Le grand retour de l’identité nationale

[Par Frédéric ROY]

Au moins un sujet sur lequel la présidence socialiste nous aura permis de souffler. Avec le retour des présidentielles, le grand déballage sur l’identité nationale reprend. Avec lui tout un lot de propos conservateurs qui  ravivent le « c’était mieux avant ».

Le buste de Marianne, symbole de la République française Source : Reuters

Le buste de Marianne, symbole de la République française
Source : Reuters

Le fameux « c’était mieux avant » ne tient que pour l’équivalent français des WASP étasuniens. C’était, en effet, peut-être mieux avant pour les hommes de 30 à 50 ans, blancs et en bonne santé. Pour les femmes, les noirs, les handicapés, les juifs, les arabes et les homosexuels…, ce n’était sûrement pas mieux avant. Malheureusement, les décideurs et les politiques appartiennent encore en grande majorité à ceux pour qui c’était mieux avant. Ils nous servent donc de grands discours et voudraient qu’on débatte sur l’identité nationale, sur ces valeurs qui faisait de la France la grande nation qu’ils regrettent.

Il y a pourtant une chose dont on doit être sûr : c’est que l’identité n’est pas figée, rien ne sert donc de vouloir la définir puisque le temps qu’on le fasse elle aura évolué. Beaucoup peuvent, contraints ou non, changer de nationalité, d’autres de genre, de statut, de rôle et même d’origine. Etre né français puis grandir breton et vieillir européen est tout à fait envisageable. Alors les conservateurs rétorqueront que l’identité nationale n’est pas la synthèse des identités individuelles. Toujours est-il que définir l’identité, ne présente pas d’intérêt particulier, puisque notre regard se portera nécessairement sur le passé.

Ces questions d’identité nationale et de sa sacrosainte préservation marquent les positions en matière d’accueil des étrangers et fait resurgir le clivage intégration/assimilation. L’assimilation projette de faire rentrer dans le moule tous ceux qui, non français, voudraient rester en France, il faudrait donc que les étrangers adoptent les valeurs, les traditions et les coutumes de leur terre d’accueil, celles d’il y a 30 ans de surcroît !

L’assimilation est pauvre, elle n’est pas curieuse, pas ouverte, elle ne réfléchit plus et fait s’enliser la nation dans un entre-soi réducteur, elle est passéiste. L’intégration doit se penser, se repenser et évoluer au gré de l’identité des accueillis. Elle exige le maintien d’une réflexion qui fait d’ailleurs la vitalité d’une nation. Elle est tournée vers le futur. Force est bien sûr de constater que tout n’a pas fonctionné et que notre système d’intégration doit sans cesse évoluer. Il doit se régénérer mais abolir l’intégration au profit de l’assimilation est malheureusement aussi populiste que dangereux. Assimiler ou intégrer, c’est se contenter de ce que l’on est ou anticiper ce qu’on sera.

Burundi : le Général Ndayishimiye, « terminator » des FNL

[Par Elyse NGABIRE]

Quatre ans à la tête du parti de l’Aigle, Pascal Nyabenda est remplacé avant le terme de son mandat par un ancien homme fort du maquis : le général Evariste Ndayishimiye. Du coup, le plan « Safisha » est réactivé, déclare Aimé Magera, porte-parole d’Agathon Rwasa, leader historique des Forces Nationales de Libération (FNL).  

Agathon Rwasa (en polo rayé) pendant une visite à l'intérieur du pays Source : iwacu-burundi.org

Agathon Rwasa (en polo rayé) pendant une visite à l’intérieur du pays
Source : iwacu-burundi.org

« Durant les trois semaines que le parti CNDD-FDD est sous le contrôle total des anciens maquisards qui ont échoué complètement à se transformer en hommes politiques, nous avons documenté plus de 65 cas de violations graves des droits de l’homme », constate Aimé Magera, porte-parole de M. Rwasa, premier vice-président de l’Assemblée nationale.

Inacceptable, dit M. Magera, qui s’inquiète de l’enlèvement, de la disparition, de la torture et des assassinats perpétrés contre leurs militants. Des chefs de collines (à plus de 60% sont FNL), poursuit-il, sont abusivement arrêtés. Motif : non collaboration avec la milice de la jeunesse Imbonerakure du parti au pouvoir.

Plus grave, remarque Aimé Magera, c’est lorsque des éducateurs et enseignants des collèges et lycées, membres du parti FNL, sont arrêtés en pleine rue par leurs propres élèves qui sont dans les rangs de cette milice sans convocation. Aimé Magera raconte qu’ils sont tabassés, ligotés, humiliés comme des brigands devant parents et autres élèves, puis jetés en prison ou disparaissent tout simplement. Leur seul péché, fait-il savoir, est d’avoir adhéré au parti d’Agathon Rwasa : « Le but du pouvoir est de les humilier, les réprimer et les déshumaniser. »

Le général Evariste Ndayishimiye Source : yaga-burundi.com

Le général Evariste Ndayishimiye
Source : yaga-burundi.com

La situation s’est considérablement dégradée, raconte le porte-parole d’Agathon Rwasa, depuis que le général Evariste Ndayishimiye assure le secrétariat du parti au pouvoir : « Nous inscrivons cette recrudescence de la violence dans la logique, somme toute, dictatoriale d’un pouvoir à l’agonie, qui n’épargne personne. »

