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Viola italiana

Un poème de Nahid SIRAJ

Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN

(téléchargez la version originale)

Sur le pont Alexandre III, entre Invalides et le Grand Palais (crédits photo : Lisa Viola ROSSI)

Elle arrive, heureuse et libre
Se moquant des soubresauts glaçants.

Un sursaut de vie quête des silhouettes défuntes
Avant de faire naître un sourire sur ses joues
Alors qu’elle ralentit à l’approche d’un feu.

Un parfum de Seine depuis les Invalides
La cerne comme si de rien n’était,
Il y a cette jubilation quand elle redémarre
De jeter d’insistants regards à la Seine.
Il semble que leur dialogue est le même chaque matin.

Que dire aussi de cet héritage enterré de Toscane ?
De l’angoisse née d’un trop pesant changement de monde ?
Ou peut-être de l’effacement de ce qui faisait sa vie, à elle ?
Qui sait, après tout ?

Regardez. Voici donc les écoliers !
Elle fait tinter la cloche.
Un petit rire l’accompagne
Oublieux du corps qui sue
Préservant de son sourire la part d’ombre d’un destin parisien.

Retrouvant ce rythme qu’elle interprète habituellement
Elle se rappelle « Nella Fantasia »
Mue par le besoin de songer encore
A la perversité de l’existence,
Et à ces conversations qui par une impérieuse nécessité
Nous convient à parler ensemble
D’elle et du reste.

 

 

La MDJ au Prix Bayeux, Mani : «Être journaliste est une forme de responsabilité envers mon pays »

[Par Lisa Viola ROSSI]

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La rencontre avec les deux journalistes de la MDJ à la Halle aux Grains de Bayeux

Quelques heures avant la remise du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, samedi 8 octobre 2016, l’Afghanistan était à l’honneur. Pour l’édition numéro 23 de cet évènement, la Maison des journalistes a voulu redoubler les rencontres du weekend de ce rendez-vous phare de la profession, en proposant l’intervention de deux journalistes afghans réfugiés en France : Khosraw Mani et Bahram Rawshangar. Les deux qui vivent à Paris depuis à peine un an, ont pu témoigner, en français, de leur expérience de journalistes engagés à deux reprises. Le vendredi 7, ils étaient devant des jeunes et des professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse (Ministère de la Justice), dans le cadre du projet régional ELEM, porté par l’Institut international des droits de l’homme et de la paix de Caen. Le lendemain, les deux professionnels afghans sont montés sur la scène de la Halle aux Grains, pour intervenir auprès d’un public de trois-cent lycéens de Bayeux et alentours, lorsque déjà lundi 3 octobre, dans le cadre du Prix des Lycéens, d’autres six-cents étudiants avaient pu échanger avec quatre journalistes de la MDJ, exilés du Rwanda, Maroc, Tchad et Burundi, intervenant dans quatre établissements de la région, notamment à Bayeux, à Caen, à Granville et au Havre.

Deux journalistes de Kaboul, deux histoires de lutte et de résistance.
À cause de leurs activités journalistiques, Mani et Rawshangar ont été plusieurs fois menacés par les Taliban et par d’autres groupes extrémistes de Kaboul. Les menaces ont atteint leur apogée quand une jeune fille de 24 ans a été sauvagement tuée par une foule instiguée par des religieux, en plein centre à Kaboul en mars 2015. Les deux journalistes demandaient justice pour ce crime et les extrémistes ont multiplié les menaces en les contraignant à quitter l’Afghanistan à l’automne 2015.

Khosraw Mani

Khosraw Mani

« Nous sommes la génération de la guerre, nés sans pouvoir vivre notre enfance, sans se voir reconnaître des droits fondamentaux, sans pouvoir bénéficier des libertés fondamentales – explique Mani devant les jeunes de Bayeux -. Etre journaliste et écrivain est devenu donc pour moi une forme naturelle de responsabilité envers mon pays ». Diplômé en science politique et juridique à l’université de Kaboul, Khosraw Mani était journaliste pour Radio Free Europe. Il était  en charge de l’écriture des reportages d’investigation, ainsi que de la transmission des informations. Suite à une grave agression de la part des Taliban, il quitte la radio pour travailler en freelance avec la presse papier et il se dédie à l’écriture de plusieurs essais et articles sociaux, politiques et culturels pour différents médias tels que BBC Persan, Mandegar Daily News et 8am. Ecrivain ayant à son actif quatre romans déjà publiés, Mani attend la publication en français de son cinquième roman et écrit son sixième roman.

Bahram Rawshangar

Bahram Rawshangar

« La situation en Afghanistan – a analysé Rawshangar – est très grave, pas seulement pour les journalistes. Depuis quatre jours les Taliban tirent sur les habitants de Koundouz et le gouvernement, corrompu, n’intervient pas. Il y a principalement deux raisons à cette guerre : les conflits ethniques et l’idéologie fondamentaliste ». Journaliste et activiste pour les droits de l’Homme, Bahram Rawshangar est diplômé en littérature. Il commence son métier de journaliste spécialisé des questions de sécurité en 2012 quand il signe son contrat avec l’agence de presse Johmore New Agency et le quotidien Mandegar. En 2014, Rawshangar devient le responsable de la section culturelle de Civil Society and Human Rights Network, une organisation qui travaille pour la liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie. Il collabore en parallèle avec Youth Radio. Aujourd’hui il est inscrit à l’Université en Science Politique à Paris et espère continuer son métier de journaliste.

