L’attente est une prison –
Interview pour l’exposition WAITING

Dans le cadre de l’exposition “WAITING – Une réflexion sur l’attente”, nous proposons une série d’interviews d’artistes journalistes qui exposent et qui ont trouvé refuge au sein de La Maison des Journalistes – MDJ.

Beraat est un journaliste turc en exil, menacé de représailles dans son pays d’origine. Il est en France depuis un an et demi. Hébergé à la Maison des Journalistes – MDJ –  il nous raconte l’attente : du sentiment d’être prisonnier et de se battre pour s’en sortir. Lors de l’exposition WAITING, il dévoilera une série de clichés pris le jour de son arrivé et qui constitue un moment entre deux attentes.   

Pourquoi avez-vous sélectionné  ces photos ?

Le choix artistique d’exposer ces photos a été évident : je les ai prises la première nuit à la MDJ. Sur le moment, je voulais simplement refléter mon sentiment. Je suis en exil, j’ai attendu 4 mois pour avoir cette chambre à la MDJ, mais l’attente n’est pas finie. Ce n’est que le début d’un nouveau processus ou la continuité d’un autre.

Quand j’ai pris ces photos, j’étais mélancolique : ici ? Merci, mais ce n’est pas chez moi. C’est juste une chambre dans laquelle tu es seul. Le temps s’arrête.

Maintenant que j’ai obtenu cette précieuse chambre, je n’imagine plus le futur. Je suis prisonnier à la fois du moment présent et de la fin de l’attente, de la patience que j’ai dû avoir pour obtenir cette chambre.

Ces photos représentent donc le vide, le manque, sans personne. Et chaque personne, la première nuit, se retrouve seule face à elle-même. Après cette attente, je dois attendre pour de nouvelles choses comme l’obtention de mon statut de réfugié politique.

J’étais journaliste en Turquie, j’étais citoyen et j’ai perdu tout ça. Qui suis-je ici ? Quelqu’un dans l’attente.

Que t’évoques le thème de l’exposition : «Waiting, une réflexion sur l’attente» ?

Le nom est génial ! L’attente ? C’est un processus. En tout, cela fait 1 an et demi que j’attends. C’est irrationnel : j’attends mais la vie ne m’attend pas, elle continue. Cette situation m’énerve.

Avec plus de recul, c’est comme si j’étais en prison. Je suis dans une prison que je ne peux pas voir. Mais autour de moi il y a tellement de murs que je ne peux pas bouger…

Toute ma vie est dans l’attente. Elle est conditionnée. Je ne peux pas me plaindre de ça, c’est aussi un choix, je savais que j’allais devoir me battre. Parfois, il y a des résultats, j’ai donc de l’espoir. Mais je reste prisonnier. Je n’ai même pas le droit de vote. Pourtant, je suis un animal politique. Les autres continuent à vivre, font la société, alors que moi je suis en attente. Le décalage est rude.

Vous dites que la situation actuelle d’attendre vous énerve. Comment appréhendez-vous ce quotidien ?

J’ai compris que l’attente ne signifie pas ne rien faire : il faut se préparer dans l’attente. Cela va venir un jour. Quand ? Je ne sais pas, mais quand cela arrive, il faut être prêt. Je dois l’être !

J’attends des choses et peut être que je ne les aurais pas. C’est fatiguant, frustrant… Tout ce que j’ai vécu… (Silence)

Quand je regarde mon visage, mes traits sont plus durs. Mon regard ? (Silence) J’ai des rides que je n’avais pas. Pourquoi suis-je marqué physiquement ? Au lieu de me projeter vers l’avenir et de construire mon présent avec des objectifs, je suis prisonnier de l’attente. Alors je ressasse des choses passées, des situations, des personnes qui me manquent et je suis donc toujours en frustration.

Dans la vie, tu as tes rêves et tu essaies de les réaliser. Tu t’en donnes les moyens. Moi, je dois attendre. Encore.

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