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«Les Balkans sont le pendant occidental de l’Orient»

Entretien avec Jean-Arnault Dérens, Rédacteur en chef du Courrier des Balkans

Rédacteur en chef du Courrier des Balkans, Jean-Arnault Dérens, nous livre ici sa vision de la géopolitique des Balkans, mais aussi de la politique de l’Union européenne envers cette région.  

Propos recueillis par Larbi Graïne

Commençons par ce nom de Balkans, mot pluriel se référant à une entité diverse qui présente néanmoins une unité. Unité qui renvoie à une idée de l’émiettement et de la division d’où le mot dérivé de balkanisation. Cette terminologie est-elle toujours d’actualité ?  

Je pense qu’on est là dans une pensée coloniale, le balkanisme est une variante particulière de l’orientalisme tel que le définissait l’intellectuel palestinien Edouard Saïd, c’est donc une projection de l’Occident sur un espace qui lui est extérieur. Le terme de Balkan apparaît sous la forme de Barkan pour désigner une montagne de Bulgarie, c’est la barrière turque que les Bulgares eux-mêmes appellent la Straplan. C’est en 1809 qu’un géographe allemand, August Zeune, utilise par métonymie le terme de Balkan pour désigner un espace beaucoup plus vaste, qu’on appelait jusqu’alors la Turquie d’Europe, c’est-à-dire l’ensemble des pays et des territoires qui se trouvaient en Europe mais qui faisaient partie de l’empire ottoman. Comme vous le disiez, ce terme se développe très vite en même temps qu’un autre, celui  de balkanisation, qui n’a rien d’un concept géographique, car c’est un concept politique. On est donc dans une projection mentale de l’Occident par rapport à une diversité qui est perçue par lui comme étant effectivement menaçante et dangereuse. On est dans le domaine de la géographie des représentations, non pas du réel.

Il y a eu des guerres civiles, peut-être ce mot de balkanisation a découlé de ça ?

Je pense que le problème des Balkans, c’est effectivement celui d’une entrée particulière dans la modernité politique et ce, avec l’éclatement des empires et le fait que les Balkans dès la fin du XIXe siècle deviennent un théâtre de jeu pour toutes les grandes puissances de l’époque. C’est un espace convoité par la Russie, l’Italie, la France bien évidemment, et l’empire ottoman qui, lui, pour le coup est en train de se désagréger. Toutes ces puissances trouvent des alliés parmi les peuples locaux. La tragédie de la modernité dans les Balkans, c’est d’avoir des petits peuples qui se cherchent des protecteurs ou qui sont eux-mêmes pris en protection par plus puissants qu’eux. Bien évidemment, ces peuples vont exciter les tensions qui peuvent les opposer. De ce point de vue, dans cette interaction entre des enjeux locaux et les intérêts impérialistes, les Balkans font totalement partie d’une question d’Orient qui va jusqu’au Proche-Orient, la Syrie et la péninsule arabique. En ce sens, les Balkans, sont le pendant occidental de l’Orient.

L’Europe, même celle d’avant l’Union européenne a joué un rôle dans la construction des Balkans, où en est le processus d’élargissement de l’Europe à ces pays-là ?

Nulle part. Si vous voulez, le moment où les peuples des Balkans ont pris en main leur destin, c’est l’épisode de la Yougoslavie autogestionnaire de Tito. D’ailleurs si on s’intéresse au vocabulaire, c’est le moment où on a arrêté de parler des Balkans, Tito avait débalkanisé dans les représentations l’espace yougoslave. On ne parlait que de Yougoslavie, pas d’autre chose.  Cette fédération elle-même, pour un ensemble de raisons s’est disloquée et s’est tragiquement effondrée à la fin du XXe siècle. Depuis ce moment-là, la seule perspective qui a été présentée aux Balkans, est celle de l’intégration, mais en réalité ce processus est au point mort total depuis au moins dix ans.

La Bulgarie et la Roumanie ont été intégrées en 2007, la Croatie en 2013. Mais l’intégration de la Croatie avait été promise tant de fois et autant de fois repoussée qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. En réalité depuis 2008, c’est-à-dire le début de la crise mondiale, le processus est totalement à l’arrêt. La Commission européenne a présenté au début du mois de février 2018, une nouvelle stratégie supposée relancer cette dynamique. Il y a quand même de quoi rigoler, quand une commission en fin de mandat propose une stratégie que bien évidemment elle ne sera pas en mesure de mettre en œuvre puisqu’il reviendra à la prochaine commission de le faire. Une prochaine commission dont la composition relève quand même du plus que du total inconnu politique.