« La liberté est un état de grâce et on n’est libre que pendant qu’on lutte pour elle », disait Sepulveda. Comme nous le rappellent les témoignages des journalistes de la MDJ qui informent dans le but de démocratiser les droits et les libertés fondamentaux, conscients des risques que leur profession comporte. Depuis 10 ans le Mémorial des reporters de guerre qui se trouve à Bayeux célèbre la mémoire des professionnels qui ont perdu la vie à cause de leur métier. Cette année il a vu par ailleurs l’inauguration d’une stèle dédiée aux disparus : pour donner un chiffre,  787 reporters ont été tués ou ont disparus dans le monde depuis 2005. Parce que le métier de correspondant de guerre vise à raconter la guerre en la refusant, pour construire un monde de paix.

 

 

Crise des migrants, de Lampedusa à Paris : « L’accueil est la réponse la plus intelligente »

[Par Lisa Viola ROSSI]

« L’accueil des migrants n’est pas juste une réponse humaine, mais la réponse la plus intelligente ». C’est ce que la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, a affirmé samedi 17 septembre lors de la table ronde « Accueil des réfugiés : des maires s’engagent » animée par Maryline Baumard dans le cadre du Monde Festival, dans la salle comblée de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Intervenants à côté de la « Lionne » de Lampedusa, prix Simone de Beauvoir 2016 : la maire de Paris, Anne Hidalgo et Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, l’Office Français pour les Réfugiés et les Apatrides.
13« A ceux qui ne sont pas humanistes par conviction – s’associant à la position de Giusi Nicolini, Hidalgo – je leur dis : soyez-le par pragmatisme, parce que ça nous protège ». La maire de Paris précise : « Il faut éviter les amalgames énormes entre terroristes et réfugiés, mais il ne faut pas être naïfs : il faut voir que dans toutes ces filières il y aura des gens infiltrés. Mais la dignité de l’accueil des migrants, notamment des mineurs isolés arrivés au péril de leur vie, est un devoir, un signal, et donc une question de la sécurité ».

Face à la réalité de leurs villes, les deux maires ont appelé leurs gouvernements et l’Union Européenne à assumer leurs responsabilités. Et elles ont réussi à obtenir enfin un accompagnement concret, même si le dialogue « n’est pas toujours simple ».

Giusi Nicolini, maire de Lampedusa

« Aujourd’hui la situation a changé, Lampedusa n’est pas la seule porte d’entrée vers l’Europe en Méditerranée – fait savoir Giusi Nicolini -. La marine italienne et américaine, et les bateaux d’autre pays européens participant aux opérations comme Frontex, conduisent la plupart des migrants dans d’autres ports d’Italie. La région a enfin incrémenté les services de santé sur l’île dans l’accueil des migrants qui sont dans des situations d’urgence pour des questions liées à la traversée, ou des femmes enceintes. Cette année, nous avons enregistré un boom turistique, en faisant de Lampedusa l’exemple que l’accueil est possible. Nous, les maires de frontières, sommes en train de nous unir pour avancer des propositions unitaires afin de changer les normes d’entrée en Europe. Parce que la tragédie de la Méditerranée, 3 000 morts enregistrés cette année, est la plus grande honte dont l’Europe est en train de se rendre coupable ».

Anne Hidalgo, maire de Paris

En France, dans sa capitale, Anne Hidalgo travaille dans la même direction depuis le début de son mandat. « Lorsqu’à Paris nous avons été confrontés aux premières arrivés massifs dans l’été 2014, à la constitutions de campements sauvages un peu partout, la première réaction a été celle des associations, à porter secours et à nous solliciter, même si c’était une compétence de l’état. Bien évidemment nous étions à leur coté pour un travail de mise à l’abri, pas d’évacuation, avec une saturation de tous les dispositifs d’urgence ».

La maire de Paris ouvrira un centre d’hébergement d’urgence pour offrir aux exilés une alternative à la rue : « Il faut être réalistes et pragmatiques : il faut offrir des solutions pour orienter et aider ces femmes et ces hommes à reconstruire leur vie. Fin 2015, quand Angela Merkel a changé sa position sur l’accueil de réfugiés, le dialogue avec notre gouvernement a enfin changé. J’étais prête à mettre en œuvre un certain nombre de bâtiments de la ville pour pouvoir permettre cet accueil. Grâce au soutien de l’Etat, des préfets de la région et de la ville, à la mi-octobre, Porte de la Chapelle, nous pourrons ouvrir un centre d’hébergement où les migrants pourront se poser dans des conditions dignes, être soignés, et être enfin orientés vers d’autres dispositifs selon les besoins ».

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Pascal Brice, directeur de l’OFPRA

Un accueil digne et organisé, cela est la question centrale que Pascal Brice appelle à regarder avec lucidité : « L’accueil des réfugiés a besoin d’une mobilisation collective et politique, tout d’abord, pour amplifier les actions engagées. Parce que le droit d’asile est évolutif, même s’il est appliqué toujours dans la rigueur et dans la bienveillance : il y 4 ans, le droit d’asile était reconnu à 9% des demandeurs, aujourd’hui à 30%. Sur cette base, nous pouvons faire le progresser à travers l’organisation et la maîtrise des différentes démarches, dans le respect des compétences de chacun. Nous constatons le travail qui nous reste à faire, notamment en région parisienne, pour l’accès aux procédures ».

