Semaine des ambassadeurs : le regard de la diplomatie sur le terrorisme

[Par Johanna GALIS]

Le 30 août dernier a eu lieu la journée portes ouvertes de la Semaine des Ambassadeurs, rue de la Convention à Paris. L’une des conférences proposées abordait le thème de la sécurité des pays, quand leur stabilité est mise en danger par des attaques terroristes.

©diplomatie.gouv.fr

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Quelles armes diplomatiques utiliser contre le terrorisme ? Quatre invités tentèrent d’apporter une réponse à cette question autour d’une table ronde animée par Isabelle Lasserre, journaliste au Figaro : Muriel Domenach, consule générale à Istanbul, Hélène Duchêne, ambassadrice et représentante permanente auprès de l’OTAN, Philippe Setton, ambassadeur et représentant permanent auprès de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) et du COPS (Comité de Politique et de Sécurité) de l’Union Européenne à Bruxelles, et Patrice Paoli directeur du Centre de Crise et de Soutien au Quai d’Orsay.

Le terrorisme tiraille la planète entière. Le regard des ambassadeurs, ancré au cœur du fonctionnement des pays et de leurs relations diplomatiques, peut apporter une certaine expertise sur sa gestion.
Les attaques ont pris une forme différente au fur et à mesure des années, a tout d’abord souligné Hélène Duchêne. Si l’on repense à l’attentat du RER B en 1995, qui avait été commandité par le GIA (Groupe Islamique Armé) d’Algérie, le groupe mettait en avant des revendications politiques bien précises. En ce qui concerne celles qui ont eu lieu sur le territoire français tout récemment, « Charlie » puis le 13 novembre, c’est graduellement la population entière d’un pays qui a été visée, toutes particularités confondues.

Hélène Duchêne ©acteurspublics.com

Hélène Duchêne ©acteurspublics.com

D’où un protocole d’action, pour anticiper, voire endiguer Daesh.

Pendant cette heure de discussion certaines personnes du public prennent la parole, pour interroger – et le nombre d’étudiants dans la salle se compte par brassées -, les divers moyens mis en place pour contrer cette menace.
Hélène Duchêne interviendra à nouveau, par cette phrase « Pour gagner la guerre, il faut d’abord gagner la paix ». Parce qu’une véritable guerre est mise en place contre Daesh, mais il s’agit de ne pas faire d’erreurs, pour ainsi éviter de faire basculer les pays dans une situation d’assistance alarmante, et chercher en amont à faire une coalition entre différentes entités qui pourront réassurer leur stabilité. En effet, elle rajoutera « Il y a un continuum classique dans la justice d’un Etat contre le terrorisme, de par la gestion militaire, la diplomatie, et le développement du pays ». Faire développer et communiquer ces domaines est donc un moyen essentiel pour faire barrage. Si un véritable consensus politique parvient à être créé, il y aura une politique durable et fiable pour les citoyens, et alors des résultats seront obtenus, avec en prime abord la confiance du peuple envers les dirigeants. L’accent devra donc être mis impérativement sur l’aide au développement des pays.

Muriel Domenach ©lagazettedescommunes.com

Muriel Domenach ©lagazettedescommunes.com

Muriel Domenach, déclare ensuite de son côté que le terrorisme doit se gérer dans ses flux migratoires : de par sa frontière de 900 km avec la Turquie, la Syrie et ses combattants de Daesh menacent l’équilibre de ce pays qui a connu un nombre très important d’attaques en l’espace d’un an. Consule générale à Istanbul, elle a vécu au moins quatre de ces attaques quand elle était dans le pays. Et de rajouter que la Turquie est victime de sa géographie, car elle est visée non seulement par Daesh mais aussi par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
Patrice Paoli interviendra par la suite pour souligner que les Français sont protégés par une action combinée des ambassades concernées quand ils sont à l’étranger et se trouvent la cible d’une attaque. Tout en ajoutant que des cellules de crises ont été développées au France pour apporter une assistance immédiate aux victimes, le service public Français étant mobilisé sur ce point.

Patrice Paoli ©france24.com

Patrice Paoli ©france24.com

Cependant, derrière cette lutte contre le terrorisme, nos libertés sont elles aussi remises en cause. Philippe Setton évoque la question du traitement des données personnelles, et le véritable besoin d’encadrer l’utilisation et la collecte de celles-ci dans l’Union Européenne. A quel point peut-on surveiller des citoyens pour rattraper ceux qui seraient sur le point de commettre un attentat?
Cette question, délicate, est selon lui au cœur d’une communication qui se doit d’être établie entre différents acteurs politiques et les citoyens, où il s’agirait de respecter à la lettre les traités édictés.

