Articles

Ammar Abd Rabbo : ambassadeur des journalistes exilés

Ambassadeur de la Maison des journalistes (MDJ) et parrain de sa promotion de 2020-2021, le journaliste et photographe franco-syrien Ammar Abd Rabbo a accompagné, ce 3 mai, les journalistes de la MDJ à l’Hôtel de Ville de Paris pour célébrer la journée mondiale de la liberté de la presse. La promotion 2020-2021 a reçu la carte Citoyenne-Citoyen de Paris des mains d’Anne Hidalgo, la Maire de Paris.

C’est depuis Beyrouth (Liban), où il était en déplacement pour plusieurs projets professionnels, qu’il revient dans cette interview sur son lien avec la Maison des journalistes, son engagement en faveur des réfugiés et sa vision de l’accueil qui leur est réservé en France.

Avoir deux amours : leur pays et Paris

Décerner les cartes de citoyens aux résidents de la MDJ, est devenu une tradition annuelle unissant la Maison des journalistes à la Mairie de Paris. Au regard de Ammar, cet acte reflète une grande importance symbolique. “Je suis fier et ému que ma ville ouvre les bras à ces journalistes et leur rende hommage. C’est faire en sorte, comme dans la chanson [de Joséphine Baker], qu’ils aient deux amours : leur pays et Paris.”

Un lieu exceptionnel pour des journalistes exceptionnels

L’engagement d’Ammar vient en partie de ses voyages et séjours dans différents pays. “Ayant vécu en Syrie, en Afrique et ayant beaucoup voyagé, je sais ce que les journalistes doivent endurer”. Invité à rejoindre le comité des ambassadeurs de la MDJ, il n’a donc pas hésité longtemps. Toutefois, il ne cache pas sa surprise, avec une touche d’humour. “J’étais un peu vexé car c’est un signe de vieillesse. On ne demande pas cela à un jeune journaliste. Mais je suis revenu rapidement à la raison. J’étais fier et ému d’appartenir à la famille de la MDJ, car c’est en effet une famille. C’est très émouvant à chaque fois d’y aller car c’est un lieu unique et exceptionnel qui héberge des femmes et des hommes exceptionnels.”

Ammar accorde une grande valeur au mot “refuge”, même s’il estime qu’il a été un peu vidé de son sens. Une raison de plus pour lui de continuer à soutenir les journalistes en exil. “Ils ont dû quitter leur famille, leur pays, leurs amis, juste pour avoir dit un mot ou avoir écrit une ligne. C’est pourquoi nous devons les aider… Ce sont des héros, mes héros en tout cas.”

De nombreux projets au Liban

En déplacement permanent, comme tous les autres “ambassadeurs”, Ammar a dû travaillé d’arrache-pied pour terminer des projets au Liban, avant de rejoindre Paris spécialement pour l’occasion. C’est le cas par exemple de sa collaboration avec Daraj, un média en ligne indépendant et alternatif “qui n’est pas soumis aux pouvoirs de la région qui ne sont pas des amis de la liberté de la presse”. Mais avant tout, il a filmé l’effondrement économique du Liban et les difficultés de la vie quotidienne des Libanais et des réfugiés. Peu importe le lieu, la cause des réfugiés et des gens “ordinaires” ne le quitte jamais.

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

Crédit photo : Karzan Hameed (3 mai 2021)

 

 

D’autres articles sur l’Iran

L’Oeil de la MDJ se dote d’une nouvelle stratégie

L’œil de la Maison des journalistes est en train de se moderniser. Après l’arrivée de Christophe Joly, notre rédacteur en chef, et Hicham Mansouri, le chargé d’édition, c’est le moment pour une nouvelle stratégie de développement. Présentée le 20 janvier dernier, la nouvelle stratégie réaffirme la place des journalistes résidents et des partenariats éditoriaux.