Construire réseaux, contre les murs
12b« C’est triste de voir comment le principe de solidarité – conclut la maire de Lampedusa – ne soit pas toujours partagé au sein de notre Europe, même si la Commission avait apparemment imposé la « délocalisation », à appliquer dans les hot spots italiens et grecs. Je pense à la Pologne qui a refusé d’accueillir 200 migrants lorsque Lampedusa en a accueilli 300 000 en 20 ans et 10 000 seulement cette année. Nous, les maires de frontières et des grandes métropoles, de Lampedusa à Paris, représentons l’autre visage de l’Europe, le visage humain : nous sommes en train de créer des réseaux solidaires d’accueil. Et nous montrerons que nous sommes du bon côté de l’Histoire ». En est également convaincue Anne Hidalgo, qui confirme : « Dans ce combat, nous nous sommes unis pour faire face à des éléments de polémique, et pour lancer avec force plusieurs appels à l’Union Européenne. Parce que nous sommes des points d’appui territoriaux qu’il faut reconnaître et entendre comme interlocuteurs à part entière et soutenir dans l’organisation d’un accueil digne dans le respect du droit ».

 

 

Entretien avec Elyse Ngabire, grande reporter politique burundaise : « On ne choisit pas d’être réfugié »

[Par Lisa Viola ROSSI]

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Depuis septembre 2015, Elyse Ngabire est réfugiée en France, à la Maison des journalistes. Journaliste burundaise du Groupe de presse Iwacu, en charge des questions politiques, elle était également la coordinatrice des émissions réalisées avec les quatre anciens Chefs d’Etat burundais. Jusqu’à septembre 2015, quand neuf agents ont tenté de l’arrêter à son domicile.

AssisesTours2016-6Vendredi, 28 août 2015. Elyse Ngabire avait signé un article intitulé « Fini le dialogue ! » qui critiquait la non tenue des promesses par le président Pierre Nkurunziza, à sa prestation de serment pour un troisième mandat contesté. La journaliste enquêtait au même temps sur les origines du premier vice-président de la République qui commençaient à produire des polémiques dans l’opinion burundaise. Le pouvoir ne les a pas tolérées, et il a engagé des poursuites policières. De peur d’être emprisonnée comme cela a été le cas en 2010 ou d’être tuée, la plume d’Iwacu a décidé de quitter le pays pour sa sécurité.

Aujourd’hui, Elyse Ngabire est inscrite à l’Université Paris 1, Master 2 Recherche, Société en Développement. Du coup, elle continue d’exercer son métier de journaliste. Elle collabore avec L’œil de l’exilé , le journal de la MDJ. Elle est aussi correspondante du Groupe de presse Iwacu en France et en Europe. Interview.

Comment et quand as-tu découvert ta vocation de journaliste ?
C’est lorsque j’ai terminé mon bac que je me suis rendue compte que je voulais devenir journaliste. Nous sommes en 1996. Malheureusement, dans mon pays, il n’y avait pas d’école de journalisme et je me suis contentée de faire la Faculté Médecine pendant deux ans.
Mais l’idée de devenir journaliste ne m’a pas quittée et j’ai décidé en 2000 d’abandonner la Médecine. En 2001, je me suis inscrite à l’Université Lumière de Bujumbura, Faculté des Sciences de la Communication. Il ne s’agissait pas non plus d’études de journalisme mais de quelque chose de semblable qui m’en rapprochait un peu et me permettait de postuler pour ce métier. J’ai terminé en 2006 et j’ai été recrutée deux ans plus tard au Groupe de presse Iwacu comme journaliste en charge des questions politiques.

Comment est née ta passion envers la res publica ? Est-ce que ta lutte pour la démocratie est née à un moment précis ?

Melchior Ndadaye (source : rfi.fr)

Melchior Ndadaye (source : rfi.fr)

Oui. En 1993, j’avais exactement 17 ans et le Burundi organisait les premières élections démocratiques depuis son indépendance le 1er juillet 1962. Mes parents et quelques membres de ma famille étaient pour le changement et ils ont voté pour le président Melchior Ndadaye. Toutefois, trois mois après sa victoire, le président Ndadaye est tué ainsi que ses proches collaborateurs par une clique de militaires qui n’avaient rien compris de la démocratie et de la volonté populaire.
Même si je n’avais pas l’âge requis pour voter (18 ans), je suivais tout de même les campagnes électorales. Depuis cette époque, la politique est ma préoccupation et je me sentais très engagée à l’idée de défendre la liberté d’expression, qui est l’un des piliers de la démocratie.

Est-ce qu’il y a un sujet auquel tu es particulièrement liée, un objet qui a un sens spécial pour toi ?
Le statut de la liberté. C’est un symbole fort pour moi. J’estime que la liberté constitue le pilier si bien dans le métier de journalisme que dans d’autres secteurs de la vie. Il est la pierre angulaire de la démocratie.

