SYRIE. La difficile intégration des citoyens-journalistes dans l’industrie des médias

Depuis 2011, les jeunes Syriens se sont lancés dans le journalisme pour documenter eux-mêmes le conflit dans leur pays. Formés au bout de quelques années par plusieurs médias syriens indépendants tel Syria Direct et des organismes internationaux, ils sont par la suite devenus des journalistes aguerris. Pour eux, être journaliste rime avec activiste. Retour sur dix ans de lutte pour la liberté de la presse avec Manar Rachwani, journaliste Syrien qui est né dans la ville de Hama dans les années 1970.

Si Manar a passé quelques années à Hama, il a vécu la majeure partie de son enfance en Jordanie dans les années 1980. Le « massacre de Hama » en 1982 a durablement traumatisé le jeune garçon de l’époque et sa famille. Ordonné par l’ancien président Hafez el-Assad (père de Bachar el-Assad, actuel président) pour saper la rébellion des Frères musulmans, des milliers de personnes dans la ville ont été assassinées de la main des forces de sécurité et des Frères musulmans.

La famille Rachwani n’a survécu que par miracle, se réfugiant en Jordanie la même année. Manar n’a jamais revu sa patrie depuis ce tragique épisode, mais n’a jamais abandonné l’idée d’y retourner un jour. Fier de son éducation et de ses multiples diplômes en sciences humaines et sociales, il est devenu un chercheur et un journaliste expérimenté. En Jordanie, il a été chroniqueur pour le quotidien al-Arat (“Demain“) entre 2004 et 2017.

Loin de vouloir s’arrêter là, Manar est consacré rédacteur en chef de Syria Direct à partir de 2019, toujours en Jordanie. Syria Direct ayant été poussé à l’exil par le gouvernement syrien, le site d’information fonctionnait depuis Amman, capitale jordanienne. « Comme vous le savez, la moitié de la population syrienne est déplacée dans le pays », explique-t-il prestement.

« Et un quart de la population s’est réfugiée dans les pays les plus proches (Turquie, Liban, Egypte, Irak), tandis que d’autres ont décidé de partir en Europe. Les médias vivent la même chose. » Il a lui-même été obligé de fuir à nouveau, lorsque les services secrets de Jordanie ont enquêté sur lui pour son travail.

L’homme a trouvé refuge en France en octobre 2021. « Après avoir passé quelque temps à Paris, puis à Rennes et quelques jours à Saint-Malo, je suis revenu m’installer à la Maison des journalistes en janvier 2022. » Avec ses dents blanches et sa voix grave, Manar s’exprime au micro de la MDJ sur le journalisme citoyen en Syrie, ses origines et ses particularités.

Pas de rébellion sans information

« Pendant la révolution de mars 2011, j’étais en Jordanie. Au début, je savais que les citoyens-journalistes existaient et travaillaient en Syrie, car je les voyais dans les médias comme tout le monde. Puis, pendant la rébellion, j’ai eu la chance de travailler avec quelques-uns d’entre eux lorsque j’étais rédacteur en chef. En règle générale, les militants des médias sont la source première pour savoir ce qui se passe sur le terrain syrien. »

« Les médias officiels ne parlent pas de la révolution, mais les citoyens-journalistes le font. La liberté de la presse en Syrie était totalement inexistante jusqu’en 2011, il était impossible de savoir ce qu’il se passait réellement dans le pays. Lorsque le soulèvement a commencé, le gouvernement a dit qu’il ne s’agissait que de quelques protestations ici et là dans le pays. Grâce à ces citoyens, nous avons vu tout le contraire. » De quoi provoquer l’ire du régime, les cataloguant d’extrémistes diffusant de fausses informations et tuant le peuple. Les autres médias « contrôlés, possédés et dirigés par le gouvernement » étaient alors obligés de publier de la propagande et avaient l’interdiction de parler d’autre chose.

L’homme se considère néanmoins comme chanceux, puisqu’il a déménagé en Jordanie pour échapper à la violence, et encore plus d’avoir pu travailler comme journaliste pour des médias jordaniens. « La plupart des pays arabes n’acceptent pas les étrangers comme journalistes pour des raisons de sécurité, et la Jordanie en fait partie. Mais ils avaient cependant besoin d’hommes et de femmes qualifiés à l’époque et ont dû se résoudre à m’engager », raisonne-t-il avec un petit sourire amusé. Ce pourquoi il ne peut décemment se considérer comme citoyen-journaliste aujourd’hui, de par sa formation dans des journaux établis et des médias professionnels.

Une profession menacée tant par le régime que par les civils

Photo d’Alexander Andrews.

« Les journalistes n’étaient pas si militants au début, certains ont commencé à parler plus ouvertement après des semaines de conflit », explique Manar de sa voix posée. « Passé le choc, plusieurs journalistes des médias officiels ont fait défection au pouvoir. Mais avec la violence du régime de terreur imposé par le gouvernement, il était vraiment difficile d’y échapper. Pour certains, on ne peut pas parler de “médias” pour les désigner tant leur parole est dictée. »

Exemple parfait de la situation tendue, le directeur du média Al-Watan du secteur privé n’est autre que le propre cousin du président, Rami Malkhouf, affilié au régime el-Assad. « Même les journalistes du côté d’el-Assad sont menacés, torturés ou tués s’ils écrivent sur quelque chose qu’ils ne devraient pas, ou s’ils critiquent le gouvernement. »

Beaucoup ont été massacrés avec leur famille. Malheureusement, le régime n’est pas le seul à attenter à la vie des journalistes : les groupes terroristes restent une menace majeure pour eux. Quelques semaines auparavant, un militant des médias a été tué avec sa femme enceinte. Les suspects ont été identifiés mais n’ont jamais été poursuivis.

« En plus de ces ennemis, la polarisation de la population pousse les gens à mettre toutes leurs émotions dans leur travail et laisse le régime les diviser en groupes ethniques. Notre rôle de journaliste est aussi de façonner les mentalités en montrant l’union des citoyens, penser à l’avenir et les jeunes Syriens n’y sont pas encore. » 

Citoyens-journalistes ou journalistes ?

Pour lui, les citoyens-journalistes doivent être distingués des autres journalistes dans le monde : la première catégorie possède certes une expérience construite sur le terrain, mais ne bénéficie pas d’années de formation dans des « journaux bien établis », ce sont des autodidactes. « Je suis formé en tant que journaliste à suivre les normes professionnelles et à être indépendant. Notre façon d’écrire, de publier nos photos, de vérifier nos informations, tout est codifié. Les citoyens-journalistes en Syrie sont très émotifs dans leur travail parce qu’ils vivent les bombardements tous les jours », ce qui amène à avoir quelques intérêts personnels.

« Pourquoi les citoyens-journalistes ont-ils accepté de mettre leur vie en danger ? Parce qu’ils croient au peuple et à la rébellion, ils étaient déjà engagés », explique Manar. « C’est pour cela que nous devons faire attention à la manière dont nous collectons et vérifions les informations. »

Il insiste néanmoins sur l’importance du travail de ces personnes, comme pour le massacre de Hama en 1982 : « personne n’avait entendu parler de ce massacre avant la révélation par les journalistes. Bien sûr, les Syriens disaient que “quelque chose s’est passé à Hama” mais d’aucun ne pouvait dire avec certitude quoi exactement. Les pays occidentaux pensaient que 1 000 personnes avaient été assassinées : grâce à ces journalistes, nous savons maintenant qu’il y a eu au moins 25 000 personnes tuées. »

Mais après dix ans de révolution, ce type de journalisme est-il voué à disparaître ou perdurer ? Manar hésite les yeux dans le vague, jugeant la situation trop incertaine pour trancher. Le journalisme citoyen doit encore survivre à la guerre qui pourrait durer des années. Il espère que ce journalisme subsistera, car le monde « a besoin d’avoir quelqu’un sur le terrain dans des pays comme la Syrie et d’autres dictatures et de prouver que la rébellion a lieu. »

Professionnaliser et protéger les activistes des médias

Mais la guerre n’est pas la seule modalité à prendre en compte : la dictature, le terrorisme, la pauvreté et les journalistes eux-mêmes pourraient faire disparaître ce courant révolutionnaire. « En Syrie, il y a deux types de médias : ceux installés à l’intérieur de la Syrie, les autres depuis des pays étrangers, en exil. Partout en Syrie, les médias sont contrôlés par le régime même s’ils se disent indépendants. Ceux qui opèrent hors de Syrie (par exemple en Turquie, en Jordanie ou en France) sont plus difficilement indépendants. Après tout, ils ont toujours besoin de l’argent étranger pour continuer à tourner. »

« En Syrie, la polarisation est très forte, la guerre maintient tout le monde dans la pauvreté et il n’y a pas d’exception pour les médias qui vivent grâce aux fonds internationaux. Dans cette situation, ils ne peuvent pas être indépendants et neutres. Être indépendant, ce n’est pas seulement par rapport au régime, mais aussi par rapport aux donateurs. »

Enfin, d’autres journalistes « professionnels » ont tendance à critiquer et à sous-estimer le travail des Syriens afin de s’en dissocier. « Les gens remettent en question l’utilité des citoyens-journalistes, en disant qu’ils ne sont que des activistes médiatiques. Lorsqu’un citoyen-journaliste essaie de travailler pour un média, il est souvent mal vu car il n’a pas d’expérience dans les “vraies” rédactions. » Un fossé de plus entre ces journalistes et la population, alors que leur travail reste vital dans le pays.