La conférence se termine après un peu plus d’une heure de discussion. Plusieurs mots d’ordre, pour établir un consensus juste et mesuré dans la gestion des Etats ont été évoqués pour essayer de lutter contre le terrorisme, ce fléau résolument contemporain tant il frappe de plus en plus fréquemment. A côté de la salle de conférences, où l’intervention est rediffusée sur internet, d’autres lieux de rencontre, dont un où l’on peut suivre sur grand écran la parole des invités. Le premier concours d’éloquence de la semaine des Ambassadeurs prend place peu après, où des jeunes, des « afficionados » de politique – essaieront d’obtenir par une vision et une prestance innovantes, les votes des ambassadeurs et du Ministre des Affaires Etrangères, Jean-Marc Ayrault.

Gabon : victoire à la Pyrrhus d’un fils à papa

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le fils à papa, Ali Bongo, vient de gagner les élections « sur le fil » par 49,80 % contre 48,20 % récoltés par son rival, Jean Ping. Avec de violentes contestations à la clé. Comme ce fut le cas, en 2009, quand il accéda au pouvoir par les urnes, en remplacement de son père, Omar Bongo, décédé deux mois plutôt.
A cette occasion, à Port Gentil, capitale économique du pays, bâtiments publics et marché furent brûlés, commerces pillés…

Des hélicoptères survolent l'Assemblée Nationale d'où s'élève un panache de fumée ©lemonde.fr

Des hélicoptères survolent l’Assemblée Nationale d’où s’élève un panache de fumée ©lemonde.fr

L’histoire semble donc bégayer. Car, mercredi 31, quelques instants seulement après la proclamation des résultats du vote, faite à travers une grande tension, les scènes de violences ont éclaté. Par rapport en 2009, celles-ci ont vite gagné en intensité et en étendue, car elles ont touché à la fois plusieurs quartiers populaires de la capitale. En un tournemain, les manifestants ont réussi à brûler une partie de l’Assemblée nationale. En riposte, les forces de sécurité prenaient d’assaut par hélicoptère le quartier général de l’opposant. Inédit !

Avec cette montée en puissance de la colère des Gabonais et face à la détermination du pouvoir à défendre ses intérêts, on n’en est déjà qu’aux frémissements d’une insurrection. Toutes proportions gardées, il en était ainsi de la prise de la Bastille, en 1789 ou de celle du Palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, en 1917.
Pour le Gabon, ce pays d’Afrique centrale, deux fois moins grand que la France, et peuplé de plus d’un million et demi d’habitants, les causes ne sont que plus apparentes.

Il s’agit, d’abord, de la théorie qui démontre que « le pouvoir use ». Ali Bongo, qui a succédé à son père, après 42 ans de règne, en constitue un archétype idéal. Le septennat qu’il vient de consommer amène ce chiffre à quasiment un demi-siècle de direction suprême du pays. Est-ce dans un monde où le mot démocratie, qu’on le veuille ou non, a tendance à devenir culte, sinon à se sacraliser. Or, dans les trois pays africains où « les fils à papa » se sont emparés du pouvoir (RD Congo, Togo et Gabon), ceux-ci ne sont autrement perçus que comme des usurpateurs à la tête des « dynasties dévoyées ».

Un militant de l'opposant Jean Ping brandit un drapeau du Gabon, le 31 août 2016 à Libreville. © MARCO LONGARI / AFP

Un militant de l’opposant Jean Ping brandit un drapeau du Gabon, le 31 août 2016 à Libreville.
© MARCO LONGARI / AFP

Avec, au Gabon, une situation spécifique, où « le roi est nu » : la majorité des caciques du régime ayant déserté le Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir. Au rang desquels le général Ngari, un des cousins du président, et considéré comme gardien du temple du clan Bongo. Sans oublier André Mba Obamé, ancien ministre de l’Intérieur et « pote » du chef.

En clef de voûte, se trouvent l’union – bien que de circonstance – de principaux partis de l’opposition -, la méfiance de l’Eglise Catholique et l’inimitié sournoise des pays voisins comme le Congo et la Guinée Equatoriale. Ce dernier pays aurait eu partie liée avec l’opposition, à travers un appui financier.