Est-ce que tu te souviens d’une interview ou d’une rencontre qui t’a particulièrement marquée ?
Durant mes huit ans de métier, j’ai réalisé plusieurs interviews qui m’ont marquée personnellement et j’en garde trois en mémoire. La première, c’est avec Mgr Simon Ntamwana, archevêque de Gitega. Une large opinion estimait qu’il soutenait le pouvoir du Cndd-Fdd mais à la suite de son interview, tout le monde était étonné de constater qu’il regrettait de sa gestion du pouvoir.
La deuxième interview, c’était avec le président de la Commission Terre et Autres Biens (CNTB) Mgr Sérapion Bambonanire, un homme très controversé et très contesté dans l’opinion nationale.  Quand je l’ai rencontré, il a révélé la décision du gouvernement de rendre aux Hutu les terres qui leurs avaient été prises lors du massacre de 1972. Bambonanire ignorait que cette opération devait passer sous silence. Cette interview a provoqué un scandale dans la classe politique, en le forçant à rétracter ses propres mots.
Troisième interview, c’est avec le député Manassé Nzobonimpa, un ancien militant du Cndd-Fdd et ancien compagnon de lutte de Nkurunziza. Je l’ai rencontré à l’extérieur du pays où il s’était réfugié suite à une mésentente entre lui et le président Nkurunziza. Mon interview a été également un scoop.

Est-ce que tu as une personnalité de référence, un exemple à suivre ?
Oui, deux personnalités : Nelson Mandela et Gandhi. Ils ont beaucoup lutté pour la non- violence, contre la discrimination et pour la liberté.

Elyse Ngabire montre l’édition du 28 août 2015 du journal Iwacu (source : leprogres.fr)

Elyse Ngabire montre l’édition du 28 août 2015 du journal Iwacu (source : leprogres.fr)

Est-ce qu’il y a un reportage ou un projet que tu es particulièrement fière d’avoir réalisé ?
Pendant deux ans, j’ai travaillé sur un projet intitulé « Si Ma Mémoire Est Bonne » qui abordait les enjeux et le contexte sociopolitique du Burundi en les analysant au travers de l’histoire récente et lointaine du pays.
A l’issue du projet, le journal Iwacu pour lequel je travaille et auquel je reste très attachée a sorti un livre de 149 pages. Les articles ont eu un grand succès. Ils ont été très appréciés et d’une richesse inouïe.
En outre, en 2014, j’ai coordonné un cycle d’émissions avec quatre anciens chefs d’Etat burundais. C’était la première fois qu’ils témoignaient sur leur gestion du pouvoir, leurs réussites et leurs échecs. Ce cycle a connu un très grand succès d’audience dans la conjoncture électorale burundaise.

Est-ce que tu peux donner une définition à ton sentiment de l’exil ?
Il est difficile de le définir car ça me fait vraiment très mal quand je réalise que je n’ai pas le droit de vivre dans mon pays.
J’ai l’impression d’avoir tout perdu : mon pays surtout. Je suis repartie à zéro. Or, dans mon pays, j’envisageais d’entreprendre plusieurs projets professionnels et privés, ce qui n’est pas le cas dans ma situation actuelle.

Comment tu te sens maintenant ?
Ça me fait très mal au cœur parfois quand j’y pense. La mort dans l’âme, je n’ai pas le choix parce que je me dis qu’au moins je suis en sécurité en France. J’ai pu sauver ma vie, c’est ça qui est essentiel.

Est-ce que l’exil t’a changée ? En quel sens ?
Oui, il m’a changée à la fois de manière positive et négative. En France et la MDJ, j’ai rencontré des journalistes qui viennent de presque partout dans le monde. Et nous avons tous un dénominateur commun : nous avons été poursuivis, persécutés, nous avons laissé nos familles derrière nous, etc… parce que nous avons dénoncé les abus de pouvoirs dictatoriaux dans nos différents pays. Cela m’a permis de comprendre que les journalistes prennent des risques au nom de la liberté et du respect des principes démocratiques. Ça c’est le côté positif.
Toutefois, je regrette que nous ne soyons pas soutenus par nos confrères ou consœurs journalistes français. J’aurais souhaité qu’ils nous aident à intégrer notre métier. C’est dommage que des journalistes exilés soient obligés de changer de métier parce que c’est difficile de trouver une place dans les médias français. Il est vrai que la langue constitue un handicap pour certains journalistes exilés mais c’est également compliqué celles et ceux qui parlons le français. Et c’est l’avenir de tout un métier qui est en danger.

Est-ce que tu penses que l’exil c’est plus compliqué pour une femme que pour un homme?
C’est plus compliqué pour une femme surtout quand elle n’est pas avec sa famille. On n’a pas le cœur tranquille. Chaque fois, on se dit qu’il peut lui arriver quelque chose de mal. Et dans le contexte où la procédure de réunification familiale prend beaucoup de temps, vous comprenez pourquoi une femme doit s’inquiéter.

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L’intervention d’Elyse Ngabire aux Assises du journalisme de Tours 2016

Comment t’es-tu sentie et te sens-tu en France en tant que journaliste réfugiée ?
Je me sens plus ou moins en sécurité. Malgré les derniers attentats, je reste persuadée que je ne suis pas ciblée personnellement. La sécurité c’est quelque chose de très important pour moi compte tenu du contexte de violence dans lequel se trouve mon pays depuis le 26 avril dernier à la suite de la décision du président Nkurunziza et de son parti de briguer le troisième mandat contre l’Accord d’Arusha et la Constitution burundaise.
En tant que journaliste réfugiée, je déplore l’absence de soutien des professionnels des médias français. Nous sommes un peu laissés à nous-mêmes et le risque d’abandonner ce métier est grand pour certains confrères et consœurs réfugiés.

Comment tu te vois dans 5 ans ?
Je souhaite ardemment continuer mon métier de journaliste et être un reporter spécialiste des questions en rapport avec le Burundi et pourquoi pas ailleurs dans le monde. Mon désir, c’est également celui d’aider des Burundais qui veulent écrire mais qui ne savent pas où commencer de réaliser leur rêve.

