Maroc : rapprochement entre chrétiens et musulmans

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Depuis quelques années, l’aspiration est dans l’air. Elle n’est pas nourrie de chimères, mais elle est plutôt justifiée par des actes concrets. Même si ce rapprochement dont on parle ne pourrait être circonscrit que dans la compréhension stricte du mot « tolérance ». La surprise est que cette réalité est en train de prendre son élan sur les terres mêmes de l’islam. En l’occurrence, au Maroc.

Coucher de soleil et deux religions (Beyrouth, Liban) ©Gustavo THOMAS

C’est, sans conteste, un thème de satisfaction, en général, pour les fidèles des deux bords ! Qui, dans le meilleur des cas, se sont toujours regardés en chiens de faïence, au pire, entretués sans concessions. A cet égard, les cas de l’Egypte et du Nigeria sont emblématiques en Afrique. L’Egypte, où Daesh vient encore de frapper durement, dimanche 9 avril, les chrétiens coptes.

Depuis des siècles, le drame dure. Érasme dans « Du libre arbitre », Voltaire dans « L’Affaire Calas », Samuel Huntington, récemment, dans « Le choc des civilisations » – et d’autres – ont décrit le phénomène et appelé à la tolérance. Sans succès. Que faire ?

Le Maroc, sous l’égide du roi Mohammed VI, s’est proposé d’explorer d’autres voies, qui reposent sur du « concret », aux dépens des approches purement philosophiques. Dont le résultat ressemble au feu d’épines. Des cendres desquelles resurgit, avec virulence, la haine des religions. Aujourd’hui, les bouddhistes ne sont plus hors de question. En Afghanistan, ils sont dans le viseur des talibans.

De fait, l’atmosphère générale qui prévaut, un peu partout, n’est pas loin de la psychose, en lien avec la prédiction de Samuel Huntington : « Un choc ». Les récents événements de Londres, Moscou, Stockholm… le rappellent bien.

Dans cette perspective, l’initiative du souverain chérifien est louable. Elle vise un double objectif :

1)  affermissement, par les imams, de la connaissance doctrinale du Coran et autres textes relevant de la tradition, mais aussi opportunité pour leur faire saisir la notion de tolérance sur le socle de la sociabilité ;

2)  mise en œuvre du rapprochement, pratique, entre chrétiens et musulmans, à travers une structure permanente. S’organisent à cet endroit, surtout, des rencontres pour des échanges conviviaux.

En somme, une sorte de curetage, autant en surface qu’à l’intérieur de la plaie gangrenée !

Logo de l’Institut Al Mowafaqa, inauguré en 2014

Pour le premier cas, il s’agit de l’Institut Mohamed-VI, créé en 2013, qui héberge aujourd’hui quelque 800 étudiants, arabes et subsahariens confondus. Depuis, celui-ci est sur la brèche, car la première promotion, pour un cycle d’études de trois ans, a vu sortir ses tout premiers lauréats. La seconde démarche concerne l’Institut Al Mowafaqa, créé en 2014. Cette école, qui forme spécialement au dialogue interreligieux, dispense aussi de la théologie chrétienne. Elle reçoit en majorité des étudiants subsahariens.

Côté critiques, celles-ci sont venues du Sénat français, qui considère « cette formation inadaptée au contexte hexagonal ».

A notre humble avis, nous pensons que l’expérience marocaine a quelque chose de consistant plutôt que le recours aux solutions de circonstance, sinon éphémères.

Puissent se consolider les jalons posés, dans ce sens, à Kremlin-Bicêtre, commune du Val-de-Marne, où chrétiens, Juifs, bouddhistes et musulmans coexistent pacifiquement. Et où « une mosquée est en construction, juste à côté de la synagogue. Un symbole fort », selon Ouest-France, du 24 février 2017.

A gauche, la mosquée provisoire, au fond à droite, le mur de la synagogue du Kremlin-Bicêtre ©StreetPress

Du pain ou des balles : un dilemme mortel au Kurdistan iranien

[Par Rebin Rahmani, Directeur de la section Europe, Réseau des Droits Humains kurdes, traduit du persan au français par Nujin]

Il faisait nuit noire. Un convoi de kolbers circulait tant bien que mal sur un chemin  accidenté non loin de l’avant-poste frontalier de Ouraman séparant le Kurdistan iranien du Kurdistan irakien. L’officier posté dans cet endroit reculé remarque la présence du convoi de travailleurs nomades kurdes.

Un convoi de travailleurs nomades kurdes brave les obstacles naturels pour atteindre sa destination @nrttv.com

A l’aide de la lampe torche qui éclaire sa guérite, il se saisit de son arme de service, se précipite dehors et ouvre le feu, sans sommation aucune, sur le convoi. Un premier kolber blessé s’effondre. Plusieurs chevaux sont mortellement touchés. Mohamad, un jeune kolber, fermait le convoi sur son cheval. Contrairement à ses camarades qui déguerpissent aux premiers coups de feux, ce dernier se range sur le bas côté de la route avec son cheval. Soudain, la lampe torche de l’officier se braque sur lui. Des cris retentissent dans la nuit. “Mohamad cours, ça va mal finir, tu vas te faire descendre.”

