Articles

RENCONTRE. Ignace Dalle, le récit de carrière d’un véteran de l’AFP

Journaliste spécialiste du monde arabe. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille et en études arabes à l’université Saint Joseph de Beyrouth, Ignace Dalle est un ancien journaliste de l’Agence France Presse. Rencontre.

  •  Par Ange Fabre, étudiant en droit et science politique et Léna Jghima, étudiante, stagiaires à Maison des journalistes (MDJ). 

Mercredi 23 juin à 15 heures, la Maison des journalistes (MDJ) a eu l’honneur de recevoir Monsieur Ignace Dalle, journaliste spécialiste du monde arabe, ancien directeur du bureau de l’AFP au Maroc et auteur de nombreux ouvrages. Ce fut l’occasion d’entendre le récit de carrière d’un journaliste français passé, des années 1970 aux années 2000, par l’Egypte, le Liban et surtout le Maroc. Au fil de la narration d’Ignace on découvre une vocation faite de voyages, de drames et d’épreuves, mais aussi d’amitiés, le tout dessinant un intense récit humain, intellectuellement stimulant et émouvant. 

Un véteran de l’AFP

Journaliste spécialiste du monde arabe. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille et en études arabes à l’université Saint Joseph de Beyrouth, Ignace Dalle est un ancien journaliste de l’Agence France Presse. Il a passé de nombreuses années en poste dans le monde arabe, notamment au Liban, en Égypte et au Maroc. De 1992 à 1996, il dirige le bureau de l’AFP à Rabat. Il a été le premier journaliste à (longuement) écouter les rescapés de Tazmamart. C’est lui qui a recueilli et mis en forme les mémoires d’Ahmed Marzouki, dans le best-seller “Tazmamart cellule 10”. 

Ignace Dalle s’est installé face à une quinzaine de résidents, anciens résidents et membres de l’équipe de la MDJ pour partager son expérience et le récit de sa carrière. Il entame son récit par les raisons de cette vocation. Il raconte un voyage autour de la Méditerranée avant ses études qui le laissera amoureux du monde arabe et décidé à faire de cette passion son métier. Il sort diplômé de l’école de journalisme de Lille, travaille ensuite au Figaro et deux ans plus tard obtient une place d’envoyé spécial de l’AFP au Liban. 

Rencontre avec Ignace Dalle à la Maison des journalistes

Pour comprendre la complexité du monde arabe 

L’invité nous conte alors son arrivée dans un pays déchiré par la guerre à la fin des années 1970. Il fait son entrée dans Beyrouth bombardé en pleine guerre du Liban, il nous confie avoir été terrorisé dans son hôtel, allongé au milieu de la chambre. Le personnel, habitué à cet environnement violent, s’en amuse : « Si tu commences à te coucher dès que tu entends une bombe ça va être difficile ». Il met près de huit jours à s’habituer au contexte. Il affirme que ce fut son premier contact avec la guerre et sa brutalité, mais il confie « On s’habitue malheureusement assez vite à ces périodes de violence »

Travailler à Beyrouth et ses coupures d’électricité incessantes était particulièrement complexe. Ignace Dalle a ensuite suivi l’armée syrienne dans la guerre au Liban, il est le témoin interloqué des massacres fratricides entre peuples arabes au Liban, l’armée syrienne pourchassant les rebelles palestiniens dans les montagnes. “Beyrouth a été une très bonne école pour comprendre la complexité du monde arabe” résume-t-il. Mais il confie également avec une certaine tristesse : “Durant les années 1980 Beyrouth a été la seule ville méditerranéenne où il n’y avait plus de vie nocturne, couvre-feu oblige, où les patrouilles militaires seules animaient les rues.” 

En 1980, Ignace Dalle est nommé au bureau de l’AFP, au Caire. Un contexte difficile, les journalistes européens n’ayant que très peu accès aux informations, le gouvernement égyptien privilégiant les médias américains. Il explique que l’administration était particulièrement laborieuse et lente en comparaison avec le Liban. A côté de la “bureaucratie infernale” du Caire, il découvre un pays à l’histoire infiniment riche par son histoire, sa culture et ses habitants qu’il dit avoir trouvés très aimables. 