Par contre, autre point important dans ce processus, c’est d’observer cette évolution durant les années 1990-2000 : la question européenne était un vrai clivage politique dans les Balkans, entre des forces nationalistes conservatrices qui s’opposaient à la perspective européenne, et des courants politiques pro-européens, qui pouvaient être plus ou moins libéraux ou plus ou moins socio-démocrates. Aujourd’hui on assiste quasiment dans tous les pays de la région, et principalement en Serbie, à quelque chose d’assez extraordinaire : ce sont les hypernationalistes d’hier qui sont devenus les plus grands pro-européens. Ces ultra-nationalistes fascistes sont devenus pro-européens au moment même où, en réalité, le processus d’intégration tombait en stand-by.

Le régime serbe qui est un régime prédateur de la liberté de la presse, de plus en plus autoritaire, corrompu, clientéliste ; est soutenu par Bruxelles, uniquement parce qu’il a l’intelligence de produire des éléments de langage que la capitale européenne a envie d’entendre.

C’est cela le grand drame, toute la politique européenne dans la région depuis une bonne dizaine d’années  se réduit à une seule et simple chose qui est la stabilité. L’objectif d’une société, ce n’est pas d’être stable. La stabilité est, au plus, une pré-condition et ne peut être un objectif. En plus, la stabilité telle que l’a conçoit l’Union européenne, c’est vraiment une stabilité a minima. La question est celle de redonner un sens à des projets sociaux, de remettre en mouvement les sociétés des Balkans.

On relève dans les Balkans la présence de certaines puissances internationales notamment, les États-Unis, la Russie et même la Chine, pourquoi cet intérêt pour cette région ?   

Et la Turquie, surtout il ne faut pas oublier la Turquie.

Oui c’est à dessein que je ne l’ai pas citée… 

On en revient exactement à la même situation qu’en 1900, à savoir que les Balkans sont une périphérie de l’Europe, une périphérie économique dominée, marginalisée. Il y a tout au plus de petites industries de main d’œuvre extrêmement mal payées. D’ailleurs aujourd’hui, la population des Balkans émigre massivement, elle s’enfuit. Il y a un phénomène d’exode. On est donc véritablement dans une périphérie dominée, dans une logique économique et politique. Cette périphérie dominée est un théâtre de jeu privilégié où s’entrechoquent les intérêts de grandes puissances avec des aspects différents. Pour la Chine par exemple, les Balkans, peuvent être une porte d’entrée pratique vers les marchés européens. Pour être très clair, si vous voulez acheter le port de Marseille, c’est cher. Mais le port de Cres, ce n’est pas cher. Le port de Salonique qui est en vente, ce n’est pas cher. C’est plus pratique d’acheter le port de Cres ou de Salonique que le port de Marseille ou le port de Naples, c’est aussi simple que ça.

Du point de vue de la Turquie, là, on est dans une autre logique. Les Balkans font effectivement partie de ce que la Turquie appelle son « étranger proche ». Là, il y a des débats un peu compliqués. La question est posée : est-ce que la Turquie a tourné le dos au néo-ottomanisme de l’époque de Davutoğlu (ancien 1er ministre d’Erdogan jusqu’en 2016) ? Personnellement je ne le crois pas. Je crois que même si aujourd’hui il y a des priorités stratégiques importantes comme l’espace kurde et la Syrie, il y a fondamentalement une continuité de cette politique qui avait été formée par Davutoğlu au début de l’année 2010 sur l’idée que la Turquie devait, d’une part, n’avoir aucun ennemi dans son entourage proche et surtout, d’autre part, rayonner sur toutes les régions traditionnelles turques, telles que le Caucase et les Balkans. Pour ce qui est du cas de la Russie et des États-Unis, on est sur un autre problème. Les intérêts économiques de la région sont pratiquement nuls, on est beaucoup plus dans le domaine de l’affrontement symbolique. Monter de petites provocations dans les pays baltes ou en Scandinavie, c’est bon pour faire des feuilletons sur Arte, car dans la vie réelle, ça ne marche pas, c’est un peu dangereux, tandis que ça peut se faire dans les Balkans.