Au regard de tous ces éléments, on s’aperçoit que la position du fils à papa gabonais est au ras des pâquerettes et que « La Maison Bongo » n’est plus, désormais, une citadelle ni inexpugnable ni honorable. En fait, cette victoire à la Pyrrhus ne manquera pas de peser sur le rapport de forces entre un pouvoir esseulé et un peuple méfiant. Le Burundi en est un exemple parlant. L’autre conséquence est à situer en externe : une aubaine pour les à fils à papa en exercice (RD Congo et Togo) qui y trouveront une jurisprudence pour s’incruster au pouvoir. Et, une belle promesse pour ceux qui se préparent à y faire leur entrée (Ouganda et Guinée Equatoriale).

Visite du Musée Albert-Kahn : la paix des peuples à l’épreuve du temps

[Par Johanna GALIS]

Que racontent donc ces végétaux en leur majesté ombrageante?
Quelles vertus relatent-ils à travers leur douce chorégraphie…
ainsi menée par le vent ?
Sont-ce des paroles augurantes ou le récit de leur trace séculaire?

Ces arbres demeurent le symbole d’une nature meurtrie qui s’époumone
reclus dans un bastion précaire, à l’abri de « celui » qui la saccage puis la préserve

Zéphyr et brise bousculent alors les feuillages de leur souffle salvateur
Que racontent donc ces murmures?

Nadia Ben Slima, « Les arbres me parlent, dit Idir »

C’est par une chaude après-midi de la fin du mois d’août que la Maison des journalistes s’est rendue au Musée départemental Albert-Kahn, à Boulogne.  L’occasion de profiter des jardins à l’architecture variée qui entourent le site et de voyager à travers le temps dans une exposition et des photographies datant du début du XXème siècle, appelées autochromes.

© Nahid Sislam

© Nahid Sislam

Une petite quinzaine de journalistes des locaux de la rue Cauchy – des actuels mais aussi des anciens résidents – étaient présents sur place. La visite commença par une présentation d’un homme au projet ambitieux, résolument philanthropique : celui du banquier français Albert Kahn. Il fit voyager, entre 1909 et 1931, des photographes d’époque sur plusieurs continents, majoritairement l’Asie et l’Europe. Il appela ce projet « les Archives de la Planète », étant persuadé qu’il fallait garder la mémoire de cultures qui seraient vouées à disparaître avec le temps. La Maison des journalistes a pu voir projetés sur une carte du monde quelques un de ces autochromes, vestiges d’une époque où les traditions de vie étaient plus ancrées et reliaient les peuples. L’ensemble de la collection, soit 72 000 autochromes, est d’ailleurs disponible sur un site d’open data consultable depuis le Musée ou bien de chez soi. La visite se poursuivit par une exposition temporaire de photographies autour du thème du rituel : des populations variées venant d’Italie ou bien des chefs de tribus y figuraient l’importance du déguisement ou de la procession comme rite de vie.

©Lela Lashki

©Lela Lashki

Les journalistes partirent par la suite visiter l’étendue des jardins du Musée. Albert Kahn avait eu cette idée : celle de faire cohabiter divers types de jardins aux arbres et végétation variés, dont une petite forêt vosgienne, un jardin japonais moderne, une petite forêt « bleue », un jardin à la française puis un autre à l’anglaise. Il souhaitait ainsi montrer que différents mode de vie, à l’image des arbres et plantes qui se développent dans les règles d’un espace donné, pouvaient cohabiter malgré leur différences. Tout comme les différents peuples de notre planète, qui à l’image de ces jardins, pourraient vivre pacifiquement.

La visite du Musée Albert-Kahn est apparue comme un message de paix, nécessaire pour nos journalistes en ces temps perturbés, où les raisons mêmes de leur fuite sont reliées à de la violence.

Pour voir le site du Musée et jardin départementaux Albert-Kahn, cliquez ici

Ci-joint les photos de Nahid Sislam, Lela Lashki, et Tijani Check:

©Nahid Sislam

©Nahid Sislam

 

©Lela Lashki

©Lela Lashki

©Tijani Chekh

©Tijani Chekh

La bâtarde d’Istanbul, un livre d’Elif Shafak

[Par Khosraw MANI, envoyé spécial du Festival de Cinéma de Douarnenez]

Une petite trace dans un passé oublié. C’est cette trace que la romancière Elif Shafak cherche dans son livre controversé, La bâtarde d’Istanbul, paru en 2006 en Turquie et traduit deux ans plus tard en français. 