Mais Mohamad ne l’entend pas ainsi. “Ce cheval et ces marchandises durement chargées au péril de ma vie sont tout ce que je possède. Je préfère mourir avec plutôt que d’y renoncer. “

L’histoire se finit bien. Le soldat pris de pitié en entendant ces mots renonce à faire une seconde fois usage de son arme.

Ce soir là, Mohamad et son cheval, échapperont à la mort.

Cette histoire ne constitue qu’une histoire parmi les dizaines de récits souvent tragiques que m’ont raconté des kolbers rescapés, des proches de kolbers et des témoins, lorsque l’année passée, je me suis rendu au Kurdistan irakien près de la frontière iranienne afin de tourner un documentaire sur ces vies brisées. 

Le Kurdistan est l’une des régions les plus pauvres d’Iran. Le régime a volontairement delaissé cette région en y investissant beaucoup moins qu’ailleurs et en faisant son possible pour freiner son développement et empêcher l’agriculture, l’industrie et l’entrepreneuriat d’y prospérer. Résultat : le taux de chômage y est le plus élevé d’Iran. 

Aujourd’hui, la question des kolbers est devenue l’une des principales préoccupations des activistes Kurdes. 

Alors que ce problème pourrait être réglé presque complètement grâce à des efforts de l’Etat pour améliorer la situation économique du Kurdistan, c’est le chemin inverse que semble emprunter le gouvernement.

En août 2016, Saeed Ahsan Alavi, député de Sanandaj (capitale de la province iranienne du Kurdistan), confirmait officiellement ce qui était jusqu’alors une institution de tous les Kurdes : «La province du Kurdistan se classe au 29ème rang (sur 31) pour ce qui est du revenu annuel médian de ses habitants. Ce n’est guère mieux pour ce qui est du revenu généré par l’industrie puisque le Kurdistan se classe au 24ème rang national. Quant au chômage, malgré le manque de statistiques fiables, on peut estimer qu’il tourne autour de 25 %.»

Une étude concernant l’année civile iranienne 1395 (Mars 2016 à Mars 2017), les ménages les plus pauvres d’Iran vivent dans la province d’Ilam (revenu annuel médian par ménage estimé à 4950€) suivi par la province du Kurdistan avec un revenu annuel médian par ménage de 5035€.

Les statistiques fournies par les appareils officiels de la République Islamique confirment le taux de chômage endémique et la misère dramatique dans laquelle vivent les populations de ces régions. On comprend bien dans ces conditions que, se tourner vers l’activité de transport illégal de marchandises n’est pas un choix du cœur mais plutôt la dernière option de survie.

Les pentes escarpées n’épargnent pas les kolbers et leurs bêtes @Rebin RAHMANI

Les autorités iraniennes justifient leur brutalité à l’égard des kolbers par la lutte contre la contrebande de marchandises. Pourtant, à l’heure actuelle, la majorité des marchandises de contrebande entrant sur le territoire iranien, n’entrent pas par le biais des kolbers kurdes, mais via des mafias liées au régime qui font entrer des articles illicites via les grands ports du sud du pays. D’après le directeur de l’instance en charge de la lutte contre le trafic de marchandises, 50 à 60% des marchandises de contrebande entrent sur le sol iranien via ces groupes criminels. Des propos confirmés par un haut responsable du gouvernorat régional du Kurdistan qui estime à 3% seulement la part annuelle de marchandises de contrebande entrant via la frontière irakienne. Ces statistiques n’ont toutefois rien changé au sort tragique des kolbers qui continuent de tomber presque quotidiennement sous les balles des forces armées iraniennes.

Entre mars 2016 et février 2017, les meurtres de sang froid de kolbers par des militaires iraniens ont augmenté de façon significative en même temps que les protestations de la société civile kurde. Au point d’inquiéter le régime. Ce dernier a donc décidé de prendre les devants et de réglementer cette activité en instaurant ce qu’il a appellé des “frontières légales”. Concrètement, cela signifie que des postes frontaliers sont désormais ouverts et permettent de passer “légalement ” du côté irakien. Les kolbers se sont vus délivrer une sorte de “carte d’identification de kolber” qui lui permettent d’exercer légalement cette activité mais sous conditions. À certaines périodes de l’année, avec des intervalles fixés par le Ministère de l’intérieur, les kolbers sont autorisés à franchir la frontière afin d’aller chercher des marchandises “autorisées” côté irakien afin de les revendre côté iranien. Grosso modo, chaque kolber doté de cette fameuse carte, est autorisé à faire entrer tous les six mois l’équivalent de 370€ de marchandises. Sachant que ces biens sont récupérées au passage par un intermédiaire qui ira ensuite les revendre (et qui donc se rémunère au passage), au final, le revenu mensuel d’un kolber tourne autour de 80€. Loin très loin en deçà du seuil de pauvreté fixé par le gouvernement lui-même.

Mais au fait, qui sont exactement les kolbers et les kassebkars kurdes ?

Un kolber s’harnache pour porter sa charge @Iran Wire

Le mot “kolber” est un mot valise kurde formé des mots “koul” et “bar” signifiant respectivement “dos” et “transport”. Les kolbers sont de jeunes hommes kurdes très pauvres qui pour subsister, traversent la dangereuse frontière irano-irakienne, pour aller récupérer côté irakien des marchandises telles que des cigarettes, des téléphones portables, des tissus, des produits pour la maison, du thé et plus rarement (même si cela existe) des boissons alcoolisées (strictement interdites en Iran). Ils chargent ensuite ces marchandises sur leur propre dos ou sur leurs mulets et retraversent la frontière pour revenir côté iranien en empruntant des chemins montagneux dangereux et escarpés. 