D’après Aimé Magera, c’est l’exécution du plan Safisha des années 2010 qui se poursuit où des centaines de fidèles de M. Rwasa ont été arrêtés, torturés, puis jetés dans des rivières. Aujourd’hui comme hier, leurs bourreaux, insiste-t-il, sont des miliciens du parti CNDD-FDD au pouvoir, le service des renseignements et les forces de l’ordre : « Ils s’en prennent indistinctement à tous ceux qui s’opposent au maudit troisième mandat de Nkurunziza. »

Depuis longtemps, Aimé Magera indique que son camp a condamné ces tueries qu’ont subis beaucoup de Burundais non acquis à la cause du pouvoir CNDD-FDD, spécialement leurs militants qui sont les premiers à subir les foudres de la dictature du système Nkurunziza, en vain : « Malheureusement, ils continuent d’endurer les affres de cette milice Imbonerakure, dont le seul dessein est de ramener de force tout le monde à adhérer à leur parti. »

Aimé Magera, porte-parole d'Agathon Rwasa Source :

Aimé Magera, porte-parole d’Agathon Rwasa
Crédits photo : Elyse Ngabire

Ainsi, son parti saisit cette occasion pour dénoncer encore une fois ces exactions. Il présente toute sa sympathie envers les familles endeuillées depuis plus d’une décennie et spécialement durant cette période de contestation contre ce 3e mandat de trop, maudit, illégal et inconstitutionnel de Pierre Nkurunziza.

Nous déplorons et dénonçons toujours les arrestations arbitraires, les tortures, les exécutions extra-judiciaires et autres sévices dont souffrent la grande majorité de la population non acquise à la cause du CNDD-FDD, notamment celle de vouloir se positionner en parti-Etat. Cela se passe au moment où les Burundais aspiraient à jouir des dividendes d’une démocratie épanouie, dont ils ont payé le plus lourd tribut durant les longues crises qui ont secoué leur pays : le Burundi.

Contacté pour s’exprimer sur ces bavures commises par la milice Imbonerakure, le président de la Ligue des jeunes du parti CNDD-FDD riposte toujours que la responsabilité pénale est individuelle : « Il faut mettre les noms sur les visages pour éviter toute généralisation, toute globalisation. »

La rédaction a essayé de joindre le nouveau patron du parti présidentiel burundais sans succès.

Au moment où nous mettons sous presse, on apprend que 15 autres militants ont été victimes d’arrestations dans le nord, le centre et le sud du pays. Selon toujours Aimé Magera, ils sont accusés de tenir des réunions illégales du parti. Pour M. Magera, c’est presque une prise en otage de leurs militants qui n’ont même pas le droit de rendre visite à leurs familles. Plus grave, conclut-il, Agathon Rwasa, leader historique des FNL et premier vice-président de l’Assemblée nationale est empêché par les autorités provinciales (Ngozi, sa colline natale, ndlr) de visiter sa famille alors qu’il y a 30 ans qu’il ne l’a pas revue : « Nous sommes dans une République bananière ! ».

La liste (non exhaustive, selon M. Magera) des militants FNL séquestrés depuis que général Ndayishimiye est secrétaire du CNDD-FDD

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Noam Chomsky : la dissidence comme moyen d’éveil

[Par Johanna GALIS]

Il existe peu d’intellectuels reconnus aujourd’hui et considérés d’entrée de jeu comme des penseurs dissidents. Si l’on regarde le paysage médiatique qui nous entoure, peu d’entre eux sortent du « moule de la position à prendre » envers un sujet donné. Ils préfèrent choisir un camp dans un débat, sans oser publiquement avoir le recul nécessaire pour réfléchir à la fabrique, aux origines-mêmes de ce qui fait que le sujet qui fait tant gloser a été mis sur la table.

Affiche du documentaire Requiem for the American Dream ©kpfa.org

Affiche du documentaire Requiem for the American Dream ©kpfa.org

Noam Chomsky fait partie de ceux qui prennent une certaine distance sur la machine médiatique – étatique, aussi. Il parle de « la fabrication du consentement », dans un essai ainsi nommé, co-rédigé avec le sociologue Edward Hermann. Notre place dans la société occidentale est ainsi vivement critiquée : nous serions modelés par les intérêts des puissants, qui sont à la tête de grands médias, pour que notre manière de vivre aille dans le sens de leurs propres bénéfices.

Un requiem pour une société différente

Le documentaire Requiem for the American Dream des réalisateurs Peter D.Hutchison et Kelly Nyks est actuellement diffusé sur la plateforme de streaming en ligne Netflix. Il propose de nous introduire à certains thèmes majeurs de la pensée de Chomsky, notamment quand celle-ci se fait critique de la société américaine. Sa vision peut cependant s’appliquer à nombre d’Etats occidentaux.