Couverture du livre ©canablog.com

Couverture du livre ©canablog.com

À Istanbul, Asya, « bâtarde » de 19 ans, tombée en amour avec Johnny Cash et passionnée par l’existentialisme français, est la fille de l’une des quatre étranges sœurs Kazançi : Zeliha, la tatoueuse, Banu la clairvoyante, Cevriye l’institutrice et Feride l’obsédée par la survenue d’un désastre imminent. Trois autres personnages installés aux États-Unis complètent l’intrigue : Mustafa, son épouse arménienne, et leur fille, Armanoush.

Puis Armanoush part clandestinement à Istanbul où elle rencontre les quatre sœurs Kazançi et Asya. L’amitié naissante entre les deux jeunes femmes va faire voler en éclats un secret bien gardé : comment les deux familles ont été liées à l’époque du génocide arménien de 1915… Accusée par le gouvernement d’insulter la turcité et de raconter des histoires fausses, Elif Shafak, née en 1971 à Strasbourg, est la nouvelle voix de la littérature turque sur la scène littéraire mondiale.

[Pour lire les autres articles de nos envoyés spéciaux dédiés au 39ème Festival de Cinéma de Douarnenez, c’est par ici.]

Une étrange impression dans ma tête, un livre d’Orhan Pamuk

[Par Khosraw MANI, envoyé spécial du Festival de Cinéma de Douarnenez]

C’est cette strophe d’un poème de William Wordsworth qui pourchasse Mevlüt pendant quatre décennies de sa vie troublante.

Orhan Pamuk ©checksbalances.clio.nl

Orhan Pamuk ©checksbalances.clio.nl

Mevlüt Karataş, fils d’un vendeur de yaourt et de boza, quitte son village natal très jeune, afin d’aider son père qui vend cette boisson traditionnelle dans les rues et les ruelles d’Istanbul. Ses aventures, de 1969 à 2012, entrent en résonnance avec le récit d’une époque troublée : les transformations sociales, les coups d’Etats militaires, les conflits politiques.

Mevlüt fait son service militaire, tombe amoureux, il est trompé par son propre cousin, il voit disparaître un passé chéri et fait l’expérience de la métamorphose pénible de sa ville. Mais il reste le simple vendeur de boza qu’il a toujours été, gardien de cette vieille tradition ottomane.

Après Mon Nom est Rouge, Istanbul et Neige, Orhan Pamuk, lauréat du Prix Nobel, vient de livrer son dernier opus, plus contemporain que le premier, plus profond que le deuxième, plus impressionnant que le troisième. Orhan Pamuk fait, avec Istanbul, ce que James Joyce a fait il y a presque un siècle avec son Dublin imaginé : il recrée la ville à la lumière du hüzün, le nom turc de la mélancolie, qui hante Istanbul.

A paraître bientôt en français.

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Mes vacances avec l’association JRS : fraternité et partage

[Par Rahima NOORI]

L’association JRS (le Service Jésuite des Réfugiés) a démarré ses cours d’été le 28 juin 2016. Elle a organisé des cours de français qui durèrent un mois, et qui nous furent fort utiles et intéressants. Nous avons appris à progresser en français grâce à des méthodes de conversation, mais aussi grâce à de la musique, en jouant sur des instruments et en chantant, en faisant du sport et en profitant de la forêt pour y faire des promenades ou y organiser des jeux.
Quand l’école d’été pris fin l’association JRS organisa deux séjours de vacances, l’un à la Vialle dans le Gard et l’autre à Penboc’h en Bretagne.

 

©Rahima Noori

©Rahima Noori

Penboc’h est un endroit magnifique, les mots me manquent tant cet endroit est beau. Les vacances furent menées de main de maître par Marcela et Cathy. Elles firent en sorte de bien nous intégrer, de nous y laisser aussi la liberté d’exprimer nos sentiments, ; nous y avons appris de nouvelles choses et avons pris part à de multiples jeux.
Etant donné que les réfugiés viennent de différents pays où la situation est très conflictuelle, et rencontrent de nouveaux problèmes en France où ils tentent de survivre pour recevoir des allocations tout en tentant d’obtenir l’accord du gouvernement français pour obtenir un droit de résidence, la plupart d’entre eux sont désespérés. De telles vacances les aident beaucoup. Quand je posai pied en France, je fus très déçue car je ne connaissais personne. Quand une personne arrive dans un nouvel endroit elle a besoin d’une autre personne pour la guider. Le premier mois j’ai beaucoup pleuré tant je me sentais perdue.