Ces marchandises sont destinées à être vendues à prix d’or dans les centres commerciaux huppés de Téhéran. Les kolbers qui ont récupéré ces marchandises au péril de leur vies, ne touchent qu’un maigre pécule pour cette dangereuse traversée. 

Quant aux “kassebkars” (difficilement traduisible), ils récupèrent les marchandises que les kolbers sont allés chercher et se chargent de parcourir le pays de ville en ville afin de trouver acquéreur.

Leur salaire n’est guère plus mirobolant.

Les kolbers et kassebkars kurdes sont âgés de 13 à 70 ans. Parmi eux, des jeunes hommes n’ayant qu’une instruction primaire et des diplômés de l’enseignement supérieur qui faute d’emplois “normaux” à pourvoir, se sont tournés vers cette activité. 

Ces dernières années, les activistes kurdes se sont mis à recenser ces meurtres afin d’alerter l’opinion publique sur cette question. 

Ce travail minutieux a permis d’attester qu’au cours des quatre dernières années, au moins 224 kolbers et kassebkars ont été abbatus de sang froid par les forces armées iraniennes et 203 ont été blessés. 

Par ailleurs, 44 ont perdu la vie suite à divers accidents tels que chutes dans la montagne , noyades, hypothermie ou ensevelis dans des avalanches.

Rien dans les textes de lois ni dans le Code Pénal Iranien ne justifient cette brutalité étatique ce qui n’empêche pas les meurtres de kolbers d’être quasi journaliers. Le “Code de conduite des forces armées iraniennes” est pourtant formel. Dans son article 3, il stipule qu’en cas de rencontre avec un individu considéré comme “dangeureux”, la première étape est un avertissement verbal à adresser au suspect, puis un tir de sommation en l’air et enfin dans le cas où l’individu refuse de se rendre, il est autorisé d’ouvrir sur le feu sur lui vers la partie inférieure au bassin, dans les jambes par exemple. Les militaires sont autorisés à tirer dans la partie supérieure au bassin du suspect, uniquement si celui ci représente un danger réel ou imminent. Dans la mesure ou les kolbers ne sont jamais armés et ne représentent aucune menace, il est absolument illégal de faire usage d’une arme à feu contre eux.

Les militants des droits humains kurdes insistent sur ce dernier point et sur le fait que ces meurtres ont lieu quotidiennement et systématiquement. Ils rejettent en bloc la version des autorités iraniennes  comme quoi ces meurtres ne seraient que des actes isolés de certains militaires aux frontières. 

D’autre part, chaque fois qu’un kolber blessé pendant son travail ou la famille d’une victime tombée sous les balles des militaires, cherche à obtenir réparation pour ses droits bafoués, ils se heurtent à une machine juridique froide et inhumaine et à un système qui protège inconditionnellement son armée.

Jusqu’à présent, aucune plainte des familles de victimes n’a abouti à la condamnation d’un militaire responsable de la mort d’un travailleur nomade kurde.

Dans le meilleur des cas, un kolber ayant été blessé ou bien la famille d’un défunt, obtiennent le versement d’une compensation financière. Il est même arrivé que des militaires ayant du sang sur les mains réussissent à échapper au versement de cette compensation.

Non seulement les plaintes des victimes n’ont pas permis d’aboutir à des condamnations ni de limiter ces actes de cruauté, mais bien souvent les courageuses familles qui osent porter ces affaires devant les tribunaux sont victimes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités qui parviennent à les contraindre à renoncer à leur compensation financière en leur faisant signer un document de renoncement.

Ainsi on peut dire que les militaires considèrent qu’ils peuvent abattre des kolbers sans crainte de poursuites judiciaires. Bien souvent, cela ne nuit même pas à leur évolution de carrière.

Enfin, il faut parler du devenir de ces familles qui perdent le “gagne pain” de la famille, qui plus est, dans les conditions les plus atroces qui soient. Bien souvent, les autorités n’acceptent de remettre le cadavre du défunt à sa famille qu’à la condition expresse que celle-ci renonce à porter plainte. À notre connaissance, il n’existe qu’un seul cas où la famille d’une victime a pu contraindre les autorités à lui verser la compensation dûe.

Lorsque le père de famille est tué, la responsabilité de faire subsister la famille revient à ses fils ou à un jeune homme de la famille.

De jeunes hommes qui espéraient un autre avenir se voient obligés de quitter l’école du jour au lendemain et de se lancer dans la périlleuse vie de kolber afin de faire subsister leur famille.