En 1981, le président Anouar El-Sadate est assassiné, cela lui “tombe sur la tête”. Il explique que l’événement est perçu comme une bonne nouvelle par une majorité du peuple égyptien, lequel est resté très rancunier envers le président depuis les accords de Camp David, lorsque Sadate négocia la paix avec Israël en 1978. Beaucoup d’Egyptiens jugent qu’il a tout cédé à Israël dans les négociations, nous explique Ignace Dalle. Il raconte également la difficulté pour couvrir l’événement, le pouvoir ne partageant pas les informations sur la santé du président hospitalisé avec les Européens mais seulement avec les journalistes américains. Il explique avoir même rencontré des difficultés pour écrire l’article sur la mort du président face aux réticences du chef de la traduction, pourtant lié par contrat à l’AFP, à traduire les papiers sur la mort d’El-Sadate. 

Chez “notre ami le roi” 

Ignace Dalle quitte ensuite l’Egypte pour le Soudan, où il affirme “souffler un peu”, loin de l’agitation du Caire. Puis une guerre civile y éclate en 1984, il retourne alors en France et, quatre ans plus tard, est nommé directeur du bureau de l’AFP à Rabat, au Maroc. 

Entre-temps, lors de son passage en France il connaît un douloureux épisode avec la sortie de son livre “La Syrie du général Assad” qui décrit le fonctionnement du régime syrien. Il reçoit des menaces de mort, lui et sa famille subissent des intimidations, Rifaat al-Assad, frère du dictateur alors en place et exilé en France, lui fait un procès, avec une armée d’avocats français. Le motif de ses accusations devant la justice est que les témoignages cités dans l’ouvrage ne présentent pas de sources. Pour protéger les personnes qui ont pu lui permettre d’obtenir ces informations, Ignace Dalle n’a pas donné le nom de ses informateurs. Or, s’il l’avait fait, le régime syrien aurait retrouvé ses sources, qui auraient été en grand danger. Il ne peut donc donner d’informations sur ses sources . Les juges, compatissants, le condamnent à un franc symbolique et lui épargnent les frais de publication du dossier de jugement. 

Arrivé au Maroc en 1992, Ignace Dalle succède au précédent directeur du bureau de l’AFP à Rabat, mort dans un accident de voiture. Malgré quelques soupçons et questionnements il s’avérera que c’était véritablement un accident. L’invité relate alors au public un événement très important de son parcours. Peu de temps après son arrivée à Rabat, il reçoit la visite de trois anciens prisonniers politiques, dont le militaire Ahmed Marzouki, venus faire entendre leur voix au sujet des indemnisations promises par le roi suite à leur détention, promesses restées sans acte. Ignace Dalle nous confie l’admiration qu’il éprouva pour le courage de ces trois individus risquant la prison et la mort dans leur quête de justice. Il s’investit pour leur cause et travaille durant cette période avec l’Association marocaine des droits humains, qu’il juge très compétente et surtout courageuse car poursuivie un peu partout par les autorités monarchiques. Au sein de cette association il se lie d’amitié avec Ahmed Marzouki, un survivant de Tazmamart. Enfermé pendant 18 ans, cet ancien officier, devenu écrivain et activiste politique, lui raconte son enfer durant ses années de détention. L’ancien journaliste de l’AFP recommande à ce sujet la lecture du livre Tazmamart cellule 10, best-seller d’Ahmed Marzouki sur son calvaire dans l’enfer de cette prison secrète destinée aux prisonniers politiques. 

Il termine sa période marocaine en 1996 dans une atmosphère de fin de règne d’Hassan II, synonyme d’un assouplissement du régime, lequel relâche alors des familles d’opposants et libère plusieurs prisonniers. Marzouki devra cependant attendre 1999 et la mort d’Hassan II pour publier son ouvrage. 

Il rentre en France puis est envoyé en divers lieux couvrir l’actualité, le Togo, Mururoa et les essais nucléaires français, la Bosnie durant la guerre. Il est ensuite nommé rédacteur en chef de l’AFP sur les affaires américaines et nord-européennes puis directeur de la documentation et des archives 

Lorsqu’il est interrogé sur les moments les plus frappants de sa carrière, Ignace Dalle répond : l’assassinat de Sadate, événement majeur tant pour l’Histoire que pour sa carrière de journaliste mise alors à rude épreuve. Il cite aussi la découverte de la terrible prison marocaine de Tazmamart et des récits “à faire des cauchemars debout”, des horreurs qui y sont commises contre les opposants politiques. Au-delà de ces épisodes politiques sombres et parfois cruels, Ignace Dalle affirme avoir gagné et conservé beaucoup d’amitiés au Maroc, au Liban, en Algérie, etc. 

