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« La persécution ne s’arrête jamais » : à Cuba, les journalistes muselés par le pouvoir

Arrivés à la Maison des journalistes début janvier 2023, le couple cubain Laura Seco Pacheco et Wimar Verdecia Fuentes n’a rien perdu de sa verve. Ils ont toujours cette volonté de se battre pour la liberté de la presse et d’expression à Cuba, et ont accepté de nous détailler la censure subie sur l’île. 

Âgés respectivement de 29 et 35 ans, Laura et Wimar n’avaient jamais visité la France jusqu’à leur arrivée sur le territoire, le 9 décembre 2022. Lors de notre entretien, Wimar n’hésitera pas à s’emparer d’un marqueur pour expliquer sa pensée sur le tableau blanc à notre disposition. Laura, journaliste depuis 2018, a d’abord travaillé pour le journal gouvernemental Vanguardia, où elle produisait des articles sur des thèmes variés, mais principalement culturels. 

Le temps que j’ai passé à Vanguardia était dû à mon service social, qui est obligatoire dans un média d’État après l’obtention du diplôme”, explique-t-elle sur un ton mesuré. Elle y est restée trois ans, années durant lesquelles la jeune femme a nourri une forte envie d’indépendance. Elle finit par rejoindre le quotidien El Toque en janvier 2022, par amour de l’information libre. 

Laura en visite à Paris.

Plus de 1000 prisonniers politiques à Cuba

La presse indépendante est cependant interdite dans le pays par la Constitution cubaine, compliquant d’autant plus sa tâche. En septembre 2022, les pressions gouvernementales étaient telles qu’El Toque a connu une vague de démissions forcées. 

Dans un article datant du même mois, le média explique que « les scénarios d’interrogatoires et de chantage, ainsi que l’utilisation de la réglementation de voyage à plusieurs des collègues résidant à Cuba, ont fait que, jusqu’au 9 septembre 2022, le nombre de démissions de membres de notre équipe s’élevait à 16. » 

Face aux menaces constantes et sérieuses, Laura finit à son tour par renoncer « à la possibilité de travailler dans toute autre plateforme de journalisme indépendant à Cuba. » Ceux qui souhaitent continuer de travailler se voient forcés de le faire depuis l’étranger, au risque d’être emprisonnés, sans accès aux sources et informations gouvernementales. 

« Il y a aujourd’hui le journaliste Lázaro Yuri Valle Roca en prison, à ma connaissance », recense Laura. « Le bureau du procureur l’a inculpé des crimes présumés de propagande ennemie continue et de résistance. Mais il existe au moins 1000 prisonniers politiques à l’heure actuelle. Les disparitions et détentions de plusieurs jours sont monnaie courante à Cuba. »

« Beaucoup ne sont pas politiciens, la plupart sont accusés d’avoir commis des délits de droit commun. Ils sont considérés comme des prisonniers politiques à cause des accusations pesant sur eux : corruption ou espionnage, par exemple. » Politiques, sociaux, économiques ou sportifs, l’équipe d’El Toque tenait à couvrir tous les événements de la société cubaine, au grand dam du gouvernement.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

De la pointe aiguisée de son crayon, le caricaturiste et illustrateur Wimar Verdecia Fuentes dénonce et défie le régime cubain depuis des années, notamment pour le quotidien El Toque. 

Membre de la presse indépendante depuis 2018, Wimar a d’abord entamé sa carrière en tant qu’illustrateur. Non sans fierté, il a confié au micro de la MDJ être l’un des premiers à introduire la caricature politique dans les nouveaux médias indépendants de Cuba : ses caricatures étaient publiées dans le supplément Xel2, appartenant à El Toque. 

Depuis septembre 2022, il fait partie du “Cartoon Movement”, et a déjà dessiné sur des sujets internationaux (la guerre en Ukraine), sportifs (la coupe d’Europe), ou sociétaux (les armes aux Etats-Unis). Cartoon Movementest une plateforme en ligne, destinée aux dessinateurs et caricaturistes du monde entier afin de publier leurs œuvres et obtenir une meilleure visibilité.

