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Kabila “Père de la démocratie congolaise” et l’esclave congolais

Il y a quelque chose, dans le théâtre de la politique congolaise, qui évoque la Rome antique. En ce temps-là, il y avait une arène, des gladiateurs “duellistes à mort” et des spectateurs. Dans la formule où les deux gladiateurs étaient des esclaves  et se battaient pour recouvrer la liberté, à condition que l’un tuait l’autre, le combat était des plus violents. L’initiateur de cette scène macabre en était l’empereur, hilarant. Pour son amusement.

Le calque n’est pas loin de ce que la scène politique congolaise nous offre.

Il y a un empereur : Joseph Kabila. Avec ceci de différent qu’ici, l’empereur n’est pas d’humeur à la rigolade ; il veut établir une dynastie, avec l’aide des clercs esclaves qui l’entourent, aveuglés par des privilèges. 

Tsisekedi et Fayulu esclaves ? Peut-être.

L’un pour avoir avoué publiquement être “partenaire de l’empereur”, l’autre pour avoir été vaincu (même par la voie de la fraude). “Vae victis”, “malheur aux vaincus”, disaient les mêmes Romains.

A l’instar de tous les dictateurs, Kabila observe. Il découvre avec stupéfaction que l’élite intellectuelle congolaise est “bêtement bête”, selon l’expression de Frantz Fanon.

De cette première certitude, il en acquiert une seconde, par déduction : “Parce qu’ils sont bêtes, ils peuvent facilement devenir des esclaves bêtes“, se persuade-t-il. (Or, l’Histoire nous apprend, pourtant, que l’esclave était esclave, mais il n’était pas bête).

Enfin, pour parvenir à ses fins, il applique, à la lettre, un des principes machiavéliques: “Se faire craindre plutôt qu’être aimé…”. Kabila inspire effectivement la peur à son entourage, et partant, au peuple.

Tel César, Kabila s’amuse beaucoup 

Le résultat, pour l’autocrate, est épatant. Il réalise, un peu en philosophe -et c’est la dernière étape de son approche-, que l’élite intellectuelle congolaise “a perdu le feu de l’âme”, cette flamme qui constitue, en fait, la fierté d’être un homme.

Il en tire donc profit -à travers la corruption-, jusqu’en à faire des orduriers dans lesquels il crache, sinon des “esclaves bêtes”, qui lui obéissent au doigt et à l’œil. Quand il dit à l’un : “Va”, et il va ; lorsqu’il dit à l’autre : “Viens”, et il vient. A un autre encore: “Fais ceci ou cela”, et il le fait.

L’âme damnée de la “kabilie”

Et, il en est ainsi de tous les thuriféraires, qui croupissent de bassesse dans sa cour. Ils sont là, à ramasser à la pelle comme des champignons, après la saison des pluies. A compter des nobles les plus proches de “Sa majesté”, jusqu’aux sous-fifres, rompus au jeu des bakchichs.

Mais la vraie âme damnée de la “kabilie” ou “fonctionnement du régime de Kabila” est un certain Néhémie Mwinlanya Wilonja, chef de cabinet du chef de l’Etat, juriste et professeur des universités.

A ses côtés, se bousculent pour rendre service au “raïs”, Kikaya Bin Karubi, conseiller diplomatique, licencié de littérature et des sciences politiques, Thambwe Mwamba, ministre de la Justice, licencié de sciences politiques et consulaires, juriste et Ramazani Shadary, le “dauphin”, licencié de sciences politiques et administratives. En dehors de Mwinlanya, les deux autres vassaux sont originaires de la province du Maniema, terres de Mama Sifa, la mère de Kabila.

C’est l’attelage qui constitue le cœur battant de la “kabilie”, selon les desideratas et les humeurs du chef. Le mot “raïs” dont Kabila est affublé aujourd’hui (mot arabe signifiant “chef”) est sorti, pour la première fois, de la bouche de Néhémie Mwinlanya, tout comme récemment, le titre de “Père de la démocratie congolaise”. Il en fut ainsi de Mobutu, à qui tous les titres de gloire de la planète furent attribués. Voilà comment les Congolais “fabriquent” eux-mêmes leurs dictateurs. Initiative d’une poignée de flagorneurs dépravés, au sommet de l’Etat, dont les conséquences enchaînent le peuple entier.

