Afghanistan. La condition des femmes sous le régime taliban : Violence systématique et collusion internationale

Ce jeudi 23 janvier, le procureur de la CPI demandait l’application de mandat d’arrêt à l’encontre de deux responsables talibans, Haibatullah Akhundzada et Abdul Hakim Haqqani en raison de la politique de persécution menée contre les femmes. Depuis leur prise du pouvoir en 2021, les talibans multiplient les lois liberticides forçant les Afghanes à disparaître de l’espace public. Dans cet article, Jawaher Yousofi, journaliste afghane, dépeint la condition des femmes afghanes à travers d’un événement vécu par son amie Rokhshana.

[par Jawaher Yousofi, publié le 27/01/2025]

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© capture d’écran documentaire « Afghanes »

Je me suis réveillée au son du téléphone. Il était huit heures du matin, un dimanche. La lumière dorée du soleil pénétrait par la fenêtre, effleurant mon visage. La chaleur apaisante de cette journée froide d’hiver enveloppait la pièce d’une sérénité bienfaisante. Alors que je m’apprêtais à décrocher, la sonnerie se coupa soudainement. En vérifiant mes appels manqués, je remarquai qu’une de mes anciennes colocataires, rencontrée à Kaboul durant nos études, m’avait contactée. Je l’ai immédiatement appelé, mais elle ne répondit pas. J’ai laissé un message, lui demandant de me rappeler dès que possible.

Il a fallut attendre l’après-midi pour qu’elle me rappelle enfin. Après les salutations d’usage, sa voix, empreinte de stress et d’anxiété, me plongea immédiatement dans l’inquiétude. Dans un pays comme l’Afghanistan, où les talibans ont transformé chaque recoin en un champ de guerre et de terreur, aucune nouvelle ne semble vraiment surprenante. Depuis quatre ans, il n’y a pas une semaine sans que l’on entende parler de détentions arbitraires, de massacres, de confiscations forcées ou de pressions financières écrasantes. Alors que j’écoutais mon amie, des pensées sombres tourbillonnaient dans mon esprit. Finalement, je lui demandai:  » Que se passe-t-il ? « 

D’une voix brisée et avec un sanglot dans la gorge, elle me raconta qu’un certain nombre de jeunes filles avaient mystérieusement disparu dans leur quartier. Pour préserver l’honneur des familles, on prétendait que ces filles étaient parties à l’étranger. Certaines y croyaient, d’autres non. Cependant, hier, plusieurs corps de ces filles ont été retrouvés près de la route principale de la province de Bamiyan, avec des traces évidentes de torture sur leurs corps. Ces filles avaient été menacées par les talibans en raison de leur « mauvaise tenue » et avaient été identifiées comme des cibles potentielles. Mon amie Rokhshana ajouta que ce n’était pas la première fois que de tels événements se produisaient. 

Cependant, dans une atmosphère de peur omniprésente, personne n’ose protester. Tout le monde sait que les talibans sont responsables, mais dans ce climat de terreur, les gens préfèrent se taire pour protéger leur vie et celle de leur famille. Elle expliqua également que de nombreuses familles, pour protéger leurs filles de ce genre de destin, préfèrent les marier très jeunes. Certaines filles instruites, faute d’opportunités professionnelles, sont contraintes d’accepter des mariages polygames, souvent avec des hommes relativement riches.

Ces récits poignants m’ont profondément affectée. Des larmes coulaient le long de mon visage de manière incontrôlable. Vivre dans un pays où des vies humaines sont anéanties pour des raisons futiles est une douleur infinie, une souffrance que les mots ne peuvent décrire. Comment un groupe terroriste peut-il prendre en otage environ 40 millions de personnes et les traiter comme des esclaves. Cette réalité secoue les fondements mêmes de la conscience humaine.

Selon un rapport de Human Rights Watch en 2023, plus de 50 % des afghanes vivent dans la peur constante d’être victimes de violences physiques ou psychologiques de la part des talibans, et environ 90 % des femmes n’ont pas accès à l’éducation.