Wimar était également le directeur de publication de Xel2. Sa démission a poussé la rédaction à fermer le site de Xel2, à son plus grand désarroi.

Peu à peu, leur travail au sein d’el Toque a suscité l’ire du gouvernement cubain. Le journal est devenu la cible principale de l’Etat car la population s’intéressait de plus en plus aux dessins de Wimar et aux articles de journalistes telle Laura.

Face à cette popularité dérangeante, le gouvernement cubain a resserré l’étau autour de la presse. Entre 2020 et 2021, la guerre est déclarée. 

Le taux de change, arme de la liberté d’expression cubaine 

« Le journal a publié le taux informel de change entre le dollar et le peso cubain, conduisant de nombreuses personnes à utiliser ce taux comme guide pour leur transaction, dans un pays où l’économie est fortement dollarisé », nous explique Wimar. 

« Après cette publication, El Toque est devenu très populaire aux yeux du public, le même taux était affiché partout dans le pays. Le gouvernement a alors estimé que 120 pesos égalaient un dollar américain (contrairement à notre taux), ce qui a fait monter les prix en flèche avec la spéculation. Ils ont ensuite rejeté la faute sur les journalistes. Mais le peuple n’était pas dupe, le gouvernement savait qu’il avait perdu sa crédibilité pour une grande partie des Cubains. Il a néanmoins maintenu son discours officiel pour ceux qui ont toujours foi en ses dires, mais il a perdu l’hégémonie de la communication grâce aux médias indépendants.”

De là, la vie de Wimar et Laura bascule. « La persécution ne s’arrête jamais. Jusqu’en septembre 2022, je n’avais pas de problème à être une journaliste indépendante. Mais à la fin du mois d’août 2022, les autorités ont visé tous les collaborateurs d’el Toque à Cuba et d’autres journalistes indépendants et militants politiques. »

Un matin, « ils sont venus chercher Wimar en voiture et l’ont emmené durant trois heures pour le menacer. Ils m’ont fait la même chose le lendemain, avec les mêmes menaces à la clé. Ils ont essayé de nous dissuader de continuer notre travail, mais nous avons poursuivi en catimini. » « Ils nous ont obligés à démissionner publiquement et à tourner une vidéo dans laquelle nous reconnaissons avoir travaillé pour El Toque et dévoiler notre salaire. »

Laura Seco Pachecho et Wimar Verdecia Fuentes quelques jours après leur arrivée sur Paris.

« Après cela, ils ont diffusé la vidéo à la télévision nationale en nous accusant d’être des mercenaires à la solde des Etats-Unis, en éditant la vidéo de sorte à ce que l’on pense que nous travaillions pour un gouvernement étranger, afin d’instaurer un changement de régime à Cuba et déstabiliser le pays. Ce type d’accusation est particulièrement utilisé contre les journalistes et les activistes politiques. » 

Heureusement, le journal est entièrement digital et une grande partie de ses journalistes est basée à l’étranger, lui permettant de continuer de tourner.

« A cause de mes caricatures dénonçant les abus du pouvoir, j’ai subi des persécutions et des interrogatoires », confie Wimar. « Ils m’ont forcé à quitter mon travail aussi, me disant que je risquais dix ans de prison si je refusais. Avec le supplément Xel2, nous avons pu contourner la censure à travers Xel2 à laquelle l’humour graphique est soumis depuis plus de 60 ans, notamment dans les médias officiels de l’Etat. » Le simple fait de publier « des articles qui sortaient de l’agenda gouvernemental exposant le gouvernement, était une gifle pour les censeurs », affirme Laura avec un sourire vaillant.