La jeunesse kurde est hélas la principale victime des politiques socio-économiques, sociétales et culturelles du régime au Kurdistan iranien.

un convoi de kolbers sur les pentes enneigées entre l’Iran et l’Irak @kurdpa.net

Zakaria Abdelkafi : « Un photographe n’a besoin que d’un seul œil »

[Propos recueillis par Hicham MANSOURI et Camille PEYSSARD-MIQUEAU]

Trois femmes de dos traversent une rue où personne, mis à part un homme et son vélo, n’est visible. Face à elles, les gravats s’amoncellent. Notre regard remonte vers là où semblent se diriger leurs yeux. C’est ici que la sidération nous frappe : trois bus aux couleurs criardes se dressent, à la verticale, vers le ciel. Sorte de barricade surréaliste qui mure tout l’horizon. Cliché d’un instant, d’une rue d’Alep, symbole de la guerre sans fin qui fait rage en Syrie depuis maintenant six longues années. Zakaria Abdelkafi, photographe syrien, correspondant de l’AFP à Alep de 2013 à 2015, signe ce portrait d’hommes et de femmes pris au piège d’Alep et de son chaos. 

Rue d’Alep, 2015 @Zakaria ABDELKAFI

Une trentaine de photographies sont présentées au public parisien au sein de son exposition « Je suis de là bas… Je suis d’Alep… », à la Mairie du XXème arrondissement, du 6 au 29 mars 2017. L’occasion de s’entretenir avec lui sur le rôle du photographe de presse en tant de guerre, son parcours personnel et sa vision du conflit qui détruit la ville de son enfance.

Zakaria ABDELKAFI ©Zakaria ABDELKAFI

Comment tu te définis? Comme un photographe de guerre ?

D’abord comme photographe de presse qui informe les gens sur ce qui se passe dans leurs régions. Ensuite comme photographe de guerre, car j’aime tout ce qui est action. J’aime couvrir les conflits et les combats. A Paris, où je vis depuis une année, je continue à couvrir les manifestations, les grèves des français, syriens et toutes les autres communautés.

Pourquoi as-tu décidé de monter cette exposition ?

Je voulais faire quelque chose pour montrer aux gens ce qui se passe réellement en Syrie. C’est une injustice et un crime aussi bien de la part du régime que des islamistes. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet pour montrer de manière simple ce que vit le peuple syrien avec la révolution, la guerre et le silence de la communauté internationale. On ment au peuple Syrien. C’est pourquoi je m’adresse aux peuples. Je suis à la fois content et triste pour cette exposition : content de montrer la réalité et triste car je vois mon pays détruit. On voit les décombres et les martyres dans mes photos. On me demande souvent quelle est mon cliché favori et j’ai toujours répondu « aucun », car c’est une vie difficile et douloureuse que j’y montre. Mais je vais continuer à exposer ces photos à Lyon et dans d’autres villes françaises et européennes.

Dans le chaos de la guerre, le Bien et le Mal, si tentés qu’ils existent, se confondent souvent. Tes photos suivent majoritairement l’Armée Syrienne Libre, des combattants parfois coupables de crimes. Comment as-tu exploré le concept d’autocensure face à de telles situations ?

Avant la révolution tu ne pouvais pas travailler dans le journalisme sauf si tu plaisais déjà au régime et à ses médias. Ils ne te laissent pas créer un journal ou publier des informations en ligne. C’est pourquoi j’ai commencé par couvrir des événements sportifs comme des matchs de football. Après la révolution, je me suis senti libre de transmettre la vérité et la réalité. Quand une personne se trompe une seule fois, ça ne sert à rien d’en parler. C’est des erreurs individuelles et isolées. Mais quand l’erreur se reproduit, on transmet l’information. Mais personne ne m’interdit de faire mon travail sauf l’Etat Islamique, Le Front Al-Nnosra, le régime et le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan]. L’Armée Syrienne Libre (ASL) et les conseils des villes ne m’ont jamais censuré.

La dangerosité du terrain sur lequel tu as exercé à Alep a, de fait, influencé le cadre, la prise de vue et l’esthétique de tes images. Selon toi, la neutralité et l’objectivité des images peuvent ou même doivent-elles exister ?

En tant que syrien, pour sauvegarder la Syrie, je crois qu’il faut une révolution pour faire chuter le régime et la dictature. Dans cette perspective, la seule ”neutralité” qui peut exister c’est la liberté de la presse et d’expression.

A Alep, tu étais à la fois observateur derrière ton appareil mais aussi immergé dans un conflit où les gens qui t’entourent pouvaient être blessés, portés disparus ou tués, où la ville que tu as toujours connu est détruite jour après jour. Comment as-tu réussi à poursuivre ta pratique journalistique dans un tel contexte?

Quand tu couvres les affrontements dans des zones de conflits, tu peux être tué à tout moment. Le régime peut te cibler. C’est un risque continu. Même quand tu termines ton travail et tu rentres chez toi dormir, tu es réveillé par les avions. Que peux-tu faire ? Tu as peur, mais tu ne peux pas t’enfuir. Le photographe de guerre est un métier très difficile. Il faut être convaincu et courageux. Après des années de travail on s’habitue. Après la mort d’un ami ou un proche, on est triste 4 heures, puis on revient travailler. Ici à paris, c’est plus facile de couvrir les manifestations, les grèves et les événements officiels. Dès que j’obtiens mon titre de voyage, j’envisage voyager en Iraq pour couvrir les conflits.

Tu penses avoir pris goût à la violence?

Ce n’est pas que j’aime les dangers mais l’action. Prendre des photos que personne ne peut prendre. Ce n’est pas le cas quand tu couvres une conférence. Moi, j’ai besoin des défis. Si ma blessure n’étais pas arrivée, je serai encore aujourd’hui en Syrie en train de continuer mon travail.