Le sociologue et linguiste commence par dresser un constat terrible. Nous sommes entrés progressivement dans une dyade vicieuse : nous formons de manière complètement passive une alliance néfaste avec ceux qui concentrent à eux seuls la plus grande partie des richesses et des pouvoirs de notre société. Cette infirme partie de la population, celle qui détient de très grosses fortunes, modèle l’idéologie et façonne le consentement d’un peuple dont elle détient les rennes. Elle peut être associée aux institutions financières et aux multinationales par exemple. Dans son essai La Richesse des Nations (1776), l’économiste Adam Smith affirme que « les principaux acteurs du politique sont ceux qui détiennent la société » : et en effet, grâce à un mouvement progressif lancé depuis les années soixante-dix, l’économie a bougé sur un aspect crucial ; elle s’est financiarisée. En 2007, plus de quarante pour cent du PIB (Produit Intérieur Brut) des Etats-Unis est basé sur la spéculation financière.

Noam Chomsky pendant le mouvement Occupy Wall Street en 2011 ©en.wikipedia.org

Noam Chomsky pendant le mouvement Occupy Wall Street en 2011 ©en.wikipedia.org

Il n’est cependant jamais aisé de maîtriser une population par la force. C’est là que l’industrie du marketing et de la publicité interviennent, pour créer de faux besoins chez l’individu qui devient un consommateur passif. Dès les années vingt, des pages de mode ont été insérées dans les journaux et magazines pour distraire le lecteur et prendre l’espace d’importants sujets de société. De quoi laisser son esprit critique en veille et diriger les masses vers des choses plus superficielles, pour que les dirigeants ne soient plus ennuyés par elles. Le peuple doit ainsi être transformé en spectateur pour ne pas participer au fonctionnement du monde qui l’entoure : d’où l’importance de sa relation aux médias qui le happent, quand il est, de manière de plus en plus fréquente, face à un écran d’ordinateur ou la télévision.

Quand le Président Obama remporta la victoire aux élections de 2008, il reçut un prix d’un institut publicitaire pour la meilleure campagne marketing proposée par un politique. Des dirigeants d’entreprise ont déclaré à ce moment là : « Les candidats se vendent comme du dentifrice auprès du public depuis Reagan ».
Et il semble bien que sans une certaine connaissance précise du monde qui nous entoure, nous n’agirons que comme des produits d’une économie qui s’est remodelée ces quarante dernières années au profit des grands. D’où l’intérêt, grâce à ce documentaire, de commencer à prendre du recul sur la manière dont on cherche à nous fabriquer.

Noam Chomsky, professeur émérite à M.I.T et dont la reconnaissance auprès du grand public n’est plus à prouver, nous incite dans Requiem for the American Dream, qui se décline sous la forme de dix principes portant sur la concentration des richesses et du pouvoir aux Etats-Unis, à éveiller notre esprit critique sur les rouages de notre monde – nous sommes incités à consommer encore plus pour nous maintenir dans un état servil. Il s’agit d’avoir un regard critique sur ceux qui manient les ficelles de ce grand spectacle. D’où l’intérêt de prendre la main sur la manière dont nous vivons car, comme disait l’historien et proche de Chomsky Howard Zinn, « Seules importent les innombrables petites actions des inconnus qui posent les bases des évènements significatifs entrant dans l’Histoire ».

Informer dans un environnement hostile

[Par Hicham MANSOURI]

Comment informer dans des pays totalitaires avec des dérives autoritaires et des dirigeants autocrates ? Tel a été le sujet traité, dimanche dernier, dans le cadre de l’évènement « Le Monde Festival ». Les directeurs et rédacteurs en chefs de trois journaux (Russie, Pologne et Algérie) ont apporté leurs témoignages et points de vue dans une rencontre animée par Sylvie Kauffmann, éditorialiste et ancienne directrice de la rédaction du Monde.

Sylvie Kauffmann, Jaroslaw Kurski, Evguenia Albats et Omar Belhouchet Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Sylvie Kauffmann, Jaroslaw Kurski, Yevguenia Albats et Omar Belhouchet
Crédits : Lisa Viola Rossi

Quelles sont les conditions de travail dans vos pays ?

L'hebdomadaire Gazeta Wyborcza Source : nexto.pl

L’hebdomadaire Gazeta Wyborcza
Source : nexto.pl

Jaroslaw Kurski, directeur de Gazeta Wyborcza en Pologne

« En Pologne, les médias publics ont été transformés en outil de la propagande »

En Pologne, il n’existe pas une réelle séparation des pouvoirs. Il n’y a que le pouvoir exécutif. Les médias publics ont été transformés en outil de la propagande. C’est le ministre du Trésor qui désigne les chefs de la télévision publique. En décembre dernier, 50 journalistes ont été virés. Les outils de répression contre l’opposition sont les renseignements et les médias publics. On peut filmer un opposant et diffuser ses images dans la télévision. Il est accusé par les médias avant d’être accusé par la justice.