Vous ne croyez pas qu’on assiste au retour d’une certaine bipolarisation entre les États-Unis et la Russie ?

Non, on est toujours dans un monde multipolaire, puisque dans les Balkans, il y a concrètement au moins parmi les acteurs, la Russie, les États-Unis qui sont très influents au Kosovo et pas seulement. Il y a aussi la Turquie, la Chine, et puis l’Union européenne qui essaye toujours de se faire entendre, même si  malheureusement sa voix porte de moins en moins, donc cela montre qu’on est bien dans un monde multipolaire.

En termes de ressources, que représentent les Balkans ?

Rien du tout. A Vélès, en Macédoine, il y a eu des petits ateliers qui ont produit des fake news assez importantes pour la campagne électorale américaine. Pour le reste, les ressources naturelles, ça ne compte pas beaucoup. Par contre, la main d’œuvre qualifiée des Balkans ; qui est elle une ressource importante, s’en va en Allemagne.

On parle aussi des Balkans comme repères des terroristes islamistes…

Alors, là, il faut être extrêmement prudent, l’islamisme radical est présent dans les régions musulmanes des Balkans, en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine, en Albanie, au Kosovo et dans le Sandjak de Novipazar. Cela étant, ces réseaux demeurent pour tous les pays très marginaux.

Si vous prenez le nombre de volontaires partis se battre dans l’État islamique par rapport au nombre d’habitants, la Bosnie-Herzégovine arrive en tête des pays européens, mais ce chiffre n’est pas très significatif. Dans le cas du Kosovo, on sait qu’il y a 300 personnes officiellement qui sont partis se battre en Syrie, ce qui n’est pas négligeable, ça je vous l’accorde. Mais on est quand même sur des phénomènes qui concernent une petite minorité radicalisée sans influence globale sur les communautés musulmanes.

J’insiste sur le fait tout de même que la grande majorité des personnes qui pratiquent un islam radical ou de type salafiste dans les Balkans, ne sont pas du tout partisans de la violence. Il y a des villages qui ont créé des émirats salafistes, mais leurs habitants ne sont pas partisans de la violence, c’est important de bien distinguer. Les gens qui peuvent être tentés par la violence c’est vraiment la minorité de la minorité.

Quant à savoir si les Balkans peuvent servir de points de passage ou de relais : oui et non. En théorie, oui. Il y a des possibilités par les relais des diasporas balkaniques en Europe occidentale. On peut penser à des hauts lieux de salafisme européens, comme la mosquée fréquentée par les Bosniaques à Vienne. Mais il ne faut pas oublier une chose, les Balkans sont une région très contrôlée par toutes les polices locales et par les services de renseignements de tous les pays du monde. De ce point de vue, personnellement si je voudrais me cacher, ce n’est pas forcément en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro, que je me rendrai.

 

En partenariat avec le Caffè dei giornalisti de Turin

La Syrie est une prison éternelle

Après les bombardements qui ont eu lieu ce 4 avril avec l’utilisation présumée d’arme chimique et avant la déclaration de Donald Trump le lendemain sur la volonté de frapper la Syrie (avec le concours des armées française et britanniques), les syriens, arabes et occidentaux, sont divisés en deux camps: les pour et les contre. Mais la majorité des opinions publiques étaient contre ces frappes de représailles menées par les Etats-Unis.

Plusieurs arguments ont été présentés pour refuser ces frappes. L’idée principale pour refuser le rôle des Américains en Syrie est : «Bachar al-Assad combat les terroristes».

Si ce n’est pas Assad, est-ce obligatoirement Daesh ?

En tant que syrienne, je n arrête pas de discuter avec des gens de plusieurs tendances politiques et je suis tombée souvent sur ce cliché: « Vous voulez le départ de Bachar pour que Daesh prenne le pays ! »

D’un côté, nos amis arabes “nationalistes” rêvent encore de l’unité arabe. De l’autre, les gauches arabes ou occidentales qui vivent toujours avec l’idée fixe de combattre l’impérialisme. Ils choisissent donc al-Assad, un dictateur “arabe-laïc” qui protège la Syrie moderne des islamistes.

Cette idée qui résume le conflit syrien de façon très naïve, ne prend pas en compte le peuple syrien. Elle le nie totalement au prétexte de cette impasse: soit Bachar al-Assad, soit Daesh.