Qu’il s’agisse du temps de règne de Mobutu ou de celui de Kabila, une question taraude l’esprit : comment imaginer ceux qui ont reçu les “lumières académiques”, pour éclairer le monde, puissent en arriver à penser et à agir comme s’ils étaient enfermés dans l’obscurité de l’illettrisme ?

Comment en arriver jusqu’au stade aberrant de signer un “acte d’allégeance” envers Joseph Kabila?

Ni Hitler ni Staline ne l’ont exigé à leurs collaborateurs. Et, même, c’eût été le cas, ces derniers l’auraient fait dans le cadre du triomphe d’une idéologie, à laquelle ils croiraient dur comme fer. Et non pas par esprit de servilité. Par esprit d’esclavage.

Des enchaînés de la caverne

Les leaders politiques du FCC, plate-forme politique de Kabila, revoient à “l’allégorie de la caverne” de Platon. On y voit des gens enchaînés et immobilisés dans une “demeure souterraine”, par opposition au monde à la surface, où il y a la lumière du soleil qui symbolise la “connaissance du Bien”.

Le processus d’élections qui vient de se dérouler en RD Congo, manipulé honteusement par le dictateur et son camp, prouve que ce groupe de gens a tourné le dos à l’entrée de la caverne. Donc, à la possibilité de voir la lumière et le “Bien”. Avec pour conséquence, la continuation de l’existence de la dictature et de l’esclavage. Ce dernier mot pouvant se définir également par “personne soumise à un pouvoir arbitraire”. Le peuple congolais est en esclavage.

C’est à partir de cette réflexion que Félix Tshisekedi et Martin Fayulu entrent en scène, parce que l’un et l’autre, par nature, sont des leaders de l’opposition. De ce fait, supposés être différents de cavernicoles kabiliens. Qu’en est-il ? L’un a pactisé avec Kabila pour devenir président de la République, par “machination”.

L’autre a été démocratiquement élu président, mais exclu du pouvoir par la force, confirmant ainsi le propos de Trotski, qui disait que “tout  Etat est fondé sur la force”. Plutôt, ici, il s’agit de la violence. De la tromperie. Le premier (Tshisekedi) ne règne ni ne gouverne, car l’impérium appartient toujours au satrape “masqué” ; le second (Fayulu), avec en main “l’urne de la vérité”, défloré, qui commence à peu attirer l’attention.

Tshisekadi et Fayulu, tous deux esclaves? A des paliers différents, tous deux esclaves. Le premier a oublié qu’en mangeant avec le diable, il fallait se munir d’une longue fourchette pour ne pas être attrapé par la main. Il risque de rejoindre les cavernicoles ou d’être supprimé ; le second pour avoir refusé de siéger, en qualité de député national, se réclamant “président élu”, de droit.

La kabilie ne laissera jamais qu’il le devienne. Dans ce cas, il rejoindra la masse silencieuse, esclave, elle aussi, par extrapolation.

Si, dans cette situation, il prend le parti d’arborer le pavillon de la contestation, il sera jeté en prison ou liquidé, par son “frère d’armes” Tshisekedi. Au pouvoir sans pouvoir. L’image des gladiateurs duellistes se justifie, mais avec une entorse : ici, le gladiateur vainqueur restera esclave. A Moins que les spectateurs (le peuple) s’élèvent pour “dégager” l’empereur comme c’est le cas en Algérie et au Soudan. Peut-on y croire ? Sinon, Kabila poursuivra son projet, bien ficelé, de régenter la  RD Congo ad vitam aeternam. Tout y est fait : son Sénat, son Assemblée nationale, ses Provinces sont là pour saborder la République.

