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FRANCE – AFRIQUE : LA VALEUR DE LA PAROLE DONNEE

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France.

En quatre jours, du 1er au 4 mars, le président français, Emmanuel Macron a visité le Gabon, l’Angola ; le Congo et la République démocratique du Congo. Véritable marathon en Afrique centrale, où il devait, principalement, tâter le pouls sur son esquisse concernant la « nouvelle politique africaine » de la France. Il l’a exposée quelques jours auparavant, à l’Elysée avant sa tournée.

En général, pour l’opinion de l’Africain qui l’a écouté avec attention il n’y a rien de neuf à retenir : c’est la même rengaine, faite des déclarations d’intention. Depuis le discours de politique africaine fort élaboré, fait par le président Mitterrand en 1990, à Marcoussis, à ceux de l’actuel dirigeant Macron, en passant par le narratif insultant du président Sarkozy, jamais l’acte n’a suivi la parole.

Qu’est-ce qui n’a pas été dit par les successeurs du général de Gaulle, au sujet de la « Françafrique », ce système sans statut juridique, à la tête des relations France-Afrique ? Un système décrié par les Africains. Comme réponse, une riche palette des monts et merveilles sans lendemain. Jusqu’à l’entrée en scène du nouveau président Emmanuel Macron, en 2017. Au cours de la même année, il tient son « célèbre » discours à l’université de Ouagadougou, dans lequel il promet la rupture avec « l’ancienne modèle ». Sur un ton martial. Sans effet.

A ce sujet, le quotidien français Le Figaro s’amuse à poser la question de savoir si ce énième voyage présidentiel marquera-t-il « la fin de la logique prédatrice » ? Le président Macron avait déjà répondu à cette question quand, dans son discours à l’Elysée, il avait témoigné d’un aveu d’impuissance : « Il nous faut être lucides, nous ne sommes aujourd’hui qu’au milieu du gué. C’est une situation très inconfortable ». C’est tout dire.

Pourtant, le discours de Ouagadougou avait quelque chose de particulier : il avait été dit par un président jeune. Le plus jeune de tous les président de la Ve République. De ce fait, un vrai rayon d’espoir avait traversé le continent – très jeune, lui, aussi -, dominé par 60 % des 20-45 ans. Ce sentiment, visiblement, s’était traduit sur les visages de cette tranche d’âge, qui pensait « jeune dirigeant français pour jeunes africains ».

Sept ans d’exercice après, où en est-on, avec la promesse du deus ex machina français ? La Françafrique est toujours là, droit dans ses bottes, puisqu’il s’agit d’un système dans lequel se brassent plusieurs centaines de millions d’euros d’intérêts français. C’est l’épine.

A partir de là, la vrai problématique émerge : ce qui divise la France et l’Afrique, c’est globalement le fait de la parole non tenue. Or, la promesse a valeur de serment. Si le serment est brisé -, et c’est le cas en l’état -, la confiance s’étiole ou s’envole totalement, selon les circonstances.

Ce qu’avec le président Macron, s’est évanoui ce qui restait du capital de confiance envers les dirigeants français. D’où l’explication, en partie, du rejet de la France en Afrique de l’Ouest. Les coups d’Etat qui y ont lieu ne sont pas loin de cette approche. Les jeunes officiers putschistes, qui prennent langue avec Moscou, pensent plus à d’autres horizons qu’à l’Occident. A bien voir les choses, les populations y adhèrent massivement. Le risque de contagion n’est pas à écarter. Il y a des signes évident en Afrique centrale : les drapelets russes y sont de plus en plus visibles.

Ainsi, le soldat Macron est-il parvenu à « convaincre » l’Afrique, fâchée, à tourner casaque ? Pas sûr.

Jean-Jules Lema Landu

MONTPELLIER. UN SOMMET FRANCE-AFRIQUE AVEC LES JEUNES. UNE PREMIÈRE.

L’information diffusée sur l’antenne de RFI mardi 14 septembre, au sujet de la tenue du sommet France-Afrique à Montpellier, le 9 octobre prochain, a laissé la plupart des Africains perplexes. Et pour cause. La rencontre ne mettra face au président français que les sociétés civiles, les jeunes. C’est une première. Exit donc les vieux présidents, frustrés !