Pour Manar, si les citoyens-journalistes ont besoin de renforcer leurs compétences professionnelles, « leur travail pour les médias libres reste sous-estimé et est devenu le travail des sans-emploi. Ce n’est pas tout à fait vrai ! Nous ne pouvons pas rejeter le travail de tous ces militants des médias, mais nous ne pouvons pas non plus lui faire confiance dans son intégralité. Ils mettent leur vie en danger pour nous et pour la Syrie et nous devons leur accorder une certaine confiance. »

Maud Baheng Daizey

Iran : les femmes, « l’avant-garde de la révolution » nationale

Près de trois mois après le début de la révolte populaire iranienne, le régime théocratique a décidé de mettre fin à la police des mœurs, présente sur le territoire depuis 2005. Les images des manifestations historiques continuent de faire le tour du monde, transmises par les journalistes et les citoyens. L’Iranienne Massoumeh Raouf, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs, revient pour l’Oeil de la MDJ sur l’influence cruciale des femmes sur les manifestations d’aujourd’hui, ainsi que celle, plus ténue, de l’Occident sur le gouvernement iranien.

Massoumeh Raouf a été arrêtée en septembre 1981 dans la rue. Pourquoi ? Elle était soupçonnée d’être sympathisante des Moudjahidines du peuple d’Iran par le régime, une accusation passible de torture et de mort, mais quotidienne dans le pays à cette époque. L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran brave avec les armes le régime depuis près de 50 ans, et est devenu un courant politique et historique incontournable d’Iran. Massoumeh ne reverra jamais son frère, Ahmad Raouf, emprisonné la même année pour être un membre actif de l’Organisation, mais parviendra à contacter ses anciens compagnons de cellule afin de raconter son histoire.

Lors de son arrestation, « le guide suprême du régime Khomeini avait donné carte blanche à ses agents. Mon soi-disant “procès” n’a duré que dix minutes et le tout – sans avocat ni juge – a été bouclé en un rien de temps par un seul mollah, appelé “juge de la charia”. Sans aucun droit à la défense, j’ai été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20 ans. » 

Incarcérée, Massoumeh s’évade en 1982 et devient un membre actif de la révolution à venir. Elle rejoint la France en juin 1985, pays dans lequel elle vit encore aujourd’hui et continue de militer pour la libération de l’Iran. Elle collabore également avec Conseil National de Résistance iranienne depuis les années 80, Conseil fonctionnant comme un gouvernement depuis l’étranger. Mais en 1988 un nouveau drame vient endeuiller son avenir, celui de l’exécution de son frère de 24 ans, à l’instar des 30.000 prisonniers politiques iraniens cette année-là. Trente ans plus tard, toujours profondément marquée par sa disparition, Massoumeh lui rendra hommage en 2018 à travers la bande-dessinée « Un petit prince au pays des mollahs », relatant le parcours de son cadet et publiée en France.

Engagée dans la « Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988 », l’écrivaine se bat depuis de longues années pour faire traduire en justice les auteurs des crimes contre l’humanité qui ont été commis et qui sont commis en Iran en toute impunité. 

Dans son dernier livre « Évasion de la prison d’Iran », paru aux Éditions Balland en février 2022, elle relate son parcours engagé et son évasion d’une prison de haute sécurité en 1982. Elle y décrit également la situation explosive en Iran et la révolution à venir. Les événements qui chamboulent la République islamique depuis le 16 septembre 2022, jour de la mort de Mahsa Amini, prouvent la justesse de ses propos. Retour sur des manifestations explosives et un régime liberticide.

La vie des journalistes iraniens en danger

Depuis le début des mobilisations, les journalistes iraniens font face à une augmentation des arrestations de leurs confrères et consœurs. L’écrivaine nous assure que « les journalistes risquent leur vie pour porter la voix du peuple, beaucoup ont été arrêtés ou sont simplement portés disparus. » Le 16 septembre 2022, jour de l’arrestation de la kurde Mahsa Amini pour avoir laissé dépasser une mèche de cheveux de son voile islamique, deux journalistes iraniennes décident de couvrir l’évènement. Niloofar Hamedi (journal Shargh) et Elahe Mohammadi travaillent toutes les deux à Téhéran et se sont rendues à l’hôpital Kasra de la capitale, où Mahsa Amini était soignée après sa détention par la police des mœurs.

« Plus tard dans la journée, et à peu près au moment de la mort d’Amini, Hamedi a tweeté une photo des parents d’Amini en train de pleurer à l’hôpital. Cette image s’est rapidement propagée avec les reportages d’Hamedi sur la mort d’Amini », donnant naissance à des manifestations nationales extraordinaires.

Malheureusement, Hamedia été arrêtée par les forces de sécurité le 21 septembre. Selon le journal Shargh, deux autres reporter et photographe de ses locaux ont été arrêtés. Ils sont aujourd’hui détenus à la tristement célèbre prison d’Evine. « Il n’y a pas de liberté d’expression en Iran, même pour les journalistes dans des médias officiels. Pour tout rapport et information qui ne plaisent pas au gouvernement et au guide suprême, arrestation, prison et torture les attendent. »

Les femmes, figure de proue de la révolution iranienne

Si le peuple soutient aisément les femmes journalistes (en particulier les jeunes générations prônant l’égalité des sexes), « le régime et ses agents sont misogynes et réactionnaires. Les femmes ont été les principales cibles de l’oppression et de la discrimination du régime », mais elles ont développé des armes et une grande résistance en accumulant des années d’expérience. Les Iraniennes « ont également appris par expérience que leurs droits ne se concrétiseront pas tant que ce régime sera en place », ce pourquoi elles battent le pavé, soutenues et saluées par la communauté internationale. « Elles sont organisées, inspirées, pleines d’abnégation et prêtes à apporter des changements fondamentaux », martèle Massoumeh Raouf.

« Les femmes iraniennes sont l’avant-garde et la force du changement et vont renverser ce régime, (…) le courage des femmes et des jeunes dans les rues de l’Iran a émerveillé tout le monde », se réjouit notre intervenante. « Malgré la répression, des rassemblements continuent de se tenir quotidiennement dans les universités du pays, des manifestations ont lieu dans diverses provinces, des raffineries sont en grève, des lycéennes et des collégiennes se photographient défiant le régime. Dans les universités, dans les rues et sur les tombes de martyre, ils crient : « jurons sur le sang de nos amis de résister jusqu’au bout. »

« La nouvelle génération, cauchemar du régime »

Autre signe révélateur de la résolution des manifestants, leurs slogans : “Mort à Khamenei !” “Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse du Chah ou du guide [suprême] !” “Liberté, liberté, liberté !” “Mort au principe du velayate faqih [pouvoir clérical absolu] !” Les Iraniens n’avaient pas osé s’exprimer en ces termes depuis plusieurs décennies. L’exemplaire organisation de leur mobilisation est à mettre en exergue pour l’écrivaine iranienne. « Malgré la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays », explique-t-elle au micro de l’Œil de la MDJ. « Leurs activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction des symboles de répression du régime. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime », se réjouit Massoumeh Raouf.

« Les femmes et les jeunes iraniens font progresser le mouvement de protestation chaque jour et chaque heure, malgré une répression massive et brutale, au prix de leur vie, de leur santé et de leur liberté. Ils endurent la torture et diverses formes de mauvais traitements, y compris des viols répétés, dans des prisons sales et surpeuplées, sans nourriture suffisante et avec des contacts limités avec leurs familles. » L’écrivaine revient également sur la violence de la répression à même les rues, arguant que « des agents agressent sexuellement des jeunes femmes dans les rues, d’autres en civil enlèvent des manifestants en plein jour. D’autres encore kidnappent des étudiants dans leur dortoir au beau milieu de la nuit, tandis que certains mobilisés sont battus jusqu’à ce qu’ils se rendent. » Mais rien n’arrête pour autant les citoyens, dont la plupart n’ont plus rien à perdre.

Une photo d’Hadi Yazdi Aznaveh.