« Nous avons ravivé le goût pour ce type de journalisme et d’autres médias ont commencé à suivre, ouvrant une place à la caricature dans les médias indépendants. Le gouvernement ne pouvait pas laisser grandir une telle liberté. » 

« Certains journalistes ne peuvent ou ne savent pas comment quitter l’île »

Pour le dessinateur, « le gouvernement cubain poursuit même les médias de gauche qui défendent le socialisme. Même la simple initiative de communication venant de l’extérieur du Parti communiste est considérée comme suspecte et peut conduire à la persécution. Il n’y a pas de gouvernement de gauche à Cuba, il s’agit d’une oligarchie bureaucratique où le pouvoir est entre les mains de quelques proches de la famille Castro. »  

« L’économie, elle, est entre les mains d’un conglomérat d’entreprises militaires appelé GAESA. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs à Cuba, tout est contrôlé par le Parti. Cela génère un contexte sans garantie légale pour quiconque considéré comme un dissident. »

Si les deux journalistes sont parvenus à s’enfuir, c’est grâce au réseau international Cartoon for Peace et RSF. « Après nos démissions forcées, Wimar a demandé de l’aide au Cartoon Movement qui l’a mis en contact avec Cartooning for Peace. Ils nous ont aidés à obtenir nos visas et à nous installer à Paris. La France a un historique avec la liberté d’expression, et je pense qu’ils nous ont aidé pour protéger ces valeurs », analyse Laura, qui a connu la France à travers ses idéaux d’égalité et de liberté.

Un pouvoir très discret

Des idéaux auxquels le couple de journalistes et la population cubaine aspirent depuis des années. « Si Cuba demeure très discrète sur ses agissements et sa manière de faire taire la population, il est devenu de plus en plus compliqué pour le gouvernement de cacher ses violations des droits de l’Homme avec l’avènement d’Internet. Il y a cinq ans, on ne savait pas ce qu’il se passait niveau activisme, même quand Laura travaillait pour un journal gouvernemental. Internet a été un véritable levier pour la liberté de la presse. »

S’ils ont réussi à échapper à la dictature, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs confrères et consœurs, dont ils essayent d’obtenir des nouvelles. « Certains journalistes ont décidé de rester mais sont toujours menacés, mais ils ne veulent pas quitter le pays qui les a vu naître. Il faut bien qu’il y ait des journalistes à Cuba, surtout indépendants, et d’autres ne savent pas comment quitter le pays. Ou bien d’autres encore préfèrent rester anonymes pour se protéger. » 

Désormais, Cuba est devenue trop dangereuse pour qu’ils puissent y travailler en toute sérénité : ils continuent donc leur combat depuis la France et la Maison des journalistes. Pour l’instant, Laura collabore de temps en temps avec El Toque et Wimar pour “La Joven Cuba”, où il dessine chaque dimanche une colonne humoristique. 

Mais ils ne peuvent pas recevoir de soutien en ligne, « le peuple cubain a très peur car beaucoup dépendent de leur travail avec le gouvernement ou craignent des représailles. Il existe une loi à Cuba permettant d’infliger une amende ou emprisonner quelqu’un pour avoir donné son avis sur les réseaux sociaux ou pour s’être moqué du gouvernement, alors personne n’ose rien dire. » Un phénomène loin de les décourager dans leur combat, qu’ils savent nécessaire et inéluctable. 

Maud Baheng Daizey

Pascal Brice: “Tant que nous n’aurons pas une politique migratoire européenne digne de ce nom, la politique du droit d’asile restera sous pression.”

Ce lundi 14 octobre, il y a foule dans l’Amphi 4 de la Sorbonne pour accueillir Pascal Brice, ancien directeur de l’OFPRA et auteur du livre “Sur le fil de l’asile” paru chez Fayard. Il va s’exprimer pendant plus d’une heure au sujet de  l’accueil des réfugiés en France et en Europe, et plus particulièrement l’asile politique. C’est aussi une rencontre entre monde diplomatique et académique.

Pascal Brice © Camille Millerand

Contrairement aux précédentes interventions publiques de Pascal Brice relayées sur notre média, le directeur de l’OFPRA a quitté ses fonctions, c’est donc le citoyen qui nous parle.