L’idée a été discutée, en amont, entre l’Elysée et quelques élites intellectuelles africaines, dont le politologue et historien camerounais, Achille Mbembe. Celui-ci est également auteur de plusieurs ouvrages appelant au combat pour le développement du continent, tels « De la post-colonie » ou « Critique de la raison nègre », etc. Qui plus est, a accepté, dans le cadre du sommet de Montpellier, de piloter les dialogues France-Afrique : soixante-six ateliers dans 12 pays différents, quatre mois durant. Face aux jeunes.

Qu’à cela ne tienne, l’information paraissait avoir l’air de déjà-vu, à prendre en compte les opinions exprimées à travers les réseaux sociaux. De fait, les Africains pensent que tous les prédécesseurs du général de Gaulle ont eu chacun, en cette matière, leur propre antienne. Si celle-ci changeait de forme, son contenu ne variait pas d’un seul iota : « l’Afrique doit continuer de demeurer la chasse-gardée de la France », fredonnait-elle. Selon le vieux concept de « pré carré » médiéval.

Mais qu’en dit Benoît Verdeaux, fonctionnaire de l’Elysée et secrétaire général du Sommet de Montpellier, en contre-pied à cette conception quasi-générale des Africains ? Verdeaux est celui qui a accordé à Christophe Boisbouvier de RFI l’interview diffusée mardi, à l’origine de l’information qui fait question sur des réseaux sociaux. Surtout.

Volonté sans force

Visiblement fort en thème, Verdeaux s’est employé, en résumé, à démontrer que le temps était venu de mettre en valeur un autre type de relation entre la France et l’Afrique. « La vocation du sommet de Montpellier, c’est de réfléchir à réinventer et à redynamiser cette nouvelle relation », a-t-il souligné, tout en précisant que « les sommets de chefs d’Etat sont fondamentaux, très importants et utiles ».

C’est le grand plan dans lequel se côtoient les sujets habituels ayant trait au développement, à la démocratie, aux droits de l’Homme, etc. Mais, le sommet de Montpellier – une rencontre avec les jeunes -, ne manquera pas de jeter un coup d’œil sur les sujets additionnels d’actualité qui importent : les coups d’Etat successifs en Afrique de l’Ouest et l’avancée de la Russie en Afrique centrale et au Sahel.

Pour la France, la situation du Tchad est dérangeante. La position du chef d’Etat français est diversement appréciée, avec plus de condamnations. On pense généralement qu’il y a soutenu le coup d’Etat fomenté par le fils d’Idriss Déby, tué. Macron s’en expliquera, sans filtre, a prévenu le fonctionnaire de l’Elysée, Verdeaux.

Quid de ce sommet aux allures martiales ? N’assisterons-nous pas aux mêmes éléments de langage affectionnés par tous les successeurs du général de Gaulle ? Macron est-il « libre » d’engager cette « réforme » libératrice pour les pays africains ? Car, dans cette histoire de Françafrique – différente du concept classique France-Afrique -, se trouvent plusieurs centres d’intérêt, prêts à ne rien lâcher. Jean-Jacques Rousseau ne pensait-il pas, à juste titre, que « la volonté sans force est peine perdue » ?

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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Les non-dits sur la messe françafrique du 17-18 et l’énigme Sassou

La France, craignant de perdre son pré-carré face à la Chine qui dicte de plus en plus la loi à travers ses investissements en Afrique et la Russie qui occupe le terrain militaire, ainsi que l’incontournable “dictateur-pyromane-pompier”, Sassou Denis, a lancé un appât les 17-18 mai 2021 sous le couvert du sommet sur la relance des économies africaines. 

Le 15 avril 2021, 18 dirigeants africains et européens ont publié une tribune pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique consécutives à la Covid-19 en Afrique. Bondissant sur l’occasion, le président français Emmanuel Macron, qui meuble son bilan, appelait le 27 avril 2021 à “un New Deal”  pour “aider” les économies africaines dont les mécanismes de financement devraient être discutés au cours d’un sommet regroupant divers acteurs du 17 au 18 mai 2021.

Quelques jours après, la France passait à l’acte en invitant des pays et organisations internationales à participer à ce conclave. Ont été invités en présentiel : le Fonds monétaire international (FMI), la République démocratique du Congo (RDD), l’Angola, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Egypte, l’Ethiopie, le Ghana, le Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal, le Soudan, le Togo, le Tchad, la Tunisie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Chine et en visioconférence : les Pays-Bas, l’Allemagne, le Japon, le Kenya, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Banque mondiale ainsi que plusieurs banques publiques internationales.

