserre et la liberté de la presse se meurt. 

Le jeudi 17 juin, les policiers effectuaient une intervention au siège du quotidien, confisquant ordinateurs, bloc notes et disques durs et arrêtant cinq cadres du journal. Les autorités de la région administrative spéciale ont également gelé les avoirs du propriétaire de l’Apple Daily, le milliardaire pro-démocratie Jimmy Lai. Ce dernier a été condamné en mai dernier à 14 mois de prison. D’autres procès et probables condamnations l’attendent pour avoir encouragé les manifestations contre la loi de sécurité nationale en 2019 et 2020 ainsi que pour être le propriétaire d’un quotidien de presse très critique envers Pékin.  Cinq cadres de l’Apple Daily ont été arrêtés pour collusion avec des forces étrangères en vue de porter atteinte à la sécurité nationale de la Chine. 

Le propriétaire de l’Apple Daily est aujourd’hui enfermé, il a été condamné en avril dernier à 14 mois de prison pour sa participation aux manifestations de 2019, d’autres procès l’attendent. Le quotidien est également privé de ses fonds par le gel des fonds économiques de son propriétaire Jimmy Lai  et de ses rédacteurs, il était prévisible qu’il cesse toute parution. L’Apple Daily a finalement écrit sur son site internet le 23 juin  : “Apple Daily a décidé que le journal cessera ses activités à partir de minuit et que le 24 juin sera son dernier jour de publication”. Le dernier tirage de l’Apple Daily a connu un record de vente historique, plus d’un million de journaux écoulés, signe que la population de Hong Kong ne reste pas indifférente. Le rédacteur en chef de l’Apple Daily, Fung Wai-Long, a été arrêté le dimanche 27 juin à l’aéroport au nom de la loi de sécurité nationale. Il tentait de quitter le territoire, il est désormais le septième cadre du journal détenu par les autorités.  

Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, les libertés ne cessent de se réduire comme peau de chagrin sous l’impulsion du Parti Communtse Chinois qui souhaite faire disparaître l’exception politique que constitue Hong Kong en Chine. La liberté de la presse y est particulièrement menacée depuis plusieurs années. En 2002, Hong Kong figurait à la 18ème place au classement annuel de la liberté de presse établi par Reporter Sans Frontières, aujourd’hui la région autonome occupe le 80ème rang, la Chine en est au 177ème sur 180 pays. 

 


En 1997, le Royaume-Uni rétrocède à la République Populaire de Chine le territoire de Hong Kong qu’il administrait jusqu’alors depuis les guerres de l’opium. Au moment de la rétrocession, Deng Xiaoping, alors leader de la République populaire de Chine prévoit que soit établi le principe “un pays, deux systèmes”, à Hong Kong le système capitaliste sera préservé par exception sur le territoire chinois pour les cinquante ans suivant la rétrocession. La ville jouit du statut de « Région administrative spéciale » et a longtemps bénéficié d’un système politique, législatif et économique différent du reste de la Chine. Cependant depuis plusieurs années ces libertés politiques ne cessent de se morceler. A Hong Kong, le chef de l’exécutif, aujourd’hui Carrie Lam, n’est pas élu au suffrage universel mais par un conseil électoral composé de manière favorable à Pékin, les députés au Conseil législatif ne sont que 20% à être élus directement par la population Hongkongaise.  

Depuis la rétrocession de 1997, les droits de la liberté de la presse se réduisent. 

Alors que la presse était libre et florissante à la fin des années 1990, aujourd’hui, le dernier quotidien d’opposition parmi la quarantaine de journaux officiellement disponibles à Hong Kong a mis la clef sous la porte.


 

La chef de l’exécutif à Hong Kong, Carrie Lam a déclaré au sujet des mesures prises contre le quotidien que «Critiquer le gouvernement de Hong Kong n’est pas un problème, mais s’il y a une intention d’organiser des actions incitant à la subversion du gouvernement, alors bien sûr, c’est différent». L’argument est là : selon l’exécutif Hongkongais les critiques proférées par l’Apple Daily à l’encontre du gouvernement chinois sont des “tentatives de subversion du gouvernement”.  Ce terme flou qui peut regrouper n’importe quel acte un tant soit peu critique permet désormais aux autorités hongkongaises de censurer brutalement la liberté de la presse, en s’appuyant sur la loi.