OFPRA, Pascal Brice: “Je ne connais qu’une réponse: l’accueil, l’humanité et la rigueur”


​Durant cette allocution, il va dresser plusieurs constats: l’Union Européenne est désunie sur l’immigration et cela a des conséquences négatives pour les européens et les migrants. De plus, le droit n’est que partiellement appliqué.

L’explosion migratoire, la crise syrienne et les défaillances de l’Europe : 2015, année du chaos

Depuis 1946, le droit d’asile est inscrit dans la Constitution française. Il est même considéré comme un droit fondateur de la République française. Sa directive inclut une protection juridique et administrative aux migrants ainsi qu’une procédure définie par le Conseil Constitutionnel.


Le citoyen peut être bouleversé par l’ampleur de la catastrophe humanitaire, mais le directeur de l’OFPRA agit en fonction d’un cadre juridique.”


En 2014, la Méditerranée devient la route principale de l’exil et les européens découvrent avec effroi les nombreux morts par noyade. L’année suivante, les demandes d’asile explosent: tandis que la Turquie reçoit de l’argent par l’Union Européenne pour prendre en charge 3 millions de réfugiés, l’Europe agit en ordre dispersé.

Camp de réfugié le long du canal de la Vilette proche de la rotonde de Stalingrad – Hiver 2017 © Valentine Zeler

En 2015, l’Allemagne accueille un million de réfugiés tandis que la France se limite à 120.000 personnes.

La Grande Bretagne quant à elle ferme ses frontières au mépris de toutes les conventions signées, y compris celle de Genève. L’Europe de l’est suit la tendance britannique.”

Parmi eux, certains subissent les passages de milliers réfugiés comme l’Autriche.

Des difficultés d’organiser le droit d’asile

Le citoyen peut être bouleversé par l’ampleur de la catastrophe humanitaire, mais le directeur de l’OFPRA agit en fonction d’un cadre juridique.” Or, la convention de Genève et les autres traités internationaux dédiés à l’immigration sont mal appliqués.

On est loin des exigences” rappelle-t-il. “Tant que nous n’aurons pas une politique migratoire européenne digne de ce nom, la politique du droit d’asile restera sous pression.”

Quelle est la capacité des européens à  faire face aux questions migratoires ? “Il faut avant tout éviter le catastrophisme car l’argument se transforme en chantage. Essayons d’être bienveillant et d’appliquer le droit.”

Ce droit, Pascal Brice a essayé de l’appliquer dès sa prise de fonction en décembre 2012. Il constate que l’OFPRA a accordé le droit d’asile à 9% des demandeurs en 2012. Les 91% qui ont été refusés peuvent demander un appel devant la Cour Nationale du droit d’asile. Parmi ceux qui ont fait cette nouvelle demande, 12% était admis. Ainsi, il y avait plus de demandes accordées par le juge que par l’OFPRA. “Cette situation était anormale. Comment l’oganisme indépendant qui valide les demandes peut valider un chiffre inférieur de régularisation par rapport à un juge qui tranche en appel ?”

Pascal Brice a décidé d’agir. “Ce n’est pas la question d’être sympa ou non, c’est la rigueur de l’application du droit. Nous avons à la fois codifié ‘le bénéfice du doute’ et ‘la crédibilité des craintes’ par rapport à un récit mal construit” souligne-t-il. 

En outre, la vigilance vis-à-vis de potentiels terroristes est impérative. “Même si c’est vraiment infime, la menace est bien réelle”.

Comment organiser l’arrivée des migrants ? Hotspot versus Externalisation

Pour Pascal Brice, “deux choix s’offrent à l’Europe.”

La seule solution viable à ses yeux est la création d’hotspot. Un hotspot est situé aux frontières de l’espace Schengen. Il a pour mission d’accueillir dignement tous les migrants et de lancer leurs procédures administratives.

