Trois ans après le coup d’État militaire en Guinée menant à la chute du régime d’Alpha Condé, la junte militaire au pouvoir a annoncé la tenue d’un vote pour une nouvelle constitution. Présenté comme une avancée démocratique, cette annonce divise : entre les retards, les répressions et les dérives autoritaires, le pouvoir militaire en place est la cible de vives critiques. Retour sur la situation depuis le coup d’État.
[Par Juliette Durand, publié le 07/05/2025]

Chute du régime
En septembre 2021, un coup d’état est advenu en Guinée Conakry, pays situé sur la côte ouest africaine, entre le Sénégal (au nord), et la Côte d’Ivoire (au sud). Ce putsch a été largement favorisé par un contexte politique et social tendu depuis plusieurs années. C’est notamment le troisième mandat controversé du président de l’époque Alpha Condé qui a entraîné de fortes contestations: Alpha Condé a été élu pour la première fois en 2010, puis réélu en 2015.
Adoptée en 2010, la constitution de la Guinée limitait le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais en 2020, Alpha Condé a décidé de modifier cette dernière par un référendum controversé, pour lui permettre de briguer un troisième mandat. Cette décision a été très critiquée par l’opposition et par une grande partie de la population, qui y voyait une violation de la constitution et un coup de force politique.
Ce changement constitutionnel a ainsi entraîné de nombreuses manifestations dans tout le pays. Ces dernières ont été violemment réprimées par les forces de sécurité, accentuant les tensions politiques et sociales dont était déjà en proie le pays. En effet, de nombreux opposants ont été arrêtés et plusieurs personnes tuées lors des manifestations.
En plus du désaccord sur le changement de constitution, l’opposition a accusé Alpha Condé de fraudes électorales après que ce dernier ait remporté l’élection présidentielle de 2020, l’amenant à son troisième mandat.
L’opposition a notamment dénoncé des irrégularités dans le processus électoral notamment des violences et des restrictions à la liberté de la presse.
Une fois arrivé au pouvoir, le président a installé un autoritarisme se faisant de plus en plus important : il impose des restrictions pour les médias et pour la liberté de la presse, des surveillances accrues de la société civile, et une répression croissante et de plus en plus violente de ses opposants politiques.
Le contexte économique de la Guinée favorise aussi un terrain de contestation du pouvoir en place : Pratiquement la moitié des guinéens vivent sous le seuil national de pauvreté (43%).
Malgré un taux de croissance économique en hausse, la Guinée a aussi fait les frais d’une inflation élevée, participant au mécontentement de la population. En 2021, elle atteignait les 12,7%, selon le ministère de l’économie et des finances de Guinée.
Ainsi, le 5 septembre 2021, le coup d’état survient après plusieurs mois de tensions croissantes. Une unité d’élite de l’armée guinéenne s’empare du palais présidentiel et capture le président.
Le lendemain du coup d’État, les militaires ont annoncé la dissolution du gouvernement et la suspension de la constitution. Ils ont ensuite formé un Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD).
C’est ce comité qui a pris le contrôle du pays et a annoncé la mise en place d’un gouvernement de transition, incluant la formation d’un nouveau gouvernement et des réformes politiques et économiques. Ils ont indiqué que la transition pourrait durer 3 ans.
La communauté internationale a dénoncé le coup d’État, puis a appelé à la mise en place d’un rapide processus de transition menant à des élections libres et démocratiques.
Un ministre de la transition, Mohamed Béavogui, a été nommé en octobre 2021, et le Comité national de la transition (CNT) a été créé.
Annonce du référendum
Le 1er avril 2025, par un décret lu à la télévision publique, le chef de la junte militaire au pouvoir en Guinée depuis le coup d’État de septembre 2021 a fixé la date du référendum sur l’adoption de la nouvelle constitution. Ce dernier aura lieu le 21 septembre 2025.
La tenue de ce référendum est considérée comme une étape cruciale vers le rétablissement d’un régime démocratique. Il devrait permettre de remplacer la constitution de 2010, adoptée sous le régime de Condé, ce qui pourrait changer l’architecture politique du pays. Il aura aussi comme fonction d’officialiser la fin du processus de transition, en place depuis le coup d’État, au vu des élections législatives et présidentielles qui devraient avoir lieu dans la foulée du référendum.
Néanmoins, la communauté internationale, les guinéens et les opposants politiques reprochent au général Doumbaya, président de la Transition, et leader du putsch, de retarder ce processus.
Un retard dénoncé
En effet, après le coup d’état de 2021, le général Doumbaya s’était engagé, sous la pression de la communauté internationale, à mettre en place une période de transition de trois ans, puis d’organiser des élections, afin de remettre le pouvoir à des élus civils.
Mais la junte au pouvoir n’a pas tenu parole, la date butoire promise pour le retour à une administration civile ayant été largement dépassée.
Le retard pris par la junte au pouvoir dans l’achèvement de la période de transition et dans l’organisation du référendum et des élections ont créé de vives tensions au sein de la société guinéenne, donnant lieu à des contestations et soulèvements réprimés violemment par le régime en place.
Répressions et restrictions
Le comité national du rassemblement et du développement (CNRD) a par exemple imposé l’interdiction de manifester en mai 2022, et les forces de sécurité n’ont pas hésité à user excessivement de la force, notamment via l’utilisation de gaz lacrymogènes et d’armes à feu pour disperser les manifestants, faisant des dizaines de morts. Depuis juin 2022, Human Rights Watch a dénombré 59 personnes, dont au moins 5 enfants, mortes lors des manifestations à Conakry.
Les médias ont aussi été la cible de l’autorité en place. Plusieurs médias indépendants ont été suspendus, contraints de cesser toute diffusion, parmi lesquels Espace TV, Fréquence Médias et Djoma Médias, ces derniers figurant parmi les plus regardés du pays. Plusieurs journalistes ont aussi été arrêtés de façon arbitraire, toujours selon l’ONG Human Rights Watch.
Les opposants politiques n’ont pas été une exception : ils ont, eux aussi, été le point de mire du général Doumbaya. Le régime a entrepris la dissolution de 53 partis politiques, et la suspension de 50 autres pour des manquements présumés, dans l’optique d’affaiblir l’opposition, et de prolonger la période de transition.
Certains opposants politiques ont été portés disparus, ou torturés. En juillet 2024, trois membres du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), coalition d’opposition appelant à un retour à un régime démocratique, ont été enlevés, battus, et amenés dans un camp militaire, et sont, depuis, maintenus en détention de manière arbitraire.
Un référendum poudre aux yeux?
Malgré l’annonce d’une date pour la tenue du référendum, l’opposition politique et les défenseurs de la démocratie en Guinée Conakry sont loin d’être convaincus.
L’alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (Anad), a qualifié cette annonce d’une “manœuvre de diversion destinée à masquer l’absence de toute intention réelle d’organiser des élections libres”, dans un communiqué.
L’avenir nous dira, si ce référendum sera réellement un changement positif pour la Guinée et ses citoyens.
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