 L’Union Européenne et les Etats-Unis ont critiqué ces mesures, demandant de cesser ces atteintes manifestes à la liberté de la presse et la liberté d’expression. Carrie Lam a tenu à contredire dans la foulée ces accusations,  “N’essayez pas d’accuser les autorités de Hong Kong d’utiliser la loi sur la sécurité nationale comme un outil pour supprimer les médias, ou pour étouffer la liberté d’expression (…) Toutes ces accusations portées par le gouvernement américain, je le crains, sont fausses.” Ces affirmations ne nous disent cependant pas en quoi le droit à la critique exercé par le quotidien impliquait de prendre de telles mesures ni en quoi les accusations occidentales sont fausses. Tout porte à croire que la loi de sécurité nationale est bel et bien un outil de contrôle des médias à Hong Kong, les mesures brutales prises contre l’Apple Daily et son propriétaire en sont une preuve accablante. 

Alors que le mouvement de 2019 à Hong-Kong avait fait naître de l’espoir pour l’avenir de la région face à l’ombre de Pékin, l’horizon semble aujourd’hui bien sombre pour la liberté dans la zone administrative spéciale. La Chine continentale étend son emprise sur l’ancienne concession britannique et les libertés dont jouissaient les habitants de cette dernière s’éteignent à petit feu, devant une communauté internationale apathique. 

 


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Mamadou Bhoye Bah en Guinée: une lutte contre la corruption (PORTRAIT 1/2)

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000.

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000. L’un de ses professeurs travaille dans une radio de la capitale guinéenne. Fasciné, Mamadou tente très vite de lui démontrer son intérêt pour le domaine, ce qui lui vaut un droit d’accès en tant qu’observateur plusieurs fois par mois dans les locaux de la radio. Mamadou en est persuadé, il a trouvé sa voie. Les perspectives sont claires, après le lycée, il s’inscrira dans une école de journalisme.

Toujours très lié à son professeur, qu’il avoue même considérer comme un « demi-dieu », il suit ses conseils et poursuit une licence en droit des affaires. « J’avais déjà le verbe, et il le savait. Mais une formation en droit serait un réel atout par rapport à d’autres journalistes ». Il obtient donc sa licence en 2012, et développe le projet d’enseigner. Le jeune guinéen en est persuadé, journalisme et enseignements sont liés. Il évolue dans le processus de formation et dans les concours afin d’obtenir son matricule d’enseignant.

Mamadou à la radio rurale de Pita

Mais alors qu’il obtient le concours avec brio, son nom ne figure pas sur la liste des étudiants intégrant la fonction publique. C’est là que débute le combat de Mamadou contre la corruption en Guinée : « Certaines personnes ont le bras long et quand tu as un bras dans l’administration on peut facilement te pistonner ».

 Un combat contre l’injustice 

Seule la moitié des étudiants ayant réussi le concours a été engagée, et Mamadou n’en fait pas partie. Il ne compte pas se laisser faire et comprend très vite que ces places, sa place, ont été données à des individus haut placés, n’ayant jamais validé toutes les étapes nécessaires pour obtenir le matricule, en échange d’une somme d’argent versée au ministère. « Certains d’entre eux n’avaient même jamais mis un pied dans une école ». Un long travail d’investigation débute alors pour Mamadou. Il rencontre plusieurs personnes de l’administration, se présente en tant que journaliste, et demande à voir différentes listes : celle des admis au concours, celle des différents stages effectués par chacun, celle des recrutés à la fonction publique. Il finit, après avoir insisté pendant plusieurs jours, par les obtenir. Face à ces listes, Mamadou le sait, il doit garder des traces, commencer à collecter des preuves matérielles qu’il pourra montrer au grand public. « Avec l’administration, ce sont les actes qui parlent ». Dans un élan d’adrénaline et de courage, et alors qu’il est seul dans un bureau pour consulter ces listes, il court dans un autre bureau pour faire des photocopies des pages les plus importantes. Ces photocopies, il les cache dans sa veste. Il revient tranquillement dans le bureau, repose les originaux, et s’en va. C’est la première fois qu’il est confronté à un tel travail d’investigation.