Quel est le message que tu considères le plus important à passer à l’opinion publique internationale ?
Des situations conflictuelles contraignent souvent des populations en général et des journalistes en particulier à quitter leurs domiciles et s’installer ailleurs. Le cas des journalistes réfugiés est très particulier. Les organisations des professionnels des médias sont appelés à agir vite pour que l’intégration professionnelle suive le chaleureaux accueil qui nous est reservé à la Maison des journalistes.
Aux citoyens des pays qui accueillent des réfugiés, je leur exhorte de traiter ces derniers avec humanisme car on ne choisit pas d’être réfugié.

 

« Ecrire, ce n’est pas un bon boulot » : Moneim Rahma, une plume exilée du Soudan

[Par Lisa Viola ROSSI]

Pour lire la version en arabe traduite par Samih Elsheikh, cliquez ici

« Je me sens très très triste. Ecrire des poèmes, ce n’est pas un bon boulot. Parce que c’est une source de douleur, ça m’affecte et ça me rappelle nos souffrances ». Abdelmoneim Mohamed Ahmed Rahmallah est un poète, écrivain, activiste originaire d’El-Damer, ville de la région du Nile au Soudan du Nord, exilé à Paris depuis mai 2015. Actuel résident de la Maison des journalistes, il se trouvait à La Haye aux Pays-Bas juste une semaine après les attentats à Charlie Hebdo, le 15 janvier 2015, afin de retirer le prix Pen International pour la liberté d’expression. «Tout au long de mes études, mes talents de poète se sont révélés. J’ai gagné, lorsque j’étais lycéen, le prix national de poésie. Pourtant, j’ai dû faire des études de Commerce, parce que ma famille était pauvre et que je ne pouvais pas me dédier aux Arts comme j’aurais voulu».

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Moneim Rahma

Moneim Rahma ne pouvait pas pourtant s’éloigner de sa passion, le journalisme. En 1986, une fois diplômé de l’Université du Caire, branche de Khartoum, d’une Maitrise en Commerce, il trouvait un emploi au journal Al Adwa comme comptable. De là il commençait à écrire des articles et avant d’être enfin reconnu en tant que journaliste. « Au même moment, – se souvient-il – j’entamais des activités de militant, lors de forums, de soirées poétiques et de manifestations culturelles, contre le projet arabo-islamique mené par  le Front National Islamique (FNI)».

Le 30 juin 1989, le FNI s’empare du pouvoir par un coup d’état militaire. Il dissout tous les partis politiques, les organisations de la société civile et les associations culturelles. Il suspend finalement la publication des journaux. « Les ennuis et surveillances de mes activités ont commencé à ce moment-là, m’empêchant de participer aux activités culturelles ». A cette époque, il est témoin de vastes arrestations d’intellectuels, d’écrivains et poètes hostiles aux putschistes.  Et le phénomène des « Maisons fantômes » a vu le jour. En 1991, son domicile est mis sous surveillance rapprochée. Craignant d’être arrêté et transféré dans une maison fantôme, Moneim Rahma s’enfuit à Asmara, avec l’aide d’amis du Front populaire de la libération d’Erythrée.

C’est après trois ans passés en Erythrée qu’il découvre le caractère répressif du régime. « J’ai ainsi commencé à émettre des critiques quant à ces pratiques, ce qui a mis ma vie en danger, en m’obligeant à fuir vers l’Ethiopie voisine ».

A Addis-Abeba, le journaliste-activiste travaille au service presse du Bureau du Golfe. Il y écrivait des articles sur la situation au Soudan, la guerre d’épuration ethnique et les répressions. Il utilisait le pseudonyme d’Amara Mohamed Saleh, en raison d’une forte présence d’agents de la sûreté soudanaise en Ethiopie. Trois ans après, en 1997, il rejoignait le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (MPLS). « J’avais refusé tout enrôlement et entraînement militaire. J’ai insisté sur le fait que je tenais à ma liberté en ma qualité d’écrivain et poète » précise-t-il.

En 2001, Moneim Rahma a été transféré à Nairobi, au Kenya, pour travailler à la radio « Soudan Radio Service », spécialisée dans l’éducation. « Cette radio, financée par des institutions américaines, s’intéressait à l’éducation civile. Elle était émise en neuf langues, j’étais le responsable du service arabophone ». Il démissionna en 2005, après la signature de l’accord de paix global (CPA). Il retourna donc à Kurmuk dans la province du Nil Bleu au Soudan après sa libération par l’armée populaire (MPLS/A) pour y travailler comme responsable de la communication dans l’administration civile mise en place par l’armée populaire. Un an après, à Juba, il fondait l’organisation « Soudan de la Culture et des Arts » qui s’intéressait à toutes les cultures soudanaises et œuvrait, grâce à du théâtre itinérant, à la diffusion de la culture de paix entre les différentes ethnies, religions et traditions.

Après le théâtre, Moneim Rahma s’intéressa au cinéma. En 2009, il fondait, avec un groupe de cinéastes, l’association « Groupe du Cinéma Soudanais », et grâce au soutien du ministère de la Santé, il produisit quelques courts-métrages éducatifs sur la santé des enfants.