Manifestation contre l’esclavage en Mauritanie violemment réprimée

[LUTTE CONTRE L’ESCLAVAGE] “Aujourdhui plusieurs militants ont été gravement blessés, battus sauvagement par des policiers armés jusqu’aux dents et ayant pour ordre de casser les militants pacifiques. Des blessés graves, victimes de tabassage violent à coups de matraques, de godasses sur toutes les parties du corps.”

En Mauritanie, Aziz berne le monde : la lutte contre le terrorisme excuse tout !

[TERRORISME] Le Président Aziz comme ses paires a demandé une importante aide financière pour maintenir les soldats dans ces zones à très fortes tensions. La communauté internationale est sous l’influence du Président de la Mauritanie puisque le monde est en guerre contre le terrorisme, ce qui excuse les formes d’autoritarisme que le pouvoir exerce.

Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture 2018

[SOUTIEN AUX VICTIMES DE LA TORTURE] Mardi 26 juin est la journée “anniversaire” de l’entrée en vigueur (à dater du 26 juin 1987) de la Convention contre la torture par les Nations Unies. Une journée de sensibilisation à une plaie qui ne connaît ni patrie, ni frontière. Nommer l’ennemi devient compliqué: la pratique de la torture est tout aussi commune aux Etats-Unis qu’à l’Indonésie et s’applique tant aux soldats qu’aux civils. Parmi eux, les journalistes sont une cible de choix.

“Les médias ont un rôle d’alerte précoce”, rencontre avec Christian Rim dans la lutte contre la traite

La CONATT (Coalition Nationale des Associations de lutte contre la Traite et le Trafic) travaille sur les questions migratoires, considérées comme transnationales. La traite des êtres humains et le trafic sont un de leurs chevaux de bataille. Une approche transversale dans laquelle les médias ont nécessairement un rôle à jouer. Christian Rim, le responsable de cette organisation, nous en parle.

Quelles sont les grands enjeux de la CONATT?

Il faut promouvoir la migration légale et appliquer les conventions internationales. La répression est de mise contre les récalcitrants (passeurs, trafiquants…). Il y a pour le moment un sentiment d’impunité.

Où en sont les gouvernements actuellement, notamment vis-à-vis de la “Liste Noire” des pays ne collaborant pas à cette lutte?

Il y a une sorte de silence complice de la part d’un certain nombre de gouvernements qui, plutôt que de rentrer dans une norme face à un des plus grands défis de notre siècle, préfère jouer aux états voyous. Ce comportement passif encourage la traite et le trafic qui, par conséquent, continue de croître.

La population doit pourtant être rassurée sur les capacités des gouvernements à pouvoir lui apporter un minimum de droits… En tant que société civile nous pouvons alerter les états et attirer l’attention des uns et des autres sur les risques pour chacun et pour l’image de l’Etat lui-même.

Quelle place ont les médias dans ce combat?

Les médias ont un rôle d’alerte précoce puisqu’il s’agit, par des voies multiformes (documentaire, débat, article), d’avoir un rôle avant-gardiste. Les journalistes sont incontournables et pas seulement auprès des décideurs institutionnels mais aussi auprès des principaux concernés. 

Par exemple, les opérateurs des radios communautaires: dans un certain nombre de pays du sud, ils font face à une population qui, parfois, ne parle pas la langue officielle (français, anglais, portugais…). Imaginez des personnes qui ne peuvent ainsi pas connaître leurs droits, leurs risques? Nous estimons que la communication doit être importée dans les langues vernaculaires. Il faut transformer la société avec des outils comme la communication.

Le lien entre la presse, internet la sensibilisation est donc primordial?

Les stratégies de communication ont tous les outils imaginables. Malheureusement les agents commerciaux de la traite en profite aussi quand ils veulent atteindre leur but. Pour les contrer, il faut que la société civile s’organise et que les acteurs de la communication (les journalistes mais aussi les utilisateurs des nouvelles technologies) se mettent au travail ensemble. Une approche solidaire face à une question qui devient de plus en plus complexe.

L’éducation est également l’un des enjeux. Les jeunes, mère de 3 enfants à 20 ans, vont devenir les cibles des agents de la traite. Former les jeunes sur la sexualité et la parenté responsable, c’est aussi le rôle des actions de sensibilisation. C’est ce qui fait de cette question une question transversale.