Yevgenia Albats, rédactrice en chef de l’hebdomadaire indépendant Novoye Vremya en Russie

« Poutine a besoin d’informations pour éviter les erreurs du passé »

Je suis rédactrice en chef d’un magazine qui avait été créé par Staline en 1943 comme outil de propagande du régime communiste puis pour le KGB. A partir de 2007, nos anciens propriétaires ont totalement remodelé le magazine pour devenir  assez similaire à Newsweek. Ce n’est pas facile en Russie.  Il y a une semaine,  je suis allée interviewer l’un des plus anciens politiques. Je lui ai demandé « pourquoi vous ne parlez qu’à des journalistes que vous payez ?».  Il m’a répondu « car  vous représentez un magazine ennemi ! ». C’est la première fois, depuis la chute de l’Union soviétique, qu’on me dit une chose pareille !

J’ai vécu l’époque soviétique,  je sais que les choses étaient pires. Il ne reste que deux magazines indépendants, une chaîne de télé indépendante et une station radio. Le reste est détenu par le pouvoir ou par les sociétés de l’État.

La démocratie a besoin d’informations et d’analyses pour éviter les erreurs de la bureaucratie soviétique. Poutine en a aussi besoin pour éviter les erreurs du passé.

Omar Belhouchet, directeur du journal algérien El Watan

El Watan a été créé par un groupe de journalistes en 1990. Jusqu’à cette date,  il n’y avait que les journaux de l’État. Nous sortions de l’Union soviétique et du Parti unique. Les deux premières années ont été magnifiques. On a proposé aux lecteurs un autre journalisme en s’inspirant de l’expérience du journal Le Monde. Malheureusement, les choses ont tourné rapidement au drame. Avec la victoire du FIS (Front Islamique du Salut), plus de 100 journalistes ont été tués. C’était le plus grand nombre d’assassinats au monde. Après chaque enterrement, on faisait le serment de continuer.  On dit aux islamistes : on continue de travailler. Se battre pour vivre et contre le pouvoir. On est entre le marteau et l’enclume. Entre les islamistes et les militaires. On avait une vie semi-clandestine car il fallait changer d’appartement et de voiture. Mais tout cela a forgé en nous une résistance. La résistance au pouvoir et aux islamistes. Nous vivons aujourd’hui un véritable enfer avec la bureaucratie de l’État qui veut museler le journalisme et empêcher les points de vue divergents. Le pouvoir a compris que jeter en prison des journalistes est contre-productif, surtout avec l’appui de l’opinion publique et la presse internationale.  Aujourd’hui, il joue sur les questions économiques et financières. On a eu près de 200 procès. L’objectif c’est que les journalistes passent beaucoup de temps dans les tribunaux pour se fatiguer et surtout pour se décourager. Avec Al Khabar, notre journal est privé de la publicité publique et institutionnelle qui est monopolisée par l’Etat. Depuis 1994, le pouvoir a osé franchir le pas en interdisant aux entreprises publiques, via les menaces du fisc, d’acheter des espaces publicitaires dans ces deux journaux. Il y a une guerre continue menée contre les médias libres qui veulent proposer un journalisme de qualité.

Comment faites-vous pour informer dans ces contraintes tout en évitant les sanctions ? Faites-vous de l’autocensure spontanée?

Le journal indépendant Novoye Vremya Source : 4imn.com

Le journal indépendant Novoye Vremya
Source : 4imn.com

Yevgenia Albats : Je ne crois pas aux lignes rouges. Jamais, jamais ! Il y avait beaucoup de censure à l’époque soviétique. J’ai maintenant 58 ans.  Il serait mieux pour moi de quitter le domaine du journalisme et d’aller enseigner. Il y a quelque chose qui est important à connaitre pour un journaliste d’investigation. Vous devez prendre une décision très simple : vous ne serez jamais riche dans votre vie. Vos amis vont arrêter de vous appeler. Mais les gens dans la rue vont vous reconnaître. Je ne vois pas comment un journalisme de qualité peut exister avec des lignes rouges. En début d’année, on a publié un dessin de Poutine où il dit “je n’ai pas d’argent”. On a reçu un avertissement d’un agent. Chaque semaine, même chaque seconde,  je ne comprends pas comment je reste encore en vie. Une amie journaliste a été assassinée. Chaque vendredi je me dis “ c’est super,  j’ai publié un autre journal”.

Pour la publicité en Russie, même les entreprises privées vous privent de la publicité car elles craignent que le Kremlin les soupçonne de soutenir l’opposition.

Omar Belhouchet : Il n’y a pas de lignes rouges à El Watan. Plusieurs journalistes ont été assassinés par les islamistes. On a donc une responsabilité lourde. Les autorités ne nous aiment pas car on dépasse ces lignes rouges, comme sur la santé du président par exemple (rires). On a fait campagne contre un prochain mandat du président. Le régime a fait appel à un expert, qui a passé 10 ans au Maroc pour étudier comment le Makhzen a cassé les grands journaux, afin d’appliquer cela en Algérie. La police politique doit disparaître. Nos agents ont été formés au KGB. [En s’adressant à Yevgenia  Albats]. Chez vous, à cause de vous (rires). A cause de la politique économique on risque de devenir comme le Venezuela. Nous importons tout car cela permet une surfacturation et une corruption. Le niveau d’importation est exagéré : 10 millions de dollars par an. Nous importons du matériel soviétique qui est parfois obsolète.