نهر النيل

Le Nil Bleu

En 2010, l’écrivain décide de participer à la gestion de la campagne électorale du candidat du MPLS, Malik Agar, pour le poste de Gouverneur de la Wilaya du Nil Bleu. « J’étais chargé du volet média de la campagne. Malik Agar a gagné les élections malgré les tentatives de fraudes du parti du Congrès National (NCP). J’ai été nommé Conseiller en information au sein du gouvernement élu ». En février 2011, Moneim Rahma fondait la revue El Zarqaa, la voix du gouvernement de la Wilaya, « une première dans l’histoire de la région », précise-t-il.

Le 1er septembre 2011, un attentat au vice-gouverneur de la région pousse Malik Agar à réunir en urgence le conseil des ministres. Les forces du gouvernement central qui avaient planifié tout cela, ont immédiatement été déployées et l’état d’urgence a été décrété sur ordre personnel du Président El Bashir qui limoge Malik Agar.

Le lendemain, des combats se sont déclenchés dans la ville de Al Damazine, entre l’armée populaire et l’armée régulière. « J’ai essayé de m’enfuir, à pied, en direction de la ville de Al Kurmuk, après avoir laissé ma voiture à Al Damazine. A 15 km au Sud de la ville, j’ai été arrêté par l’armée régulière. A partir de ce moment-là, j’ai été torturé, une partie de ma moustache a été coupé et l’autre partie a été brûlée avec un briquet…. J’ai été jeté dans un véhicule militaire et isolé dans un vieil entrepôt. Ils m’ont battu, les interrogatoires se succédaient. Ils m’ont cassé le genou droit parce que j’avais une rubrique dans la revue d’El Zarqaa, intitulée « Coup de bâton sur le genou ». J’ai perdu 10 dents. Ces tortures se sont poursuivies pendant des semaines et des mois ». Une commission militaire a été créée à l’intérieur de la prison : « J’ai été accusé d’avoir planifié un coup d’état, d’avoir travaillé pour le compte de l’étranger, d’avoir appelé à un état laïc et combattu l’islam et l’arabisme ». La commission a rendu son jugement à la peine capitale, le 23 novembre. Un autre jugement à la peine capitale a été rendu à son encontre et à 17 autres membres du mouvement populaire. Suite à la campagne locale, régionale et internationale en faveur de sa libération, le 18 août 2012 Moneim Rahma est mis en résidence surveillée à l’île de Touti. Il ne peut exercer aucune activité, sous menace de sa sécurité et celle de sa famille. Les jugements à la peine capitale ne sont pas annulés.

C’est à partir de ce moment qu’il  commence à planifier sa fuite vers l’Ethiopie, en mars 2013. « Sous l’égide de l’Union Africaine et sa protection, j’ai pris part auprès de la délégation du mouvement populaire Nord (MPLS/Nord), aux négociations de paix avec le gouvernement soudanais  à Addis-Ababa. Depuis le début de l’année 2014, beaucoup de changements ont vu le jour dans l’attitude des pays de la région. Un front tripartie entre l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudant s’est créé autour du barrage de la Renaissance en Ethiopie, accompagné des accords sur la sécurité, ce qui a transformé la capitale éthiopienne en foyer pour les activités de la sûreté soudanaise. Les autorités éthiopiennes ont même commencé à menacer certains membres du mouvement de les remettre aux autorités soudanaises et demandant aux autres de quitter leur territoire. Ce qui m’a poussé à anticiper sur une telle décision le 1er mai 2015 ».

A Paris, Moneim Rahma continue d’écrire, tous les jours, de l’aube au coucher du soleil, dans sa chambre à la Maison des journalistes. « J’écris mon deuxième roman et au même temps je me dédie à la rédaction d’un scénario d’un film», fait-il savoir, et ajoute : « Je suis en train de lutter tenacement pour m’intégrer : je participe au fait à l’organisation de concerts et à la production radio. Si je peux accéder à Internet et à l’écriture, si je peux rester en contact avec d’autres personnes, ça ira très bien. Beaucoup de demandeurs d’asile n’ont même pas un toit ni un adresse avant de commencer leurs démarches… » Toutefois le journaliste n’attend que sa famille, restée au Soudan, puisse le rejoindre. Et les démarches sont chronophages, malgré la bienveillance des dispositifs français. « J’aime le peuple français qui est très accueillant et plein d’humanité. Je respecte son gouvernement qui est le seul qui a accueilli les négociations de paix au Soudan en supportant les partis d’opposition… ». La passion politique lui fait briller les yeux, ses actes sont au fait bien liés à sa pensée : « Aime tes parents et joins l’Humanité » est le slogan de l’écrivain.

 

 

Ofpra, Pascal Brice : « Je ne connais qu’une réponse : l’accueil, l’humanité et la rigueur »

[Par Lisa Viola ROSSI]

Lors qu’on pense que le voyage est presque terminé, parce que le destin devient vie nouvelle il reste une étape à franchir : la reconnaissance du statut de réfugié. En a parlé Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dimanche 19 juin 2016 à TEDx ChampsÉlyséesSalon EXILS « Destins d’ici », qui a eu lieu à la Bibliothèque François-Mitterand, à la veille de la journée mondiale des réfugiés.

pascal briceOn les appelle souvent « migrants », ou bien « sans papiers » : ils sont les « demandeurs d’asile » attendant d’être reconnus en tant que « réfugiés » par l’Ofpra, l’établissement public administratif en charge de l’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, puis de la Convention de New York de 1954.