Regard sur un monde des médias en transformation 

Dressant un bilan d’une région qu’il a si bien connue, Ignace Dalle décrit un monde arabe de nos jours bien moins accessible qu’au début de sa carrière, du fait des guerres civiles et du durcissement des régimes. Il explique qu’il est désormais très compliqué d’y voyager de manière indépendante, d’aller y faire des reportages, et cela même sur la majeure partie du continent africain, de manière plus générale, “Autrefois on pouvait faire une grande partie du continent en voiture d’un pays à l’autre, aujourd’hui c’est impossible”. Les journalistes africains présents acquiescent alors avec une certaine mélancolie. Les auditeurs ont pu ensuite le questionner sur l’actualité du métier de journaliste et sur certains événements de l’actualité récente. Il explique que désormais dans beaucoup de pays les journalistes correspondants sont des locaux à qui les agences envoient directement du matériel journalistique. Ces correspondants sont souvent polyvalents et traitent l’aspect technique, le montage, la vidéo, l’enregistrement, le travail écrit et de documentation eux-mêmes. Cependant, dans les régions où l’actualité demeure particulièrement complexe à décrypter, comme au Liban ou en Syrie, le besoin d’envoyer des journalistes experts et spécialisés demeure. 

Un changement d’époque dans le journalisme. Il décrit également comment les correspondants francophones ont laissé la place à une majorité de correspondants anglophones au Proche-Orient ces vingt dernières années. 

Répondant à une interrogation sur le problème des “fake news”, Ignace Dalle explique alors l’enjeu crucial de crédibilité et de légitimité pour de grandes agences comme l’AFP, particulièrement vigilante face à la menace nouvelle et grandissante des “fake news” et de la désinformation. Ignace Dalle nous rappelle alors les mesures mises en place par de nombreux grands médias comme l’AFP comme un pôle entier de “fact checking” au sein de l’agence. Interrogé sur la possibilité d’apporter son expertise aux médias français pour un journaliste exilé, l’ancien correspondant fait état de la difficulté de trouver du travail pour les journalistes réfugiés en France, qui peinent dans leurs recherches alors qu’ils pourraient pourtant apporter un éclairage important aux rédactions françaises. 

Une question émerge alors sur la fermeture du compte twitter de Donald Trump. L’invité du jour reconnaît le mal fait par l’ex-président des Etats-Unis à la crédibilité de la presse et les nombreuses fake news qu’il a relayées. Cependant, il ne donne pour autant pas tout son crédit à des mesures comme celle-ci, qu’il juge, bien que satisfaisantes à court-terme, problématiques quant à l’utilisation arbitraire qui est faite de la liberté d’expression par le réseau social. “C’est vrai que ça nous a fait du bien qu’il se taise un peu celui-là, mais bien sûr on ne peut pas dire que ce soit une vraie solution.” ironise-t-il. 

Enfin, livrant son opinion sur la presse internationale à la demande du public, Ignace Dalle vante les mérites de la presse britannique qu’il juge intellectuellement remarquable, citant The Economist et The Guardian. Il rappelle aussi que la BBC, institution remarquable bien que déclinante, reste incontournable. Il se montre plus modéré sur les médias américains, recommandant CNN pour sa couverture de l’actualité internationale. 

Interrogé sur la qualité du contenu livré aujourd’hui par l’AFP Ignace Dalle vante la qualité de l’agence, malgré des moyens bien moins étendus que ceux des agences anglo-saxonnes. Il loue également son recul vis-à-vis de la politique étrangère française sur laquelle elle ne s’aligne pas automatiquement, conservant une approche critique. 

Photo de souvenir avec les participants

Les bouteilles d’eau bien entamées et les têtes stimulées, vient cependant l’heure de clore cette rencontre ayant duré près de deux heures. Certains spectateurs regrettent de ne pas pouvoir poursuivre encore l’échange qui aura captivé l’attention du petit monde réuni durant cet après-midi du 23 juin à la Maison des journalistes.

D’autres articles 

Mamadou Bah en France : de la rue à la Maison des Journalistes (PORTRAIT 2/2)

« Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Mamadou Bhoye Bah. 

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes. 