La force de notre journal est ce que les journalistes ont fait sur le terrain à l’époque où ça allait mal. Je fais allusion au terrorisme. Les femmes journalistes sont très courageuses. 2 à 4 sur 5 ont été volontaires à cette époque pour aller sur le terrain.

Les débats à la rédaction sont très houleux. Trancher c’est écouter tout le monde.

Jaroslaw Kurski : On a déjà annoncé la nationalisation des médias en imposant un seuil de capital minimum.

La censure est surtout financière. On va vous étouffer financièrement. Depuis octobre on assiste à une chute des ventes de publicité.  Mais chez la presse de la droite, elle a augmenté à 200 % !

Comment faites-vous pour survivre financièrement?

Le quotidien El Watan Source : journal-algerien.com

Le quotidien El Watan
Source : journal-algerien.com

Omar Belhouchet : Nous avons appliqué un programme de restriction au sein de l’entreprise. On achète du papier à moindre qualité. Nous survivons également grâce au soutien de nos lecteurs. Le prix du journal à augmenté sans que cela n’affecte le nombre de lecteurs. Nous vendons chaque jour près de 130. 000 exemplaires.

Quel est votre lectorat ?

Omar Belhouchet : Notre journal est considéré comme un journal élitiste. On a fait le choix de faire un journal sérieux. Nos lecteurs sont des enseignants, des médecins, des ingénieurs…

Yevgenia  Albats : Nos meilleures ventes sont à l’extérieur de Moscou où habitent les bureaucrates. Ce sont des personnes plutôt aisées. Ils comprennent que les affaires ne peuvent pas trop espérer en contrôle direct.

 

Arabie Saoudite : La princesse Lamia Al Saud entre tradition et modernité

[Par Clara LE QUELLEC]

Invitée dans le cadre de la 3e édition du Festival du Monde le week-end dernier, la princesse Lamia Al Saud d’Arabie Saoudite s’est livrée samedi 17 septembre à une conversation avec le public, animée par le journaliste Christophe Ayad. Le studio était plein pour la secrétaire générale de la Fondation Alwaleed, organisation non-gouvernementale mal connue qui s’occupe d’actions caritatives diverses dans le pays. L’occasion de revenir ainsi sur les activités de la Fondation mais également sur la question très périlleuse des droits des femmes en Arabie Saoudite.

Christophe Ayad, journaliste au Monde et la princesse Lamia Al Saud d'Arabie Saoudite Source : Twitter

Christophe Ayad, journaliste au Monde et la princesse Lamia Al Saud d’Arabie Saoudite
Source : Twitter

Alwaleed Philanthropies a été fondée en 1980 par le prince Al Waleed bin Talal, surnommé le « Bill Gates Arabe » et la princesse Ameerah. La fondation promeut des activités humanitaires, de cohésion entre les différentes communautés, de formation pour les femmes et des programmes de développement. « Vous savez nous avons encore de la pauvreté » explique Lamia Al Saud. La princesse travaille depuis une dizaine d’années dans le domaine des médias et est également romancière.

« Des progrès en matière de droits des femmes »

Le journaliste Christophe Ayad introduit la question des droits des femmes par la problématique de la conduite des femmes en Arabie Saoudite. « C’est un obstacle dont nous nous accommodons pour le moment » répond la princesse. « Oui la voiture est importante, mais c’est plus important pour nous d’arriver à quelque chose avec nos diplômes qu’avec notre voiture ».

Femme saoudienne entrant dans une voiture à Riyad le 26 octobre 2014 Source : 20minutes.fr

Femme saoudienne entrant dans une voiture à Riyad le 26 octobre 2014
Source : 20minutes.fr

Lamia Al Saud explique que s’il est effectivement vrai qu’il est très difficile pour les femmes en Arabie Saoudite d’avoir une liberté de mouvement, « des progrès en matière de droits des femmes » ont été néanmoins réalisés. Par exemple, 56 % des étudiants aujourd’hui à l’université sont des filles et l’âge du mariage a reculé pour arriver à une moyenne de 25-26 ans. « Avant personne ne nous prenait au sérieux, ce n’est plus le cas, nous avons un rôle important aujourd’hui. Quand j’étais adolescente on ne comprenait pas pourquoi les femmes devaient avoir accès à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui nous avons des architectes, des avocates… ». La princesse raconte ainsi qu’après le décès de son père, sa mère est retournée à l’université du Caire et que la petite fille de 13 ans à l’époque l’accompagnait à tous ses cours. « Si vous avez un rêve, il faut vraiment lutter. Le diplôme n’a pas été une option pour moi mais nécessaire ».

Du temps pour changer les mentalités

L’Arabie est un pays jeune qui a moins de 100 ans. « Il faut du temps pour changer les mentalités. L’honneur c’est ce qui mène toutes les tribus et la communauté saoudienne est beaucoup plus fondée sur la tradition que sur la religion ».