Mamadou interviewe des femmes productrices de légumes dans la banlieue de Pita.

Il faut maintenant exploiter ces listes. « Quand je suis sorti il y avait aussi un travail en aval, il fallait avoir toute une équipe. Mener ce combat seul c’est compliqué. » Mais Mamadou n’est pas seul, comme lui, plus de trois cent autres personnes ont réussi le concours sans être finalement titularisées. Pour les connaître, un travail méticuleux a dû être réalisé. La liste des personnes titularisées est affichée en ville. Ainsi, Mamadou vient chaque jour et observe le comportement des gens qui passent devant. Chaque air étonné, déçu, chaque signe de colère ou d’incompréhension est un indice précieux pour identifier les personnes qui, comme lui, sont victimes de la corruption guinéenne. De cette manière, Mamadou recense plus de deux cents personnes, et les invite à rejoindre sa lutte. Communications, révélations, tout un travail se déclenche. Il reçoit alors ses premières menaces, notamment de la part du chef de l’enseignement pré-universitaire. Il n’est pas question d’abandonner, Mamadou poursuit sa lutte, continue à se rendre dans des émissions, à rédiger des articles. Il lance un appel à toutes les personnes étant dans la même situation, et organise un sitting devant le ministère. Manifester fait partie de ses droits, il le sait, tout comme les quatre-cent personnes qui l’accompagnent.

Article de D. Labboyah, en date de mai 2012, faisant état du sit-in.

Le sit-in a lieu le 2 mai 2012. Le climat est tendu, la menace est grande. « On se savait sous la menace mais j’estime que c’est un combat noble ». Mamadou est la figure de ce soulèvement, il est particulièrement recherché par les autorités. Après quelques minutes seulement, il est arrêté, passé à tabac. « L’arrestation était très brutale. J’ai reçu plusieurs coups de matraque, dont un sur la main. J’avais une bague à cet endroit, elle est rentrée dans ma peau. J’étais ouvert, on voyait mon os ». Il reste en garde à vue, sans recevoir de soins pour ses blessures, pendant plus de vingt-quatre heures. Le groupe a tout de même manifesté, mais sans son porte-parole. Mamadou est finalement relâché. 

Loin d’être intimidé, il poursuit sa lutte et rencontre de grandes personnalités politiques, directement dans leur cabinet : le ministre de l’éducation ou encore le ministre de la sécurité. « J’étais assis en face d’eux, et je ne mâchais pas mes mots. Je savais que je détenais des preuves tangibles ». Plusieurs tentent de le corrompre en lui proposant de grosses sommes d’argent. Hors de question pour Mamadou qui n’hésite pas à faire part aux médias de ces tentatives pour étouffer l’affaire. « Je suis resté intraitable durant toute ma lutte contre la corruption ». Les responsables politiques le comprennent, le mouvement ne s’étouffera pas. La lutte a été efficace puisque plus de deux cents trente personnes ont été rétablies dans leurs droits.

Une victoire la lutte continue

Mamadou fait partie des personnes qui ont finalement réussi à se faire entendre. Mais comme une sorte de punition, il est envoyé à plus de quatre cents kilomètres de la capitale, dans l’une des plus petites écoles du pays, coupé de tout. C’est un moyen de le faire taire, mais c’est mal connaître le jeune guinéen.

Il réussit à se rapprocher de la capitale grâce à une mutation et saisit donc un poste dans une autre école quelques mois plus tard. Il rejoint aussi une radio, pour poursuivre sa lutte contre la corruption. 