© Rahima Noori

© Rahima Noori

Pendant ces vacances j’ai rencontré des personnes incroyables qui m’apportèrent de l’espoir et m’aidèrent à résoudre certains de mes problèmes.  Par exemple Cathy, qui est l’une des organisatrices de JRS : elle m’encourageait toujours à parler pendant les discussions de groupe et m’envoyait beaucoup d’ondes positives. Il y a eu aussi Marcella qui m’a toujours montré qu’elle pouvait partager ma peine, étant mère elle-même, parce que je suis loin de mon fils.
J’ai rencontré aussi Clémence, qui a envoyé mon dossier à une université. Elle a résolu mes problèmes d’études. C’est une très gentille femme. Christine, une femme charmante qui est devenue mon amie. Je reviens sur Cathy encore, c’est  une belle femme avec beaucoup d’amour. Et enfin Pascaline, une femme énergique, quand nous jouions de la musique elle chantait et dansait, et je recevais son énergie.
Nous quittons Penboc’h remplis d’amour.

Guinée : l’impossible réforme des forces de sécurité et de défense

[Par Sékou Chérif DIALLO]

Tuer ou se faire tuer relève de la banalité quotidienne en Guinée. La tradition d’une violence d’état en Guinée est un fait politique constant et une problématique récurrente: héritée du purgatoire sékoutouréen, entretenue par l’anarchisme militaro-civil au temps de Lansana Conté, amplifiée pendant la parenthèse comique mais surtout tragique de Moussa Dadis Camara, elle est aujourd’hui téléguidée par des unités de police et de la gendarmerie à la solde du pouvoir civilo-répressif d’Alpha Condé.

©lemonde.fr

« Vous ne voulez pas des militaires, on va vous donner une leçon »  publiait dans un rapport en 2010 Amnesty International, dans lequel une victime faisait état des propos d’un membre des forces de sécurité présent à la répression du 28 septembre 2009 où plus de 150 personnes ont été tuées et des centaines de femmes violées.

En rappelant un tel propos en rapport avec l’épisode douloureux traité dans cet article, les esprits réducteurs, amnésiques et politiquement alignés de Conakry s’empresseront de rétorquer que le professeur Alpha Condé a réussi à réformer son armée. Donc l’illustration serait dépassée ?

Effectivement, la grande illusion entretenue par le pouvoir de Conakry consiste à réduire la réforme des forces de sécurité et de défense à deux évènements qui ont eu un grand écho médiatique, mais fort discutables, parce qu’insignifiants en tant que tels: tout d’abord une armée moins visible dans les rues, comme le vanteraient les argumentateurs de l’Etat, puis une mise à la retraite de plus de 4000 militaires. Des mesures correctes certes, mais incomplètes sans association avec d’autres instruments dissuasifs, notamment les poursuites judiciaires des auteurs de violences au sein de l’appareil sécuritaire.

L’efficacité de toute réforme dans le contexte guinéen implique la nécessité de rompre la chaîne de la violence par la justice. Dans le cas contraire, elle se résumerait à une simple opération d’endormissement à courts termes des démons de la violence qui ont toujours hanté l’appareil sécuritaire du pays.

Si la mise à la retraite de plus de 4000 militaires a été qualifiée de réforme majeure voire d’ « audacieuse » par certains, force est de reconnaître qu’elle l’est d’un point de vue budgétaire, comme le soulignait substantiellement dans une interview l’ancien ministre de la défense Abdoul Kabélè Camara : « Depuis 1958 des militaires étaient enrôlés dans les forces armées et continuaient encore à émerger jusqu’en 2011. Nous avons pu déceler tous ces cas et avec l’aide des Nations-Unies, nous avons pu accompagner en douceur 3929 militaires. »

Dans une interview sur RFI, Alpha Condé, célèbre pour ses approximations informatives dignes d’un profane, partage cette lecture budgétaire de la réforme : « Il s’agit de corriger les dysfonctionnements afin qu’à partir de maintenant […] on paye les effectifs réels et qu’on ne paye pas les salaires fictifs. »