Une situation que Massoumeh Raouf a elle-même vécu et qu’elle a relaté dans ses livres. Elle affirme avoir voulu écrire non pas pour « simplement faire une œuvre littéraire », mais parce que cela « faisait partie de ma lutte pour la justice et pour attirer l’attention du public sur la terrible situation dans mon pays. Depuis deux mois, en plus de 600 manifestants tués, plus de 30 000 personnes ont été arrêtées et jetées en prison. Leur moyenne d’âge est de 20 ans et sont en majorité des étudiants, certains mineurs. Les détenus sont battus, parfois à mort, violés et torturés. » Les arrestations sont accompagnées de procès expéditifs et parfois des peines de mort.

Des emprisonnements aussi arbitraires que les libérations, comme ce fut le cas le soir du match Iran-Pays de Galles à la Coupe du Monde le 25 novembre dernier : suite à la victoire des Iraniens, les autorités avaient annoncé la libération de 700 manifestants.

Le 6 novembre 2022, le Parlement iranien vote un texte pour pousser la justice à appliquer la « loi du talion » envers les manifestants, à 227 voix pour contre 63. Dans un communiqué signé par la majorité des députés, ces derniers ont comparé les manifestants à l’Etat Islamique et les ont qualifiés « d’ennemis de Dieu » méritant la mort. De son côté, l’Autorité judiciaire iranienne a annoncé que des procès se tiendront pour les milliers de personnes arrêtées durant les manifestations. Neuf condamnations ont par ailleurs déjà été prononcées.

L’influence peu exploitée des Nations unies et de l’Occident

Les Iraniens ne sont pas obligés de se battre seuls pour leurs libertés, loin de là. Pour Massoumeh et les milliers de manifestants, le soutien de la communauté internationale est indispensable. 30 000 personnes risquent ainsi leur vie et « les Nations unies doivent prendre des mesures urgentes pour aller visiter les prisons du régime. Ils doivent renvoyer le dossier des violations des droits humains par ce régime devant le Conseil de sécurité de l’ONU et au Tribunal international spécial », et y inclure « le meurtre atroce d’une soixantaine d’enfants et adolescents par les pasdarans (NDLR : les gardiens de la Révolution) du guide suprême Ali Khamenei et le massacre de prisonniers politiques en Iran. »

Jamais le peuple iranien ne pourra bénéficier d’un élargissement de ses libertés sans un changement de régime. D’autres mesures doivent être prises pour aider les femmes à faire tomber le régime : « les femmes iraniennes ont besoin de la solidarité et du soutien du monde entier, de voir les ambassades du régime iranien fermer, les relations diplomatiques et économiques avec le régime rompues. Ce régime devrait être expulsé des Nations unies, il n’est pas représentant du peuple iranien. »

Pour Massoumeh, une alternative démocratique au régime théocratique existe : Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance Iranienne (CNRI). « Elle possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons. »

Maud Baheng Daizey

Afghanistan: women’s journalists cry of alarm

August 15, 2021 seems to have marked the death of the press in Afghanistan with the return to power of the Taliban. Abandoned to its fate by NATO and the United States, the country has been sinking for more than a year into total obscurantism. The regime promised to respect Human Rights, but its numerous exclusive and authoritarian policies have proven the opposite. In one year, the Afghan media have suffered so much repression that over 50% of them have disappeared. Dozens of journalists have been forced to flee the country to escape the government, without giving up on Afghanistan and their freedom. How do they organize themselves both abroad and in Afghanistan to make their voices heard and keep working and avoiding jail ?

In September 2021, the Taliban government imposed a directive containing 11 articles to censor and control the Afghan press and journalists. They use the media outlets to spread their own information, making the work of journalists very difficult. According to the report of SIGAR, the Special Inspector General for the Reconstruction of Afghanistan, “laws have been enacted to prohibit the publication or broadcast of information considered against Islam or the regime.

More than half the media closed in Afghanistan

Since the takeover, at least 80 journalists have been arrested and all are subject to censorship. More than 51% of media outlets have been closed and 80% of women journalists have been left without jobs in 15 months. As a result, 10 out of 34 provinces in Afghanistan have no female journalists. Zan and Bano TV, two privately owned media outlets that were run by women, had to stop their activities and lay off their mostly female staff.

The most recent case is Kabul News TV, one of the largest news channels in the country. It was founded by former President Karzai’s former chief of staff, Karim Khorram. In recent years, the channel was in opposition to President Ghani’s government, but was closed in 2021 due to pressure from the Taliban and economic difficulties.

For several months, women and girls have seen their freedom shrink. They are no longer allowed to go to school or practice their profession, and the Afghan journalists who are still in place are fighting to keep their jobs. We were able to talk to one of them as well as colleagues now based in neighbouring Pakistan about their current condition and their means of fighting against censorship and the regime.

The many obstacles encountered in getting in touch with them are a sign of their difficulties: the telephone numbers of the refugee journalists in Pakistan can only be reached for a given period of time, before they are redistributed to other people.

Two contacts never answered our calls because their visas had expired and their telephone numbers had been given to another refugee. Others do not have control over their phones, with their brother or strangers answering for them.

The double punishment of the Afghan woman journalist

Fortunately, some were able to answer our calls. Banafsha Binesh is an Afghan woman still living in Kabul and working for TOLOnews, Afghanistan’s leading TV news channel. We had to wait until the second call when she was alone to interview her and get straight answers.

Banafsha Binesh for TOLOnews.

We are working in very bad conditions,” she tells us. “Censorship is extremely strict and there are more and more bans on our work. For example, a while ago I covered a UN event on the situation of Afghan women. Representatives were criticising the Taliban agenda and policies and we were banned from broadcasting our story because we are not allowed to criticise the regime.” With composure and pride, Banafsha Binesh assures us that she does not want to be anonymised because she is “already fighting the Taliban from Kabul.

But why does she continue to work despite censorship and danger? Apart from the need to “make the voices of women and the Afghan people heard“, the journalist explains that she is the only one who can support her family financially. TOLOnews has not escaped the repression and has itself reduced the number of its employees, but Banafsha Binesh has managed to keep her job.

We must continue our work and show the international community that Afghan women have not given up their lives. They continue to fight for their freedom, democracy and to stand up to the Taliban. They are still alive !“, she says in a straightforward voice. 

Before the Taliban, the young woman experienced what she calls “real journalism” in her many reports and refuses to turn away as she and her colleagues “raise the voices of the people who live under constant threat. We feel like activists, in a sense.

Prison for an interview

But her courage is threatened daily. She is terrified every morning to go to her office, being both a woman and a journalist. “One day, while I was reporting with my cameraman on the terrible economic situation of Afghan women, we were brutally interrupted. I was interviewing an ice cream vendor in Kabul when the 8th District Intelligence Department arrived to arrest us. We were imprisoned for four hours, threatened and tortured. They forbade us to do interviews and to give a negative image of the government. We were not allowed to broadcast our work.”

Banafsha Binesh and her cameraman

This was not the only intervention by the Taliban during her working hours, far from it. Binesh testifies that on several occasions the regime interrupted and cut off her live broadcasts, especially when she was interviewing refugees or students outside schools. On that day, “they came and prevented me from talking to the students and girls there, I could only greet them before I had to leave.” She cannot appear on screen without her hijab and mask.

But Banafsha Binesh and her compatriots cannot win this fight alone, she insists on many occasions. “It is the role of the international community to put pressure on the Taliban. It meets them every day in Doha, Qatar, so what is it waiting for to force them to respect women’s rights and freedom of expression? We can no longer go to the parks or the hammam, we can no longer get an education or do cultural activities. We cannot move forward without the international community. Journalists from all over the world must also be able to focus on Afghanistan and the condition of women here, it is our responsibility.”

Getting a foot in the door of journalism

Other journalists have had no choice but to flee the regime and seek refuge in Pakistan. Unfortunately, the situation is not much better for them, as the two Afghans with whom we were able to communicate, who wished to remain anonymous, can testify.

The first of them has been based in Pakistan for 15 months and used to work for Itlat-E-Rooz Daily as an investigative and peace journalist. Wahid Haderi and four members of his family fled their home country in August 2021. He says that in recent months, refugee journalists had arrived on medical and tourist visas. “But without a journalist visa, we cannot work in Pakistan. The country does not issue journalist visa, and for a normal tourist, people should pay $1,000 to brokers, wich is far too much money when we fled with what we have on our backs and no work.”

Wahid Haderi at work

Most journalists who have visas have them for only three or six months and even mine has expired. Pakistan has announced that it is closing the borders and our colleagues have no choice but to cross the border illegally. At the end of the year, they will face three years in prison or deportation to Afghanistan, but what can they do? Many have families to support and they have a better chance of meeting their needs from Pakistan than from Afghanistan.” Risking death on the spot or taking a slim chance elsewhere is what our speaker is saying. He said that international aid was too specific to really help Afghan journalists. 