Camp de la Moria à Lesbos en Grèce – Photographie Mortaza Behboudi

Durant le temps de traitement, les migrants ne sont plus libres de circuler, c’est un centre fermé. Une fois la décision rendue, ils sont soit raccompagnés à la frontière ou bénéficient d’une aide de réinstallation fournie par le HCR, soit ils obtiennent un statut de réfugié ou une carte de séjour.

Il existe certains camps comme celui de la Moria à Lesbos en Grèce où notre journaliste Mortaza Behboudi a travaillé plusieurs mois. Mais dans les faits, ces centres sont relativement inhumains et les drames se succèdent.

L’autre solution a été proposée dès 2003 par plusieurs dirigeants européens comme Sivio Berlusconi en Italie, José Maria Aznar en Espagne ou Tony Blair en Angleterre. Elle consiste à externaliser les demandes d’asile aux pays frontaliers comme la Lybie. “Mais outre les difficultés de mis en place, il est évident qu’on est loin des critères d’accueil signés dans les traités internationaux.”

Pour Pascal Brice, cette solution d’externalisation est mauvaise.

L’impact important et très négatif du traité de Dublin

Le traité de Dublin impose une demande dans le premier pays où le migrant est arrivé. Conséquence, les pays du sud de l’Europe reçoivent la plupart des demandes.

Durant des années, ce traité était resté bien enfoui dans un fond de tiroir de l’Union Européenne. Quand il a dû être appliqué, cela s’est accompagné d’un certain laxisme” se souvient Pascal Brice, un brin désabusé. A cette époque, la police des frontières laissait plus ou moins passé les migrants aux frontières greques ou italiennes. Mais l’arrivée du gouvernement italien d’extrême droite de Matteo Salvini a changé la donne.

Pascal Brice se rend régulièrement à Calais pour rencontrer des migrants et les persuader de quitter la “jungle” ou  du moins établir un dialogue. S’y rendant en 2018 comme chaque année, il se rend compte que les 400 migrants venu l’écouter ont systématiquement été enregistrés dans le pays d’arrivée. Il est donc impossible pour eux de demander leur statut en France tant que l’Italie n’a pas statué sur leur cas.


Les citoyens des pays d’accueil constatent cette inactivité alors que les migrants sont nourris et logés au frais de l’Etat du pays d’accueil. Cela renforce la xénophobie.”


Le premier pays européen où arrive le migrant est donc obligé de déclencher une procédure d’accueil. Tant que la réponse n’est pas donnée, le migrant ne peut pas entreprendre d’autres démarches administratives. C’est donc les pays frontaliers qui endossent les demandes d’asile. 

Quant aux pays qui ne sont pas frontaliers, ils refusent de prendre les demandes de migrants se réfugiant derrière la loi de Dublin. La France a aussi joué ce jeu qui fait le lit des nationalistes xénophobes.

Pour résumer sa colère, Pascal Brice souligne “non seulement le manque de solidarité entre pays d’arrivée et pays de destination”, mais aussi l’inactivité imposée aux migrants durant des périodes allant jusqu’à 18 mois. “Les citoyens des pays d’accueil constatent cette inactivité alors que les migrants sont nourris et logés au frais de l’Etat du pays d’accueil. Cela renforce la xénophobie.”

La dissuasion et la reconduite à la frontière

Il ne faut pas que les conditions sociales soient trop bien pour les migrants sinon ils viendront tous !

Cette phrase maintes fois entendues n’est pas du tout recevable pour Pascal Brice. “D’abord parce que les gens viennent quand même, mais en plus ils sont mal accueillis, dans des conditions très difficiles qui renforcent les incompréhensions de part et d’autres”.


Le droit d’asile n’est pas qu’une politique migratoire, c’est un droit politique.


L’asile doit être garanti comme le stipule le droit européen dans le respect de l’ordre public. Ni plus, ni moins. C’est inscrit dans la Constitution française et c’est notre devoir de Nation.