Tu évoques beaucoup ta blessure.  Celle qui a mis fin à ton combat en tant que journaliste à Alep. Veux-tu nous raconter comment elle t’a été infligée ?        

C’était le 15 septembre 2015. Il y avait un combat dans le quartier de Sahaleddine à Alep, entre l’opposition, c’est-à-dire l’Armée Libre, et le régime de Bachar. On a su un jour avant ce qui allait se passer. Je me suis donc préparé. Tôt le matin, j’ai filmé les préparations comme le transport des armes et l’organisation sur les axes etc. A 11 heures, les affrontements ont commencé. Il y avait trois axes. J’ai choisi de me placer dans l’axe du milieu pour couvrir les deux côtés. J’étais presque en face d’eux, caché devant une porte. A 13 heures, un groupe de l’Armée Libre, environ quinze personnes, a été assiégé par les forces du régime. Ils étaient à environ vingt mètres de moi. J’ai entendu dans le talkie-walkie du chef de groupe qu’il y avait quatre personnes blessées et qu’ils devaient être évacué. Afin de faire des prises meilleures et de filmer leurs tentatives de quitter les lieux, j’ai décidé de me rapprocher malgré les coups de feu. Mais, il y avait un sniper du régime sur le toit de l’immeuble et je ne l’ai pas vu.

J’étais à genou en train de prendre des photos, à 14 heures 30 environ, quand une balle a touché le cadre métallique de la porte et est venue percer l’arcade de mon œil gauche, que j’utilisais pour les prises de vue. J’ai vu le sang couler, j’ai crié « mon œil, mon œil ! », puis je me suis évanoui.

Et ensuite, que s’est-il passé?

Par la suite, j’ai appris que c’est l’Armée Libre qui a demandé une ambulance pour mon évacuation. Les secours n’ont pas pu avoir accès à la zone où je me trouvais. On m’a porté. Je me suis réveillé plusieurs fois. On m’a emmené dans un hôpital situé dans une zone sous le contrôle de l’Armée Libre. Mais cet hôpital n’avait pas de service pouvant soigner mon œil. On a alors demandé une évacuation vers la Turquie, mais les autorités turques nous ont refusé le passage : il était tard dans la nuit et je n’avais aucun document sur moi. L’ambulance m’a alors transporté à une clinique aux frontières où on m’a opéré. L’opération a duré une heure et demi. Je ne vois plus rien, j’ai perdu la vision. Dans l’ambulance vers Alep, j’étais presque évanoui. J’ai essayé de me lever et j’ai demandé « Il y a quelqu’un ici ? Où suis-je ? ». Une voix m’a répondu qu’on me ramenait « à la maison ». J’ai demandé ce qu’il en était de mon œil. La personne n’a pas répondu. J’ai reposé la question. « Malheureusement tu as perdu ton œil » m’a-t-on dit. Je suis resté silencieux pendant un moment, puis j’ai pleuré. Ma famille pensait que j’étais mort. Une fois à Alep, ma mère et mon père m’ont appelé de la Turquie et ils ont pleuré. Ma femme aussi. Quelques jours après, je me suis rendu en Turquie. Ma famille, mes amis et mes proches m’ont accueilli. Après deux mois en Turquie, je suis venu en France où j’ai continué le traitement. On m’a implanté un œil artificiel.

Aujourd’hui, tu habites en France où, comme dans le monde entier, les médiasrelaient les analyses d’experts de plus en plus confuses. La longueur du conflit et la multiplication des acteurs sur le terrain rendent difficile toute lecture simpliste de la situation actuelle. Quel est ton regard sur Alep depuis Paris ?

Au début c’était la révolution d’un peuple. Après c’est devenu, à cause du jeu politique international, une guerre sectaire entre les Chiites et les Sunnites que l’Iran et Hezbollah attisent. C’est une guerre pour le pétrole, le gaz et les autres intérêts personnels. La Syrie est actuellement dans une situation très difficile. Beaucoup de conflits et d’intérêts particuliers rivaux s’y affrontent. Les islamistes radicalisés que le régime a libérés de la prison Saidnaya en 2012, pour faire dévier la révolution populaire syrienne, compliquent les choses davantage. Maintenant , la situation apparaît comme tellement inextricable que le conflit semble sans fin. Le peuple reste la victime de cette situation.

Quels sont tes projets en France ?

J’ai commencé à étudier puis à chercher du travail. Pendant les entretiens d’embauche,  on m’a demandé si j’étais vraiment capable de faire la photo. J’ai à chaque fois répondu la même chose : «un photographe n’a besoin que d’un seul œil !». Maintenant je travaille pour l’AFP. J’attends mon titre de séjour pour pouvoir voyager en Turquie pour une exposition puis en Iraq pour couvrir les conflits.

Aujourd’hui, tu es optimiste  ?

Sur le plan personnel je suis optimiste. Je suis fier de mon travail, de moi et même de ma blessure. C’est un symbole, un sacrifice pour faire parvenir la vérité aux gens à travers la photo. Mais, pour la Syrie, je ne suis pas du tout optimiste. C’est trop compliqué la situation là-bas et personne ne sais pas ce qui va se passer.