Mamadou Bhoye Bah arrive en France en octobre 2017. Une vie très difficile s’ouvre à lui. Il n’a plus rien, ses diplômes sont dévalorisés en France, sa famille est restée en Guinée. Il se retrouve seul mais découvre très vite la Maison des Journalistes, par le biais d’une association qui organisait des maraudes. Pour pouvoir y accéder, il faut remplir le formulaire en ligne. Sans téléphone, sans ordinateur, sans internet, c’est presque mission impossible. Mamadou vit donc dans la rue. Il raconte: « Chaque matin, quand tu te lèves, tu ne sais pas d’où tu viens et où tu vas. C’est très compliqué à gérer ».  Au fil des rencontres, Mamadou finit par être « invité » à rejoindre un camp. Cela lui fait penser à un camp militaire, mais il s’agit en fait d’un camp de migrants dont plusieurs associations humanitaires s’occupent près de la Porte de la Chapelle, à Paris. D’abord réfractaire à cette idée, il est convaincu par plusieurs personnes qui lui indiquent que cela l’aidera à trouver un logement, à s’en sortir. Il s’y rend, observe, se renseigne. « Il y a des gens qui dansent, qui se vident l’esprit. Moi je reste là, assis ». Il discute pendant de longues minutes avec une bénévole d’Emmaüs. Elle ne lui cache pas qu’il est très compliqué d’obtenir un titre de séjour, ou tout autre document lui permettant de régulariser sa situation en France, encore plus dans ce camp. Ses a priori confirmés, Mamadou décide de quitter le camp. « Je leur ai raconté que j’avais oublié un sac dans la rue, que je devais à tout prix aller le récupérer. Et puis c’est comme ça que je me suis enfui ». Il y revient finalement une semaine plus tard, après avoir rencontré un guinéen, qui, lui aussi, était passé par ce camp. Ce dernier confie à Mamadou que beaucoup se battent pour pouvoir intégrer cet endroit, qu’il doit saisir sa chance.

Pour l’anecdote, Mamadou réussit à réintégrer le camp car il est pris pour un autre. « Coïncidence ou choix du destin, un autre guinéen, appelé Mamadou, était présent sur les listes du camp. C’est comme ça que j’ai réussi à y entrer de nouveau ». Il est donc logé dans un petit abri en contre-plaqué, insalubre, il l’avoue, mais c’est toujours mieux que la rue. Il y reste dix jours, avant que les Restos du cœur, pour lesquels il était bénévole, ne lui trouvent un hébergement dans le 94. Il réussit alors à collecter toutes les informations nécessaires pour rejoindre la Maison des Journalistes. Après plus d’un an passé dans la rue, il trouve enfin un hébergement stable, et des personnes décidées à l’aider dans toutes ses procédures.

Mamadou lors d’un entretien avec le député Sébastien Nadot à la MDJ

En parallèle, il complète une licence 2 et une licence 3 en sciences de l’éducation. Il s’inscrit également en Master 1 en 2020 afin de pouvoir passer les concours de l’enseignement. Sans naturalisation, impossible pour lui de passer le concours, mais sans ce concours pas d’emploi, et sans emploi la naturalisation est inenvisageable.

Une intégration pas facile

Pris dans une spirale infernale, Mamadou est finalement engagé en tant que professeur contractuel dans l’enseignement primaire. Il fait des remplacements, ici et là. Il écrit des articles pour le journal de la Maison des Journalistes (L’oeil), de manière bénévole. « Le journalisme, c’est le seul métier que je peux exercer gratuitement ». Malgré son expérience, il ne trouve aucun poste dans ce domaine. « Même les journalistes français ont du mal à trouver du travail, alors les journalistes étrangers, même francophones, je ne vous en parle pas ». L’idée reste là, dans un coin de sa tête, d’un jour reprendre sa passion et de rejoindre une radio. Il en parle longuement, pour lui, le journalisme et l’enseignement sont deux métiers qui vont de pair. La facilité d’accès aux réseaux sociaux, à l’information de toute sorte, implique d’être bien éduqué, d’avoir été averti de la manière dont il faut prendre l’information et se l’approprier. Il apprend à ses élèves à se nourrir intelligemment des informations qu’ils reçoivent, tout en restant en alerte. Il leur apprend aussi à faire valoir leur droit, à ne jamais se laisser faire à ce propos. « Je suis touché quand mes élèves me confient qu’ils m’admirent, et qu’ils aimeraient un jour, comme moi, devenir journaliste ».

Les élèves de Mamadou pendant un atelier de peinture

L’intégration en France n’est pas chose facile donc. Mamadou l’illustre assez bien : « Il faut reconstruire ta vie. Alors que tu avais atteint 10, il faut recommencer à 0. Mais est-ce que tu es sûr que tu pourras encore atteindre 10 ? La réponse est non ». Il poursuit avec un adage africain : « Le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile ». Peu importe ce qu’il fera ici, il est sûr de ne jamais avoir le même statut qu’une personne qui est née et a grandi toute sa vie en France.