C’est pour cela qu’en tant que syrienne, je souhaite remettre cette affaire en ordre pour éclairer la situation. Selon moi, cette guerre n’est pas celle d’un président laïque d’un côté (qui protège les chrétiens et les kurdes tout en défendant l’unité arabe et la résistance contre Israël) et de l’autre les islamistes terroristes.

Pour comprendre ce conflit, il faut reculer de sept ans en arrière.

Syrie – 2011 

Quand la révolution syrienne fut déclenchée, elle n’était qu’un rêve : celui du peuple Syrien à vivre comme tous les autres peuples, en liberté.

Les syriens ont vécu jusqu’en 2011, pendant quarante ans, sous le despotisme de la famille al-Assad. En regardant le début des printemps arabes dans les pays voisins, les syriens ont imaginé qu’ils pourraient finalement se débarrasser de cet héritage “éternel”, de cette condamnation infinie à vivre dans le silence et la peur. Malgré les souffrances infligées par ce régime, ils ne demandaient pas son départ. Ils ont rêvé de quelques petits changements pour vivre avec dignité: la liberté politique, la liberté de presse, l’annulation de l’état d’urgence, l’égalité sociale…

Les manifestations ont commencé pacifiquement. Mais le régime totalitaire hérité du père, Hafez al-Assad, qui considère la Syrie comme un bien privé,  n’a pas supporté cette révolte.

Le fils al-Assad, un nouveau « Big Brother», n’imaginait pas que ces « microbes » puissent lui contester le pouvoir. Le régime voyait le peuple comme son serviteur. Bachar al-Assad, fils gâté et héritier d’un pouvoir inattendu, a réagi violement en traitant le peuple qui manifeste de “microbes”. Le régime a déclaré terroristes islamiques les manifestants, l’assimilant à son conflit avec les Frères musulmans. La victoire du père al-Assad dans les années 80 a poussé le fils à croire qu’il pouvait, comme son père, gagner la partie. Bachar al-Assad n’acceptera pas d’être moins que son père. Sa famille le soutenait. C’était devenu une affaire familiale.

Si al-Assad avait pensé un seul instant à discuter avec l’opposition au début des évènements, la Syrie n’en serait pas arrivée à cette guerre. Mais il a choisi une réponse sanglante, similaire à celle de son père. C’est la même école : tel père, tel fils.

Al-Assad était rassuré d’être soutenu par la communauté  internationale, car paniquée à l’idée d’un nouveau front terroriste en Syrie.

Le combat du peuple syrien est devenu très compliqué, entre le despotisme du régime et l’idée qu’il est devenu terroriste.

Des terroristes aux services d’al-Assad

Al-Assad a sollicité l’aide de vrais terroristes; cela tombait bien, ses prisons en étaient pleines, et le moment de profiter d’eux était venu.

Ce régime syrien a parlé très tôt de terrorisme. Il faut rappeler qu’Hafez, le père de Bachar al-Assad, a façonné la Syrie comme un état policier solide pour se protéger des terroristes. Face à ce soulèvement populaire, il a été capable d’user de réels terroristes pour soutenir son scenario. Il a ouvert les portes des prisons aux prisonniers radicaux et a même fait venir des détenus libérés de la prison d’Abou Ghraib en Irak. Il a également ouvert les portes de la Syrie aux djihadistes venant de monde entier.

L’idée monstrueuse de ce régime a été de créer une succursale de Daesh en Syrie. Cette organisation qui a commencé son travail à Alep en capturant des opposants laïques, des activistes civils et des journalistes, a fini par combattre l’armée libre. Daesh n’a jamais affronté les soldats du régime, qui le lui a bien rendu. N’oublions pas que les “soldats” de Daesh ont été déplacés via des bus climatisés, vers Boukamal, la frontière irakienne, dans Deir Ezzor, sans courir aucun risque.

Le peuple syrien manipulé à l’échelle internationale

Daesh a combattu pour l’intérêt du régime al-Assad.

Et comme la révolution n’avait pas d’idole (il s’agit d’un mouvement spontané dirigé par la jeunesse non politisée qui s’est coordonnée  dans les villes et les quartiers), les politiciens, surtout les frères musulmans, ont sauté sur l’occasion. Avec l’aide de riches pays arabes et de la Turquie, ils ont encouragé la création d’un conseil national syrien devenu le représentant de cette révolution.

Ainsi les Frères musulmans et les pays du Golfe ont commencé à mettre en place leur agenda pour islamiser cette révolte.