Etudiantes saoudiennes en chimie à l'université Source : geo.fr

Etudiantes saoudiennes en chimie à l’université
Source : geo.fr

Que penser alors des nombreuses campagnes d’opinion réalisées à l’étranger sur la condition féminine ? « Vous savez les médias ne regardent que les points négatifs et cela m’attriste. Néanmoins, je pense qu’il est nécessaire de faire ces campagnes mais malheureusement, nous femmes saoudiennes, n’avons pas appris à comprendre l’intérêt des médias ». La question de la mixité sur le marché du travail a également été abordée. « En réalité, l’environnement au travail est beaucoup plus mélangé » mais encore une fois, pas de comparaison possible car « ce n’est pas la même mixité que chez vous. Nous avons nos propres critères, notre propre style ». Les femmes et les hommes peuvent donc cohabiter dans le même étage mais pas dans le même bureau.  

Immigration, burkini et Raif Badawi

Lamia Al Saud a été interrogée à de nombreuses reprises sur plusieurs sujets délicats. Ainsi, la question de l’interdiction de la construction d’autres lieux de cultes que ceux islamiques en Arabie Saoudite a posé débat alors que le pays attache beaucoup d’importance aux financements de mosquées à l’étranger. Pour cette question tout comme celle consacrée aux travailleurs immigrés ne pouvant pas pratiquer leur religion, Lamia Al Saud avoue « ne pas pouvoir parler au nom du gouvernement ». En revanche, son point de vue sur la polémique sur le burkini en France est clair. « Le burkini n’est pas islamique, c’est un choix politique. Il n’a rien à voir avec l’islam ». De façon générale sur les interdictions en France du voile (hijab) à l’école ou du niqab dans la rue, la princesse explique que « si l’interdiction du hijab a été pour elle une surprise » la France étant un pays de liberté de croyances, elle respecte le point de vue français sur le niqab.

Le bloggeur Saoudien Raif Badawi Source : amnestyinternational.fr

Le bloggeur Saoudien Raif Badawi
Source : amnestyinternational.fr

« L’islam n’oblige en rien à le porter. Le fait de couvrir son visage peut être un problème pour reconnaître les identités donc si c’est interdit, nous devons le respecter ».

Il est bientôt l’heure, juste le temps de prendre une dernière question. Elle sera sur Raif Badawi, ce bloggeur saoudien, très soutenu par la communauté internationale. Applaudissements dans la salle. Accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam, il est emprisonné depuis juin 2012. Il a été condamné à 1000 coups de fouet et dix années de prison. La princesse avouera alors n’avoir « pas du tout connaissance de ce cas » et « n’en avoir jamais entendu parler ».

 

Le village du monde de la Fête de l’Humanité : un endroit hors du monde

[Par Nahed BADAWIA]

La fête de l’Humanité est un événement organisé tous les ans par le journal L’Humanité au cours du second week-end de septembre. C’est une fête politique où le Parti communiste français et les divers groupements de gauche sont fortement représentés. La fête de l’humanité comprend des activités politiques ainsi que de nombreuses activités culturelles et de divertissement. Chaque année, la fête de l’Humanité accueille plus d’un demi-million de visiteurs.

Le « village du livre »

Il accueille des centaines d’écrivain venus dédicacer leurs ouvrages et des dizaines de débats. Le débat le plus important cette année était par l’écrivain Bernard Thibault qui persiste et signe à la Fête de l’Humanité : “La troisième guerre mondiale est sociale” le titre de son ouvrage connu.
Bernard Thibault, l’ancien secrétaire général de la CGT et désormais membre du conseil d’administration de l’organisation internationale du travail (OIT), a dit “La moitié de la population active ne dispose pas d’un contrat de travail et 168 millions d’enfants sont des travailleurs”. Son opinion est aussi que c’est la responsabilité des firmes multinationales, mais aussi de l’Union Européenne, du FMI, de l’OMC, du G20, de la Banque mondiale.
Le village du monde: un endroit hors du monde
L’idée de ce village du monde est une très belle idée, parce qu’on peut voyager d’un pays à un autre et d’un continent à un autre dans un même territoire sans frontières. Le village du monde est un espace dans la fête où on peut parler, discuter, débattre, danser, déguster les variétés des repas traditionnels de par tout le monde, ensemble, en communion.
Mais la majorité des débats cette année 2016 se sont passés hors du monde. Il n’y avait aucun débat autour des deux pays, la Syrie et l’Iraq, alors qu’ils sont au cœur de l’actualité.
Les débats dans ” La scène des luttes internationales” étaient:
1- UE, Otan, Russie : les Etats d’Europe de l’est et du Nord ont-ils tué l’idée de maison européenne commune ?
2- Traités de libre-échange : vers la fin du consensus néolibéral en Europe et aux États-Unis ?
3- Libérez Marwan Barghouti
4- La poussée des nationalismes est-elle irrésistible en Europe ?
5- Soirée de solidarité avec le Brésil
6- Pourquoi la France a choisi l’Arabie Saoudite comme alliée ?
7- Comment combattre Daech ?
8- Le continent africain face à la justice internationale
9- Après le coup d’Etat contre la présidente Dilma Rousseff, quelles perspectives pour la gauche brésilienne ?
Chercher ailleurs dans les petits stands

© Nahed BADAWIA

© Nahed BADAWIA

Juste quand on est arrivé à la fête de l’humanité on s’est trouvé plongés dans une manifestation pour la Palestine et les manifestants créaient: Palestine vivra, Palestine vaincra. Et on a partagé avec eux en criant ce slogan.