 

Un exil loin de la famille

Désormais bien établi, Mamadou le reconnaît : « La Guinée reste mon premier pays, mais la France est devenue mon pays d’accueil ». S’il avait le choix, s’il n’était pas menacé, il n’hésiterait pas une seconde et rejoindrais sa femme et sa fille, toutes deux restées en Guinée. Mais selon lui, la situation ne risque pas de s’améliorer tout de suite. « Ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait toujours des régressions ». Lorsqu’on lui parle du régime politique, il le qualifie de dictature. Par une jolie métaphore il précise : « Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Certes des élections ont lieu, mais ce sont des élections formelles, avec beaucoup de fraudes et de corruption. Outre le contexte politique, Mamadou déplore tout particulièrement le fait que sa fille soit privée d’une présence paternelle. « À partir du moment où vous êtes absent, l’enfant va lui-même se poser des questions : pourquoi cette personne qui était là, qui me faisait tout, qui était présente devant chaque situation et difficulté n’est plus là ? ». Mais un jour, il les retrouvera.


Si vous avez aimé cet article, lisez l’épisode 1.

 

D’autres articles 

Mamadou Bhoye Bah en Guinée: une lutte contre la corruption (PORTRAIT 1/2)

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000.

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000. L’un de ses professeurs travaille dans une radio de la capitale guinéenne. Fasciné, Mamadou tente très vite de lui démontrer son intérêt pour le domaine, ce qui lui vaut un droit d’accès en tant qu’observateur plusieurs fois par mois dans les locaux de la radio. Mamadou en est persuadé, il a trouvé sa voie. Les perspectives sont claires, après le lycée, il s’inscrira dans une école de journalisme.

Toujours très lié à son professeur, qu’il avoue même considérer comme un « demi-dieu », il suit ses conseils et poursuit une licence en droit des affaires. « J’avais déjà le verbe, et il le savait. Mais une formation en droit serait un réel atout par rapport à d’autres journalistes ». Il obtient donc sa licence en 2012, et développe le projet d’enseigner. Le jeune guinéen en est persuadé, journalisme et enseignements sont liés. Il évolue dans le processus de formation et dans les concours afin d’obtenir son matricule d’enseignant.

Mamadou à la radio rurale de Pita

Mais alors qu’il obtient le concours avec brio, son nom ne figure pas sur la liste des étudiants intégrant la fonction publique. C’est là que débute le combat de Mamadou contre la corruption en Guinée : « Certaines personnes ont le bras long et quand tu as un bras dans l’administration on peut facilement te pistonner ».

 Un combat contre l’injustice 

Seule la moitié des étudiants ayant réussi le concours a été engagée, et Mamadou n’en fait pas partie. Il ne compte pas se laisser faire et comprend très vite que ces places, sa place, ont été données à des individus haut placés, n’ayant jamais validé toutes les étapes nécessaires pour obtenir le matricule, en échange d’une somme d’argent versée au ministère. « Certains d’entre eux n’avaient même jamais mis un pied dans une école ». Un long travail d’investigation débute alors pour Mamadou. Il rencontre plusieurs personnes de l’administration, se présente en tant que journaliste, et demande à voir différentes listes : celle des admis au concours, celle des différents stages effectués par chacun, celle des recrutés à la fonction publique. Il finit, après avoir insisté pendant plusieurs jours, par les obtenir. Face à ces listes, Mamadou le sait, il doit garder des traces, commencer à collecter des preuves matérielles qu’il pourra montrer au grand public. « Avec l’administration, ce sont les actes qui parlent ». Dans un élan d’adrénaline et de courage, et alors qu’il est seul dans un bureau pour consulter ces listes, il court dans un autre bureau pour faire des photocopies des pages les plus importantes. Ces photocopies, il les cache dans sa veste. Il revient tranquillement dans le bureau, repose les originaux, et s’en va. C’est la première fois qu’il est confronté à un tel travail d’investigation.

Mamadou interviewe des femmes productrices de légumes dans la banlieue de Pita.

Il faut maintenant exploiter ces listes. « Quand je suis sorti il y avait aussi un travail en aval, il fallait avoir toute une équipe. Mener ce combat seul c’est compliqué. » Mais Mamadou n’est pas seul, comme lui, plus de trois cent autres personnes ont réussi le concours sans être finalement titularisées. Pour les connaître, un travail méticuleux a dû être réalisé. La liste des personnes titularisées est affichée en ville. Ainsi, Mamadou vient chaque jour et observe le comportement des gens qui passent devant. Chaque air étonné, déçu, chaque signe de colère ou d’incompréhension est un indice précieux pour identifier les personnes qui, comme lui, sont victimes de la corruption guinéenne. De cette manière, Mamadou recense plus de deux cents personnes, et les invite à rejoindre sa lutte. Communications, révélations, tout un travail se déclenche. Il reçoit alors ses premières menaces, notamment de la part du chef de l’enseignement pré-universitaire. Il n’est pas question d’abandonner, Mamadou poursuit sa lutte, continue à se rendre dans des émissions, à rédiger des articles. Il lance un appel à toutes les personnes étant dans la même situation, et organise un sitting devant le ministère. Manifester fait partie de ses droits, il le sait, tout comme les quatre-cent personnes qui l’accompagnent.