Après sept ans de guerre

Nous avons aujourd’hui au moins 500.000 morts et 7 millions de réfugiés. Le régime a réussi à présenter le conflit comme une guerre entre lui (un régime laïc arabe) et les terroristes. Et cela est la grande erreur que la communauté  internationale a commise.

Al-Assad a gagné pour protéger le trône de sa famille, avec les soutiens de plusieurs forces internationales: L’Iran, la Russie et certains groupes irakiens chiites ainsi que le Hezbollah…

Depuis le début de cette révolte populaire, ni Bachar, ni ses alliés, ne veulent l’établissement d’un régime démocratique en Syrie. Ils ont tout fait pour écraser la révolution et la manipuler en la présentant finalement comme un mouvement terroriste.

Ce régime est capable, avec son expérience de tourner la vérité et convaincre tout le monde par ses mensonges. Et voici le dernier exemple très récent:

Le soir du 16 Avril 2018, la présidence de la République a confirmé “qu’une procédure disciplinaire de retrait de la Légion d’honneur à l’endroit de Bachar el-Assad a bien été engagée” par Emmanuel Macron. Trois jours plus tard, Damas prend l’initiative : elle a rendu la Légion d’honneur décernée par la France en 2001 à Bachar alAssad qui a déclaré : “Il n’y a pas d’honneur pour le président al-Assad de porter une décoration attribuée par un pays esclave des États-Unis“.

Ainsi l’image présentée au monde par ce manipulateur de la vérité est: C’est al-Assad qui refuse cette décoration, car il ne supporte pas qu’elle vienne d’un pays esclave des États-Unis.

Le combat aujourd’hui, n’est pas entre al-Assad et des islamités, mais il est entre al-Assad, Daesh, la Russie, l’Iran, la Turquie, les Êtas-Unis et toutes les autres armées combattantes en Syrie, contre le peuple syrien. La guerre est une sorte de punition contre ce peuple qui a osé rêver de révolte pour obtenir sa liberté. Un peuple condamné à être prisonnier pour l’éternité, un peuple massacré en direct avec plusieurs moyens et armes… Mais la seule ligne rouge est l’arme chimique, alors que tous les autres moyens de tuer les syriens sont permis et légales!

 

Cet article est publié en partenariat avec le Caffè dei giornalisti de Turin

Attentats de Nice : Daesh est-il plus fort que les bombes ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Par ses séides, Daesh a encore frappé. Il vient de récidiver, alors que les plaies causées par ses œuvres meurtrières à Paris, l’année dernière, peinent à se cicatriser. Tant elles ont été béantes que profondes. Récidive à travers  une mue qui a pris tout le monde au pied levé : en désertant Paris pour Nice, en province ; en utilisant un véhicule (poids lourd), en lieu et place de kalachnikov, et en manipulant un pantin, une recrue de la dernière heure, loin des soupçons de la police. Lire la suite

L’insécurité djihadiste ronge-t-elle la France ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Les 7 janvier et 13 novembre 2015 sont deux dates qui resteront dans les annales de la République française. En lettres de Sang. Elles rappellent, avec douleur, les noms de Charlie Hebdo, Hyper Casher, Bataclan…mais renvoient aussi au climat de peur et d’insécurité qui s’est installé sur la France. A preuve, les mesures de sécurité, tous azimuts, que le gouvernement a arrêtées à la veille et le jour de Noël.

©Photo: afp.com/BERTRAND GUAY

©Photo: afp.com/BERTRAND GUAY

Depuis les horreurs de janvier, la France était comme touchée dans ses tréfonds, autrement dit dans cette assurance enfouie, qui murmurait aux Français : « Allez-y, vous êtes en sécurité ». Assurance évanouie. Le carnage du 13 novembre en a rajouté une couche. Au point de bousculer certaines de leurs habitudes.

En cela, il y a ce qui est perceptible, sans appui des statistiques. C’est le cas, par exemple, de la notion de liberté de mouvement. Le Français, ce flâneur fieffé, joyeux à la rencontre de la poésie exprimant le bourdonnement de la vie en chantier, le jour, et le silence des étoiles, la nuit, le voici, brusquement, devenu casanier. Entrave djihadiste nouée au pied.