Quelles réactions médiatiques peut-on attendre à ce sujet?

Lors de la crise en Libye, la fièvre est montée très vite concernant l’esclavagisme commis là-bas. Mais cette fièvre est aussi très vite retombée alors que le trafic et la traite perdurent. Que font les journalistes pendant ce temps? Ils ont parlé de ce phénomène “le temps d’une rose”.  

Nous souhaitons des actions fortes et sur le long terme. Si la jeunesse des pays du sud n’est pas prise en charge dans le cadre de l’emploi, ça n’ira pas. L’Europe et l’Afrique sont très proches et ce n’est pas demain la veille que les mouvements migratoires vont s’arrêter. Mais si les médias continuent à participer à cette image du modèle occidental comme seul et unique modèle de réussite, les jeunes ne vont cesser de nourrir qu’une seule envie: celle de partir.

Des actions conjointement menées afin de protéger les migrants en situation irrégulière (pouvant mener à l’exploitation) font également parties du projet de la CONATT. Dans une ambition collaborative, il s’agit pour ce collectif (comme tant d’autres: Ensemble Contre la Traite, AFJ, Coordination Sud, Comité Contre l’Esclavage Moderne) de remettre la problématique de la traite et du trafic sur le devant des luttes internationales.

Traite humaine, une lutte de tous et pour tous

La Convention de Palerme, organisée et signée en décembre 2000, est le premier instrument de droit pénal destiné à lutter contre les phénomènes de criminalité transnationale. C’est naturellement que le sujet de la traite des êtres humains y trouve sa place. A l’appel de la CONATT, le Cameroun insiste sur cette bataille dans laquelle tout un chacun a son rôle à jouer.

Point lexique : quelles différences entre “trafic humain” et “traite des êtres humains”?

Le droit international définit le trafic des personnes comme étant “la fourniture à une personne d’une entrée illégale dans le but d’obtenir directement ou indirectement un bénéfice financier ou un autre avantage matériel”.

Ce même droit international marque ainsi la différence avec la traite comme étant “le recrutement, l’accueil ou la prise en charge de personnes dans un but d’exploitation (sexuelle, services forcés ou esclavage)”.

Trois nuances fondamentales sont à apporter :

-le consentement (la personne déportée dans un trafic accepte ce déplacement)

-l’exploitation (le trafic prend fin lors de l’arrivée de la personne, ce qui n’est pas le cas dans le contexte de la traite).

-la transnationalité (la traite est indépendante des frontières tandis que le trafic implique un franchissement de celles-ci).

Un fléau bien installé

Les livres d’Histoire étudient la “Traite Atlantique” comme première grande vague de trafic humain. Installée sur une idéologie éminemment raciste, la traite des populations africaines déplace de 12 à 20 millions d’individus entre le XVIe et le XIXe siècle. Sa variante est la traite des esclaves de Barbarie qui sévit principalement entre les XIVe et XVIIIe siècles.

Devenue transnationale et protéiforme, la traite des personnes se décline aujourd’hui sous toutes ses formes: traite des femmes, des enfants, des migrants, d’organes…

La règle des 3P

Les 4 et 5 avril 2018 s’est tenu au Cameroun un séminaire organisé par la CONATT. Sara Delvin, représentant l’ambassade des Etats-Unis, entame son allocution par la règle des 3P:

Prévention – Protection – Poursuite

Ces critères sont présentés comme étant la meilleure stratégie de lutte contre la traite humaine.

Où agir? La “Liste Noire” répertorie les pays les moins engagés dans la lutte contre la traite des personnes. Établie par le gouvernement américain, le dernier pays à rejoindre la liste est la Chine. Une annonce faite dans cette vidéo relayée par la chaîne New Tang Dynasty Television (cette chaîne a pour but d’apporter une information non censurée dans et hors de Chine). 