En présence d’une quinzaine de journalistes résidents (anciens et actuels), c’est Darline Cothière, directrice de la MDJ (également directrice de publication de L’œil), qui a donné le coup d’envoi de ce nouveau départ, résumé en trois grands axes: plus de partenariats, plus de visibilité et plus de reconnaissance des journalistes de la Maison des journalistes.

Le chargé d’édition a ensuite développé les principales nouveautés qui seront apportées au journal. Il y a d’abord la place qui sera donnée à la chronique avec les plumes d’anciens résidents à l’instar de Larbi Graïne, Sakher Edris, Shiyar Khaleal et Ghys Fortune. Ensuite, toujours du côté contenu, le format vidéo sera renforcé. Afin de dépasser l’obstacle de la langue, les journalistes pourront – grâce aux partenariats avec des universités et des écoles de traduction – écrire également en arabe et en anglais (en plus du français). Enfin, des partenariats éditoriaux qui seront entrepris pour permettre aux journalistes et au journal de gagner en visibilité.

© Davy Goma Louzolo

Plus largement, cette nouvelle feuille de route réaffirme la place des journalistes réfugiés dans ce projet, en mettant leur reconnaissance dans le paysage médiatique français au cœur de ses priorités et en offrant un accompagnement personnalisé dans le processus d’intégration professionnelle des journalistes résidents (formations, stages et mise en réseau).

À la fin de cette rencontre, réduite en nombre pour cause des mesures sanitaires liées au Covid 19, un temps d’échange avec les journalistes présents a permis l’émergence de nouvelles idées pratiques qui ont été rapidement intégrées au projet. Il s’agit notamment d’une série de formations qui seront dispensées par des anciens résidents de la Maison des journalistes.

À rappeler que L’œil de la Maison des journalistes est une plateforme numérique dédiée à la liberté de la presse et d’expression. Répertorié par le ministère de la Culture et la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) parmi les médias en ligne reconnus[1], le journal permet aux journalistes résidents (demandeurs d’asile et réfugiés) de continuer à informer sur ce qui se passe dans leur pays et à donner un regard original sur l’actualité française[2].

[1] Numéro CPPAP : 0523 Z 93080

[2] Le journal reste également ouvert aux contributeurs externes.

D’autres articles

“La plupart des français ne savent pas ce qu’il se passe au Yemen” – Presse 19 à Turin avec la Maison des journalistes

Deux journalistes yéménites en exil, Ali Al-Muqri et Ameen Al-Safa, ont accompagné la directrice de la Maison des journalistes Darline Cothière à la sixième édition de “Presse 19” – “Voci Scomode” en Italie, pour une table ronde dédiée à la liberté de la presse dans le monde, et plus spécialement au Yemen. Cet événement a eu lieu le mercredi 20 novembre 2019 au Circolo della Stampa de Turin.

A cette occasion, nous avons interviewé Ameen Al-Safa, pour lui poser quelques questions sur le Yemen et la liberté de la presse. 

Mon nom est Ameen Al-Safa, journaliste yemenite, titulaire d’une maitrise en journalisme. J’ai travaillé à l’agence nationale du Yemen Saba. 

J’ai commencé en 2007 à la direction générale pour l’information nationale et internationale. En 2012, j’ai intégré un journal dans lequel j’ai été nommé secrétaire de rédaction en 2015.

J’écrivais sur des sujets politiques et sociaux. Et bien sûr, j’ai couvert la guerre.

J’ai donc observé les rebelles Houthis construirent leur hégémonie, de la prise de la ville de Sa’Dah jusqu’à celle de la capitale. Sanaa est tombé en 2014, ils ont ensuite renversé le gouvernement légitime.”

Comme journaliste, Ameen a donc suivi les différentes prises des rebelles. Aujourd’hui, ces rebelles contrôlent le pays et ont changé de capitale, la ville de Sanaa a perdu son statut au profit d’Aden. 

Ameen, journaliste recherché, a donc dû fuir le pays. Il a depuis consacré beaucoup d’énergie pour permettre à sa femme et sa fille de le rejoindre en France.