C’est le voisin de palier, désolé, qui en parle. C’est la personne assise à tes côtés dans le bus, qui le proclame. En guise d’exutoire. Ce sont des lamentations, partagées, que l’oreille enregistre, discrètement, dans un café. Enfin, c’est la présence permanente des militaires et policiers en armes, partout, qui te le rappelle. Renforcée par des mesures politiques d’exception, en vigueur, discutées à l’infini au niveau des médias.

En résumé, c’est la peur. Orchestrées par les islamistes, les tueries ont violé non seulement le « périmètre de sécurité » dans lequel les Français se croyaient vivre. Elles ont également affecté l’ « intimité de leur conscience ». De fait, va-t-on encore au concert, au cinéma, au café, sans arrière-pensée ? Voit-on encore les gens sans leur prêter un peu de suspicion ? Se sent-on encore en sécurité, partout… comme aux bons vieux jours, marqués par l’insouciance quasi absolue ?

Que nenni. La veille et le jour même de la fête de Noël en ont apporté une preuve supplémentaire. Auparavant, on allait à l’église, à sa commodité. Exit ce Noël. Les portails des églises (4 500) en France étaient gardés, par des bénévoles. Les fidèles contrôlés, jusqu’aux sacs de dames. Sous l’œil vigilant des militaires postés aux abords.

Face à la menace djihadiste, insidieuse, la parade, martiale, du gouvernement ! Normal. Il le faut (il le fallait) bien pour la protection des Français. Mais cela n’y va point sans « ronger » davantage le capital de joie et de confiance de ces derniers. Habitués à gambader, librement, dans le pré. A la recherche du plaisir et du bonheur. A moins que la guerre menée contre l’Etat Islamiste se solde par une victoire totale. Partout. Y compris en Afrique subsaharienne, où bourgeonnent déjà des ramifications.

Qui dit que la logique de métamorphose, qui a vu Al-Qaïda se muer en Daesh, ne finirait-t-elle pas par incarner un autre califat, celui de de Boko Haram, par exemple ?

 

Une Syrie inédite à la MDJ

[Par Mourad HAMMAMI]

La Maison des journalistes de Paris a organisé jeudi dernier, le 19 novembre 2015, dans l’après-midi, une conférence-débat animée par deux journalistes venus de la Syrie. Le voyage et la rencontre ont été initiés et encadrés par le Collectif des amis d’Alep du Rhône-Alpe.

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Mot d’accueil de Denis Perrin, représentant de la MDJ

Les deux journalistes syriens sont Youcef Seddik et Louai Aboaljoud. Le hasard du calendrier a voulu qu’ils arrivent en France au même moment que les terribles attentats de Paris. « C’était prévu que nous serions à Paris dans la nuit du 13 novembre, puis le vol a été reporté jusqu’au lendemain ». Ils devaient faire une conférence majeure à Lyon le 25 novembre ; à la demande de la préfecture, suite aux derniers évènements, elle a été annulée.
Seddik et Aboaljuoud sont très actifs en Syrie, notamment à Alep : ils ont en effet créé des syndicats et des agences de presse, à travers lesquels ils informent le monde sur la réalité de leur pays.
C’est leur premier déplacement à l’étranger, au-delà de la Turquie. Selon Youcef Seddik, les frontières sont fermées. C’est grâce à l’invitation du Collectif des Amis d’Alep et au visa français qu’ils ont pu se rendre en Turquie, puis prendre l’avion pour la France.

Louai Aboaljoud Alep Point Zero

Louai Aboaljoud pointe le catalogue de l’exposition Alep Point Zéro, qui a eu lieu à la MDJ de mai à septembre 2015

Selon ces journalistes Alep est divisé en deux territoires. A l’Est, il y a les révolutionnaires et à l’Ouest l’armée loyale au régime de Bachar el-Assad. Ils ont souligné que l’organisation de l’Etat Islamique, communément appelé Daesh, fait sa percée dans une partie du territoire de l’Est d’Alep et occupe du terrain particulièrement dans les zones rurales.
Selon eux, chaque jour il y a des bombardements contre les territoires sous le contrôle des révolutionnaires. Pour faire face à l’absence de l’Etat, les habitants ont mis en place des comités de quartiers, des conseils municipaux. En dépit des armes qui sont à la portée de tous, rares sont les moments où l’on enregistre des dépassements ou des dérapages entre citoyens. L’ennemi extérieur a fait tisser une grande solidarité entre les habitants, en effet une protection civile par la police a été mise en place : le service minimum est assuré grâce à cette auto-organisation des habitants.
Youcef Seddik accuse clairement l’aviation russe de bombarder des positions de révolutionnaires qui ne sont pas islamistes. Il cite à titre d’exemple le bombardement du village Sahara où un responsable révolutionnaire a été tué.