Article de Mamadou dans lequel il dénonce la destitution des délégués scolaires

Le combat sera encore long, il le sait. L’émission dans laquelle il figure est de plus en plus connue, et Mamadou s’intéresse désormais aux personnes déchues de leur poste en raison de leurs affinités politiques, ou de leur origine ethnique. Même si les Peuls constituent l’ethnie majoritaire en Guinée, ils n’ont pas le pouvoir politique et sont considérés comme des opposants. « La politique en Afrique a été ethnicisée. Aujourd’hui en Guinée, quand tu es de cette ethnie même si tu n’es pas politicien le pouvoir te voit comme un opposant ». Mamadou est Peul, et dans le cadre de sa lutte contre la corruption, il trouve cette situation inacceptable. Il mène plusieurs interviews à ce sujet, et se retrouve à nouveau sous le coup de menaces, principalement des coups de téléphone très virulents. « Une fois, alors que je cherchais à avoir de nouvelles informations auprès de l’administration, un employé m’a menacé d’appeler la police, et de me faire arrêter ». Il est finalement contraint de quitter la Guinée en 2017, alors que les menaces s’intensifient.


Si vous souhaitez en savoir plus sur le parcours de Mamadou, restez connectés. L’épisode 2 sera publié très prochainement et fera part du périlleux parcours de Mamadou lors de son arrivée en France.


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Jean-Luc ROMERO MICHEL reçu à la Maison des journalistes

Il est environ dix heures, ce mercredi, lorsque Jean-Luc ROMERO-MICHEL fait son entrée à la Maison des Journalistes. L’adjoint à la Maire de Paris, également chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, est accompagné de son directeur de cabinet, Michel GELLY-PERBELLINI ainsi que de deux stagiaires.

L’ambiance est de suite conviviale. Darline Cothière, directrice de la Maison des Journalistes, commence la visite. Le hall retient déjà l’attention de Jean-Luc ROMERO-MICHEL “elle est belle cette exposition” en montrant les panneaux de l’exposition Cartooning for Peace. Il se retourne, remarque une seconde exposition à l’étage, mais Darline Cothière préfère garder le suspens, elle leur montrera plus tard.

Rencontre avec l’équipe de la Maison des Journalistes

La visite se poursuit, et Jean-Luc Romero-Michel fait la connaissance du personnel de la Maison des Journalistes. Antonin Tort, responsable d’action sociale et d’hébergement, explique comment il accompagne les journalistes exilés, à leur arrivée mais également tout au long de leur demande d’asile. Jeanne Albinet Chargée de mission Communication et Sensibilisation, échange avec Jean-Luc Romero-Michel sur l’importance de la sensibilisation du grand public, et en particulier des jeunes à travers le programme Renvoyé Spécial par exemple. Malgré la crise sanitaire, elle confie être heureuse d’avoir pu mener à bien la quasi-totalité des rencontres Renvoyé Spécial de l’année, dans les lycées et auprès des jeunes sous protection judiciaire. Le journaliste libanais, Ibrahim Cheaib nous a rejoint. Il revient tout juste de Marseille où il a effectué une rencontre Renvoyé Spécial et témoigne donc de son expérience : “Les jeunes ont beaucoup apprécié nos échanges et ils me l’ont fait savoir” explique t-il. “Le discours authentique de quelqu’un qui a vécu ça dans sa chair, ça leur parle”, confirme Darline Cothière. L’adjoint à la Maire de Paris soutient énormément cette initiative, et s’étonne d’ailleurs que la Maison des Journalistes ne reçoive pas de contributions de la part d’autres régions françaises alors même que Renvoyé Spécial se déplace dans toute la France. Après un regard complice avec Michel Gelly-Perbellini il indique “Nous pourrions sûrement vous aider à ce propos…”. L’adjoint à la Maire de Paris fait également la connaissance d’Hicham Mansouri, ancien résident de la Maison des Journalistes, et désormais chargé d’édition dans le média de l’association : l’Oeil de la Maison des Journalistes.