Menacé par la guerre, l’angoisse d’Ameen pour sa famille était palpable durant de longs mois quand il habitait à la Maison des journalistes. Mais la MDJ n’est pas qu’un refuge pour journaliste exilé, c’est aussi une association qui promeut la liberté d’informer.

Ainsi, Ameen participe régulièrement à l’opération Renvoyé Spécial organisée conjointement avec le CLEMI, ce qui lui permet de présenter son parcours à des lycéens. Au coeur de son intervention, le Yemen. 

Je regarde de temps en temps les réseaux sociaux et les medias français, c’est plus simple quand ils parlent arabe comme France 24. Mais d’une manière générale, les journaux francais ne donnent pas d’importance à cette guerre.

Lorsque je rencontre des lycéens et des français, la plupart n’ont jamais entendu parler du Yemen. Ils disent “je ne sais rien de ce qui se passe au Yemen”. Ils ajoutent que ce n’est pas de leur faute, les medias français ne traitent pas le sujet du Yemen.”

Certes, les ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite au profit des rebelles qui s’attaquent au Yemen ont défrayé la chronique. Cependant, le sujet traité n’était pas la guerre au Yemen, mais uniquement la vente d’armes françaises.

Le Yemen, un pays qui a connu l’essor d’une presse libre dans les années 90

Le Yemen a aussi connu un “printemps de la presse” dans les années 90 jusqu’aux années 2000. Ameen nous raconte l’histoire de quelques magazines avec émotion. 

Il y a eu beaucoup de journaux en anglais. Le premier fut publié dès 1960, Aden Chronicile fondé par Mamad Ali Loukman et le second The Recorder a été créé par Mamad Bachar Rail.

En 1991 le docteur Abdelaziz Sakaf, fondateur du journal Yemen Times, premier journal en anglais à paraitre au Yemen, permet aux citoyens de s’informer et de faire connaitre aux anglophones l’actualité du pays. Il publiait deux fois par semaine.

En 1996, Faris Saggaf fonde le journal Other Fa, publié trois fois par semaine.

S’en suit la création d’autres journaux comme Yemen Today et Yemen Post tous deux créés par Akhim Massmari. Tous leurs articles sont en anglais.    

Depuis la guerre, il y a toujours des journaux qui sont publiés, mais dorénavant ils appartiennent tous au Président Hadi.”

Fresque de Murad Subay à Paris pour dénoncer la guerre au Yemen

La guerre a aussi détruit les médias yéménites

Depuis le 21 septembre 2014, le mouvement houthiste controle la capitale Sanaa. Dès cet instant, ils ont commencé à détruire des médias, des chaines d’information et des bureaux de presse. Visés en priorité, les médias qui s’expriment en arabe (et qui sont donc plus accessibles pour la population).

Aujourd’hui, beaucoup de journalistes sont en prison, tout comme les écrivains, les activistes… Il n’y a aucun journal qui publie tous les jours au Yemen, sauf le journal intitulé 14 octobre qui est pro-gouvernemental. Il est uniquement publié dans la nouvelle capitale, Aden. Il glorifie les rebelles et les saoudiens au détriment du gouvernement légitime. 

Je peux donc vous dire que la liberté de la presse est en deuil au Yemen, mais si nous revenons vers un régime plus républicain, les yéménites ont déjà gouté à cette liberté et ils en voudront encore.”

Pour lire le communiqué de presse en italien, cliquez ici.

Merci au journaliste tchadien Adam Mahamat qui nous a permis de traduire de l’arabe yéménite vers le français.

© Stefano LORUSSO

Qui est Ali Al-Muqri ?

Outre Ameen Al-Saffa, Ali Al-Muqri sera aussi présent lors de cette conférence. Ancien résident de la MDJ, son parcours journalistique et d’écrivain lui permettent d’avoir un regard aiguisé sur la liberté de la presse au Yemen. 

Ali Al-Muqri est né dans le nord du Yémen en 1966. Dès la fin des années 80, Il collabore avec de nombreux journaux progressistes yéménites.