Pascal Brice: “Réformer le droit d’asile est indispensable mais cela ne suffira pas”

Au fil de l’exposé, on comprend que la politique migratoire est non seulement inefficace mais aussi dangereuse, aussi bien pour les migrants que pour les européens. Pascal Brice ajoute: “Le droit d’asile n’est pas qu’une politique migratoire, c’est un droit politique.”

Il est donc nécessaire que ce problème soit pris de manière collégiale au sein des pays qui appliquent la libre circulation du traité de Schengen. Les répartitions deviendraient plus équitables. Alors qu’au contraire, chaque pays réfléchit pour lui-même. Dès lors, on constate le retour implacable des frontières entre chaque pays. 

L’autre point, c’est la stricte application du droit. Le droit des migrants se confond de plus en plus avec ceux des réfugiés politiques. Beaucoup de migrants ne correspondent pas à ces critères. Ils n’auront même pas de carte de séjour.

Quid des expulsions.  

Nous avons pris la mauvaise habitude de s’habituer au fait que le droit est plus ou moins appliquée”. Parfois l’expulsion est impossible mais quand c’est le cas, c’est rarement effectif.  “Les conséquences sur la montée des xénophobies européennes sont dévastatrices pour le vivre ensemble.”

Et la régularisation de masse ? “C’est un aveu d’échec.”

Comment la France accueille administrativement les migrants?

Chaque pays européen a un processus d’accueil spécifique. Certains camps comme Lesbos en Grèce sont dirigés par le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés).

  • En France, les migrants s’inscrivent sur la plateforme PADA (Plateforme d’Accueil de Demandeurs d’Asile) qui leur demande le relevé d’état civil.
  • Ils obtiennent alors un rendez-vous « au guichet unique ». Ce guichet est géré par la préfecture et par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration).
  • Soit ils sont dans le cadre de la procédure Dublin et doivent attendre la décision du premier pays par lequel ils sont passés, soit se déclenche une procédure normale ou accélérée.
  • La demande d’asile est formulée. Le guichet unique renvoie le dossier à l’OFPRA qui vérifie le récit de la personne.
  • Soit l’OFPRA valide le dossier, soit il est renvoyé devant un juge du CNDA. Si le CNDA refuse le droit d’asile, le migrant rentre alors dans un processus d’expulsion.

Le dessin de presse aux portes du marché de l’art

A quand une grande vente aux enchères de dessins de presse comme le font les maisons Drouot ou Sothebys pour des artistes tel que Picasso ?

Autour de Martine Mauvieux, conservatrice du dessin de presse à la Bibliothèque de France, une cinquantaine de dessinateurs venus des 4 coins du monde (Portugal, d’Inde, d’Ecosse, de Jordanie, de Grande Bretagne, du Brésil, du Nigéria…) et des ayants droits se sont réunis à la BnF dans le cadre des Etats Généraux du dessin de presse. L’occasion de nous plonger dans l’univers des caricatures d’actualité, siamois du journalisme. 

Le public est impatient, percutant et chamailleur, il n’hésite pas à poser des questions et rend cette conférence aussi intéressante que dynamique. 

L’histoire du dessin de presse 

La caricature a commencé par l’humour. “L’humour dans l’image existe depuis toujours” rappelle Martine Mauvieux. 

Pour que le dessin de presse soit pris au sérieux au sein du milieu culturel et artistique, il a fallu attendre certaines donations pour qu’en 2007 le Ministère de la Culture ouvre le premier poste de conservateur à la BNF dédié au Dessin de Presse. 

Le dessin de presse est aux portes du marché de l’art

Ce marché de l’art est encore balbutiant. Certes, de grandes maisons d’enchères comme Sothebys ou Drouot ont déjà proposé des dessins de presse lors de leurs ventes aux enchères, mais ils sont rares et n’ont jamais eu droit à une cession consacrée. 