L’Afrique centrale observe une pratique accentuée de ces types de trafic. Ils y sont tous répertoriés et les gouvernements font face à un cadre légal international interprété avec “légèreté”. Les sensibilisations diverses rentrent dès lors en compte.

A une échelle citoyenne

La prévention doit se baser sur les liens indirects de chacun avec les produits que les populations achètent. On aurait donc pratiquement tous un lien avec la traite d’êtres humains. Les réflexions se basent alors sur d’éventuelles sanctions commerciales. Ces dernières ne vont cependant pas sans une prise conscience citoyenne (d’où cela provient-il, les produits de commerce équitables, quelles entreprises ont des accointances avec les réseaux locaux…)

Les associations, à leur niveau, procèdent par publications de témoignages, des conférences et des soirées débat afin de faire connaître ce phénomène. Des campagnes sont ainsi menées, visages d’enfants placardés en étendard.

source: https://www.secours-catholique.org/actualites/traite-des-etres-humains-comment-lutter

A un niveau médiatique

Les ambassades se concentrent principalement sur les migrations légales. L’absence de sensibilisation étatique passe alors par un autre organe commun aux démocraties : la presse. Comment éduquer les populations et les sensibiliser à cette problématique? La mission de la presse devient cruciale. Le rôle des journalistes dans la dénonciation des pratiques de traite impacterait bien plus les citoyens.

Enfin, les gouvernements s’évertuent à penser une sensibilisation non seulement par la presse mais de la presse. Un cas particulièrement important dans les pays africains où, sans nécessairement le savoir, les médias se font le relais des traites. Petites annonces, mannequinats, jobs divers… Les individus dans le besoin se retrouvent vite confrontés à un mécanisme de terreur qui les dépasse. 

Afin de prévenir les mésinterprétations dans la façon de représenter les migrations, de parler de trafic ou encore de traite, Human Rights Watch lance un document “guide” à l’égard des rédactions. “Afin d’assurer que les articles et les titres identifient correctement à la fois les migrants et ceux qui les transportent, même si des gouvernements ont parfois brouillé les catégories“.

Une problématique mondiale que Christian Rim et d’autres personnalités comptent bien faire changer par une implantation d’activités afin de sensibiliser la population.

Max Mathiasin (député de Guadeloupe) : « la France a abandonné l’Afrique aux chinois »

Député de la Guadeloupe, Max Mathiasin s’est fait remarquer par son intervention à l’Assemblée Nationale sur l’esclavagisme en Libye. Son discours, qui a reçu un enthousiasme unanime, a marqué les esprits. Retour sur les coulisses de son intervention, son regard sur la politique migratoire en Europe et sur les relations franco-africaines. Entretien.

La première fois où vous avez regardé la vidéo de CNN montrant des migrants à vendre, quelle a été votre émotion ?

Au début je me suis dit c’est peut-être des fake news car j’en ai déjà vu des vidéos de la sorte. Mais quand j’ai vu que c’était signé CNN, je me suis indigné et je me suis  dit “là c’est du sérieux“. Peu de temps après, j’ai reçu des demandes d’intervention de la part de plusieurs concitoyens. Un jeune Guadeloupéen, qui avait fait campagne avec moi pour l’élection législative, m’a dit “Max, cette vidéo m’a givré le sang !“. C’est sa réponse qui a été pour moi déterminante.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

A ce moment-là, j’ai demandé à Laurence de Saint Sernin, ma collaboratrice, de déposer auprès de mon groupe politique, un changement de question car j’étais inscris pour une question sur le chômage en Guadeloupe. Comme elle n’avait pas encore vu la vidéo, elle m’a répondu « mais vous savez, Monsieur le député, il y a plein de choses qui circulent sur WhatsApp ».

Je lui balance la vidéo et elle voit vite, comme moi, qu’elle est digne de foi. J’ai pris l’avion le samedi pour arriver à Paris le dimanche où j’ai passé la journée enfermé. Lundi matin, je suis allé voir la responsable administrative de mon groupe politique. Elle m’a répondu qu’il y a déjà des membres d’autres groupes qui sont inscrits pour la même question et qu’il y a au moins six personnes qui interviennent sur le même sujet. Je lui ai dit que je dois absolument poser la question sur l’esclavage en Libye car mes ancêtres ont été esclaves. Elle a regardé le registre d’inscription et elle m’a dit « OK ».