«Je suis de là-bas… Je suis d’Alep…» de Zakaria ABDELKAFI à découvrir du 6 au 29 mars 2017 à la Mairie du XXème arrondissement de Paris @Zakaria ABDELKAFI

Les prisonniers syriens d’Assad mettent tous leurs espoirs dans la justice européenne

[Par Shiyar KHALEAL]

Traduction de l’arabe par Liz ALSHAMI

« L’abattoir humain » est le titre d’un rapport publié par Amnesty International qui relate des actes de pendaisons collectives et d’extermination planifiée à grande échelle.

«En tant qu'ancien détenu, le terme d'abattoir est le seul approprié pour qualifier les crimes commis dans les prisons d'Assad.» Shiyar KHALEAL, groupe de travail pour les Détenus syriens

«En tant qu’ancien détenu, le terme d’abattoir est le seul approprié pour qualifier les crimes commis dans les prisons d’Assad.» Shiyar KHALEAL, groupe de travail pour les Détenus syriens

Saidnaya est un village en majorité chrétien dans la campagne de Damas où on trouve 21 monastères, 40 églises et une seule prison militaire. Dans cette prison, selon le rapport, sont pratiqués par le régime syrien des égorgements systématiques de civils au seul motif d’avoir pensé à s’opposer au régime ; depuis 2011, y ont été pratiquées des milliers d’exécutions sommaires sans autre forme de procès , sous forme de pendaisons collectives de nuit exécutées par d’autres prisonniers et dans le plus grand secret , parallèlement à des privations de nourriture, d’eau, de médicament et de soins médicaux, les cadavres étaient transportés dans des fosses communes dans la campagne de Damas avec la bénédiction du régime.

Une extermination collective égale à des crimes de guerre, selon les critères du Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale, se déroule au cœur de la capitale syrienne et sous le commandement d’hommes du régime de Bachar Al Assad, des meurtres de la pire espèce se pratiquent au vu et au su de tout le monde dans un silence assourdissant de la part des forces et instances internationales.

Dans cet abattoir humain, les exécutions sont ordonnées, selon le rapport d’Amnesty, par des responsables de haut niveau, avec l’approbation du grand mufti et sur injonction du ministre de la défense ou du chef d’état-major de l’armée, tous les deux mandatés pour agir à la place de Bachar Al Assad, le procureur général d’un tribunal d’exception signe aussi les ordres d’exécution ainsi qu’un représentant des organes sécuritaires; de même, une commission composée d’officiers, de fonctionnaires pénitentiaires et de représentants médicaux, dirige personnellement l’exécution des condamnations .

Selon des témoins, le rapport parle de 13 000 personnes exécutées sans jugement à Saidnaya, entre septembre 2011 et décembre 2015.

Les cordes des potences ne pouvant pas venir à bout des enfants à cause de leur petite taille, le bourreau est obligé de tirer leurs corps vers le bas pour les achever, ils partent dans l’au-delà où Jésus prononce leur éloge funèbre, oui, dans ce tombeau collectif il y a des milliers d’âmes qui continuent à souffrir et attendent un geste de ce monde incapable d’arrêter cette machine de mort.

Le rapport d’Amnesty est un des plus importants rapports, il atteste des meurtres de civils perpétrés par Al Assad, grâce à des témoins oculaires qui étaient sur place et ont échappé à la guillotine et à la mort promise. Face à ces preuves éloquentes, verrons-nous une réaction de l’opinion publique internationale dans le but de traduire la tête du régime syrien et ses sbires devant des tribunaux internationaux ou bien le monde se contentera de verser quelques larmes et de refermer le dossier, comme a été refermé le dossier «César» documenté par des milliers de photos de civils tués par la même machine de mort ? En tant qu’ancien prisonnier dans les geôles du régime, emprisonné pour avoir fait mon travail de journaliste opposant à Al Assad, j’ai vu des centaines de meurtres et je suis hanté par leurs âmes, ici dans cette belle ville qu’est Paris, et j’attends que toute l’Europe rende justice aux Syriens.

Les Syriens, dans toutes leurs composantes, demandent instamment au monde et aux organisations civiles des droits de l’homme d’agir vite pour mettre un terme aux crimes, ces crimes et emprisonnements de la part d’Al Assad sont la cause directe de la fuite des populations civiles qui se réfugient en Europe, les revendications des Syriens sont simples : comme tous les pays européens, ils demandent un État civil où sont respectés toutes les libertés et tous les droits et où règnent la justice et l’équité.

13000 personnes ont été pendues entre 2011 et 2015. La plupart d'entre elles étaient des civils. Et ces massacres de masse vont jusqu'à plus de 50 personnes pendues par semaine ©Working Group for Syrian Detainees

13000 personnes ont été pendues entre 2011 et 2015. La plupart d’entre elles étaient des civils. Et ces massacres de masse vont jusqu’à plus de 50 personnes pendues par semaine ©Working Group for Syrian Detainees

– Laisser entrer immédiatement des observateurs internationaux pour répertorier les cas de détention et de disparition forcées dans les prisons du régime syrien, prioritairement dans la prison militaire de Saidnaya (l’abattoir humain) et les autres prisons, branches des services de Sécurité comprises.

– Exiger la fin des condamnations à mort quotidiennes.

– Ouvrir une enquête internationale et traduire devant les tribunaux les responsables de ces massacres et de ces tortures dans les geôles syriennes.

– Exiger la libération immédiate de tous les détenus, en particulier les femmes et les enfants.