Some organizations like Amnesty International or the Committee to Protect Journalists provide financial aid, but you have to prove that you are in great danger to get it. Most of them have escaped without any legal documents to save their lives. And even if you manage to get the money, it is never enough to survive for more than a few weeks. And you have to have been tortured or imprisoned, not just threatened. But they all suffer from mental or psychological problems because they are traumatized.” Many still cannot talk about their experiences and their escape.

Wahid Haderi reports on press freedom in Afghanistan

The same sound is heard from our third journalist. He too has fled to Pakistan to escape the death promised by the Taliban, but the country is not safe for journalists. “We feel threatened here too, we can’t criticise the Pakistani government either. Terrorist groups like Daesh and the Taliban themselves have influence and support in Pakistan. We can still be imprisoned by Islamabad for our opinions or as a result of our visa expiring. Many journalists can no longer even rent a flat,” he says. “It’s a nightmare situation.” Although he applied for a visa in France and Germany last February, he has not received any reply.

He confides that he simply expects us “to be heard and to be able to work without being threatened with death or torture.” About 350 journalists and media workers are currently refugees in Pakistan and are asking the international community to take up their asylum cases.

They need to be given an answer as soon as possible, so that they can make a fresh start and have a normal life. They also need to be informed about their cases and visas, which take a long time to be processed in order to get them out of their desperate situation. Their lives are at stake.

These journalists need to be supported by the international community, based on a clear and transparent mechanism, so that their voices can be heard in the country. Journalists in danger in Afghanistan must also be evacuated and their asylum cases examined in an appropriate country.

After all, Afghanistan is not frozen in political immobilism. The fact that the Taliban government has kept its political office in Qatar means that they are willing to negotiate in many cases, they have regular meetings with representatives of the Islamic Emirate’s political bureau and European political sections. These visits have made it clear to the Taliban that their continued political power depends on the acceptance of the basic rights of citizens.

Issues of freedom and human rights, especially freedom of expression, were discussed with the group’s political representatives. And this opened the way for a political conversation, a conversation that led to the creation of a comprehensive government and the end of forty years of violence.

Maud Baheng Daizey and Noorwali Khpalwak

Afghanistan : cri d’alarme des femmes journalistes

Le 15 août 2021 semble avoir signé la mort de la presse en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans. Abandonné à son sort par l’OTAN et les Etats-Unis, le pays sombre depuis plus d’un an dans un obscurantisme total. Si le régime promettait vouloir respecter les droits de l’Homme, ses nombreuses politiques exclusives et autoritaires n’ont cessé de prouver le contraire. En un an, les médias afghans ont subi tant de répression que plus de 50% d’entre eux ont disparu. Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le pays pour échapper au régime, sans pour autant renoncer à l’Afghanistan et à leur liberté. Comment s’organisent-ils à l’étranger et en Afghanistan pour faire entendre leurs voix et continuer leur travail sans risquer la prison ?

En septembre 2021, le gouvernement Taliban impose une directive contenant 11 articles pour censurer et contrôler la presse et les journalistes afghans. Ils utilisent les organes de presse pour répandre leurs propres informations, rendant le travail des journalistes très éprouvant. Selon le rapport du SIGAR, l’Inspecteur Général Spéciale pour la Reconstruction de l’Afghanistan, « des lois ont été promulguées pour prohiber la publication ou la diffusion d’informations considèrent contre l’Islam ou le régime. »

Plus de la moitié des médias fermés en Afghanistan

Depuis la prise de pouvoir, au moins 80 journalistes ont été arrêtés et tous subissent la censure. Plus de 51% des organes de presse ont été fermés et 80% des femmes journalistes se sont retrouvées sans emploi en 15 mois. Ainsi, 10 provinces sur 34 d’Afghanistan sont dépourvues de femmes journalistes. Zan et Bano TV, deux médias privés qui étaient dirigés par des femmes, ont dû stopper leurs activités et licencier leurs équipes, majoritairement féminines.

Le cas le plus récent est Kaboul News TV, une des plus grandes chaînes d’information du pays. Elle a été fondée par l’ancien chef de cabinet de l’ancien président Karzai, Karim Khorram. Durant ces dernières années, la chaîne était en opposition avec le gouvernement du président Ghani, mais a été fermée en 2021 sous la pression exercée par les Talibans et de difficultés économiques.

Depuis plusieurs mois, les femmes et filles ont vu leur liberté se réduire comme peau de chagrin. Elles n’ont désormais plus le droit d’aller à l’école ou d’exercer leur profession et les journalistes afghanes encore en place luttent pour garder cette dernière. Nous avons pu échanger avec l’une d’entre elles ainsi que des confrères désormais basés au Pakistan, pays limitrophe, sur leur condition actuelle et leurs moyens de lutte contre la censure et le régime. 

Facteur révélateur de leurs difficultés, les multiples obstacles rencontrés afin d’entrer en communication avec eux : les numéros de téléphones des journalistes réfugiés au Pakistan ne sont joignables que sur une période donnée, avant qu’ils ne soient redistribués à d’autres personnes. 

Deux contacts n’ont ainsi jamais répondu à nos appels, leur visa ayant expiré et leur numéro de téléphone donné à un autre réfugié. D’autres n’ont pas la mainmise sur leur téléphone, leur frère ou des inconnus répondant à leur place.

La double punition de la femme journaliste afghane

Heureusement, certains ont pu répondre à nos appels. Banafsha Binesh est une Afghane vivant toujours à Kaboul et travaillant pour TOLOnews, première chaîne d’information télévisée d’Afghanistan. Il nous faudra attendre le second appel qu’elle soit seule pour l’interviewer et obtenir des réponses sans détour. 

Banafsha Binesh pour TOLOnews

« Nous travaillons dans de très mauvaises conditions », déplore-t-elle au combiné. « La censure est extrêmement stricte et les interdits dans notre travail se multiplient. Par exemple, j’ai couvert il y a quelque temps un événement des Nations-Unies concernant la situation des Afghanes. Des représentants y critiquaient l’agenda et les politiques talibanes et nous avons reçu l’interdiction de diffuser notre reportage car nous n’avons pas le droit de critiquer le régime. » Avec sang-froid et fierté, Banafsha Binesh nous assure ne pas vouloir être anonymisée car elle se bat « déjà contre les Talibans depuis Kaboul. » 

Mais pourquoi continue-t-elle de travailler malgré la censure et le danger ? En-dehors de la nécessité de « faire entendre la voix des femmes et du peuple afghan », la journaliste explique être la seule à supporter financièrement sa famille. Sans elle, personne ne mangerait. TOLOnews n’a pas échappé à la répression et a réduit le nombre de ses employés d’elle-même, mais Banafsha Binesh est parvenue à conserver son poste. 

« Nous devons continuer notre travail et montrer à la communauté internationale que les Afghanes n’ont pas abandonné leur vie. Elles continuent de se battre pour leur liberté, la démocratie et à tenir tête aux talibans. Elles sont toujours vivantes ! », clame-t-elle d’une voix franche. « Si les Talibans ne nous laissent pas travailler, nous nous tiendrons debout et nous refuserons d’être dévalorisées. » 

Avant les Talibans, la jeune femme a expérimenté ce qu’elle qualifie de « vrai journalisme » lors de ses multiples reportages et refuse de s’en détourner.  « Avec [mes] collègues, nous élevons les voix du peuple qui vit sous la menace constante. Nous nous sentons comme des activistes, dans un sens. »

De la prison pour une interview

Mais son courage est quotidiennement menacé. Elle est terrifiée chaque matin à l’idée de se rendre à son bureau, étant à la fois femme et journaliste. « Un jour, alors que j’effectuais avec mon cameraman un reportage sur la terrible situation économique des Afghanes, nous avons été brutalement interrompus. J’interrogeais une vendeuse de crème glacée à Kaboul lorsque le Département des Renseignements du 8ème district de la ville est arrivé pour nous arrêter. Nous avons été emprisonnés pendant quatre heures, menacés et torturés. Ils nous ont interdit de faire des interviews et de donner une image négative du gouvernement. Nous n’avons pu diffuser notre travail. »

Banafsha Binesh et son caméraman.

Il ne s’agissait pas de l’unique intervention des Talibans durant ses heures de travail, loin de là. Binesh témoigne qu’à plusieurs reprises le régime a interrompu et coupé ses interventions en live, notamment lorsqu’elle interviewait des réfugiés ou des étudiants devant les écoles. Ce jour-là, « ils sont venus m’empêcher de parler avec les étudiants et les filles sur place, je n’ai pu que les saluer avant de devoir partir. » Elle ne peut d’ailleurs pas apparaître à l’écran sans son hijab et son masque.