Sans la reconnaissance des plus grandes maisons de ventes aux enchères, il est difficile pour le dessin de presse de créer ou stabiliser un marché de l’art. De plus, certains vendeurs mettent aux enchères des fonds entiers. La profusion impacte les prix. Lorsque des centaines de dessins sont mis en vente d’un seul coup, cela fait baisser le prix de chaque dessin de presse. Malgré un potentiel important, le marché balbutie. 

L’autre handicap du dessin de presse est le traitement du sujet. Un dessin du général De Gaulle a toute sa place chez le particulier ou dans un musée. En revanche, la caricature d’un “simple ministre” ou d’un événement oublié perd de la valeur, ou parfois n’en a aucune. 

La caricature est un art populaire. “Vous pouvez acheter pour 30 euros jusqu’à 80 dessins” se scandalise un spectateur ! En même temps, ceux qui achètent ne sont pas les plus fortunés.

Malgré cela, l’avenir pourrait s’avérer radieux pour le dessin de presse. A titre comparatif, le marché de la Bande Dessinée a explosé en quelques années. La BD avait si peu de valeur que de nombreuses planches originales ont été détruites. Puis au fil des ans, l’essor des ventes aux enchères en a fait un style à part entière qui génère maintenant d’importants profits. 

Cependant, comme pour un dessin de presse, la conservation reste un enjeu primordial. 

L’enjeu crucial de la conservation

Je suis un dessinateur compulsif, j’écris n’importe où, n’importe quand, y compris sur un coin de table par exemple...”

Devant cet aveu, la conservatrice sourit poliment tout en haussant légèrement les épaules. Comment conserver ces dessins ? Elle qui nous a patiemment énuméré comment la texture du papier (bien plus solide avant 1850) et la qualité de l’encre sont les conditions sine qua non d’une bonne conservation. Vient ensuite l’environnement du dessin, la température, l’éclairage, l’humidité… Garder un dessin de presse en l’état se révèle un travail méticuleux. 

Mais face à la qualité d’une nappe papier de restaurant, la conservatrice ne peut rien conseiller, à part photographier le dessin.

Bien sûr, la question se pose moins quand le dessinateur utilise directement un support digital. 

Et en ces temps où le dessin de presse n’a pas toute la place qu’il mérite, la digitalisation est une bonne option de conservation. C’est ainsi que le caricaturiste Triambak Sharma nous a montré un musée entièrement digital dont la passionnante visite nourrit l’imagination. 

Le dessin de presse est présent partout dans le monde et il deviendra peut-être un art majeur. Comprendre une époque par ces dessins de presse est une approche originale du quotidien par l’information.

Nous ne pouvons nous empêcher de conclure cet article par un dessin de Bilal Daggezen, présent à cette conférence et ancien journaliste de la MDJ. Il a du fuir la Turquie à cause de ses dessins.

 

La suppression des caricatures du New York Times suscitent l’inquiétude

C’est l’information qui bouleverse le plus grand quotidien au monde, le New York Times international. Après 1 mois de polémique à la suite d’un dessin jugé antisémite, il n’y aura désormais plus de caricature politique dans la rubrique Opinion à compter du 1er juillet. Une décision qui présage un avenir compliqué pour les dessinateurs de presse.


Un seul coup de crayon a suffi à déclencher une polémique mondiale.


La raison ? Il faut aller la chercher du côté de l’édition du 27 avril. On y trouve un dessin représentant le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, sous la forme d’un chien, une étoile de David autour du cou. Derrière lui, le président américain Donald Trump aveugle tient le “chien” en laisse, une kippa sur la tête.

Suite au tollé qu’a provoqué la caricature, le New York Times s’est excusé dans une lettre, parlant d’une “erreur de jugement”. Une justification qui n’a convaincu ni les médias américains, ni Israël.

Son ambassadeur aux Etats-Unis s’est dressé contre le journal. “Le New York Times fait aujourd’hui de ses pages un espace rêvé pour ceux qui haïssent l’état hébreu” a-t-il déclaré à Washington le 29 avril.