Visite des locaux, entre rires et émotions

L’équipe déambule dans les longs couloirs de la Maison des Journalistes, elle s’arrête parfois pour lire les nombreux articles accrochés aux murs. Nous montons à l’étage, puis Jean-Luc Romero-Michel s’arrête devant la fenêtre ouverte. Il lance, ironiquement, “Vous ne devez pas avoir de problème avec le voisinage”. En effet, la vue donne sur un cimetière. L’ambiance est à la rigolade, mais Darline Cothière évoque le choc de certains résidents à leur arrivée : “Certains résidents ont été choqués les premiers jours et m’ont expliqué que dans leur culture les vivants ne côtoient pas les morts. Moi je leur dis qu’il faut voir le bon côté des choses, car ils auraient pu bien être de l’autre côté !”, confie-t-elle. Cette symbolique a finalement aidé beaucoup de journalistes à accepter de vivre près des morts, cela a même aidé certains dans leur processus de reconstruction personnelle. “Depuis ma fenêtre en exil, je regarde avec envie les sépultures de Grenelle et j’entends l’écho des bien-aimés évoquer leurs tendres souvenirs.”, un extrait de l’exposition “D’ici” et plus particulièrement des propos de Hani Al Zeitani, journaliste syrien (pages 6 à 9 du Journal D’ici).

À la suite de ce passage à la fois drôle et touchant, Jean-Luc Romero-Michel découvre des photographies intriguantes, qui attirent l’œil. Darline Cothière explique qu’il s’agit d’une partie de l’exposition Alep Point Zéro, des photographies prises par Muzaffar Salman, d’origine syrienne. “Il a réussi à capturer des moments incroyables” remarque l’adjoint à la Maire de Paris. Après avoir finalement découvert les dessins que Jean-Luc Romero-Michel avait repéré dès le début de la visite, et illustrant la liberté de la presse et sa répression, l’ensemble du groupe descend au sous-sol pour y découvrir la bibliothèque et la cuisine.

Échange avec les résidents et anciens résidents de la Maison des Journalistes

La visite touche à sa fin. Mais Jean-Luc Romero-Michel prend le temps de découvrir chacun des journalistes présents. Ahmad, arrivé il y a peu depuis la Syrie, tient à offrir à l’adjoint à la Maire de Paris un cadeau, cadeau qui restera secret. Il échange ensuite pendant de longues minutes avec Vianney, journaliste burundais tout juste accueilli par la Maison des Journalistes. “Qu’est ce qui vous est arrivé ?” lui demande Jean-Luc Romero-Michel, et après la réponse de Vianney, l’adjoint s’émeut : “ça ne doit vraiment pas être facile de devoir quitter son pays, et tout ce qui s’y rattache”. Les résidents acquiescent, mais Ibrahim Cheaib ne manque pas d’ajouter que maintenant qu’ils sont là, à la Maison des Journalistes, tout va mieux.

Soudain, la porte s’ouvre. Mamoudou Gaye, journaliste mauritanien et ancien résident est venu faire une visite. Jean-Luc Romero-Michel s’étonne “Vous n’êtes plus résident et vous continuez à venir ?”, “Bien sûr, la Maison des Journalistes, ça a été ma Maison, mais c’est aussi une famille. J’y reviendrai toujours de temps en temps” confie Mamoudou.

L’adjoint à la Maire de Paris parle de la Maison des Journalistes comme d’un sanctuaire : “Chaque centimètre carré de mur est utilisé, ça rend le lieu unique”. Avant de partir, Jean-Luc ROMERO-MICHEL souhaite rappeler que la protection des droits humains et notamment de la liberté d’expression est une lutte de tous les instants. “La pandémie a été un prétexte pour réprimer et punir les voix dissidentes. La régression n’a pas touché uniquement les régimes autoritaires mais aussi des pays démocratiques”, affirme-t-il en donnant l’exemple de la France avec la loi Sécurité globale (le Conseil Constitutionnel a finalement censuré les articles les plus controversés).

Un échange profond et très intéressant qui s’est soldé par la réaffirmation du soutien de la Mairie de Paris envers la Maison des Journalistes.

Pour en savoir plus sur la visite de Jean-Luc ROMERO MICHEL à la maison des journalistes :  Jean-Luc Romero-Michel rencontre les journalistes de la MDJ

(*) Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes


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