Article de D. Labboyah, en date de mai 2012, faisant état du sit-in.

Le sit-in a lieu le 2 mai 2012. Le climat est tendu, la menace est grande. « On se savait sous la menace mais j’estime que c’est un combat noble ». Mamadou est la figure de ce soulèvement, il est particulièrement recherché par les autorités. Après quelques minutes seulement, il est arrêté, passé à tabac. « L’arrestation était très brutale. J’ai reçu plusieurs coups de matraque, dont un sur la main. J’avais une bague à cet endroit, elle est rentrée dans ma peau. J’étais ouvert, on voyait mon os ». Il reste en garde à vue, sans recevoir de soins pour ses blessures, pendant plus de vingt-quatre heures. Le groupe a tout de même manifesté, mais sans son porte-parole. Mamadou est finalement relâché. 

Loin d’être intimidé, il poursuit sa lutte et rencontre de grandes personnalités politiques, directement dans leur cabinet : le ministre de l’éducation ou encore le ministre de la sécurité. « J’étais assis en face d’eux, et je ne mâchais pas mes mots. Je savais que je détenais des preuves tangibles ». Plusieurs tentent de le corrompre en lui proposant de grosses sommes d’argent. Hors de question pour Mamadou qui n’hésite pas à faire part aux médias de ces tentatives pour étouffer l’affaire. « Je suis resté intraitable durant toute ma lutte contre la corruption ». Les responsables politiques le comprennent, le mouvement ne s’étouffera pas. La lutte a été efficace puisque plus de deux cents trente personnes ont été rétablies dans leurs droits.

Une victoire la lutte continue

Mamadou fait partie des personnes qui ont finalement réussi à se faire entendre. Mais comme une sorte de punition, il est envoyé à plus de quatre cents kilomètres de la capitale, dans l’une des plus petites écoles du pays, coupé de tout. C’est un moyen de le faire taire, mais c’est mal connaître le jeune guinéen.

Il réussit à se rapprocher de la capitale grâce à une mutation et saisit donc un poste dans une autre école quelques mois plus tard. Il rejoint aussi une radio, pour poursuivre sa lutte contre la corruption. 

Article de Mamadou dans lequel il dénonce la destitution des délégués scolaires

Le combat sera encore long, il le sait. L’émission dans laquelle il figure est de plus en plus connue, et Mamadou s’intéresse désormais aux personnes déchues de leur poste en raison de leurs affinités politiques, ou de leur origine ethnique. Même si les Peuls constituent l’ethnie majoritaire en Guinée, ils n’ont pas le pouvoir politique et sont considérés comme des opposants. « La politique en Afrique a été ethnicisée. Aujourd’hui en Guinée, quand tu es de cette ethnie même si tu n’es pas politicien le pouvoir te voit comme un opposant ». Mamadou est Peul, et dans le cadre de sa lutte contre la corruption, il trouve cette situation inacceptable. Il mène plusieurs interviews à ce sujet, et se retrouve à nouveau sous le coup de menaces, principalement des coups de téléphone très virulents. « Une fois, alors que je cherchais à avoir de nouvelles informations auprès de l’administration, un employé m’a menacé d’appeler la police, et de me faire arrêter ». Il est finalement contraint de quitter la Guinée en 2017, alors que les menaces s’intensifient.


Si vous souhaitez en savoir plus sur le parcours de Mamadou, restez connectés. L’épisode 2 sera publié très prochainement et fera part du périlleux parcours de Mamadou lors de son arrivée en France.

D’autres articles 

Michèle Léridon, notre grande amie de la Maison des journalistes n’est plus.

Ancienne directrice de l’information de l’Agence France-Presse, première femme à ce poste, Michèle Léridon est décédée brutalement, lundi 3 mai à l’âge de 62 ans, date de la journée mondiale de la liberté de la presse. Elle était une grande amie de la Maison des journalistes.

Figure du paysage médiatique français (lire sa biographie détaillée), membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en charge du pluralisme, elle a œuvré – avec l’AFP – pour l’accueil et l’insertion professionnelle des journalistes réfugiés.