Nous sommes arrivés au stand du  Parti des travailleurs du Kurdistan avec les photos de son président, Abdullah Öcalan, et les panneaux pour revendiquer sa libération.

La responsable politique de leur stand , Perssim Sarhat, a répondu à nos questions (traduites du kurde par Shiyar KHALEAL):

Nahed Badawia:  Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous participez à la Fête de l’Humanité?

Perssim Sarhat :  Il y a une guerre en Kurdistan et nous on est là pour diffuser les concepts des droits humains, pour expliquer la question kurde, et pour lutter pour la libération de  Abdullah Öcalan. D’ailleurs en ce moment il y a une guerre en Rojava ou on participe contre Daech

Nahed Badawia: Que veut dire Rojava?

© Shiyar KHALEAL

© Shiyar KHALEAL

Perssim Sarhat :  C’est la Syrie »

Nahed Badawia :  Mais on dit Syrie, non? »

Perssim Sarhat : Je parle du Kurdistan de l’est.

Nahed Badawia : Participez-vous en tant que parti PKK dans cette guerre?

Perssim Sarhat : On soutient les Kurdes partout dans leur guerre; donc oui on participe à cette guerre.

Nahed Badawia : Et en Irak et en Iran?

Perssim Sarhat : Tous les kurdes sommes frères partout et en Iran il y a une organisation militaire “pjak” nous  la soutenons quand elle a besoin.

Nahed Badawia : Votre parti est contre Erdogan, pourquoi vous n’avez pas soutenu le putsch contre lui?

Perssim Sarhat : Notre parti n’était pas avec les putschistes contre Erdogan. On est contre les putschistes et contre Erdogan car ils ont voulu imposer la dictature et sont contre les kurdes.

Ensuite, on est passé à côté du stand “Les femmes solidaires” on a entendu qu’elles discutaient de polygamie, et qu’elles sont contre ce mode de vie amoureux, mais elles ne sont pas contre les femmes dans la polygamie parce que celles-ci en sont victimes.

Le stand de l’Ensemble

Le responsable politique dans le stand du groupe ” Ensemble” qui fait partie du  Front de gauche, Francis Sitel a répondu aux questions:

Nahed Badawia : Vous allez participer à la campagne électorale?

Francis Sitel ©Nahed BADAWIA

Francis Sitel ©Nahed BADAWIA

Francis Sitel : On est dans une phase de préparation de la campagne d’élections et maintenant la question de coalition pour l’élection est en débat dans l’ensemble de la gauche. Nous allons essayer de rassembler toutes les gauches qui ont combattu  la politique du gouvernement de Hollande, particulièrement concernant la Loi Travail

Nahed Badawia : Vous êtes avec la révolution syrienne pour la liberté et la démocratie?

Francis Sitel : Être avec la révolution syrienne c’est une caractéristique de quelques forces au sein de la gauche, il s’agit d’être solidaire avec la révolution syrienne et il faut combattre à la fois Daech et Bachar al Assad et ne pas, au nom du combat contre Daesh, justifier la politique de Bachar al Assad et chercher l’alliance avec lui.

Nahed Badawia : Que pensez-vous de la position de la gauche française par rapport à la Syrie ?

Francis Sitel : Les positions majoritaires  au sein de la gauche  française sont dramatiques et honteuses.

Nahed Badawia : Pensez-vous que l’ONU fonctionne bien pour la  question Syrienne? Et aussi pour la paix dans le monde en général?

Francis Sitel : Non parce que l’ONU est complétement bloquée par les vétos russe et chinois, donc elle est totalement impuissante. Et on voit tout ce qui se passe maintenant dans les négociations entre Washington et Moscou et on craint que l’effet ne soit pas positif pour le peuple syrien.

Nahed Badawia : Donc c’est une lutte commune et internationale pour changer les règles de l’ONU qui sont rédigés par les cinq vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et sont imposés sur tout le monde pour gérer la guerre froide.  Ne pensez-vous pas qu’il faut lutter ensemble pour les changer car en ce moment le monde est en train de sombrer?

Francis Sitel : Oui bien évidement, il faut mobiliser les peuple contre leurs gouvernements pour ne pas accepter l’inacceptable.

Le stand du front populaire en Turquie

Le responsable politique du stand, Deniz, a répondu aux questions:

Nahed Badawia : Pouvez-vous me donner une idée de ce qu’est votre parti?

Deniz : Le Front populaire de Turquie est un mouvement populaire révolutionnaire de gauche qui existe de  plus de 35 ans en Turquie.

Nahed Badawia : Etiez-vous avec les putschistes contre Erdogan? Et qu’elle est votre position de l’état d’urgence actuel en Turquie?

Deniz ©Nahed BADAWIA

Deniz ©Nahed BADAWIA

Deniz : Le coup d’état était perpétré par un mouvement islamiste  de Gulen par des  colonels de l’armée qui étaient opposé Erdogan. C’était un conflit d’intérêt dans le gouvernement-même : en effet, Erdogan était un allié très proche de Gulen, donc le peuple turc n’aurait rien gagné de tous les deux.