« Bonjour, je suis l’officier de protection qui va inscrire votre demande d’asile. Rien de ce que vous direz sur vos craintes dans votre pays d’origine ne sortira de cette pièce ». Brice a pris la parole sur la scène de TEDx en récitant la première phrase que les officiers de l’Ofpra prononcent lors qu’ils reçoivent, le plus souvent en région parisienne, plus de 200 hommes et femmes chaque jour, pour un entretien pour qu’ils puissent statuer sur leurs demandes d’asile.  «Ils ont été en 2015 80 000 accueillis à l’Ofpra. – précise Brice – Pour nous ces demandeurs d’asile ne sont pas des chiffres mais des visages, des histoires, des récits de souffrance, jetés sur les chemins de l’exil depuis l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, le Soudan, Érythrée et d’autres pays encore». L’accueil des réfugiés, c’est selon le directeur de l’Ofpra « un privilège redoutable et noble, que nous partageons d’ailleurs avec les associations, les travailleurs sociaux dans les centres d’hébergement, avec les élus, avec les citoyens de ce pays qui accompagnent les demandeurs d’asile tout au long de leurs parcours. Mais l’Ofpra – considère son représentant – a une mission d’exclusivité, qui est de statuer sur les demandes d’asile ». Le mot d’ordre des officiers de l’Ofpra est « de tout faire pour ne jamais passer à côté d’un besoin de protection. Mais lorsque une demande d’asile à l’issue d’une instruction à laquelle chaque demandeur d’asile a droit, ne relève pas du droit d’asile, notre responsabilité est de rejeter cette demande ».

(source : gouvernement.fr)

(source : gouvernement.fr)

Ces décisions de l’Ofpra sont des décisions humaines, mais bien en droit, souligne Brice : «Ce sont des hommes et des femmes qui les prennent mais ce sont des décisions en droit. Nous appliquons tant que nous le pouvons la convention de Genève afin de reconnaître à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants, le statut de réfugié lors que leur engagement politique, leurs croyances religieuses, leurs appartenances ethniques, leurs appartenance sexuelles parfois, conduisent à ne plus pouvoir imaginer le retour dans leurs pays, où ils subissent ces persécutions ».

Lorsque la protection de Genève ne s’applique pas l’Ofpra peut appliquer parfois la protection subsidiaire, toujours au nom du droit d’asile et de l’indépendance de l’Ofpra. « Les décisions sont prises exclusivement en fonction de considérations d’asile et en aucun cas de considérations diplomatiques ni de politiques migratoires. Je sens monter la tentation, face à l’ampleur des drames, d’aller au-delà du droit d’asile, mais cette tentation – réfléchit Brice – serait pernicieuse et délétère. Elle installerait une confusion où le droit d’asile serait la victime  ».

Pascal Brice

Le directeur de l’Ofpra parle de évolution du droit d’asile au sein de son Office, « dans le sens de la bienveillance et de la rigueur, parce que lors que le droit d’asile s’impose, il doit s’imposer indépendamment toute d’autre forme de considération ».

Les instructions de l’Ofpra partent de la possibilité de laisser à chacun d’exprimer les raisons pour lesquelles il ne pourra pas rentrer dans son pays, d’abord dans un récit écrit qu’il doit adresser à l’Ofpra dans le dossier de demande d’asile, et puis lors de cet entretien avec l’officier de protection. « Ces craintes sont si difficiles à verbaliser – avoue Brice – parce que nous sommes dans l’indicible. Nous devons accompagner l’expression de ce récit, car c’est sur la base de l’expression de ces craintes en cas de retour dans le pays d’origine que l’officier de protection va commencer une minutieuse instruction, qui va le conduire à échanger avec ses collègues, avec des référents spécialisés, avec les juristes de l’Ofpra, avec les chercheurs qui établissent une analyse indépendante de la situation du pays d’origine ». Ça sera à la confluence de cette instruction qui sera prise la décision de l’Ofpra.

Pendant ce temps, c’est l’attente. «A la dureté de l’exil s’ajoute la cruauté de l’attente administrative. Il nous revient – avoue Brice – de conseiller l’inconseillable. Ce temps-là de l’instruction, il est vital pour ces hommes, ces femmes, ces familles. A cela, je ne connais qu’une réponse : l’accueil, l’humanité et la rigueur ».

Les délais de l’instruction sont encore trop longs, malgré les efforts de l’Ofpra qui les a réduit depuis plusieurs mois et elle continue à les réduire : « Nous le devons à ces hommes et à ces femmes, à ces familles » affirme Brice. Pour cela les effectifs de l’Ofpra ont augmenté de 50% : ils y a 620 employés, aujourd’hui. « Nous nous sommes réorganisés en profondeur parce que l’Ofpra change, protège plus. Nous protégeons 26% de demandeurs d’asile, là où il y a trois ans ils étaient 9% à être protégés, 35% avec les juges ». L’Ofpra oeuvre d’ailleurs sur le terrain à Calais ainsi qu’à Grande-Synthe et dans d’autres régions françaises, ainsi qu’au Liban, en Jordanie, en Turquie, pour «protéger et réinstaller en France». Malgré cette action quotidienne, Brice souligne : «Partout la frustration reste trop souvent présente face à ceux qui n’arriveront jamais, face à ceux qui attendent trop longtemps, dans notre pays, encore un accueil et une décision face à ceux dont nous devons rejeter la demande. Mais ce qui nous porte – termine le directeur de l’Ofpra – et ce qui va continuer à nous porter, c’est la mission de protection, car c’est notre mission et c’est le titre que nous portons ».

 

 

Michel Eltchaninoff à la MDJ : «Les combats de ces dissidents sont les nôtres»

[Par Lisa Viola ROSSI]

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.