A la dernière minute, la France qui n’avait pas inscrit les mauvais élèves de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) à ce sommet, révise sa copie en conviant cette fois-ci, l’incontournable et l’indéboulonnable dictateur-pyromane-pompier Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville qui martyrise son peuple et tire des ficelles çà et là selon des sources concordantes. Dans la foulée, le président Sassou prend langue avec ses pairs Macky Sall, Félix Tshisekedi-Tshilombo et Faure Eyadema descendu en express à Brazzaville le 15 mai pour mettre en place une stratégie commune. Ce même jour, le colonel-Ambassadeur-directeur national du protocole congolais se plie en quatre pour le déplacement d’une petite délégation en France. Ali Bongo Ondimba, chef d’Etat gabonais par contre, se rend  au Royaume Uni. Le Camerounais Paul Biya hésite à se rendre en Europe depuis qu’il a été exposé à la vindicte populaire par les Occidentaux lors de son dernier séjour et il est toujours hanté par la mort d’Idriss Deby Itno alors qu’il rentrait d’une invitation à Brazzaville. Le centrafricain est en froid avec la France.   

Les grands axes du Sommet

Mardi 17 mai dès 9h00 GMT, des délégations, en format réduit dû au respect de mesures barrières, amorcent leur arrivée au Grand Palais Ephémère à Paris. Et à 11h00 GMT débute le sommet sur le financement des économies africaines clôturé le 18 mai 2021 par une conférence de presse animée conjointement par les présidents Emmanuel Macron,  Macky Sall, Félix Tshisekedi-Tshilombo de l’Union africaine et la Directrice générale du FMI Kristina Georgieva.

 

Ce sommet qui a regroupé une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que des dirigeants d’organisations internationales et quelques rares individualités, a tracé au cours de deux sessions de discussions, les grands axes de financement et de traitement de la dette publique et privée africaine jusqu’en 2023. 

Ladite dette avait pourtant baissé suite à l’initiative du FMI avec la Banque mondiale, avant de remonter en flèche entre 2006 et 2019, passant de 100 à 309  milliards de dollars par le fait de la gestion peu orthodoxe des pays d’Afrique, couplée à la crise sanitaire liée au Covid-19. Ainsi, les participants se sont convenus de la réaffectation des réserves du FMI « droits de tirages spéciaux » des pays riches vers les pays en développement qui sont exposés à un déficit de financement de 290 milliards de dollars d’ici 2023 nonobstant les prévisions de croissance de 4% du continent en 2022. S’il est vrai que le président Macron s’est  référé au « New Deal » mis en place par le président américain Franklin Roosevelt pour lutter contre la grande dépression des années 1930, cependant les initiés se demandent si l’Afrique va en tirer profit. Tenez ! Le FMI devrait décaisser 650 milliards de dollars pour les Africains mais 34 milliards de dollars seulement de ressources ont été actés, à la dernière réunion des ministres des finances et des gouverneurs du G20 et au sommet du 18 mai, qui leur seront attribués en juin 2021 via les DTS (droits de tirage spéciaux). Pire, ces 34 milliards devraient encore revenir aux Occidentaux par l’achat des produits de base et de matériel médical. Cela ressemble à “un usurier qui vous donne petit par la main gauche pour vous retirer gros par la main droite” ou encore, un “féticheur qui vous guérit d’une maladie mais vous colle un autre démon qui vous torture sur divers plans malgré la facture que vous payez”.

Les à-côtés du sommet

En marge de ce sommet, des audiences et des concertations ont eu lieu entre le 16 et le 20 mai. Les négociations du Soudan avec la France par exemple ont abouti à l’annulation de sa dette et d’un accompagnement. les cinq chefs d’Etat et de gouvernement du G5 Sahel ont tenu un mini-sommet le 16 mai 2021 à l’hôtel Péninsule où ils ont dégagé une position commune sur les moyens de lutter efficacement contre le terrorisme. M. Sassou a reçu à l’hôtel le Bristol le 18 mai entre 10 et 14h30, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, Patrick Pouyanné, Pdg de Total, Cyril Bolloré, gérant statutaire du groupe Bolloré et Rachida Dati, maire du VII arrondissement de Paris. L’affront tant redouté par plus d’une personne à l’arrivée de M. Sassou, de la délégation tchadienne et autre n’a pas eu lieu. Toutes ses rencontres se sont déroulées en toute sérénité même quand d’infimes activistes se sont agités. Cela confirme que les intérêts diplomatiques et économiques ont primé sur le maintien des putschistes au Tchad et sur l’affaire Guy Brice Parfait Kolelas dont l’examen approfondi des conclusions confirme, le décès survenu le 21 et non le 22 mars 2021, ce qui reste un boulet sur le pied du pouvoir du Congo.

