Le Soudan placé sous silence ?

Depuis le 19 décembre dernier, le peuple soudanais se bat pour la démocratie. A Karthoum, épicentre des contestations, la censure et la répression n’ont pas cessé malgré le départ du dirigeant Omar Al-Bachir le 11 avril dernier. 

Après le départ d’Omar Al-Bachir, les contestations populaires à Karthoum et plus généralement au Soudan perdurent. Le sit-in qui dure depuis des mois devant le quartier général de l’armée à Karthoum a fait naitre «radio sit-in» pour que les Soudanais puissent s’organiser, être sensibilisés et informés de ce qu’il se passe. Cependant l’écho de cette radio n’est qu’à courte échelle car elle n’émet que sur l’espace du sit-in. 

L’image prête à sourire, sauf quand on en connait la signification.
Les Janjawids qui pronent l’islam intégriste a attaqué la capitale du Soudan Khartoum il y a une semaine : étudiants tondus, filles humiliées (comme en témoigne ce trophée fait de culottes exposées par les miliciens), journalistes censurés et menacés.

Quid des autres radios? 

Maï Talha, journaliste soudanaise exilée nous a confié que les radios soudanaises étaient «extrêmement censurées».

«Sous le régime d’Al-Bachir, il y avait toujours quelqu’un pour surveiller ce que les journalistes faisaient, ce qu’ils écrivaient avant que quoi que ce soit ne soit publié. Aujourd’hui c’est encore pire, l’armée et les Janjueds contrôle encore plus l’information. Ils effraient souvent les journalistes avec une arme».


 “Ils effraient souvent les journalistes avec une arme”


Rashid Saeed, intervenant à la séance “Que se passe-t-il au Soudan?” organisée par l’Institut du Monde Arabe le 28 mars dernier, affirme que le pouvoir recourt à la censure dans le but d’éviter la circulation à l’étranger d’images de répression notamment.

Le gouvernement a selon lui “chassé tous les correspondants de la presse étrangère, retiré toutes les accréditations des journalistes étrangers, même avec les chaines de leurs alliés comme l’Arabie Saoudite par exemple”.

Les réseaux sociaux sont aussi visés par la censure. Dès le 14 décembre, le gouvernement prend la décision de couper Facebook et Whatsapp. Cependant, grâce aux réseaux parallèles, Virtual private network (VPN) par exemple, la jeunesse a surmonté cette censure. C’est dans ce contexte qu’Alaa Salah est devenue l’icône de la révolte le 8 avril dernier interprétant des chants révolutionnaires et appelant à la chute du régime d’Omar Al-Bachir.

Les Soudanais sont prêts à continuer la révolte tant qu’il faudra combattre pour obtenir un régime démocratique. Maï nous confiait que la mentalité soudanaise actuellement se résume à cette phrase “s’il faut trouver le paradis en passant par l’enfer, ils le feront”.

La vie sous Omar Al-Bachir se résumait déjà à “l’enfer” selon elle. Tous les Soudanais “sont morts dans le coeur”, alors ils n’ont rien à perdre. 


“S’il faut trouver le paradis en passant par l’enfer, ils le feront.”


Alice Franck, spécialiste du Soudan affirme que les réseaux sociaux ont permis de “faire gagner de l’adhésion au mouvement” ainsi que “donner de la visibilité à l’étranger” sur ce qu’il se passe au Soudan. 

Selon Maï, depuis le 5 juin les Soudanais commencent à retrouver “une once d’espoir“.

La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore les Etats-Unis, se penchent sur la situation au Soudan et commencent à diffuser des informations concernant les répressions. C’est pour les Soudanais un pas qui mène vers la liberté et la démocratie”. 


“Un pas qui mène vers la liberté et la démocratie.”


“Depuis 2 jours, tous les réseaux sociaux étaient bloqués, je n’avais aucune nouvelle de mes proches, ce n’est que ce matin que la communication a repris et le partage d’information par les pays étrangers y est pour quelque chose”.

Depuis l’intervention des Janjued (milice soudanaise) lundi 3 juin contre le sit-in, les réseaux sociaux et les radios étrangères étaient complètement censurés. Ils ne se sont débloqués que mercredi matin 5 juin.

Maï qui recevait régulièrement des photos et vidéos d’un ami encore au Soudan via Whatsapp n’a plus de nouvelles de lui depuis deux jours et s’inquiète terriblement. Maï connait très bien la situation de son pays. D’ici elle est largement informée par des proches présents sur place. Ses inquiétudes sont fondées sur des nouvelles qui l’attristent chaque jour un peu plus. “Quand est ce que cela va s’arrêter” se demande-t-elle les yeux embués d’espoir.

Contexte au Soudan

Au Soudan un véritable mouvement politique est né le 19 décembre 2018. C’est suite à la hausse du prix du pain et de l’essence que les Soudanais ont commencé les contestations. Elles se sont soldées par des manifestations réclamant le départ du dirigeant Omar Al-Bachir.

Le dirigeant soudanais emporté par la révolte a tenté de se maintenir par la censure comme depuis 30 ans, en vain. Les civils ont tenté de négocier avec les militaires pour instaurer un nouveau régime, démocratique désormais, mais aucun accord n’a été trouvé.

Les militaires à leur tour reproduisent la censure et la répression déjà exercées par le dirigeant Omar Al-Bachir pour instaurer par la force un régime militaire.

Les militaires travaillent avec les Janjueds et terrorisent la population. L’AFP rapporte que les Janjueds ont fait au moins 108 morts et 500 blessés depuis le lundi 3 juin.