Mais Banafsha Binesh et ses compatriotes ne peuvent remporter cette lutte seuls, martèle-t-elle à de nombreuses occasions. « C’est le rôle de la communauté internationale de mettre la pression sur les Talibans. Elle les rencontre tous les jours à Doha au Qatar, qu’attend-t-elle pour les obliger à respecter les droits des femmes, la liberté d’expression ? Nous ne pouvons plus aller dans les parcs ou au hammam, nous ne pouvons plus nous instruire ou faire des activités culturelles. Nous ne pourrons avancer sans la communauté internationale. Les journalistes du monde entier doivent aussi pouvoir porter l’attention sur l’Afghanistan et la condition des femmes ici, il en va de notre responsabilité. »

Tenter de remettre un pied à l’étrier du journalisme

D’autres journalistes n’ont eu d’autre choix que de s’enfuir loin du régime et de trouver refuge au Pakistan. La situation n’est hélas guère plus brillante pour eux, comme en témoignent les deux Afghans avec qui nous avons pu communiquer et qui ont tenu à rester anonymes. 

Le premier d’entre eux est basé au Pakistan depuis 15 mois et travaillait auparavant pour Itlat-E-Rooz Daily en tant que journaliste d’investigation et de la paix. Wahid Haderi et quatre membres de sa famille ont fui leur pays d’origine en août 2021. Il relate que ces derniers mois, les journalistes réfugiés étaient arrivés par des visas médicaux et de tourisme. « Mais sans un visa de journalistes, nous ne pouvons travailler au Pakistan. Il coûte environ 1000 dollars si on veut passer par un intermédiaire, une somme bien trop importante lorsqu’on a fui avec ce qu’on avait sur le dos et sans travail. » 

Wahid Haderi au travail

« La plupart des journalistes qui ont un visa ne l’ont que pour trois ou six mois et même le mien est arrivé à expiration. Le Pakistan a annoncé fermer les frontières et nos collègues n’ont d’autre choix que de passer la frontière illégalement. A la fin de l’année, ils risqueront trois ans de prison ou la déportation en Afghanistan, mais que peuvent-ils faire ? Beaucoup ont à charge une famille et ils ont plus de chance de répondre à leurs besoins depuis le Pakistan qu’en Afghanistan. »

Risquer la mort sur place ou tenter une maigre chance ailleurs, voilà ce qu’exprime notre intervenant. Il évoque des aides internationales aux conditions d’accès trop spécifiques pour véritablement aider les journalistes afghans. 

« Quelques organisations comme Amnesty International ou le Comité de Protection des Journalistes fournissent des aides financières, mais vous devez prouver que vous êtes en grand danger pour les obtenir. Or, la plupart ont fui sans aucun document légal pour sauver leur peau. Et quand bien même vous parvenez à toucher les aides, elles ne sont jamais suffisantes pour survivre plus de quelques semaines. Il faut par ailleurs que vous ayez été torturé ou emprisonné, pas simplement menacé. Ils sont pourtant tous victimes de problèmes mentaux ou psychologiques parce qu’ils sont traumatisés. Beaucoup n’arrivent toujours pas à évoquer leur vécu et leur fuite. » 

Wahid Haderi en reportage sur la liberté de la presse en Afghanistan

Même son de cloche au micro de notre troisième journaliste. Lui aussi s’est réfugié au Pakistan pour échapper à la mort promise par les Talibans, mais le pays n’est pas sûr pour les journalistes. « Nous nous sentons menacés ici aussi, nous ne pouvons pas non plus critiquer le gouvernement du Pakistan. Des groupes terroristes comme Daesh et les Talibans eux-mêmes ont de l’influence et des soutiens au Pakistan. Nous pouvons toujours être emprisonnés par Islamabad pour nos opinions ou à la suite de l’expiration de notre visa. Nombre de journalistes ne peuvent désormais même plus louer un appartement », se désole-t-il. « C’est une situation cauchemardesque. » Il a beau avoir demandé un visa à la France et l’Allemagne en février dernier, aucune réponse ne lui est parvenue.

Il nous confie attendre simplement de nous « qu’on nous laisse être entendus et de pouvoir travailler sans être menacés de mort ou de torture. » Près de 350 journalistes et acteurs des médias sont actuellement réfugiés au Pakistan et demandent à la communauté internationale de s’occuper de leurs dossiers d’asile.

Il s’agit de leur donner une réponse le plus rapidement possible, afin qu’ils puissent prendre un nouveau départ et avoir une vie normale. Ils doivent également être informés de leurs dossiers et visas qui nécessitent beaucoup de temps pour être examinés afin de les sortir de leur situation désespérée. Leur vie est en jeu.

Ces journalistes doivent être soutenus par la communauté internationale, sur la base d’un mécanisme clair et transparent, afin que leur voix puisse être entendue dans le pays. Les journalistes en danger en Afghanistan doivent également être évacués, et leur dossier d’asile doit être examiné dans un pays approprié.

Après tout, l’Afghanistan n’est pas figé dans l’immobilisme politique. Le fait que le gouvernement taliban ait conservé son bureau politique au Qatar signifie qu’ils veulent négocier dans de nombreux cas, ils ont des réunions régulières avec les représentants du bureau politique de l’Émirat islamique et des sections politiques européennes. Ces visites ont permis de faire comprendre aux talibans que le maintien de leur pouvoir politique dépend de l’acceptation des droits fondamentaux des citoyens.

Les questions de la liberté et des droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression, ont été abordées avec les représentants politiques de ce groupe. Et cela a ouvert la voie à une conversation politique, conversation qui a abouti à la création d’un gouvernement global et à la fin de quarante ans de violence.

Maud Baheng Daizey et Noorwali Khpalwak

Afghanistan : un an sous le régime des Talibans

Le 15 août 2021, la république islamique d’Afghanistan est tombée à la suite d’un complot international et national, laissant les Talibans prendre le contrôle du pays. L’occasion pour eux de prouver qu’ils pouvaient représenter cette grande nation, et qu’ils possédaient les outils et les connaissances nécessaires pour mener le pays vers un avenir prometteur. Cependant, le régime des Talibans n’a eu qu’un impact limité et temporaire sur la sécurité en Afghanistan, tandis que tous les autres secteurs du pays ont été impactés négativement. Retour sur les réformes talibanes qui minent le pays.

Une République désormais islamique

Les conséquences du retrait des Etats-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan ont été bouleversantes et tristes pour un grand nombre d’Afghans. Certes, l’effondrement du précédent gouvernement républicain a mené au retour des Talibans, mais cette chute a été corrompue de différentes manières. Il est important de souligner que les États-Unis et l’OTAN essayaient d’établir des valeurs démocratiques, bien que ces valeurs aient été difficiles à mettre en œuvre et que le système précédent avait des qualités supérieures au régime actuel. Un an après le début de leur règne sur le pays, et au regard du traitement réservé aux femmes et aux filles, il apparait clair que les Talibans conduisent l’Afghanistan vers un régime extrémiste, basé sur une vision étroite de l’Islam, qui ne permettra pas la reconstruction économique du pays promise au moment du retrait des troupes étrangères. 

Même s’ils tiennent à afficher leurs dissemblances avec les autres groupes terroristes, les Talibans continuent de jouer un double-jeu. L’attaque de Kaboul ayant tué le chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri a été une réalisation majeure pour les communautés du renseignement des États-Unis et de la lutte contre le terrorisme, mais la présence d’Al Zawahiri dans la capitale démontre que les Talibans sont toujours disposés à fournir des cachettes aux groupes terroristes internationaux. 

L’opium, nerf afghan de la guerre

Autre terrain d’entente, la drogue. Les Talibans comme les terroristes se financent en bonne partie grâce à la production d’opium en Afghanistan : elle est en effet la principale source de financement et d’équipement des groupes violents de la région, et joue un rôle essentiel dans l’instabilité politique du pays. Les Talibans avaient créé un vaste réseau de trafic d’opium en collaboration avec la mafia locale, les commandants militaires et les chefs politico-religieux. En 2021, les commandants et les dirigeants Talibans ont intensifié le processus de contrebande et de production d’opium, après l’avoir repris des mains des trafiquants locaux. Au début, les commandants militaires travaillaient en collaboration étroite avec des trafiquants non Talibans. Toutefois, avec l’occupation de l’Afghanistan, les Talibans ont limité leurs liens avec les trafiquants non Talibans pour s’approprier le monopole de l’opium. Le New York Times a rapporté que Molavi Yaqoub, le ministre de la Défense des Talibans, avait déposé une demande auprès des Américains lors de son voyage à Doha afin de libérer Bashir Noorzai, un contrebandier bien connu et un soutien financier des Talibans. Amir Khan Motaqi, ministre des Affaires étrangères des Talibans, a déclaré lors de la réunion de Tachkent en août 2022, que 1 800 combattants de l’IS-K (branche de l’ISIS) avaient été libérés des prisons de Bagram et de Pulcherkhi suite à la chute de Kaboul.