L’expert Lefort que nous avons interrogé au sortir de ce sommet nous avoue que, certes, la France offre des opportunités au Sud, cependant, le salut de l’Afrique ne viendra pas de la France mais, des Africains eux-mêmes. Par conséquent, ces derniers doivent transformer ou fabriquer des produits sur place, comme le propose Félix Tshisekedi pour les vaccins contre la covid-19. Mais pour obtenir les résultats escomptés, les africains doivent miser sur la formation tout en bannissant le tribalisme, qui est un frein au développement, au profit de l’amour, le patriotisme, la solidarité et par-dessus, chercher à rapatrier les fonds planqués dans divers paradis fiscaux pour le mieux vivre ensemble. 

Ghys Fortune BEMBA-DOMBE, journaliste congolais, ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ). Auteur du livre “De l’Enfer à la Liberté” (2019)

 

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Tchad. La France de Macron à l’épreuve des réalités ?

La disparition du président tchadien Idriss Deby va-t-elle influencer la politique de la France envers ce pays? Le décryptage de Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France.

Françafrique ! Ce néologisme est très connu en Afrique. Il renvoie aux réseaux d’influence « opaques », militaro-mercantiles, entretenus par la France dans sa relation avec le continent africain. Le président Macron, qui voulait être le « dernier de cordée » dans cette mauvaise entreprise, avait promis d’y mettre un point final. Quelle sera l’attitude de la France vis-à-vis de la situation au Tchad, après la disparition du président Idriss Deby ? On sait qu’au-delà de l’inconnue politique qui se présente devant ce pays, ce chef d’Etat constituait un appui non négligeable aux forces françaises Barkane déployées au Sahel.

Pas que. Depuis des décennies, la France militaire campe au Tchad, pour diverses autres raisons, dont celle, capitale, de défendre et contrôler son pré carré.

Novembre 2017, à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso), le président français casse les codes : « Il n’y a plus de politique africaine de la France », martèle-t-il. C’est direct. C’est précis. Tonnerre d’applaudissements parmi les 800 étudiants burkinabè qui s’y trouvaient. La déclaration a eu une grande résonance en Afrique. En effet, depuis la chute du Mur de Berlin, en 1989, tous ses prédécesseurs ont certifié la mort de la Françafrique, mais personne n’y est parvenu.

Les présidents François Mitterrand et François Hollande, les socialistes, se sont limités à des vœux pieux. Est-ce parce que la Françafrique avait la vie dure en soi ou, au contraire, c’est parce que ses tenants ne voulaient pas, tout simplement, lâcher leur pactole ?  Quant au président Sarkozy, son désir pour mettre fin à cette forme subtile de néocolonialisme n’avait rien de sincère. A preuve, dans un discours, à Dakar, 2007, il a traité les peuples africains d’arriérés, puisque « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », selon lui. Autrement dit, la notion de tuteur qui régente tout pour eux devait leur être appli

Ces propos méprisants ont suscité une véritable levée de boucliers en Afrique noire francophone. Plusieurs écrivains et penseurs ont réagi à la provocation dans un ouvrage intitulé « L’Afrique répond à Sarkozy » (Editions Philippe Rey, 2008). Son résumé est simple : « Sapere aude ! » de Horace ou « ose savoir ». Les Africains voulaient dire qu’ils « savaient se servir de leur entendement ».

C’est dans cette atmosphère de méfiance, exprimée de part et d’autre, que le président Macron entre en scène, en 2017. Figure de pédagogue – le bon – et le verbe haut, il promet la mort de la Françafrique dans une sorte de serment : « J’appartiens à une génération qui ne vient pas dire aux Africains ce qu’ils doivent faire », professe-t-il. Exit donc, la génération des Jacques Foccart et autres Albert Bourgi, ceux, qui, après le général de Gaulle, constituaient l’âme damnée des présidents français, à l’égard de l’Afrique.

Aujourd’hui, l’Afrique regarde la France de Macron sur le Tchad, en tourments. Elle est placée au pied du mur. Que va-t-elle faire pour ce pays considéré comme une sorte de fer de lance dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, ensanglantée par des groupes terroristes ? En 2019, le président Macron avait déjà rompu le serment, en bombardant une colonne venue encore une fois de Libye, pour sauver l’ami Idriss.