L’Europe, en tant que grande puissance, sera-t-elle capable de rendre justice aux Syriens ou bien le vent emportera-t-il toutes ces souffrances et la ville de Jésus, « Saidnaya », continuera-t-elle à être témoin des larmes et des gémissements ?

 

 

A Bruxelles, The Working Group for Syrian Detainees lance un plan d’action pour les détenus syriens

[Par Shiyar KHALEAL]

Traduction de Johanna GALIS

A l’origine de la création de The Working Group for Syrian Detainees (le Groupe de Travail pour les Détenus Syriens), l’initiative de plusieurs activistes et journalistes d’origine syrienne, dont Shiyar Khaleal et Sakher Edris. C’est en obtenant en avril dernier des informations de Syriens détenus dans différentes prisons du pays, par le biais de téléphones mobiles, qu’ils apprirent grâce à eux que des détenus politiques de la prison centrale d’As Swayda, à tire d’exemple, allaient être exécutés.

Pendant la réunion à Bruxelles ©Sakher EDRIS

Pendant la réunion à Bruxelles © Sakher EDRIS

D’où la création par la suite d’un groupe Facebook, The Working Group for Syrian Detainees, qui se fit en quelque sorte lanceur d’alerte sur le sort des détenus politiques en Syrie, et puis par extension, sur les conditions d’emprisonnement des Syriens.
De nombreux médias français, allemands et britanniques, dont la chaîne britannique Channel 4, firent pression sur la Syrie suite à la divulgation de ces informations, et par conséquent les exécutions de détenus politiques prirent fin. Le groupe prit de l’importance et se fit remarquer de certaines figures clé de la politique européenne.

Retour sur une rencontre-clé entre Bruxelles et une délégation du groupe
Une délégation de The Working Group for Syrian Detainees (le Groupe de Travail pour les Détenus Syriens) vient d’achever une visite de deux jours à Bruxelles pendant laquelle ils rencontrèrent des représentants des Etats membres de l’Union Européenne, des officiels de l’Union Européenne, ainsi que des membres du Parlement Européen. Ils les pressèrent d’établir de nouvelles règles concernant une nouvelle politique de l’Union Européenne sur le sort des détenus Syriens.

« Notre but premier est celui de soulager les souffrances du peuple syrien », souligna le porte-parole du groupe Sakher Edris. « Pendant nos réunions nous exhortons nos amis européens à protéger les civils de Syrie et à user de leur poids politique sur la Russie et l’Iran pour mettre sous pression le régime d’Assad afin que soit décrété un moratoire sur tous les ordres d’exécution pour ainsi permettre à des dispositifs de contrôle internationaux d’avoir accès à tous les équipements de détention. Le régime d’Assad n’a pas pris de réels engagements pour libérer les détenus. Nous avons répété pendant nos réunions à Bruxelles que l’Union Européenne doit faire pression sur ceux qui détiennent illégalement des civils syriens ».

Des milliers de Syriens innocents sont détenus et torturés dans des centres de détention d’Assad en Syrie. Cette souffrance et les attaques quotidiennes discriminantes contre les civils participent vivement à la crise des migrants en Europe et affectent l’équilibre mental de Syriens qui ont fui leur pays pour leur propre sécurité.

La torture et la mort, une routine dans les prisons syriennes ©Aljazeera.com

La torture et la mort, une routine dans les prisons syriennes ©Aljazeera.com

Il fut aussi abordé le besoin de former des tribunaux locaux et internationaux en dehors du Conseil de Sécurité pour poursuivre les attaques en justice d’anciens détenus résidant en Europe portant sur les services de sécurité syriens, et mettre une forme de pression sur le veto Russe-Chinois.

« L’Europe est l’un des précurseurs de la crise syrienne », rajouta M.Edris. « Nous avons fait la demande d’une mécanique de compensation  qui serait dirigée par l’Union Européenne pour les familles des détenus qui ont fui la Syrie. Dans ce cadre-là nous accueillons l’engagement de ceux que nous avons rencontré au Parlement Européen afin de soutenir nos appels pour un réel progrès sur le dossier des détenus en Syrie. Nous avons aussi appelé l’Union Européenne à l’établissement d’un Tribunal Spécial pour la Syrie afin d’apporter dans ce pays la justice et le sens de responsabilités dont il aurait tellement besoin ».

Il s’en suivit finalement une discussion sur le plan d’action qui prendra forme dans les prochains jours sur l’appel de l’Union Européenne à progresser sur la cause des détenus Syriens, ainsi que sur de nombreux autres points appartenant à la situation des détenus à l’intérieur des centres de détention.

A propos du Working Group for Syrian Detainees

Le Working Group for Syrian Detainees (Le Groupe de Travail pour les Détenus Syriens) est un groupe qui fait partie de la société civile syrienne, qui se concentre sur les abus et les violations contre les détenus en Syrie, et qui informe sur les détenus et leurs dossiers à l’intérieur de nombreux centres de détention. Il suit l’état moral et psychologique des détenus après leur libération pour les aider à s’intégrer positivement dans la société.