Le jeudi 11 août, le site d’information du groupe ISIS (Amaq) a publié une newsletter où ils revendiquaient l’assassinat de Maulvi Rahimullah Haqqani, l’un des principaux membres du réseau Haqqani. En outre, ISIS avait affirmé que plusieurs autres personnes avaient également été tuées dans cette attaque. Rahimullah Haqqani, membre du réseau Haqqani, était directeur d’une école religieuse à Peshawar au Pakistan. Après la chute du gouvernement afghan, il avait déménagé son école à Kaboul. De nombreux membres des Talibans sont des élèves de l’école Sheikh Rahimahullah Haqqani qui était basée à Peshawar pendant 20 ans. Cela montre que les Talibans n’ont pas réussi à contrôler les attaques de l’IS-K qui ont été menées à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée. Le contrôle de telles attaques nécessite un réseau et des outils d’information avancés, dont les Talibans ne disposent pas. Pendant les premières semaines du règne des Talibans, l’IS-K a mené une attaque meurtrière à l’aéroport de Kaboul, au cours de laquelle plus de 200 personnes, dont des forces américaines, ont été tuées et blessées. Lors d’une autre attaque de l’IS-K dans une mosquée de Kunduz, plus de 50 chiites ont été tués et blessés. Une semaine après, l’attaque la plus sanglante a eu lieu à Kandahar, faisant environ 40 morts et plus de 70 blessés. Après cela, l’IS-K a planifié et exécuté d’autres attaques sanglantes à Mazar-i-Sharif et à l’ouest de Kaboul, les 7 et 8 Muharram (NDLR : calendrier hégirien, 5 et 6 août 2022), qui ont causé la mort de plus de 90 personnes.

Les droits de l’homme toujours opprimés

Pour le premier anniversaire du retour au pouvoir des Talibans, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch a publié un rapport intitulé “Une année catastrophique du gouvernement taliban”. Selon ce bilan, les politiques menées par les Talibans visant à restreindre les droits fondamentaux des citoyens afghans et les échanges tendus avec l’étranger ont mené à l’isolement du pays sur la scène internationale. Human Rights Watch précise que, depuis leur retour, le régime a imposé de sévères restrictions aux femmes et aux médias et a arbitrairement arrêté, torturé, et exécuté ses opposants.  En un an, 90% des Afghans ont souffert ou souffrent de l’insécurité alimentaire et des millions d’enfants sont victimes de la malnutrition. Suite aux nombreuses restrictions imposées aux femmes et aux filles leurs droits ont drastiquement régressé, étant interdites d’étudier, d’exercer beaucoup de métiers et de participer à la politique. Des milliers de femmes ont perdu leur travail et ont été ostracisées de la scène politique. Triste exemple, la Chambre des représentants afghane (Wolosi Jirga) se composait de 249 membres dont 69 femmes avant août 2021. Et parmi les 102 représentants au Sénat, près de la moitié étaient des femmes. Près de 5000 femmes travaillaient également dans les rangs des forces de défense et comme les autres travailleuses d’autres domaines, elles ont été renvoyées chez elles. Le sport n’est point épargné avec les équipes féminines en football, basket-ball et dans les arts martiaux, qui ont connu un essor important avant les Talibans mais qui aujourd’hui ont été supprimées. Sous l’ombre du régime, leurs activités ont été complètement suspendues et leur place dans la société sévèrement limitée.

La fuite des cerveaux, conséquence inévitable de la situation afghane

Une véritable paralysie de la société afghane, qui s’enfonce lentement mais sûrement dans une crise sociale et sanitaire sans précédent. Une nouvelle publication en août 2022 de l’organisation d’aide internationale World Vision établit que les minces avancées réalisées pour le développement de la population afghane sont mises en péril par un an de règne autoritaire des Talibans. L’organisation déclare que la situation des enfants en Afghanistan est plus dangereuse que jamais, certains la qualifiant même de pire crise humanitaire au monde. Avec un système de santé publique détérioré et les nombreuses difficultés rencontrées par les familles, des milliers d’enfants seraient en danger. Selon Johanniter International Assistance, le système de santé afghan est revenu 20 ans en arrière en raison de l’isolement économique. En outre, Holger Wagner, le président du programme d’aide internationale de Janitor, a annoncé que la communauté internationale qui finançait 70% des dépenses de santé en Afghanistan ont suspendu leurs services, en laissant les Afghans sans médicaments et matériel médical. Enfin, le coordinateur de l’aide humanitaire de l’ONU (OCHA) affirme qu’environ 25 millions de personnes en Afghanistan vivent actuellement sous le seuil de pauvreté. L’organisation a aussi signalé que 900 000 emplois seraient détruits cette année.

Le Comité pour la protection des journalistes à New York a publié un rapport appelant à la libération des journalistes emprisonnés par les Talibans, stipulant qu’un nombre important de journalistes avaient fui le pays suite aux violences et aux harcèlements qu’ils avaient subi. Les statistiques montrent que l’Afghanistan comptait 547 médias avant le 15 août de l’année dernière. Toutefois, plus de 219 ont suspendu leurs activités et 76.19% des journalistes ont perdu leur poste après le retour des Talibans. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Delor, déclare qu’en Afghanistan “le journalisme est réduit à un état misérable. Les médias et les journalistes sont soumis à des réglementations injustes qui limitent la liberté des médias et ouvrent la voie à la répression et au harcèlement”. Les journalistes femmes sont alors les plus touchées par les “règles de journalisme” imposées par les Talibans. Ils indiquent que les accusations “d’immortalité ou de comportements contraire à l’éthique” sont souvent utilisées comme prétexte pour harceler les femmes journalistes. 

Toutes ces données ont également eu une incidence sur les départs des travailleurs du pays. Ne pouvant plus se nourrir ou tout simplement avoir un poste, des milliers d’Afghans ont effectivement été contraints de quitter leur pays, y compris des scientifiques et des professeurs. Selon les experts de la migration, cette effroyable vague d’exode des cerveaux aura des effets extrêmement destructeurs sur l’avenir de l’Afghanistan. Abbas Kamund, l’ancien porte-parole de l’ambassade américaine à Kaboul, a déclaré qu’au cours des 21 dernières années dans le domaine du développement des capacités humaines en Afghanistan, “les investissements américains étaient d’une valeur très importante, il n’y a pas encore de chiffre exact mais nous estimons que dans les domaines militaire, économique, politique, de la construction de l’État et des infrastructures, les dépenses des États-Unis, ont atteint environ deux milliards de dollars.” Cependant, à la suite du retrait des forces internationales américaines et du retour des Talibans, des milliers de professionnels afghans ont été contraints de quitter le pays.

Les Talibans se sont alors tournés vers d’autres partenaires notamment le Pakistan, l’Iran, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, Qatar et la Chine. Au début de leur accord, les Talibans espéraient utiliser l’influence de la Chine dans leurs relations internationales, mais la situation s’est révélée plus complexe.

La Chine, surprenante alliée de l’Afghanistan ?

Une attaque menée par les forces de l’IS-K dans un point de contrôle, près des mines de Karkar dans la province de Baghlan, a causé la mort de plusieurs gardes. Des rumeurs affirmeraient que ses gardes décédés soient des Ouïghours tués par les Talibans en raison de leur engagement envers la Chine, mais cela n’a pas été vérifié pour l’heure. Le jour suivant, les Talibans ont ordonné la fermeture de l’autoroute Baghlan-Kundz pour quelques heures et aucun mot de cet incident n’a été communiqué aux médias. La Chine verrait d’un mauvais œil les gardes musulmans ouïghours, susceptibles de provoquer une rébellion dans leur pays. Rien d’étonnant à ce qu’ils renforcent leurs liens avec les Talibans afin de les surveiller et de s’assurer des activités des Ouïghours. Mais les Talibans ont-ils vraiment pris les mesures que la Chine souhaite imposer aux Ouïghours opposants ? Une question pour l’heure sans réponse.