En 1997, il devient éditeur d’Al-Hikma, l’organe de presse de l’association des écrivains yéménites. Dix ans plus tard, il est élu directeur de la revue littéraire Ghaiman.

Acquérant la réputation d’homme de lettres engagé, il publie trois romans : « Goût Noir, Odeur Noire », « Le Beau Juif » et « La Femme Interdite »  qui a reçu le prix Littérature arabe en 2015.

Il est également auteur d’un essai sur l’alcool et l’islam, livre qui lui a valu de nombreuses menaces et représailles. En 2015, il est contraint de partir du Yemen et vit depuis en France.

Ci-dessous, une vidéo du “Voci Scomode – Presse 19” en 2018

Les journalistes de la MDJ à la découverte de l’UNESCO

[Par Louis ROYER]

Mercredi 28 juin dernier, les journalistes de la Maison des journalistes ont eu l’opportunité de participer à une visite guidée et approfondie de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), dont le siège est à Paris. Un moment unique qui fut l’occasion pour les journalistes réfugiés de découvrir toutes les missions et le rôle primordial joué par l’organisation.

Lire la suite

Visite de Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères à la Maison des Journalistes : « Etre journaliste aujourd’hui, est plus qu’un métier, c’est un combat »

[Par Elyse NGABIRE]

Au lendemain de la célébration de la journée mondiale dédiée à la liberté de la presse, le ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, Jean-Marc Ayrault a été reçu à la MDJ. Il portait un message d’espoir et de soutien à tous les journalistes en général et aux journalistes exilés en particulier.

4 mai, journée très attendue à la Maison des Journalistes. Il est 12h20 au 35, rue Cauchy, siège de la Maison des Journalistes (MDJ), une ancienne usine de brosses, quand Jean-Marc Ayrault débute sa visite. Journalistes français et étrangers ont sorti leurs caméras, micros et enregistreurs pour couvrir ce grand évènement. Organisations pour la défense des droits des journalistes, partenaires de la MDJ, amis, etc. s’étaient joints aux journalistes exilés et à l’équipe du personnel de la Maison pour partager l’évènement.

Tout a commencé par une visite guidée des locaux de la MDJ et une rencontre avec les journalistes exilés actuels et anciens résidents. Chacun a eu l’occasion pour expliquer au ministre les raisons de son exil et l’état de la violation de la liberté d’expression et de la presse dans son pays.

(Source : Frédéric de La Mure)

(Source : Frédéric de La Mure)

Pour la directrice Mme Darline Cothière :  « ces hommes et ces femmes sont ceux qui donnent l’état du monde et informent »« Pourtant, regrette-t-elle, ils sont poursuivis, menacés pour avoir dit la vérité. » Comme par exemple cette journaliste syrienne qui a filmé les djihadistes en caméra cachée et a été pourchassée par Daesh jusqu’à son arrivée en France à la Maison des journalistes. Il y a également Ali, yéménite, écrivain qui a écrit sur la situation des femmes dans son pays. Il a été persécuté pour ses textes.

C’est également le cas d’Elyse, une jeune femme journaliste burundaise qui a dû laisser ses trois enfants au pays et de Johnny, journaliste centrafricain dont le frère a été assassiné à sa place. Ces journalistes, explique la directrice de la MDJ, sont nombreux : « A ce jour, plus de 360 issus des pays différents ont été accueillis, hébergés et soutenus par la Maison. »

La possibilité de garder leur plume

Mme Cothière a fait savoir que la MDJ, dans ses activités, offre aux journalistes exilés le choix de continuer la mobilisation de la liberté de la presse à travers notamment L’œil de l’exilé, journal en ligne de la MDJ.

En outre, ces journalistes ont la possibilité d’aller partout en France, à la rencontre des jeunes. Une action qui a une très grande importance, rassure la directrice de la MDJ : « Ils vont témoigner leur parcours d’exil, de la situation de la presse dans leurs pays et surtout de sensibiliser les jeunes générations à vivre ensemble, à la liberté d’expression et à la liberté de la presse. »

(Source : Frédéric de la Mure)

(Source : Frédéric de la Mure)

A ce jour, la MDJ recense plus de 1 00 000 jeunes sensibilisés à travers toute la France et à travers cette opération que la MDJ et ses partenaires ont baptisée Renvoyé spécial. D’ailleurs, elle fête ses dix ans cette année. 