Dans un contexte où le gouvernement avait de la peine à mobiliser les ressources financières nécessaires à cette réforme, dont le coût était estimé à près de 30 millions d’euros, et que les partenaires internationaux privilégiaient l’appui matériel et technique, au grand désespoir des autorités qui s’attendaient vraisemblablement à une injection budgétaire, une telle opération de chasse aux « fictifs » se justifiait. Considérée comme l’un des gouffres budgétaires les plus importants du pays, là où la corruption relève d’une normalité administrative très appréciée, l’institution militaire traîne les mêmes tares de la mauvaise gouvernance globale.

Cependant, la réalité nous apprend que cette mise à la retraite de militaires n’a nullement contribué à débarrasser les forces de sécurité et de défense des brebis galeuses qui continuent de plus belle leurs razzias comme en territoires conquis, avec la même arrogance, celle de se prendre pour des « citoyens supérieurs. »

A la lecture des motivations premières de la partie gouvernementale de cette réforme, notamment la récupération du manque à gagner budgétaire et l’éloignement territorial des militaires qui jouaient à « Zorro » dans la capitale par crainte d’une résurgence de la tradition de coup d’Etat que le pays a connu, on reste cependant outré par le fait que les questions des droits de l’homme, de la justice en général et des réparations, soient reléguées au second plan. Dans le contexte d’un Etat impuissant ayant une tradition de coup d’Etat et de complots, face à une armée affairiste et profondément politique, le chantage est un instrument de rappel de la vulnérabilité des institutions. Et la petite bourgeoisie militaire qui change en fonction de la couleur du régime veille au grain pour perpétuer l’impunité au sein de la forteresse et s’enrichir sur le dos du contribuable guinéen. Une attitude qui fait penser à une sorte de pacte d’immobilité en contrepartie d’une immunité garantie et d’un traitement de faveur.

Certes, la psychose de coup d’Etat tourne en boucle dans les esprits des gouvernants. Cependant, soulignons un fait qui semble faire cas d’école en Afrique. Les échecs dans la gestion des coups d’Etats enregistrés ces dernières années en Afrique (Guinée avec son Dadis national, Mali avec son Sanogo, Burkina Faso avec son Diendéré) par les putschistes eux-mêmes semblent adoucir les velléités aventureuses de nos chers putschistes. Aujourd’hui, les populations africaines sont conscientes que tout coup d’Etat est un recul démocratique car le seul terrain de combat légitime reste les urnes malgré ses multiples fraudes, qu’il s’agit de combattre aussi.

©guineenews.org

Alpha Condé ©guineenews.org

C’est dans ce contexte de dérives, de manques, de violations, de dépendance et avec les mêmes interlocuteurs nationaux, parce qu’éternels demandeurs d’aides de tout genre avec des relents paternalistes évidents que le Sénat français a adopté le 7 juillet 2016 un projet de loi « autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. » Cet accord, selon le rapport soumis à la commission pour examen par M. Jeanny Lorgeoux, est le prolongement de celui signé en 1985 qui n’est « jamais entré en vigueur, faute de ratification par la partie guinéenne. »
M. Jeanny Lorgeoux qui est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, une commission présidée par Jean Pierre Raffarin aborde certains aspects de cet accord en présentant des éléments de contexte plutôt intéressants.

Sur la présidentialisation du régime de Alpha Condé

« Avec la réélection du président Alpha Condé pour un second et dernier mandat en novembre 2015, le pays semble relativement stabilisé, même si l’on assiste depuis quelques semaines à une présidentialisation du régime et si les élections communales prévues au 1er semestre 2016 ont été reportées au mois d’octobre 2016 »

Sur le sureffectif d’officiers

« La politique nationale de défense et de sécurité de la Guinée a été validée fin 2013 et une loi de programmation militaire pour 2015-2020 a été adoptée en 2014 – son financement risque cependant d’être difficile. L’armée guinéenne composée d’environ 20 000 hommes fait en particulier face à un problème de sureffectif d’officiers »

Sur le caractère « soviétique » de l’armée guinéenne

« L’objectif global est d’atteindre un effectif de 15 000 hommes en 2020. L’équipement et la formation en sont les autres points faibles. L’armée guinéenne conserve par certains aspects un caractère « soviétique », avec un fonctionnement centralisé à l’extrême et des postes de surveillance répartis sur tout le territoire. À cela, il faut ajouter une gestion des ressources humaines inexistante et une chaîne de commandement très faible »