La situation actuelle au Tchad nous apportera la preuve que la France de Macron a donné un coup de grâce à la Françafrique. Un vrai piège !

 

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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Max Mathiasin (député de Guadeloupe) : « la France a abandonné l’Afrique aux chinois »

Député de la Guadeloupe, Max Mathiasin s’est fait remarquer par son intervention à l’Assemblée Nationale sur l’esclavagisme en Libye. Son discours, qui a reçu un enthousiasme unanime, a marqué les esprits. Retour sur les coulisses de son intervention, son regard sur la politique migratoire en Europe et sur les relations franco-africaines. Entretien.

La première fois où vous avez regardé la vidéo de CNN montrant des migrants à vendre, quelle a été votre émotion ?

Au début je me suis dit c’est peut-être des fake news car j’en ai déjà vu des vidéos de la sorte. Mais quand j’ai vu que c’était signé CNN, je me suis indigné et je me suis  dit “là c’est du sérieux“. Peu de temps après, j’ai reçu des demandes d’intervention de la part de plusieurs concitoyens. Un jeune Guadeloupéen, qui avait fait campagne avec moi pour l’élection législative, m’a dit “Max, cette vidéo m’a givré le sang !“. C’est sa réponse qui a été pour moi déterminante.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

A ce moment-là, j’ai demandé à Laurence de Saint Sernin, ma collaboratrice, de déposer auprès de mon groupe politique, un changement de question car j’étais inscris pour une question sur le chômage en Guadeloupe. Comme elle n’avait pas encore vu la vidéo, elle m’a répondu « mais vous savez, Monsieur le député, il y a plein de choses qui circulent sur WhatsApp ».

Je lui balance la vidéo et elle voit vite, comme moi, qu’elle est digne de foi. J’ai pris l’avion le samedi pour arriver à Paris le dimanche où j’ai passé la journée enfermé. Lundi matin, je suis allé voir la responsable administrative de mon groupe politique. Elle m’a répondu qu’il y a déjà des membres d’autres groupes qui sont inscrits pour la même question et qu’il y a au moins six personnes qui interviennent sur le même sujet. Je lui ai dit que je dois absolument poser la question sur l’esclavage en Libye car mes ancêtres ont été esclaves. Elle a regardé le registre d’inscription et elle m’a dit « OK ».

Comment avez-vous préparé votre question ?

J’ai dit à ma collaboratrice que  pour parler de l’esclavagisme, il me faut faire appel à mes ancêtres et à un Colonel guadeloupéen de l’armée française  (il faut dire qu’il y avait une première abolition de l’esclavage en 1794 et qui a été rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802). Cet homme avait combattu, en 1802, les troupes de Napoléon. Il s’était opposé à son commandement à la tête des esclaves et des soldats pour se révolter. Je me suis donc inspiré de ce fait.

Je n’étais pas sûr du contenu de la déclaration, que j’avais lu une seule fois de ma vie, mais il y avait une chose dont j’étais sûr, c’est qu’il s’adresse à la postérité. J’avais la chance d’avoir deux autres collaborateurs qui étaient là. Nous avons commencé à écrire sur la question, sachant qu’on a un temps d’intervention de deux minutes. Nous avons travaillé toute la journée et on a fini autour de minuit.

Après une relecture, j’ai dit à mon équipe « les enfants, vous pouvez aller vous coucher vous avez bien travaillé ! » Le matin, j’ai regardé la question une dernière fois et j’y ai ajouté encore une phrase.

Laquelle?

J’ai ajouté qu’« il y a des passés qui ne finissent pas de passer ».

C’est une allusion que les faits risquent de se répéter…

Exactement. Et c’est ce qu’on voit encore aujourd’hui.

Dans l’hémicycle, comment avez-vous vécu ces deux minutes?

Trois personnes avant moi allaient parler de la Libye, mais j’étais tellement sûr de moi que je ne les entendais même pas. J’étais très sûr de la force de ma question dans la mesure où c’est une question juste, dans le sens de la justice. Quand je suis arrivé au milieu de mon intervention, j’ai jeté un coup d’œil autour de moi et j’ai vu que les députés avaient la tête tournée vers moi.

J’ai vu en particulier un député réunionnais qui avait les yeux rougis. Là, je me suis dit qu’il fallait que je sois encore plus inclusif. C’est pourquoi j’ai improvisé deux petites phrases. J’ai ajouté « c’est notre vie » à « c’est ma vie » et « notre histoire » à « mon histoire », pour faire adhérer tout l’hémicycle à mes propos.