Reconnue à l’unanimité par ses pairs, de nombreux hommages saluent son professionnalisme, son engagement et son courage. “Quelle tristesse! Quelle perte pour le journalisme! (…) Michèle était une vraie amie de la Maison des journalistes”, a twitté Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes.

En juin 2017, Michèle Léridon et ses collègues[1] avaient reçu une délégation de journalistes de la Maison des journalistes au sein du siège de la rédaction de l’Agence France Presse (AFP), dans le cadre du partenariat. « L’AFP est heureuse et fière de s’associer à la Maison des journalistes. Celle-ci joue un rôle essentiel dans l’accueil et l’accompagnement des journalistes qui ont fui leur pays pour avoir voulu exercer leur métier d’informer au péril de leur vie ou de leur liberté », avait déclaré à cette occasion la directrice de l’Information de l’AFP, Michèle Léridon.

Michèle Léridon aux côtés des journalistes résidents de la MDJ

Pour Fabrice Fries, président de l’AFP, Michèle était “l’archétype du journaliste de l’AFP avec un parcours varié, une expérience internationale et faisait preuve d’un grand courage sur le terrain”.

Roch-Olivier Maistre, président du CSA, très ému, a salué sa très grande rigueur intellectuelle et professionnelle.

Le personnel de la Maison des journalistes et ses journalistes résident.e.s adressent à sa famille, ses proches et ses collègues, de chaleureuses et affectueuses pensées. Ils s’engagent à poursuivre son combat aux côtés de l’AFP dans le cadre de leur partenariat.

[1] Boris Bachorz (directeur régional Afrique), Sonia Bakaric (adjointe au chef du Desk international et chargée de la cellule Afrique), Sophie Wronecki (assistante à la direction de la communication),  Frédéric Dumoulin, (chef du service politique), Philippe Chetwynd (rédacteur en chef central), Rémi Banet (Journaliste réseaux sociaux), Leon Bruneau (chef du Desk international), Sébastien Casteran (adjoint du chef de Service Infographie) et Frédéric Bourgeais (Graphiste Web/Designer interactif).

D’autres articles

Dara (dessinateur iranien) : “Des jeunes vivent la liberté sans en avoir conscience”

En collaboration avec la Maison des journalistes, L’Orient à l’envers vous présente Dara, caricaturiste iranien aujourd’hui réfugié en France. Via son parcours, cet ancien résident de la MDJ revient sur son métier, ses conditions de travail en Iran, son arrivée en France et les valeurs qu’il porte aujourd’hui.

Ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ), Dara est arrivé en France en 2015 après la fermeture de son journal et fuyant les menaces à son encontre. “Je suis arrivé ici par hasard. C’est étrange, avec toutes les difficultés, comme l’obstacle de la langue. Un changement radical”.

Dessinant depuis l’âge de huit ans, ce langage universel lui permet de penser, communiquer et partager. C’est SA vie, résume-il. D’ailleurs, la première chose faite le jour de son arrivée à Paris, fut de se rendre au musée du Louvre. “C’était MON rêve d’enfant. C’était impressionnant. La culture française en général m’attire beaucoup”.

Dans ce podcast, Dara évoque aussi sa vision de la société française, estimant que son pays est incompris des Français, par leurs jugements “ erronés” sur les Iraniens. Ce constat le choque surtout lorsque les médias sont impliqués. “Nous sommes restés étrangers au monde occidental. L’Iran est malheureusement très absent des médias français, ses images très stéréotypées découlent d’un jugement partial, comme pour voile ou l’autorité religieuse. Parfois c’est vrai, mais ce ne sont pas des choses fondamentales. Nous pourrions par exemple évoquer différents Irans : Iran de la politique, de la culture, de la religion, etc.” Dara estime que les Iraniens sont “plus modernes” qu’ils ne paraissent. “L’Iran n’est pas un pays démodé. Les chiffres montrent que les femmes iraniennes sont plus éduquées que les hommes. Nous sommes une société moderne, bien à jour par rapport à l’actualité, et l’islam iranien est particulier.”

Membre de l’association Cartooning for Peace créée par le dessinateur Plantu et Kofi Annan, prix Nobel de la Paix et ancien Secrétaire général des Nations Unies, Dara est engagé dans des combats lui tenant à cœur. C’est le cas par exemple de l’éducation aux médias avec de multiples ateliers qu’il anime au profit des collégiens et lycéens français. “Il y a des jeunes qui vivent la liberté sans en avoir conscience. J’adore partager cela avec eux et leur dire combien ils ont de la chance”.