Cependant, The Voice of America  a déclaré que la Chine et les Talibans étaient “déçus” l’un de l’autre. Les analystes américains considèrent que la raison derrière la déception de la Chine à l’égard des Talibans était leur incapacité à contrôler les groupes extrémistes Ouïghours. D’autre part, les Talibans demandent toujours une coopération économique et une légitimité internationale à la Chine. Avec l’assassinat d’Ayman al-Zawahiri à Kaboul, les inquiétudes de la Chine se sont accrues. De nombreux rapports indiquent que le Mouvement islamique du Turkestan, dont les fondateurs sont des extrémistes ouïghours, est basé dans certaines régions de la province de Baghlan et coopère étroitement avec les Talibans.
Mais qu’en pense le peuple afghan ? Les résultats d’une nouvelle enquête sur la situation en Afghanistan sous le contrôle des Talibans démontrent que 92 % des personnes interrogées sont totalement insatisfaites par le régime taliban. Cette enquête a été menée par l’Institut afghan de recherche et d’études stratégiques dans 20 provinces du pays qui en possèdent 34. Environ 2000 personnes âgées de 18 à 40 ans ont été interrogées, dont 64 % des hommes et 36 % des femmes. Les Talibans demeurent dans le déni total s’ ils continuent à croire que leurs lois strictes leur permettront de gouverner une population entière. Côté international, la sénatrice américaine Lindsey Graham a déclaré mardi 16 août (Zamri 25) qu’il existait une possibilité d’une autre attaque depuis l’Afghanistan contre l’Amérique. Lindsey Graham a ajouté que l’Amérique n’a mis fin à aucune guerre mais qu’ils en ont au contraire commencé une autre face aux décisions hâtives du président Biden. La sénatrice a expliqué que les conditions en Afghanistan sont terribles et que les progrès qui ont été accomplis ces 20 dernières années ont tous été anéantis. Pour preuve, les camps d’entraînement qui se trouvaient dans le pays avant le 11 septembre sont pratiquement tous en cours de reconstruction.

Pis encore, le ministère américain de la Défense a déclaré que les Talibans possèdent des armes et des munitions américaines d’une valeur totale d’environ 7 milliards de dollars. La source indique que ces équipements comprennent également des voitures, des chars et des avions. Les responsables américains affirment que plus de 300 000 armes à feu et autres armes de poing ont été abandonnées par l’ancien gouvernement et reprises par le successeur actuel.

Après 40 ans de guerre, le peuple afghan n’a plus d’énergie pour se battre. Les Etats-Unis et le reste du monde ont le pouvoir et les moyens nécessaires pour convaincre les Talibans de garantir les droits fondamentaux des Afghans. Avec un peu de pression, les Talibans peuvent être convaincus que les droits fondamentaux du peuple afghan doivent être garantis, et que l’arrivée au pouvoir doit se faire par des moyens légitimes et démocratiques.

Article écrit par Noorwali Khpalwak et traduit par Rim Benomar, mis en forme par Maud Baheng Daizey.

ELYAAS EHSAS : COUVRIR LA GUERRE LORSQU’ON Y EST NÉ 

Elyaas Ehsas est un journaliste Afghan né en 1993 à Pôle Khomeri, dans une famille Hazara Chite. Après avoir obtenu une licence en journalisme, Elyaas rejoint l’équipe de la chaîne de télévision Rah-e-Frada comme reporter de guerre. Un rêve d’enfant devenu cauchemar, lorsquil reçoit des menaces sérieuses d’un groupe de talibans, suite à son rejet de plusieurs demandes de collaboration.

Une vocation qui prend le temps de se construire

Elyaas n’avait pas pour vocation première le journalisme de guerre. C’est avec humour qu’il nous raconte ce qui l’a amené à occuper ce poste. “Au début, je voulais devenir présentateur télé, j’avais l’habitude d’aller sur les shows télévisés et j’adorais voir comment ils travaillaient. Je rêvais de devenir célèbre.” Après sa licence en relations publiques et journalisme, il postule à une offre pour être présentateur. S’il fait chou blanc, une place vacante au sein de la section reporter lui ouvre les bras : il plonge et en tombe immédiatement amoureux. Il prend alors conscience de l’importance du rôle de reporter : “Le véritable journalisme, c’est le reportage. Si tu travailles en tant que reporter télé, tu pourras être un bon présentateur. Le plus important dans le journalisme c’est l’information. Je peux couvrir un grand nombre de sujets, faire des recherches et interviewer des personnes au passé très hétéroclite. J’ai beaucoup appris de ces personnes, ce pourquoi j’aime tant le reportage.” C’est à ce moment précis que sa vie prend une autre tournure. Sa sympathie naturelle lui permet de se faire aisément une place auprès de personnes importantes telles que des chefs de police et des soldats afghans, parvenant ainsi à obtenir des informations essentielles sur le nombre de victimes ou les auteurs d’un attentat. “J’ai un don pour la communication et j’ai réussi à développer des relations avec des gens ayant le pouvoir de me ramener des informations utiles.” Il nous explique que rentrer en communication avec eux n’est pas tâche facile mais qu’il use de différentes méthodes pour approcher ses sources. Il fait des recherches au préalable, les observe et s’adapte. Il lui faut parfois déboucher une bouteille pour délier les langues. Cependant, leur humanité permet à Elyaas d’instaurer une proximité et d’obtenir des informations car tous ont un objectif commun : “Après tout, nous travaillons sur le même terrain, leur but est de sauver les vies des civils et le mien est de donner une voix aux gens qui ont perdu leurs proches.”

Sa jeunesse : entre guerre et responsabilité 

Ayant grandi dans une zone de conflit, Elyaas s’est familiarisé avec les sons des bombardements. Il nous raconte de façon anecdotique : “Le jour de ma naissance, mon père a tiré des balles vers le ciel pour exprimer sa joie. (..) Quand nous vivons dans un pays comme l’Afghanistan, nous sommes toujours proche des champs de bataille, et nous le devenons encore plus quand nous travaillons en tant que reporter de guerre”. Le regard vague, il enchaîne sur ses débuts dans son nouveau métier et évoque son ressenti des premières semaines : “La police laisse les médias voir le nombre de personnes qui ont été tuées. Au début, j’étais choqué, au cours de mes premières missions, lorsque j’ai vu les corps, les mains, les jambes, j’étais choqué, je ne pouvais plus dormir pendant des semaines. C’était si dur pour moi, mais au bout d’un certain temps ça s’est normalisé et ça me rend triste”.
Il précise qu’être journaliste dans un pays tel que l’Afghanistan n’est pas chose facile et que cela signifie la plupart du temps travailler sur des champs de mines. Il insiste également que rares sont les journalistes occidentaux souhaitant couvrir les événements afghans, ayant peur pour leur vie : “Ils pensent toujours à la sécurité, même les agences de presse internationales engagent des journalistes et cameramen afghans et les envoient en reportage. Mais pour nous, la guerre est normalisée et nous nous battons toujours sur la ligne de front.” Il assure que le danger est présent partout et comme les journalistes, les civils ne sont pas épargnés : “Quand je vivais en Afghanistan, il n’y avait aucune garantie que lorsque je quittais ma maison le matin, je pouvais revenir le soir, car il y avait toujours des explosions de bombes partout.”

En plus des bombes, Elyaas confronte également la mort dès son plus jeune âge : “J’ai perdu mon meilleur ami dans l’explosion d’une bombe (…) J’étais vraiment triste, nous étions si jeunes, et nous étions vraiment proches. Si cette bombe était arrivée 30 secondes après je l’aurais rejoint, je serais mort aussi. Je ne peux pas dire si je suis chanceux ou pas” Il nous explique alors pourquoi il a choisi ce métier, ou plutôt pourquoi ce métier l’a choisi : à travers la perte de son meilleur ami, Elyaas a trouvé dans le journalisme un refuge, un moyen de savoir ce qu’il se passait dans son pays et pourquoi ses citoyens étaient presque parfois destinés à une mort jugée inutile à ses yeux. Il continue en nous détaillant qu’il essayait de se trouver à travers cette guerre : il n’avait d’autre choix que de continuer ce métier dans lequel personne ne souhaitait se mettre en danger, que ce soit en raison de leur famille, de leurs enfants ou de la peur d’être en première ligne. On lui demande alors s’il a déjà été blessé physiquement par une explosion, il répond : “Malheureusement non, et je dis malheureusement parce que lorsque vous êtes blessé physiquement, vous ressentez la douleur, mais lorsque vous êtes blessé mentalement, c’est difficile parce que vous n’avez aucun symptôme.” En repensant à ce qu’il a été amené à voir au cours de sa carrière, il évoque de nouveau son traumatisme, qui demeure encore très présent

L’humain au cœur du métier de journaliste

Cependant, il revient toujours à cette responsabilité de couvrir la guerre, tout en mesurant le risque, que sa mère ne souhaitait pas qu’il prenne : “C’était tellement risqué, ma mère n’aimait pas que je sois journaliste et que je travaille pour des chaînes de télévision car nous étions si proches de l’incident et des explosions de bombes. Parfois, si quelqu’un se fait exploser, on peut être touché aussi, ça arrive souvent.” Lors de notre discussion, nous avons remarqué qu’Elyaas utilise deux mots pour définir sa vision du journalisme : responsabilité et devoir. “Ma mère désapprouvait mon choix de carrière, mais être journaliste était plus qu’un métier pour moi, c’était ma responsabilité et ma mission. Je devais à mon peuple de dévoiler la vérité. En tant que reporter, j’ai pu rencontrer de nombreuses personnes qui m’ont apporté énormément personnellement et professionnellement”.  L’amour des gens et le côté humain de son métier ont poussé Elyaas a continué à couvrir les événements politiques et les cérémonies nationales, en pratiquant un journalisme indépendant et libre : “Vous ne travaillez pas pour le gouvernement, ni pour aucun parti politique, car ce sont les gens qui paient votre salaire, ceux qui regardent la télévision et lisent le journal. Si vous travaillez honnêtement avec eux, ils vous paieront un bon salaire et vous encourageront. S’ils n’aiment pas votre travail et s’ils pensent que vous leur mentez et que vous ne faites pas honnêtement votre travail, ils ne vous regardent pas.”  Il illustre ses propos en nous racontant, ému, qu’une fois, alors qu’il était reporter en Afghanistan, un commerçant ne voulait pas le laisser partir tant qu’il n’avait pas bu la tasse de thé qu’il lui offrait. Il poursuit :  “Cela signifie beaucoup pour moi, dans le journalisme on ne peut pas avoir beaucoup d’argent mais on peut avoir beaucoup d’amour.”