Avant le retour des talibans, la société afghane, même sous le gouvernement républicain, était dominée par une culture patriarcale. Dans de nombreux cas, l’homme était perçu comme supérieur à la femme. Les hommes prenaient toutes les décisions relatives aux femmes, les considérant comme leur propriété. Bien que cette mentalité ait progressivement diminué dans les villes grâce aux luttes des femmes, elle reste profondément enracinée dans de nombreuses régions reculées du pays.

Il est évident que les guerres civiles des dernières décennies, suivies de la sombre période talibane dans les années 1990, ont eu un impact profond et dévastateur sur la structure culturelle et sociale du pays. Mais ce qui est encore plus tragique, c’est qu’avec le retour des talibans au pouvoir, tous les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies en matière de liberté d’expression, de valeurs des droits humains et de démocratie ont été renversés, ramenant le pays des décennies en arrière. Tous les acquis que les femmes et la société civile ont obtenus après tant d’efforts sont en train de se détruire sous la botte des talibans. Selon les statistiques de la Banque mondiale en 2023, plus de 90 % des femmes afghanes vivent dans la pauvreté.

Les talibans, en réalité, utilisent différents mécanismes de répression et de dictature, y compris la violence symbolique. Cette forme de violence ne se manifeste pas seulement par des lois répressives et des violences physiques évidentes, mais aussi par la création d’idéologies qui légitiment la répression et l’ancrent dans la société. Dans ce contexte, les femmes sont réduites à des instruments de contrôle social. Cette domination ne se fait pas uniquement par la force physique, mais aussi par la construction de discours qui rendent ces comportements « naturels » et inévitables.

Lorsque les talibans menacent de torturer ou de tuer des filles pour leur « mauvaise tenue », ils exercent une violence symbolique qui pousse indirectement la société à accepter l’idée que ces comportements doivent être éradiqués et que les individus doivent s’adapter à un modèle spécifique. Sous les pressions sociales et politiques, de nombreuses familles préfèrent marier leurs jeunes filles pour éviter de telles menaces. Ce faisant, ces familles, sans le vouloir, participent à la reproduction de ce système répressif.

Cette situation devient encore plus complexe lorsque nous examinons le rôle des puissances mondiales et leurs influences indirectes. Bien que les talibans soient officiellement reconnus comme un groupe terroriste, ils continuent de se financer via des réseaux illégaux, ce qui contribue indirectement à renforcer leur régime. Selon le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), l’Afghanistan produit près de 90 % de l’héroïne mondiale, une source majeure de financement pour les talibans. Certains pays, à travers des transactions commerciales indirectes et un soutien politique, fournissent des ressources financières et une légitimité internationale aux talibans.

Ce type de soutien peut être considéré comme une forme de violence structurelle mondiale qui maintient la crise en Afghanistan. Les revenus considérables générés par le commerce de la drogue jouent un rôle direct dans le financement des talibans et dans la perpétuation de la violence, notamment contre les femmes et les minorités. Ces complicités secrètes et indirectes alimentent de manière significative la détérioration de la situation en Afghanistan. Les puissances étrangères, par leur silence ou leur soutien stratégique, sont indirectement responsables de la poursuite de ce régime.

Aujourd’hui, l’Afghanistan est non seulement une prison pour les femmes et les minorités, mais aussi un lieu où toutes sortes de violences physiques, symboliques et structurelles sont largement pratiquées. Si cette situation perdure, l’Afghanistan deviendra un refuge pour les criminels internationaux. Par conséquent, si la communauté internationale a réellement l’intention de mettre fin à cette tragédie, elle doit non seulement couper les financements des talibans, mais aussi reconnaître l’apartheid de genre et mettre en place des sanctions ciblées. En d’autres termes, cette crise ne concerne pas uniquement l’Afghanistan, mais ses répercussions auront également un impact majeur sur la sécurité mondiale.

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Jawaher Yousofi a travaillé en tant que journaliste puis comme rédactrice en chef en Afghanistan. Elle s’est également engagée dans l’accès à l’éducation des filles et à l’émancipation des femmes à travers le pays. Plus tard, elle a milité pour l’égalité des chances dans la province de Kaboul et d’Herat.

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