Hommage aux partenaires

Ces actions, reconnaît la directrice de la Maison des Journalistes, sont menées grâce aux différents partenaires : la Mairie de Paris qui a mis à la disposition les locaux du MDJ. La mairie accompagne également dans la réalisation des grands évènements comme les conférences-débats, les expositions d’envergure, etc.

Elle rend hommage de surcroît aux médias parrains qui sont environ une quinzaine, au ministère de l’éducation nationale, de Presstalis qui aide Renvoyé spécial, le Ministère de la Culture et le Ministère de la Justice, etc.

Mme Cothière salue aussi le soutien et l’accompagnement indéfectible de l’ambassadrice des Droits de l’Homme et de toutes les personnes dont les noms n’ont pas été cités mais qui s’impliquent d’une manière ou d’une autre : « Merci à tous. »

(Source : Frédéric de la Mure)

(Source : Frédéric de la Mure)

La directrice de la MDJ dédie l’évènement à tous les journalistes qui, de par le monde, sont actuellement persécutés, ainsi qu’aux héros de Reporters sans frontières, un des partenaires de la Maison .

Et de déclarer aux différents invités que la Maison des journalistes a besoin d’eux plus que jamais.

La Maison des Journalistes ou la Maison de la liberté

Selon Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, à travers les actions que la MDJ mène, elle doit désormais être baptisée « La maison de la liberté ».

D’après lui, c’est un lieu unique au monde, un refuge, pour des femmes et des hommes venus de toute part : « C’est un foyer, pour ceux qui, par conviction et par sens du devoir ont dû fuir leur pays ou en ont été chassés pour un seul motif : l’exercice de leur mission d’informer.»

(Source : Frédéric de la Mure)

(Source : Frédéric de la Mure)

C’est un lieu de reconstruction personnelle, poursuit le ministre, d’apprentissage, de découverte d’une autre société, d’un autre monde. Il estime que c’est aussi un symbole qui est celui de la solidarité associative, celle qui fait honneur à la France.

M. Ayrault salue l’action de RSF et de tous les médias qui sont associés à la MDJ, à tous les partenaires et surtout à la Mairie de Paris : « Durant 14 ans, vous contribuez à la faire vivre. »

Des inquiétudes

« La France, déclare le ministre des Affaires étrangères, observe avec inquiétude et parfois sur les frontières de l’Europe, une recrudescence des restrictions à la liberté d’informer : les attaques, les intimidations à l’encontre des journalistes et des médias. » C’est le cas de la Russie, de la Turquie, de l’Afghanistan, de l’Egypte, de l’Erythrée, du Burundi, etc. « Face au terrorisme, la liberté de la presse et les droits de l’homme ne peuvent et ne doivent jamais être considérés comme une contrainte. Au contraire, le droit de s’exprimer librement est une arme contre l’obscurantisme et la folie barbare. Ces droits doivent s’exercer chaque jour», clame-t-il.

Pour lui, la presse joue un rôle fondamental dans l’information des citoyens sur des phénomènes transnationaux. Ainsi, elle a besoin d’une soutien indéfectible des autorités politiques, démocratiques. M. Ayrault pense à la récente publication des Panama Papers qui est le résultat du journalisme d’investigation : « Les journalistes font leur travail, c’est ensuite aux autorités politiques, démocratiques de faire le leur, de prendre le relais. »

Des engagements sans suivi

Toujours selon Jean-Marc Ayrault,  il y a dix ans que la résolution 1738 du conseil de sécurité des Nations unies s’engageait à renforcer la protection des journalistes dans les conflits armés.