Les retours vous ont-ils surpris ?

Après avoir posé ma question,  j’ai vécu un moment de vide mais aussi de peur. On se demande quelles seront les conséquences de ce qu’on a dit. J’ai pris conscience de la portée de la question quand j’ai quitté l’hémicycle surtout lorsque les journalistes sont venus nombreux vers moi. Ce qui m’a frappé surtout c’est que certains députés qui sont venus me saluer avaient les larmes aux yeux. Je me suis dit qu’il se passe quelque chose.

Vous avez évité de parler des causes de ce qui s’est passé en Libye. C’est par peur de choquer ?

J’ai voulu m’adresser à la conscience des gens et à ce qu’il y a de plus profond de l’humanisme. Je sais que les Français tiennent beaucoup à la révolution de 1789 avec son héritage, ses errements et les erreurs qui ont pu être commises. S’ils rejettent les exactions qui ont été commise, notamment la terreur, elle reste un héritage important du point de vue du rayonnement de la France dans le monde. Par conséquent, c’est un acte que je voulais politique. Lorsque j’ai parlé de “notre histoire” j’ai bien ajouté que cela se passait en colonies françaises.

Donc il ne s’agit pas d’occulter le passé colonial de la France et de l’Europe ni de nier leur responsabilité dans le sous-développement d’une grande partie du monde, notamment en Afrique subsaharienne et le Maghreb. Dans ces pays dits « pauvres », il y a ce que Samir Amine a appelé “l’échange inégal”.

Amine, qui a essayé de mesurer le différentiel de force de travail et de valeur ajoutée dans les échanges de marchandises entre ces deux « blocs », soulève la question de la détérioration de l’échange entre les pays « sous-développés » au profit des pays « développés ». Il y a une part de travail et de la valeur sous-évalué des produits non transformés et non manufacturés, ce qui appauvrit certains pays. C’est aussi un peu ce qu’on retrouve dans le livre « Et l’Europe sous-développa l’Afrique ».

La communauté internationale a promis de bouger et Macron a qualifié ce qui s’est passé de « crimes contre l’humanité ». Comment évaluez-vous les actes par rapport aux promesses?

Pour l’instant, il faut dire que les choses n’ont pas vraiment bougé, aussi bien de la part de la France que de la part des chefs d’État africains malgré la grande déclaration à Dakar sur la question du droit de la protection et du rapatriement de leurs concitoyens. D’après les informations dont je dispose, il y a encore entre 400 et 700 mille personnes bloquées en Libye. Il semble que l’Europe s’accommode un peu du fait que l’existence de ces camps empêche les gens de traverser. Aujourd’hui encore, certains sont emprisonnés ou vendus et d’autres auxquels on demande aux familles de payer des rançons.

Pour moi la situation n’a pas évolué et il n’y a pas de transparence sur la manière dont on pourrait mettre fin au phénomène.

Absence de transparence de la part de qui?

La France et les Nations Unies notamment. Evidemment, ne soyons pas non plus naïfs. Il faut savoir que les gens quittent l’Afrique subsaharienne au détriment de leurs vies. Il y a ce phénomène où chacun pense que “l’autre ne s’est pas tiré, mais moi je pourrais m’en sortir“. Les gens quittent leurs pays parce qu’il y a l’attrait de l’Europe lié aux images mais aussi au fait que ceux qui sont partis ne parlent surtout pas de leurs conditions matérielles terribles.

Pensez que les scènes diffusées par CNN risquent de se répéter ?

On s’aperçoit que ça perdure. L’Europe a décidé d’intensifier ses aides aux pays subsahariens, mais ces aides, au regard des problèmes économiques réels qui existent, sont à mon avis insuffisantes. Il faut changer la politique africaine de l’Europe, c’est-à-dire la politique de la «  France-Afrique » qui vise non seulement les matières premières, mais aussi et surtout, les systèmes politiques à travers la mise en place d’hommes d’État, qui ne sont en fait que des hommes de paille à la solde des gouvernants étrangers et des grosses compagnies. Nous avons deux exemples, un qui est ancien et l’autre qui est plus récent.

Le paternalisme n’a pas changé et l’état d’esprit colonial n’a jamais changé en France même avec un gouvernement qui se veut « socialiste », « progressiste » ou « humaniste ». J’ajouterais aussi les communistes car lorsque j’étais étudiant à Paris, à l’époque où on était un peu indépendantistes et rêveurs, quand on leur parlait de l’indépendance ou de l’autonomie de la Guadeloupe, ils nous rétorquaient “mais pourquoi vous voulez  l’autonomie ?! Vous êtes français !”.