Le directeur de la publication du journal, A.G. Sulzberger, lance une procédure disciplinaire contre le responsable d’édition qui avait choisi ce dessin, et décide de ne plus utiliser de caricatures venant d’une société extérieure, d’où provenait l’image jugée antisémite.

Du côté de la Maison Blanche, le président Donald Trump s’est offusqué de ne pas être cité dans la lettre d’excuse du quotidien. Finalement, le New York Times a cédé à la pression des réseaux sociaux et a annoncé la fin de ses pages caricatures.

La liberté d’opinion est-elle menacée ?

La totalité des caricatures ne seront pas supprimées des pages de l’édition internationale du New York Times. Seule la rubrique Opinion en sera désormais dépourvue.

Les caricatures de presse sont achetées, parfois dans une banque d’image comme pour le dessin d’Antonio Moreira Antunes qui a créé la polémique. Patrick Chappatte dessinateur phare du New York Times a exprimé sa déception sur son blog à la suite de cette annonce.

Ces dernières années, certains des meilleurs dessinateurs de presse aux Etats-Unis (…) ont perdu leur travail parce que leurs éditeurs les trouvaient trop critiques envers (Donald) Trump […] Peut-être devrions-nous commencer à nous inquiéter. Et nous révolter. Les dessinateurs de presse sont nés avec la démocratie et lorsque les libertés sont menacées, ils le sont aussi” a-t-il condamné sur son blog.

Interrogé par France Inter, Plantu a déclaré être “inquiet pour l’avenir de nos démocraties et de la liberté d’opinion”. Le dessinateur du Monde s’indigne de voir un journal si prestigieux comme le New York Times se soumettre face à la pression des réseaux sociaux. “S’ils s’aplatissent tous, la liberté des dessinateurs va se réduire (mais ça c’est secondaire), mais c’est la liberté des journalistes, la liberté des citoyens, la liberté d’opinion qui va être mise en pièces.”

Pour Terry Anderson, illustrateur et directeur général de Cartoonist Rights Network International, “il est indéniable que la décision de l’équipe de New York Times s’inscrit dans une tendance mondiale et continue à réduire l’espace public pour les caricaturistes […] C’est pourquoi nous la condamnons de tout cœur.

Antonio Moreira Antunes

La liberté d’expression a déjà été attaquée par le passé.

Antonio Moreira Antunes, auteur de la caricature controversée publie régulièrement dans les journaux et magazines portugais depuis 1975. Le dessinateur n’en est pas à sa première polémique. En 1992, il publie dans Expresso une caricature devenue célèbre et hautement contestée : Jean-Paul II représenté avec un préservatif sur le nez. Ce dessin avait entrainé une pétition signée par 15 000 portugais réclamant la censure du caricaturiste.

Charlie Hebdo

Connu pour ses unes provocatrices et son humour décalé et satirique, Charlie Hebdo a provoqué de nombreuses controverses nationales sur la liberté de la presse et de l’opinion. En 2006, Charlie Hebdo publie les caricatures danoises (du journal Jyllands-Posten) du prophète Mahomet. L’Union des organisations islamiques de France et la Grande Mosquée de Paris engagent une procédure pénale contre Charlie Hebdo pour “injure publique à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion”. Cible de nombreuses menaces des islamistes par la suite, la rédaction est ciblée le 7 janvier 2015 par un attentat faisant 12 morts, dont ses plus célèbres dessinateurs : Cabu, Charb, Wolinsky et Tignous.

Alex

Plus récemment, le dessinateur de presse Alex a été victime de menaces de mort suite à la publication d’une caricature le 4 janvier dans Le Courrier Picard. Le dessin moque Éric Drouet, figure controversée des gilets jaunes, caricaturé en petit oiseau jaune chassé à la glu par Jean-Luc Mélenchon. “Il y a des gens, des journalistes mais d’autres aussi qui se font frapper, démolir“, rappelle Alex, inquiet du climat actuel en France et de la haine anti-médias qui prolifère.