Nahed Badawia : Etiez-vous avec la révolution Syrienne pour la liberté et la démocratie?

Deniz : Nous en tant que peuple turc sommes contre l’ingérence en Syrie de notre pays,  mais le peuple syrien a le droit de revendiquer la démocratie.

 

Nahed BADAWIA et Shiyar KHALEAL © Nahed BADAWIA

Nahed BADAWIA et Shiyar KHALEAL © Nahed BADAWIA

Pour nous en tant que journalistes syriens, il semble que le jeu de carte des grandes puissances de ce monde va se faire sur le sang de notre peuple.  Nous n’avons pas trouvé la cause Syrienne dans cette fête sauf un drapeau de la révolution qui était parmi d’autres drapeaux à vendre. Nous en avons profité pour prendre une photo avec ce seul drapeau syrien, seul dans cette fête malheureusement.

A la fin, nous sommes sortis de la fête en rêvant que l’on pourra utiliser une espace public comme celui-ci dans une future Syrie libre et démocrate, qui œuvrerait pour tous les partis de gauches et pour toutes les tendances politiques.

 

Gabon : lourde atmosphère de fin de règne

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

La situation qui prévaut au Gabon, après les premières heures d’orage, fait bégayer l’histoire post-électorale de l’Afrique. Certes, avec des nuances, qui font de ce petit pays pétrolier d’Afrique centrale une véritable pétaudière. Où se mêlent, avec drame, histoire de famille, alliances d’intérêt, soif inassouvie du pouvoir… Brouillant, pour l’heure, l’horizon immédiat du pays.

Des gabonnais expriment leur colère à Libreville le 1er septembre 2016 Source : rfi.fr

Des gabonnais expriment leur colère à Libreville le 1er septembre 2016
Source : rfi.fr

A la tête de l‘imbroglio, s’opposent deux individus jadis unis par alliance : Ali Bongo, dont la réélection est contestée, et Jean Ping, l’ex-compagnon de Pascaline, demi-sœur du premier. Ancien cacique du régime. Ils se vouent, paradoxalement, une haine tenace et se battent sans concession pour le pouvoir.

Derrière eux se forment deux camps adverses animés de la même malveillance : l’opposition portée par Ping et renflouée par les transfuges (pour la plupart des proches de la famille Bongo) et le Parti démocratique gabonais (PDG) au pourvoir, dépeuplé; au rang desquels le général Ngiri, propre cousin du chef de l’Etat. Sans oublier la place qu’occupe, en Afrique, le tropisme ethnique.

Un des éléments évoqués ci-dessus n’est pas classique dans la situation qui gangrène le continent. Il s’agit de voir les membres d’une famille s’engager, à ciel ouvert, dans une bataille homérique pour le pouvoir. A l’exception de la Centrafrique et de la Guinée équatoriale. Bokassa, pour le premier pays, et Nguema, pour le second, furent chassés du pouvoir par leurs neveux respectifs, au cours de l’année 1979. Loin de l’implication du grand public, ce qui a permis d’éviter la formation des partisans et des camps, prêts à en découdre.

Ali Bongo Source : rfi.fr

Ali Bongo
Source : rfi.fr

En Côte d’Ivoire, où la situation fut des plus tragiques, avec plusieurs milliers de morts, le combat n’avait pas mis face à face des membres d’une famille ; au contraire, il avait inclus des dimensions régionales, avec un brin de tonalité religieuse :  le nord à dominante musulmane contre le sud majoritairement chrétien.

Rien de tel, au Gabon. Le bras de fer engagé actuellement entre Ali Bongo et Jean Ping relève d’un drame familial à large spectre. C’est le cas d’un groupe, en désintégration, contre un autre groupe, tous portés par un arrivisme insatiable.  Autrement dit, c’est une espèce de guerre « des mêmes contre les mêmes », car ils sont tous issus de la même matrice, forgée par la main de feu du président Omar Bongo. Mais, avec, aujourd’hui, deux leaders connotés : Ali Bongo qualifié de « fils illégitime » et Jean Ping de « Chinois », car issu d’un père chinois. A brève échéance, ils seront tous deux perdants.

Ainsi, quel que soit le verdict de la Cour Constitutionnelle, dans quelques jours, à laquelle les deux belligérants viennent de déposer leurs recours, la « question gabonaise » restera-t-elle d’actualité. Demain plus aujourd’hui.

Jean Ping Source : lexpress.fr

Jean Ping
Source : lexpress.fr

Aujourd’hui, parce qu’étant aux ordres, les Cours Constitutionnelles africaines ne disent pas le droit, mais « lisent la volonté du pouvoir » en place. Quelle serait l’issue de l’affaire en cours ? Du désordre en perspective, si l’un ou l’autre camp perdait ! Et, demain ? Alors que dans l’opposition de nouvelles ambitions auront certainement vu le jour, la lutte pour le pouvoir sera plus âpre encore. Mais, sans les Bongo.

Nous disons : sans les Bongo. Car l’atmosphère est, déjà, celle de fin de règne. Et, d’ici-là, il n’y aura plus de régimes dynastiques, en Afrique. Les Kabila, en RD Congo et les Eyadema, au Togo, au pouvoir, seront déjà passés.