Pensez-vous que le projet de loi asile et immigration peut ou va apporter des solutions ?

Une circulaire qui voudrait que les migrants soient contrôlés quand ils sont dans des centres d’hébergement, au risque que certains d’entre eux soient conduits dans des centres de rétention, je ne peux qu’être absolument contre. Il faut que la France clarifie sa politique migratoire. Si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde et si l’Europe ne peut pas accueillir toute la misère du monde, il faut aider ces gens à rester chez eux. Pour cela, il faut que cette aide soit collective, inclusive et significative.

Bien sûr qu’il faut mener des actions contre la famine par exemple, mais il faut aussi, en un second temps, mettre en place un véritable transfert de connaissance. C’est ça la vraie coopération, parce que le grand problème de ces pays c’est la question de la capacité d’investissement. Or, il y a une vingtaine d’années la France a abandonné l’Afrique aux chinois. Les chinois ne font rien pour rien. Ils sont encore pire vis-à-vis de ceux qu’ils ne connaissent pas où qu’ils font semblant de ne pas connaître.

France-Afrique : Macron a gagné. Et, après ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Tous les médias du monde, quasiment, ont forgé des formules dithyrambiques à l’endroit d’Emmanuel Macron, le jeune président français âgé de 39 ans, élu le 7 mai. L’Afrique n’a pas été en reste. Si quelqu’un en Occident s’est écrié : « Une étoile est née, vraiment ? » (Courrier international, du 11 au 17 mai), quelqu’un d’autre, en Afrique, a retorqué : « A Macron bien né, la valeur n’attend pas le nombre des années » (site Wakat Séra du Burkina, 8 mai).

 Les deux formules ci-dessus soulèvent des espoirs, mais dans des directions différentes.

Emmanuel Macron, nouveau président de la République française
© Christophe Ena/AP/SIPA

Dans les médias occidentaux, on note que Macron inspire à la fois espoirs et doutes. Si pas la peur. Beaucoup d’entre eux, comme par connivence, évoquent l’« Ode à la joie » du poète allemand Friedrich von Schiller. Ce poème rappelle « le secours demandé au génie, lorsque le danger est imminent, et dès que celui-ci se présente, on s’effraye de lui ».

Ainsi, la question qui émerge à leur esprit et qu’ils se posent ouvertement avec insistance est celle-ci : « Et si Macron échouait… ».

Tel n’est pas le cas pour l’Afrique, où on met en avant la naissance de nouvelles relations entre le continent et la France. On exploite ainsi, avec confiance, le volontarisme affiché par cet homme nouveau, en rupture de ban avec l’ère gaullienne, à l’égard du continent. Son crédo « ni à gauche ni à droite », autrement dit, les deux rives d’une même rivière au service des voiles « françafricaines » obsolètes, fait, a priori, plaisir aux Africains.

Ceux-ci ont-ils raison de se réjouir, en donnant tort au passé ? Que nenni, car l’Histoire, c’est l’Histoire. Elle est fondée sur des ressorts énigmatiques qui propulsent l’humanité vers des progrès inouïs ou la retardent, un instant, à travers des malheurs exemplaires. La révolution cognitive, l’esclavage, la révolution industrielle, le colonialisme, l’excellence du numérique, aujourd’hui… tous ont leur part de contradiction dans la marche du monde.

La force de la « françafrique »

Il en va ainsi de la fameuse « françafrique ». C’est une chaîne d’antivaleurs, érigées en paternalisme éclairé, avec deux faces opposées : le bien, puisque ce néocolonialisme à visage humain – qu’on le veuille ou non -, a empêché le continent d’éclater davantage, rongé par le poison du tribalisme (après son partage par la Conférence de Berlin, en 1884 -1885). Bien sûr, à l’avantage de l’Occident ; le mal, puisque l’exploitation indue, à tout va, par ce système, a non seulement appauvri le continent, mais l’a également jeté dans l’obscurantisme d’illettrisme, faute par celui-ci de disposer des moyens suffisants pour l’éducation de ses populations.