Un moment de l'intervention de Youcef Seddik

Un moment de l’intervention de Youcef Seddik

Selon ces journalistes, Daesh est une organisation barbare. Mais le premier ennemi à combattre est Bachar el Assad, car c’est lui qui a créée et qui alimente cette organisation terroriste dans le but de créer une diversion et un chantage pour se maintenir au pouvoir.
Les deux journalistes rajoutent que Daesh est surmédiatisé. Il existe d’importantes organisations de révolutionnaires qui luttent chaque jour et dont on parle rarement.

Interviewé par le magazine Télérama, Youcef Seddik a passé donc la parole à son collègue, Louai Aboaljoud, déjà emprisonné par le régime d’Assad, au lendemain de la révolution en 2011, ainsi que par Daesh, lors de son apparition dans la région d’Alep. A cette occasion, Aboaljoud a été menacé de mort et retenu six mois par le groupe terroriste dans un hôpital civil utilisé également comme prison. Sa libération n’a été possible qu’à la faveur de négociations menées par la rébellion.

La journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Le journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Malgré un lourd vécu de crimes menés par la dictature et par les terroristes, Aboaljoud a terminé la rencontre par une note d’espoir et de paix : à son avis, une action non violente sera la seule solution possible pour sortir la Syrie de la guerre et rendre le pays en un Etat libre et démocratique.
Selon Aboaljoud, les bombardements russo-occidentaux instaurés en réponse aux attentats terroristes seront en fait perçus par les jeunes Syriens comme une confirmation de la propagande anti-occidentale fondamentaliste : en conséquence, ils décideront de rejoindre les rangs des recrues djihadistes.

De cette manière, Bashar el-Assad sera de cette façon officiellement réhabilité par la communauté internationale en tant qu’interlocuteur privilégié (au lieu d’être jugé pour ses crimes contre l’humanité) et, avec le soutien de l’Occident et de la Russie, il obtiendra l’anéantissement de Daesh ainsi que de tous les groupes de pouvoir qui aspirent à contrôler la région. Au niveau politique, il n’y aura plus aucune alternative démocratique, en raison de l’appauvrissement du front révolutionnaire de l’opposition syrienne.

Renverser la dictature syrienne, libérer tous les prisonniers politiques détenus dans les prisons du régime et de Daesh, ainsi que permettre à tous les réfugiés syriens de retourner en Syrie : c’est l’appel lancé par les deux journalistes à la communauté internationale, afin de soutenir la mise en place d’un ordre véritablement démocratique en Syrie.

Youcef Seddik et Louai Aboaljoud n’ont pas demandé l’asile à la France ; leur retour pour Alep est prévu le 30 novembre.

Ci-dessous une galerie photo de la rencontre (crédit photo : Lisa Viola Rossi/MDJ)

 

Interview de Muzaffar Salman, photojournaliste syrien

Interview de Muzaffar Salman, photojournaliste syrien
مقابلة مع المصور الصحفي السوري مظفر سلمان

Réalisation : Lisa Viola Rossi
Sous-titrage : Nahed Badawia et Mahmoud El Hajj
© Maison des journalistes, 3 mai 2015
إخراج ليزا فيولا روسي
الترجمة ناهد بدوية- محمود الحاج
بيت الصحفيين ٣ أيار ٢٠١٥

Le Frankenstein de la Syrie et d’al-Baghdadi

[Par Nabil SHOFAN]
Publié sur Alaraby.co.uk, le 1er Octobre 2014
Traduction de l’arabe au français par Florence DAMIENS.