Dix ans plus tard, poursuit-il, l’adoption en mai 2015 de la résolution 2222 appuyait cette priorité en rappelant aux parties à accomplir leurs obligations en matière de la protection de la presse, de prévention et de la lutte contre l’impunité pour les auteurs des crimes contre les journalistes. Pourtant, constate-t-il, ces deux textes fondateurs ne sont toujours pas mis en œuvre : « C’est pourquoi les priorités de Reporters sans Frontières pour la création, par exemple, d’un mandat spécial auprès du secrétaire général des nations unies sont à soutenir. »

(Source : Bahram Rawshangar)

(Source : Bahram Rawshangar)

« Il faut en effet de nouveaux outils » promet-il. Il estime qu’on peut voter et adopter tous les textes qu’on veut mais si rien n’est fait pour les mettre en œuvre et pour assurer leur suivi, ils créent au contraire la désillusion. Et de déclarer la détermination de la France à contribuer afin de trouver une solution, pour qu’on puisse progresser le droit partout.

« Etre journaliste aujourd’hui, plus qu’un métier, c’est un combat, c’est une responsabilité d’enquêter, d’expliquer, celle d’ouvrir nos concitoyens à la complexité au monde, de faire toute la lumière sur les grands évènements parfois au péril de sa vie », reconnaît le ministre.

D’après lui, c’est tout l’honneur de la profession, surtout l’honneur de la France de soutenir la Maison des Journalistes et de défendre ainsi de manière concrète la liberté d’expression et d’opinion et ceux qui la portent.

Enfin, il rend  hommage à tous les journalistes français, étrangers, ceux de Charlie Hebdo : « La France est consciente de ses devoirs, elle veut rester fidèle à ses valeurs. C’est un combat permanent. »

Et d’adresser son message de solidarité : « Tous les journalistes exilés qui sont venus ici sont les bienvenus dans la République française. »

 

Retrouvez la galerie photo de l’évènement ici.

La visite du Ministre en vidéo :

La conférence du Ministre :

 

 

Journalistes exilés, un plus à la presse française : Interview à Darline Cothière

[Par Benson SERIKPA]

Ils sont plus de 270 journalistes exilés à être hébergés, accompagnés et soutenus par la Maison des journalistes (MDJ) depuis sa création en 2002. Darline Cothière, directrice de cette institution nous a accordé cet entretien à la faveur de la participation de la MDJ à la deuxième édition de l’opération « Paris aime ses kiosques ». Elle évoque la mission de la MDJ et revient sur le chemin parcouru par elle et son équipe en trois ans de fonction, tout en annonçant les perspectives. Mais, point d’orgue de son intervention, l’importante contribution apportée par les journalistes de la MDJ aux médias français dans le traitement de l’information au plan international.

Darline Cothière, directrice de La Maison des journalistes

Darline Cothière, directrice de La Maison des journalistes
© Photo Jean-François Deroubaix

Quel bilan faites-vous de cette première participation de la MDJ à la deuxième édition de l’opération « Paris aime ses kiosques » qui s’est tenue il y a quelques jours au bord de la Seine ?

“Il est vrai que l’opération « Paris aime ses kiosques » a pour objectif de mettre en avant les différents kiosques de la capitale française. En prenant part pour la première fois à la deuxième édition de cette manifestation, il s’agissait pour la MDJ de mettre en avant le travail des journalistes exilés, des journalistes qui prennent d’énormes risques pour nous tenir au courant des événements qui se déroulent dans leur pays d’origine. C’est grâce au travail de ces femmes et hommes de bonne volonté confrontés à des régimes totalitaires et liberticides que nous parviennent les informations nécessaires à mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. Ces journalistes nous servent en quelque sorte à prendre la température du monde. Nous pouvons dire que notre participation a eu un impact positif au vu des réactions du public présent à notre kiosque situé Place du Colonel Fabien habillé pour l’occasion aux couleurs de la MDJ”.

À ce sujet, comment les journalistes exilés sont-ils admis à la MDJ?