Tout s’arrête brutalement lorsqu’Elyaas reçoit des menaces téléphoniques d’un groupe de talibans. Au début, il explique ne pas avoir pris cet appel au sérieux. C’est au second appel, au ton beaucoup plus inquiétant qu’Elyaas prend peur. Les talibans le menacent directement et lui proposent une collaboration étroite, ce à quoi il répond négativement, invoquant son éthique professionnelle. Une vérification du numéro confirmera l’origine de l’appel : il s’agit d’une région où un des groupes talibans les plus dangereux a élu domicile. Il décide malgré tout de demander protection auprès du chef de la police qu’il connaît, de par ses nombreuses relations intrinsèques à son travail. Ce dernier lui conseille d’acheter une arme lui expliquant que lui-même ne peut se protéger et faisant même peser le doute sur le fait qu’un de ses collègues travaille pour les Talibans. “J’ai été déçu quand j’ai entendu ça, je me suis dit qu’il n’y avait pas d’espace sûr pour moi, je suis juste un idiot. Je suis venu ici pour demander de l’aide alors qu’ils ne peuvent même pas s’aider eux-mêmes.”

Le parti pris d’Elyaas pour la démocratie et l’incapacité des forces de l’ordre à le protéger l’amènera ainsi à fuir l’Afghanistan, quelques jours après ce second appel. “À ce moment-là, ils étaient probablement en train de réfléchir à des moyens de me tuer, alors je ne pouvais pas prendre le risque et j’ai dû fuir“. Cela marque le début de son périple à travers l’Europe, en 2015, où il a connu de nombreuses difficultés, le poussant parfois à abandonner. 

Après avoir traversé de nombreuses frontières, il arrive en Suède en 2016 : “En Suède, j’étais entre l’enfer et le paradis, parce que dans le camp, tu ne fais que gâcher ta vie.” Cependant, il tente de se reconstruire et apprend le suédois. Après quelque temps, il travaille pour la Croix Rouge suédoise, d’abord en tant que stagiaire puis comme chargé de communication sur la migration où il fait de l’interprétariat. Il effectue également d’autres activités en parallèle lui permettant de continuer de pratiquer son métier de journaliste. Après avoir passé près de 5 ans sur le territoire suédois, sa demande d’asile est rejetée et il est forcé de fuir à nouveau. 

En arrivant en France en Septembre 2020, il dort dans la rue durant près de 4 mois. Il énonce alors les nombreuses difficultés auxquelles il a dû faire face en tant que demandeurs d’asile :  “Je me bats avec la langue, le système, la police qui nous traite comme de la merde, je me bats pour trouver de la nourriture, trouver des toilettes {…} vous perdez tout, et vous n’êtes même pas reconnu comme un être humain.

Il poursuit, nous parlant de l’Afghanistan et de la difficulté de l’exil : “Dans mon pays j’avais tout, je n’avais pas beaucoup d’argent mais j’avais du respect. Ici, ils m’ont traité comme de la merde et m’ont arrêté pour rien, en utilisant des gaz lacrymogènes, j’étais entouré de bombes et j’ai vu des corps détruits, je suis venu vous demander de l’aide mais vous m’avez arrêté pour rien”.  Il conclut : “Si j’avais 20% de chance d’être protégé dans mon pays, je n’aurais pas demandé de protection ici“.

Aujourd’hui résident à la Maison des Journalistes et ayant obtenu le statut de réfugié en France, il tente de se reconstruire à nouveau. Il essaie de faire face à son trouble de stress post-traumatique en créant un média en ligne sur l’actualité afghane et en prenant des cours de français afin de mieux s’intégrer. 

Vous pouvez suivre les publications d’Elyaas sur Gioma Media.

Portrait réalisé et retranscrit par Sarah Hachani, étudiante en Master 2 d’Expertise Economique des Politiques et Projets de Développement à l’IEDES, Sorbonne Paris 1. Avec la participation de Rim Benomar.

Stage d’immersion dans les rédactions de Ouest-France : Dix jours d’intenses inspirations

Par Manar Rachwani
Traduction Zouheir Ait Mouhoub

Paris.
La domination des réseaux et des médias sociaux laissait penser que le journalisme tel que nous le connaissons était voué à disparaître comme le soutiennent de nombreux observateurs.

Hélas, pour les plus sceptiques, ce n’est heureusement pas le cas. Grâce au généreux stage d’immersion que le Groupe Sipa-Ouest France en partenariat avec la Maison des journalistes a offert à huit journalistes exilés et réfugiés résidant à Paris, la sentence est vite balayée. À voir de près le travail de fourmis dans les locaux des journaux d’Ouest France, le journalisme a encore de beaux jours devant lui. Et à travers ce journal , une bonne impression sur les communautés locales et la société française en général s’y dégage.

À Rennes, durant dix jours, nous avons pu voir de près le travail acharné des journalistes dans presque tous les services d’information du journal Ouest France, ainsi que celui de leurs confrères des rédactions de Presse Océan à Nantes, Courrier de l’Ouest à Angers, et Maine libre au Mans.

À travers cette immersion intense dans ces rédactions, il en ressort que le journalisme ne se meurt pas, il se réinvente, s’adapte et poursuit son chemin pour au mieux éclairer les lecteurs, et ce, à travers des informations fiables et recoupées.

La survie d’un journalisme fiable, comme le montre ces journaux, exige, d’ailleurs, une adhésion solide aux principes de pluralité afin que la presse puisse remplir son rôle en tant que moteur de la vie démocratique.

Il est évident que le journalisme doit s’adapter à l’environnement médiatique en constante évolution notamment à l’ère des évolutions technologiques et faire face aux nombreuses menaces qui le guettent. Cela passe inéluctablement par la capacité de la presse à rapporter une information juste et vérifiée afin de se distinguer par rapport aux informations erronées, et autres fake news qui circulent sur les réseaux.

Un tel succès ne peut être atteint sans l’adhésion des lecteurs et des communautés qui ont pris conscience de l’indispensabilité d’une presse professionnelle et de son importance dans la vie de la communauté locale. De l’autre, cet attachement constaté parmi les professionnels des médias quant aux valeurs du métier. Et c’est là, la recette adoptée par Ouest France et ses publications annexes pour atteindre cet objectif.

À travers la publication d’un reportage consacré à notre stage dans les colonnes d’Ouest France et ses rédactions à savoir Presse Océan, Courrier de l’Ouest et Maine Libre, nous avons pu rentrer dans ses milliers de foyers français, ce qui démontre toute l’hospitalité de la société française. Pour nous, comme pour de nombreux autres journalistes exilés en France, cela démontre une fois de plus que nous étions toujours les bienvenus dans ce pays, et notre reconnaissance à la République française de nous avoir permis d’échapper aux risques graves encourus dans nos pays respectifs. Se sentir bien accueilli, nous permettra certainement au mieux d’intégrer en douceur la société française, tout en continuant à exercer notre métier et de tenir compte de ce qui se passe dans nos pays. Une manière à nous, de contribuer à un avenir meilleur fondé sur les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et surtout de la tolérance.

slide 1
Image Slide 2
Les journalistes de la MDJ devant les locaux du Club de la Presse de Rennes et de Bretagne
Image Slide 1
Slide
previous arrowprevious arrow
next arrownext arrow

Il est n’est plus question ici de comparer toute l’étendue entre le paysage médiatique en totale détérioration dans nos pays, notamment en Moyen-Orient considéré à juste titre comme le terrain le plus dangereux pour les journalistes dans le monde et celui de la France. Le fossé est tellement grand, que cela bien entendu ne nous empêche pas d’espérer mieux et de nous inspirer.

 © Ouest-France / © Asghar Noor Mohammadi / © Club de la Presse

Revue de presse :
Le Mans. « La guerre nous fait oublier que le reste existe », selon ces journalistes réfugié
Rennes. Journalistes et réfugiés : « Faire notre métier était devenu impossible »