Comment avez-vous préparé votre question ?

J’ai dit à ma collaboratrice que  pour parler de l’esclavagisme, il me faut faire appel à mes ancêtres et à un Colonel guadeloupéen de l’armée française  (il faut dire qu’il y avait une première abolition de l’esclavage en 1794 et qui a été rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802). Cet homme avait combattu, en 1802, les troupes de Napoléon. Il s’était opposé à son commandement à la tête des esclaves et des soldats pour se révolter. Je me suis donc inspiré de ce fait.

Je n’étais pas sûr du contenu de la déclaration, que j’avais lu une seule fois de ma vie, mais il y avait une chose dont j’étais sûr, c’est qu’il s’adresse à la postérité. J’avais la chance d’avoir deux autres collaborateurs qui étaient là. Nous avons commencé à écrire sur la question, sachant qu’on a un temps d’intervention de deux minutes. Nous avons travaillé toute la journée et on a fini autour de minuit.

Après une relecture, j’ai dit à mon équipe « les enfants, vous pouvez aller vous coucher vous avez bien travaillé ! » Le matin, j’ai regardé la question une dernière fois et j’y ai ajouté encore une phrase.

Laquelle?

J’ai ajouté qu’« il y a des passés qui ne finissent pas de passer ».

C’est une allusion que les faits risquent de se répéter…

Exactement. Et c’est ce qu’on voit encore aujourd’hui.

Dans l’hémicycle, comment avez-vous vécu ces deux minutes?

Trois personnes avant moi allaient parler de la Libye, mais j’étais tellement sûr de moi que je ne les entendais même pas. J’étais très sûr de la force de ma question dans la mesure où c’est une question juste, dans le sens de la justice. Quand je suis arrivé au milieu de mon intervention, j’ai jeté un coup d’œil autour de moi et j’ai vu que les députés avaient la tête tournée vers moi.

J’ai vu en particulier un député réunionnais qui avait les yeux rougis. Là, je me suis dit qu’il fallait que je sois encore plus inclusif. C’est pourquoi j’ai improvisé deux petites phrases. J’ai ajouté « c’est notre vie » à « c’est ma vie » et « notre histoire » à « mon histoire », pour faire adhérer tout l’hémicycle à mes propos.

Les retours vous ont-ils surpris ?

Après avoir posé ma question,  j’ai vécu un moment de vide mais aussi de peur. On se demande quelles seront les conséquences de ce qu’on a dit. J’ai pris conscience de la portée de la question quand j’ai quitté l’hémicycle surtout lorsque les journalistes sont venus nombreux vers moi. Ce qui m’a frappé surtout c’est que certains députés qui sont venus me saluer avaient les larmes aux yeux. Je me suis dit qu’il se passe quelque chose.

Vous avez évité de parler des causes de ce qui s’est passé en Libye. C’est par peur de choquer ?

J’ai voulu m’adresser à la conscience des gens et à ce qu’il y a de plus profond de l’humanisme. Je sais que les Français tiennent beaucoup à la révolution de 1789 avec son héritage, ses errements et les erreurs qui ont pu être commises. S’ils rejettent les exactions qui ont été commise, notamment la terreur, elle reste un héritage important du point de vue du rayonnement de la France dans le monde. Par conséquent, c’est un acte que je voulais politique. Lorsque j’ai parlé de “notre histoire” j’ai bien ajouté que cela se passait en colonies françaises.

Donc il ne s’agit pas d’occulter le passé colonial de la France et de l’Europe ni de nier leur responsabilité dans le sous-développement d’une grande partie du monde, notamment en Afrique subsaharienne et le Maghreb. Dans ces pays dits « pauvres », il y a ce que Samir Amine a appelé “l’échange inégal”.