Halgurd S. © L’Orient à l’envers

Écoutez également le podcast de Halgurd, réfugié kurde d’Irak et un autre ancien résident de la MDJ.

https://podcast.ausha.co/l-orient-a-l-envers/portrait-du-kurdistan 


À PROPOS DE L’ORIENT À L’ENVERS

Le podcast de décryptage inspirant et réaliste sur le danger d’une histoire unique sur le Moyen-Orient. Une histoire de catastrophes, de guerres incessantes, de pauvreté, de désespoir, mais surtout une représentation incomplète, négative, stéréotypée, qui éloigne, dépossède et déshumanise.

L’Orient à l’envers se propose d’analyser et critiquer ces représentations, de découvrir ces sujets oubliés et de comprendre cette actualité compliquée, méconnue ou mal connue pour porter une représentation différente, juste, authentique.

D’autres articles sur l’Iran

Ibrahim Cheaib : La Maison des journalistes m’a sauvé !

Ibrahim Cheaib, journaliste Libanais et résident de la MDJ, était l’invité de Radio Notre Dame pour une émission consacrée à la journée mondiale de la liberté de la presse. Il revient sur la situation de la liberté de la presse au Liban, les raisons de son exil et sa vie actuelle en France.

D’autres articles sur l’Iran

Ammar Abd Rabbo : ambassadeur des journalistes exilés

Ambassadeur de la Maison des journalistes (MDJ) et parrain de sa promotion de 2020-2021, le journaliste et photographe franco-syrien Ammar Abd Rabbo a accompagné, ce 3 mai, les journalistes de la MDJ à l’Hôtel de Ville de Paris pour célébrer la journée mondiale de la liberté de la presse. La promotion 2020-2021 a reçu la carte Citoyenne-Citoyen de Paris des mains d’Anne Hidalgo, la Maire de Paris.

C’est depuis Beyrouth (Liban), où il était en déplacement pour plusieurs projets professionnels, qu’il revient dans cette interview sur son lien avec la Maison des journalistes, son engagement en faveur des réfugiés et sa vision de l’accueil qui leur est réservé en France.

Avoir deux amours : leur pays et Paris

Décerner les cartes de citoyens aux résidents de la MDJ, est devenu une tradition annuelle unissant la Maison des journalistes à la Mairie de Paris. Au regard de Ammar, cet acte reflète une grande importance symbolique. “Je suis fier et ému que ma ville ouvre les bras à ces journalistes et leur rende hommage. C’est faire en sorte, comme dans la chanson [de Joséphine Baker], qu’ils aient deux amours : leur pays et Paris.”

Un lieu exceptionnel pour des journalistes exceptionnels

L’engagement d’Ammar vient en partie de ses voyages et séjours dans différents pays. “Ayant vécu en Syrie, en Afrique et ayant beaucoup voyagé, je sais ce que les journalistes doivent endurer”. Invité à rejoindre le comité des ambassadeurs de la MDJ, il n’a donc pas hésité longtemps. Toutefois, il ne cache pas sa surprise, avec une touche d’humour. “J’étais un peu vexé car c’est un signe de vieillesse. On ne demande pas cela à un jeune journaliste. Mais je suis revenu rapidement à la raison. J’étais fier et ému d’appartenir à la famille de la MDJ, car c’est en effet une famille. C’est très émouvant à chaque fois d’y aller car c’est un lieu unique et exceptionnel qui héberge des femmes et des hommes exceptionnels.”

Ammar accorde une grande valeur au mot “refuge”, même s’il estime qu’il a été un peu vidé de son sens. Une raison de plus pour lui de continuer à soutenir les journalistes en exil. “Ils ont dû quitter leur famille, leur pays, leurs amis, juste pour avoir dit un mot ou avoir écrit une ligne. C’est pourquoi nous devons les aider… Ce sont des héros, mes héros en tout cas.”

De nombreux projets au Liban

En déplacement permanent, comme tous les autres “ambassadeurs”, Ammar a dû travaillé d’arrache-pied pour terminer des projets au Liban, avant de rejoindre Paris spécialement pour l’occasion. C’est le cas par exemple de sa collaboration avec Daraj, un média en ligne indépendant et alternatif “qui n’est pas soumis aux pouvoirs de la région qui ne sont pas des amis de la liberté de la presse”. Mais avant tout, il a filmé l’effondrement économique du Liban et les difficultés de la vie quotidienne des Libanais et des réfugiés. Peu importe le lieu, la cause des réfugiés et des gens “ordinaires” ne le quitte jamais.

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

 

 

D’autres articles sur l’Iran