“Avant toute chose, il faut préciser que la MDJ n’intervient pas directement dans les pays où le droit d’informer n’est pas respecté : nous faisons uniquement l’accueil en France. Nous sommes d’ailleurs la seule structure du genre qui existe dans le monde. Pour être accueilli et soutenu par l’association, il faut que la personne justifie dans un premier temps de sa situation professionnelle. Il faut qu’elle soit journaliste et ait été sévèrement réprimée. (Ce n’est pas du genre : “Je suis journaliste de passage en France et si je restais…” Non, ce n’est pas du tout la philosophie de l’institution).Malgré tout, l’admission à la MDJ n’est pas systématique. On traite les dossiers au cas par cas, en fonction de l’urgence dans laquelle se trouve le journaliste et de son degré d’engagement dans la presse qui lui a ou non valu des persécutions et des menaces dans son pays d’origine. Sont donc reçus les journalistes seuls, célibataires, et non les familles car la structure n’est pas appropriée pour ce genre de public. Il est arrivé que des journalistes répondant à ces critères d’admission n’aient pas pu être hébergés, dans quel cas nous pouvons au minimum leur offrir de collaborer avec nous. En effet, la MDJ n’est pas uniquement un centre d’hébergement : c’est aussi un cadre où les journalistes exilés peuvent se retrouver et où ils peuvent continuer à publier des articles via notre journal en ligne « L’œil de l’exilé » (www.loeildelexile.org)”.

À quel type de soutien ces journalistes ont-ils droit une fois admis à la MDJ?

“Dans un premier temps, nous leur offrons une assistance administrative pour les aider à constituer de façon adéquate leur dossier de demande d’asile auprès de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).. Le statut de réfugié est reconnu aux journalistes que nous accueillons dans 98% à 99% des cas, parce qu’il est évident qu’ils subissaient des persécutions dans leur pays. Nous offrons également une assistance psychologique pour ceux qui en ont besoin, que l’exil a fragilisé. (Il y a des personnes qui ont subi des traumatismes psychologiques assez importants). Nous travaillons donc pour cela avec un psychologue bilingue (français/anglais). Nous recevons également l’aide d’un travailleur social qui reçoit les journalistes quotidiennement et les accompagne dans toutes leurs démarches administratives. Enfin, nous leur fournissons un soutien plus professionnel, en leur permettant via notre site internet de continuer à faire leur travail”.

Arrive-t-il à la MDJ d’accueillir des journalistes d’une même origine dont les opinions sont divergentes?

“La MDJ étant apolitique, nous recevons parfois des journalistes exilés venant d’un même pays et de sensibilité politique différente. Nous accueillons les journalistes exilés quelle que soit leur sensibilité politique. Quel que soit le régime politique qu’il a soutenu, tout journaliste menacé dans l’exercice de ses fonctions est le bienvenu à la MDJ. Ce qui importe pour nous, c’est de recevoir un professionnel de la presse qui est pourchassé ou persécuté dans son pays parce qu’il a mis la plume dans la plaie, pour emprunter l’expression d’Albert Londres. Ce n’est donc pas tant la couleur politique du journaliste qui nous intéresse que son travail et son engagement”.

Avez-vous déjà vécu des cas où certains de vos « pensionnaires » continuaient à être menacés?

“Oui, il y a environ cinq ans. Une journaliste soudanaise nous avait rapporté avoir été suivie jusqu’à la MDJ par un groupe proche des autorités de son pays. (Mais, pas plus que ça. Hormis ce cas, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas connu de persécution majeure ici sur nos journalistes exilés). C’est le seul cas du genre, même si nous ne sommes pas à l’abri de telles situations. C’est pour cela que nous ne faisons pas de politique, que nous ne prenons pas parti  : nous cherchons à nous protéger et à protéger les journalistes exilés”.

La rencontre de Kabir Hamayun, un journaliste bangladais, avec les élèves du lycée Honoré Romane à Embrun (13 mars 2013).

La rencontre de Kabir Hamayun, un journaliste bangladais, avec les élèves du lycée Honoré Romane à Embrun (13 mars 2013).