Amine, qui a essayé de mesurer le différentiel de force de travail et de valeur ajoutée dans les échanges de marchandises entre ces deux « blocs », soulève la question de la détérioration de l’échange entre les pays « sous-développés » au profit des pays « développés ». Il y a une part de travail et de la valeur sous-évalué des produits non transformés et non manufacturés, ce qui appauvrit certains pays. C’est aussi un peu ce qu’on retrouve dans le livre « Et l’Europe sous-développa l’Afrique ».

La communauté internationale a promis de bouger et Macron a qualifié ce qui s’est passé de « crimes contre l’humanité ». Comment évaluez-vous les actes par rapport aux promesses?

Pour l’instant, il faut dire que les choses n’ont pas vraiment bougé, aussi bien de la part de la France que de la part des chefs d’État africains malgré la grande déclaration à Dakar sur la question du droit de la protection et du rapatriement de leurs concitoyens. D’après les informations dont je dispose, il y a encore entre 400 et 700 mille personnes bloquées en Libye. Il semble que l’Europe s’accommode un peu du fait que l’existence de ces camps empêche les gens de traverser. Aujourd’hui encore, certains sont emprisonnés ou vendus et d’autres auxquels on demande aux familles de payer des rançons.

Pour moi la situation n’a pas évolué et il n’y a pas de transparence sur la manière dont on pourrait mettre fin au phénomène.

Absence de transparence de la part de qui?

La France et les Nations Unies notamment. Evidemment, ne soyons pas non plus naïfs. Il faut savoir que les gens quittent l’Afrique subsaharienne au détriment de leurs vies. Il y a ce phénomène où chacun pense que “l’autre ne s’est pas tiré, mais moi je pourrais m’en sortir“. Les gens quittent leurs pays parce qu’il y a l’attrait de l’Europe lié aux images mais aussi au fait que ceux qui sont partis ne parlent surtout pas de leurs conditions matérielles terribles.

Pensez que les scènes diffusées par CNN risquent de se répéter ?

On s’aperçoit que ça perdure. L’Europe a décidé d’intensifier ses aides aux pays subsahariens, mais ces aides, au regard des problèmes économiques réels qui existent, sont à mon avis insuffisantes. Il faut changer la politique africaine de l’Europe, c’est-à-dire la politique de la «  France-Afrique » qui vise non seulement les matières premières, mais aussi et surtout, les systèmes politiques à travers la mise en place d’hommes d’État, qui ne sont en fait que des hommes de paille à la solde des gouvernants étrangers et des grosses compagnies. Nous avons deux exemples, un qui est ancien et l’autre qui est plus récent.

Le paternalisme n’a pas changé et l’état d’esprit colonial n’a jamais changé en France même avec un gouvernement qui se veut « socialiste », « progressiste » ou « humaniste ». J’ajouterais aussi les communistes car lorsque j’étais étudiant à Paris, à l’époque où on était un peu indépendantistes et rêveurs, quand on leur parlait de l’indépendance ou de l’autonomie de la Guadeloupe, ils nous rétorquaient “mais pourquoi vous voulez  l’autonomie ?! Vous êtes français !”.

Pensez-vous que le projet de loi asile et immigration peut ou va apporter des solutions ?

Une circulaire qui voudrait que les migrants soient contrôlés quand ils sont dans des centres d’hébergement, au risque que certains d’entre eux soient conduits dans des centres de rétention, je ne peux qu’être absolument contre. Il faut que la France clarifie sa politique migratoire. Si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde et si l’Europe ne peut pas accueillir toute la misère du monde, il faut aider ces gens à rester chez eux. Pour cela, il faut que cette aide soit collective, inclusive et significative.

Bien sûr qu’il faut mener des actions contre la famine par exemple, mais il faut aussi, en un second temps, mettre en place un véritable transfert de connaissance. C’est ça la vraie coopération, parce que le grand problème de ces pays c’est la question de la capacité d’investissement. Or, il y a une vingtaine d’années la France a abandonné l’Afrique aux chinois. Les chinois ne font rien pour rien. Ils sont encore pire vis-à-vis de ceux qu’ils ne connaissent pas où qu’ils font semblant de ne pas connaître.