Sur un accord « nouvelle génération »

« Il s’agit d’un accord très similaire aux accords de défense « nouvelle génération » passés depuis 2008 avec d’autres pays africains, comme les Comores, la Centrafrique, le Togo, le Gabon, le Cameroun, le Sénégal, Djibouti et la Côte d’Ivoire. Il ne comporte pas en revanche d’annexe décrivant les facilités opérationnelles accordées aux forces stationnées sur le territoire de l’autre Partie car la France n’a pas de forces stationnées ou de bases permanentes en Guinée. »

Une lecture extérieure est toujours édifiante sur les réalités de nos Etats. Sachant que les dirigeants africains ne se confessent qu’à une oreille extraterritoriale, il est parfois intéressant d’en accorder une certaine importance sans pourtant tomber dans la naïveté des querelles d’intérêts et des positionnements stratégiques qui motivent les acteurs nationaux ou internationaux.

A la lecture de ce rapport, on s’aperçoit aisément que sur l’effectif de l’armée guinéenne, un flou artistique caractérise les statistiques réelles. Ce qui nous pousse à la conclusion que l’effectif réel est méconnu. « 35 000 ? 45 000 ? Personne ne le sait, pas même les membres du cabinet présidentiel. » L’effectif de l’armée guinéenne est une équation à plusieurs inconnues. Et si la réforme commençait par le recensement ? Oui ! En octobre 2011 débutait à Conakry une telle opération. Les résultats ? Des « fictifs » retrouvés comme d’ailleurs, le présageaient nos confrères du site guineeconakry.info dans un article sur la question : « la grande muette, à l’image de la fonction publique recèle de nombreux fictifs ou d’hommes n’étant plus de ce monde, mais dont la disparition n’a jamais été signalée et prise en compte dans les dépenses militaires. »

Réformer par la formation ? Avec quelles thématiques ? Sachant que le militaire ou tout autre agent de sécurité guinéen adore davantage les films de guerre où il se projette en personnage de « Rambo » plutôt qu’en tant que citoyen normal investi d’une mission de protection, la tâche sera rude de séparer le bon grain de l’ivraie. En Guinée, pour beaucoup de personnes, le choix d’intégrer les forces de sécurité a été une option par défaut quand elles ont raté d’autres choix.

©20minutes.fr

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Réformer par la restructuration ? Dans un pays où la restructuration est confondue à une réaffectation de personnel dirigeant, il va falloir de la pédagogie pour convaincre les autorités qu’une structure peut être pérenne et le personnel changeant sans que cela n’entame les bien-fondés de son existence.

Réformer par la radiation ? Pourquoi craindre la radiation de militaires ou d’agents de sécurité des effectifs officiels ? Chaque corps de l’armée, de la police et de la gendarmerie dispose de règlements intérieurs qui statuent sur les dispositions de radiation. Les lois de la République aussi ! Au sein des forces de sécurité et de défense le contraste est saisissant entre un officier qui est très bien formé et le délinquant de quartier devenu par la force des choses, agent de sécurité, j’allais dire d’insécurité.

Réformer par le démantèlement et la suppression de certaines unités ? Réputées dans la répression violente d’une simple manifestation démocratique, des unités de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont bâti leur macabre réputation dans la conscience collective des guinéens. Elles s’appellent CMIS (compagnie mobile d’intervention et de sécurité), BAC (Brigade anti-criminalité), BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) et tant d’autres. De par leur mauvaise réputation, la suppression ou la redéfinition de leurs missions est un impératif d’une réforme plus efficace.

Dans le contexte guinéen, se démarquer des injonctions des pouvoirs publics et assumer sa mission première, les forces de sécurité et de défense restent toutefois un boulet que traînent les autorités quand elles s’illustrent dans des massacres ou menacent la stabilité du régime et une marionnette quand elles contribuent à mater toutes formes de résistances internes pour garantir la survie des régimes dictatoriaux.

Dans l’attente de voir un jour les forces de sécurité et de défense guinéennes dans une dynamique républicaine et respectueuse des libertés fondamentales, les populations continueront à subir les traditionnelles exactions et violations des droits de l’Homme.