Victor Hugo, Les Châtiments

(de l’introduction au livre Les nouveaux dissidents de Michel Eltchaninoff, Editions Stock, 2016)

Le mot d’accueil de Darline Cothière (crédits : LV Rossi)

Quand la philosophie questionne la liberté d’expression, « le soutien à la création d’un réseau international de dissidents » devient une priorité. À l’initiative de Michel Eltchaninoff, le rédacteur en chef du journal de Philosophie Magazine, trois dissidentes rencontrées à l’occasion des trois ans de préparation de son dernier livre Les nouveaux dissidents (sortie prévue prochainement), Olga Shparaga, originaire de Biélorussie, Zeng Jinyan, de Chine et Xitlali Miranda, du Mexique, ont rendu visite mardi 15 mars à la MDJ et à ses journalistes.

Michel Eltchaninoff

Michel Eltchaninoff (crédits : LV Rossi)

« Depuis quelques années, – a affirmé Michel Eltchaninoff – des jeunes dissidents non-violents réapparaissent un peu partout lorsque l’environnement médiatique les avait injustement oubliés après les luttes des années 70. Je pense notamment aux activistes de l’ex-Union Soviétique, d’Iran et d’autres pays du monde où la dissidence est en train d’acquérir de plus en plus d’importance à la lumière de la violence des idéologies dictatoriales et des fondamentalistes. Les combats de ces dissidents sont les nôtres : il s’agit d’une démarche d’abord éthique, qui n’a pas d’ambition politique».
En ligne avec les propos de la Maison des journalistes, la directrice, Darline Cothière partage la déclaration d’intention d’Eltchaninoff : « La mission de la MDJ est le partage des expériences de la répression et l’exil, notamment des jeunes, en faveur d’un commune mobilisation pour sensibiliser l’opinion publique internationale en faveur de droits de l’Homme ».

Une nouvelle conscience civique qui parle biélorusse

Olga Shparaga

Olga Shparaga (crédits : LV Rossi)

Anglais, espagnol, russe… La barrière de la langue n’en est pas une, lors de l’échange privilégié qui a eu lieu après la visite aux locaux de la MDJ.
Pour Olga Shparaga :« Nous ne pouvons pas parler d’un travail de politisation mais bien de prise de conscience des droits de l’Homme » a précisé la philosophe biélorusse qui travaille pour l’instauration d’un espace public à Minsk. « Nos lieux de liberté sont des ex-usines, par exemple : là, nous organisons des rencontres et des moments de discussion au sujet des droits LGBT, de l’art et de la culture, ainsi que de la langue biélorusse et de l’urbanisme ». Le but de ces réflexions collectives est de permettre la reconnaissance d’un pouvoir aux citoyens, car « en Biélorussie, la loyauté vers le pouvoir en place » est la caractéristique principale de concitoyens affirme Olga. « Les ONG et associations existent, mais sont vieillissantes, alors si une société civile est bien là, elle n’a pas un véritable enracinement car le gouvernement de Loukachenko en empêche le développement ».

Censure et journalisme d’enquêtes en Chine

Zeng Jinyan

Zeng Jinyan (crédits : LV Rossi)

Zeng Jinyan, dissidente chinoise actuellement doctorante à Hong Kong, choisie par le TIME Magazine comme une des 100 personnes les plus influentes dans le monde en 2007, raconte aux confrères de la MDJ comment en Chine, Internet et les nouveaux médias sont un véritable espace d’expression libre même pour les journalistes d’investigation : « Un phénomène nouveau a émergé en Chine tout récemment : la fondation de nouveaux journaux et l’ouverture des réseaux sociaux, comme wechat, où les reporters publient leurs enquêtes, indépendantes et non censurées, car financées par leur lectorat ». La censure n’intervient qu’après la publication et par l’autorité en place : c’est-à-dire « toujours trop tard pour en bloquer véritablement la diffusion et le partage».

Des voix étouffées dans les montagnes du Guerrero

Xitlali Miranda

Xitlali Miranda (crédits : LV Rossi)

Xitlali Miranda, du Mexique, anime à Iguala l’association “Les autres disparus” qui participent aux recherches des restes des victimes du narco-trafic dans les montagnes du Guerrero. « La situation au Mexique est dangereuse presque comme s’il y avait la guerre, surtout pour les journalistes. Je connais au moins 400 familles ayant vécu la disparition d’un de leurs proches ». Lors de son témoignage
Miranda évoque la disparition de 43 étudiants issus de l’Ecole Normale Rurale de Ayotzinapa, le 26 septembre 2014 : ils étaient en voyage à Iguala pour manifester contre les pratiques du gouvernement mexicain. La police serait la principale suspecte de cet enlèvement dont le maire d’Iguala et son épouse seraient les commanditaires probables. « Chaque dimanche les familles, notamment des mères, des sœurs, des femmes, cherchent leurs proches dans des fosses communes. Elles vivent dans la douleur de cette tragédie, et au même temps elles sont par ailleurs victimes d’un isolement social : la pensée commune est que si leur famille a vécu cette disparition, c’est de leur faute. Souvent nous constatons comme conséquences la désintégration de la cellule familiale. Et à la douleur, s’ajoute la frustration due à une manque totale d’attention de la part des autorités, corrompues, quant à leur demande de justice et vérité ».

Le passage à Paris de ces trois dissidentes a été organisé par Eltchaninoff, en association avec Stock et la Ligue des Droits de l’Homme.