Un imahe de la bataille pour le control de l'aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Un imahe de la bataille pour le control de l’aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Dans l’une de ses vidéos, l’Organisation de l’Etat islamique passe en revue des événements concernant son contrôle de l’aéroport militaire de Tabqa, qui se situe dans la région de Raqqa. Aucun membre de l’Organisation ne parle dans cet extrait ; on entend une lecture du Coran, puis on voit la planification d’une bataille, suivie d’une opération martyre, d’un assaut, d’une capture de militaires, puis de leur assassinat, tantôt fusillés, tantôt égorgés.
Mon attention s’est portée sur l’apparition, à la fin de la vidéo, d’un combattant de l’Organisation qui, rempli de tristesse et de souffrance, s’élève contre l’accusation selon laquelle elle comploterait avec le régime de Bashar el-Assad. Il dit à l’assistance : « Je jure que nous témoignerons pour vous devant Dieu. N’est-ce pas nous qui combattons le régime nusayrite et tuons ses militaires ? Pourquoi nous accuse-t-on de ne pas les combattre ? »
Il est clair que ce qui dérange le plus les dirigeants de Daesh, ce sont les propos qui circulent dans les rues syriennes. Je dis les rues syriennes car cette accusation a jailli du cœur de la rue, de ses activistes et de sa population. Un témoignage attesté s’est répandu, comme le surnom de « Daesh », avec facilité dans les médias, puis dans le reste de l’opinion publique arabe et mondiale.
Les droits des syriens sont clairs. Ces derniers se sont révoltés contre un régime qui a détruit leur nation, se substituant ainsi à leurs ennemis, et a eu recours à des moyens d’assassinat variés, en utilisant l’artillerie, l’aviation et les missiles, en les égorgeant, en les étranglant, en les enterrant vivants et en les noyant. Aucune impureté ne peut souiller la clarté de ces droits. En cela, ces révoltés sont égaux devant l’injustice. Il n’y a pas de mal à nous arrêter un moment sur les positions choquantes nées de la révolution syrienne, à l’instar de celles des penseurs, des artistes et des Etats dont les cabinets ministériels publient des documents sur la démocratie tous les jours. Si nous nous arrêtions dessus, nous remarquerions que la création d’une organisation extrémiste comme Daesh est absolument nécessaire et reste une anecdote pour tous ces penseurs, artistes et Etats, et même pour ceux qui se revendiquent amis de ce peuple afin d’excuser ce qui ne peut être excusé, les crimes et le silence qui les entoure.

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas) [Source : syrie.blog.lemonde.fr]

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas)
[Source : syrie.blog.lemonde.fr]

La révolution des Syriens a été un événement spontané, populaire et soudain. Il a ébranlé jusqu’au Conseil de sécurité, l’a embarrassé, comme il a embarrassé les Nations Unies. En effet, réussir cette révolution exigerait de faire évoluer les concepts, de modifier les accords, les alliances et les postulats internationaux. C’est pourquoi son échec a été un choix unique, sans lequel des changements terrifiants, aux conséquences non calculées, auraient eu lieu. C’est sur cela que la Russie et l’Amérique se sont arrangées depuis quatre ans, malgré la dernière année durant laquelle des événements encore plus hideux ont commencé à se produire. Ainsi, le Frankenstein de l’Occident, « Daesh », est sorti de sa programmation psychique et neurologique, infecté par les appareils des renseignements généraux étrangers.
Il semble que l’Organisation de l’Etat islamique a commencé à vivre aujourd’hui, semblable à la tyrannie chiite, si l’on prend ici un point de vue sunnite. De plus, le fait que l’Organisation ait tantôt déclaré la guerre aux révolutionnaires syriens et eu recours aux châtiments de la Loi, en les flagellant et en les crucifiant, tantôt leur ait distribué des fonds, a poussé les Syriens à publier le faire-part de décès de l’Organisation d’al-Baghdadi.
La plus grande erreur stratégique qu’a commise l’Organisation de l’Etat islamique est d’avoir combattu le peuple syrien. L’Organisation a oublié que ce peuple est celui qui a mis fin à la discorde présente au prologue de la résistance et de l’opposition. La structure de ce dernier a obnubilé le régime pendant trente ans de planification, de constitution d’armées composées de milices, d’agences médiatiques, d’études dans l’art de la rhétorique, dans les sciences philosophiques, dans les méthodes de lavage de cerveau et de soumission des esprits. Tout cela s’est déjà effondré en une seule année et avec une facilité rare. Ensuite la réputation du Hezbollah et de son chef a décliné auprès de la nation arabe puis au niveau confessionnel, et ce à cause de son action et de la réaction des Syriens qui a suivi.
Les Etats qui parient sur l’échec de ce peuple et l’élite qui par-là même soutient le meurtre se doivent de très bien connaître la valeur d’une épreuve et d’une civilisation qui a plus de 6 000 ans.