Tweet du président guinéen, Alpha Condé, pour l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence française
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Cette chaîne puise ses racines dans la politique africaine mise en place par le général de Gaulle. En dépit de ses qualités reconnues de grand homme d’Etat, celui-ci est resté retenu par le tropisme de l’Histoire, qui veut que le plus fort exploite le plus faible. Ses successeurs sont restés emprisonnés dans la même logique, puisque de Pompidou à Hollande, la « françafrique » n’a pu être gommée.

Or, pendant ce temps, les Africains avaient déjà commencé à ouvrir l’œil – et le bon -, sur l’existence de ce contrat léonin. D’où cet élan de confiance exprimée envers Macron, qui, d’ores et déjà, leur donne le sentiment d’être un véritable tournant dans les relations entre les deux partenaires.

Nombre d’observateurs pointilleux, en ce domaine, nourrissent sans ambages le même optimisme. Béchir Ben Yahmed le justifie en ces termes : « Macron s’intéresse à l’évolution de notre continent et sait que la France gagnerait beaucoup à renouer avec lui des liens qui se sont distendus, depuis vingt-cinq ans » (Jeune Afrique, du 7 au 13 mai).

Il est rare de voir ce pilier de la presse africaine glisser, tout de go, dans une affirmation aussi dogmatique. A Macron donc de la jouer ferme… et efficace, puisqu’il est sous le régime de l’« alignement des astres ». Dit-on…

Francophonie : le tour est joué

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le XVe sommet de la Francophonie a vécu, du 29 novembre au 2 décembre, à Dakar, au Sénégal. C’est la Canadienne d’origine haïtienne, Michaëlle Jean, qui remplace l’emblématique Abdou Diouf, ancien président du Sénégal. Le tour est donc joué. Reste à relever le défi de la « modernité » auquel l’organisation doit faire face. Car ses objectifs doivent évoluer avec les temps. En Afrique, on s’interroge.

Michaëlle Jean et Abdou Diouf (Source : lencrenoir.com)

C’est, pour la première fois, que la direction de l’Organisation Internationale de la Francophonie glisse des mains des Africains pour passer à celles d’une Canadienne. Sans heurts.

Nous disons « sans heurts », puisque, en dépit d’âpres tractations menées pour déboucher sur cette désignation, la vie de l’organisation n’a pas été affectée. Les candidats malheureux, en la personne du Congolais Henri Lopes, du Burundais Pierre Buyoya et du Mauricien Jean-Claude de l’Estrac, ont accepté de bonne grâce leur « défaite ». Y compris les chefs d’Etat des trois pays dont ils sont ressortissants.

D’ailleurs, vue d’Afrique, bien qu’elle ait abouti à une désignation par consensus, une telle compétition ne reflétait pas moins l’image d’une démocratie. C’est loin des tricheries, exercées au niveau des urnes, où la victoire des dictateurs est comme gravée dans le marbre.

Mais qu’à cela ne tienne. Ce niveau de la démarche dépassée, nombre d’observateurs, en Afrique, s’interrogent sur l’utilité d’une telle structure, fondée sur la « prospérité » d’une langue. Qui plus est la langue de l’ancien colonisateur. N’est-ce pas une autre face, cachée, de la « Françafrique » ?

La réponse se trouve dans l’historique même de cette organisation. Le concept de la Francophonie est né, en 1880, d’un certain Onésine Reclus, géographe français. Celui-ci rêvait d’un monde uni par la promotion culturelle. Dans les années 1950, l’idée sera rejetée par la classe politique française, mais adoptée, plus tard, par des Africains. A l’instar de Senghor, Bourguiba et Diori. Plusieurs Québecois adhéreront aussi au projet.

En 1970, matérialisation des faits : l’Agence de Coopération Culturelles et Technique (ACCT) est portée sur les fonts baptismaux, à Niamey, au Niger. Elle passera la main à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en 2005, après l’épreuve transitoire, à travers l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie (AIF). Rien à voir donc avec la « Françafrique », cette maffia, sans statuts, opérant à l’ombre de l’Elysée.

Mais, la Francophonie doit sortir de l’ornière, c’est-à-dire s’adapter aux réalités du « monde globalisé ». Aujourd’hui, tout est consubstantiel. Le culturel ne peut être compris, en Afrique, surtout, sans la perfusion d’une bonne dose de l’économique et du politique pour régler la question de la pauvreté et celle liée à la promotion de la démocratie.

Telle doit être la tâche prioritaire de Madame Michaëlle Jean, soutenue par la France. Car, à l’avenir, c’est l’Afrique, qui sera le socle de la pérennité même de la langue française. Le président Hollande semble, déjà, pousser à la roue. Tant mieux.