Les soutiens financiers de la MDJ ne peuvent-ils pas influencer le fonctionnement de cette structure?

“Jusqu’ici, nous avons réussi à fédérer tous les soutiens. Je ne veux pas dire que c’est un choix stratégique, ce serait par trop cynique ; le projet en lui-même est fédérateur. Nous recevons des soutiens financiers des médias français toutes tendances confondues, presse écrite, radio, télé… Les activités de la MDJ rallient tous ces acteurs. D’ailleurs, nous avons donné à chacune de nos chambres le nom d’un média de la presse française. Nous bénéficions aussi de l’aide de la mairie de Paris, qui nous loue les locaux que nous occupons à un prix dérisoire. L’Union européenne nous soutient également financièrement. Nous avons également à nos côtés la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Presstalis… Depuis mon arrivée à la tête de cette institution en 2011, j’essaie par ailleurs de développer d’autres partenariats avec des organismes européens et internationaux. Le café de la presse de Turin, le Comité de Protection des journalistes, par exemple, viennent de nous rejoindre. L’idée serait de fédérer toutes ces institutions et organisations autour de nos différentes activités et missions”.

Lors de la fête annuelle de la MDJ du jeudi 24 avril dernier à Paris, vous avez annoncé quelques innovations dans le cadre des différentes missions et activités de la MDJ. Quelle est la particularité de ces innovations?

“Un des programmes que nous avons mis en place à la MDJ s’appelle « Renvoyé spécial ». Il s’agit de rencontres organisées entre lycéens et journalistes exilés, qui se déroulent partout en France. Pour la rentrée scolaire prochaine, nous comptons lancer un nouveau programme à l’étranger baptisé « Presse 19 », qui se déroulera dans plusieurs villes européennes. L’objectif est de faire découvrir aux jeunes d’autres pratiques journalistiques, d’autres réalités socio-économiques et culturelles”.

Quelle est la valeur ajoutée des journalistes que vous accueillez ?

“Les journalistes que nous accueillons sont une source d’informations incontournable pour les journalistes français. Ils connaissent très bien la région du monde dont ils sont originaires, ont les bons contacts et détiennent souvent des informations inédites. A la MDJ, il est facile de se rendre compte du décalage qui peut exister entre les informations publiées dans la presse française et celles que détiennent les journalistes exilés. Cela ne remet pas en cause le travail des journalistes français, il est bien normal qu’ils ne saisissent pas forcément certains aspects ou nuances relatifs aux sujets qu’ils traitent, qu’ils ne traduisent donc pas dans leurs articles. C’est en cela que le travail de décryptage de l’information effectué par les journalistes de la MDJ quand ils sont sollicités par les médias français est précieux. On peut alors apprécier leurs compétences et leur expertise dans le traitement de l’actualité internationale”.

Les journalistes de la MDJ arrivent-ils à s’intégrer dans le secteur des médias français le temps de leur exil?

“Il est très difficile pour les journalistes de la MDJ d‘intégrer le milieu des médias français, qui est très compliqué. Les journalistes que nous accueillons sont des professionnels confirmés dans leur pays respectif, ils ont pu occuper de hautes responsabilités dans leur rédaction ou organe de presse avant de se retrouver en exil, mais ils n’ont pas la pratique du métier en France ni la culture médiatique française, nous dit-on. Autant d’arguments qui font que l’intégration des journalistes que nous recevons à la MDJ est très difficile. C’est pour pallier cette situation que nous leur demandons de redéfinir leur projet professionnel en vue d’une reconversion, tout en les invitant à garder leur activité journalistique à travers notre journal « L’œil de l’exilé ». Qu’ils viennent de la presse écrite, de la radio, de la télé ou de la web presse, tous peuvent publier sur notre site internet, nous faisons de la place à tout le monde. Nous envisageons désormais de faire participerons journalistes exilés à des ateliers de formation professionnelle, de sorte qu’ils puissent également enrichir leur pratique journalistique”.