L’appel de Shiyar Khaleal, porte-parole de “Détenus d’abord” : “Les syriens méritent un futur libre de toute tyrannie”

13173116_1204431332902910_4281646736751400093_o[Par Shiyar KHALEAL]

Je me considère chanceux d’avoir survécu à l’épreuve de l’emprisonnement dans un des centres de détention de Bachar el-Assad. Depuis le début de la révolution Syrienne, en mars 2011, des centaines de milliers de personnes innocentes ont été arrêtées et retenues illégalement pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels j’ai été accusé : la recherche de la liberté, de la démocratie et d’un gouvernement qui puisse rendre des comptes à son peuple. La vaste majorité de ceux qui ont été arrêtés n’ont pas survécu à leur détention et ne sont en conséquent pas capables de rapporter toutes les horreurs qu’ils ont vues et expérimentées. Et pour chaque personne tuée lors d’une incarcération, des milliers d’autres languissent dans une captivité où elles passent par la famine, la torture, et trop souvent par la violence sexuelle. L’ancien chef procureur de la Cour spéciale de Sierra Leone, Desmond Lorenz de Silva, a comparé la torture à l’intérieur des prisons d’Assad à « du meurtre à échelle industrielle »

Tandis que l’attention du monde se porte sur l’issue de l’élection des Etats-Unis, le 16 novembre j’ai voyagé à Bruxelles avec une délégation d’avocats défenseurs des droits humains des Syriens, ainsi que des anciens détenus pour rencontrer des diplomates européens d’expérience. Notre message est clair : appeler l’Europe à devenir un véritable partenaire moral du peuple Syrien et paver la route pour une nouvelle approche compréhensive de la Syrie. C’est aujourd’hui encore plus important étant donné le résultat des élections américaines. Notre délégation à Bruxelles porte la responsabilité d’être la porte-parole de tous ceux qui ont péri en détention. Ces personnes sont toutes une sorte de rappel constant de pourquoi nous, Syriens, sommes tout d’abord venus dans les rues, et pourquoi notre révolution perdure.

Les efforts pour assurer la libération des détenus sauveront des vies et aideront à débloquer certains efforts pour atteindre une solution politique. Le peuple syrien a demandé à de nombreuses reprises de libérer ces détenus dans l’optique de reconstruire une certaine confiance. Accomplir des progrès sur le dossier des détenus demeure un moyen de recommencer des négociations significatives pour une transition politique.

La justice et la paix en Syrie apporteront aussi plus de sécurité en Europe. La crise des migrants et la montée des attaques terroristes montre que l’Europe n’est pas isolée de la crise en Syrie. Cependant, ni le terrorisme ni la crise des migrants ne seront résolus sans réelle responsabilité de la Syrie. Sans des pas concrets pour s’occuper de la culture de l’impunité en Syrie, il y a un risque sérieux de voir le peuple syrien perde espoir en des principes tels que ceux des droits humains internationaux et la loi humanitaire. Un tel environnement ne fera qu’attiser le conflit.

C’est donc dans l’intérêt de l’Europe de s’assurer des conséquences des violations de ces droits humains et de mener des nouveaux efforts pour libérer tous les Syriens détenus sans aucuns droits. Il y a des pas concrets que l’Union Européenne peut faire pour garantir la justice et la responsabilité du peuple Syrien. Par exemple l’Union Européenne et ses Etats membres devraient mener un effort dans l’Europe et dans l’assemblée générale des Nations Unies pour que soient mis en place des dispositifs d’aide et de contrôle internationaux, tels que le Comité International de la Croix Rouge, pour avoir un accès immédiat à toutes les installations de détention syriennes, incluant des installations secrètes contrôlées par des milices étrangères. Comme l’horrible portrait de César le dépeint, certaines des formes les plus sévères de « justice » d’Assad sont distribuées avec une régularité intimidante dans ces installations mêmes, avec des détenus systématiquement sujets au viol, à la torture, à la famine, à la suffocation, et à des blessures par balle.

Tandis que la responsable des affaires étrangères de l’Union Européenne Federica Mogherini intensifie son engagement régional, nous l’appelons à pousser le régime – ainsi qu’à ses maîtres à Moscou et Téhéran – à suspendre tous les ordres d’exécution dans les centres de détention. Les auteurs de kidnapping, de torture et d’exécution de personnes innocentes doivent être tenus pour responsables. Cette responsabilité n’aidera pas seulement la volonté des victimes d’obtenir justice, mais elle empêchera d’autres crimes d’être commis dans le futur, sur le court terme et aussi dans l’optique d’apaiser la violence actuelle.

L’Europe a une longue et vénérable histoire en ce qui concerne son soutien aux efforts mis en place pour accomplir une justice qui fasse transition pour les victimes de crimes de guerre. Elle sert d’hôte à la Cour Criminelle Internationale, la Cour Internationale de Justice, ainsi qu’à d’autre tribunaux mis en place pour assurer la justice envers des victimes de crimes de guerre. Il est temps pour l’Europe de montrer ces mêmes qualités de leader dans sa recherche active pour protéger et apporter de la justice à tous les Syriens. Ceci doit être un message univoque de la part des dirigeants européens au président fraîchement élu Trump.

Les Syriens méritent un futur où ils puissent vivre en sécurité, libres de toute tyrannie et de la peur de bombes lancées à tort et à travers. Mais tant que des centaines de milliers de Syriens sont détenus illégalement, aucun Syrien n’est libre. C’est pourquoi nous avons besoin de l’Europe pour se mettre debout et assurer le fait que ceux qui sont responsables des abus et des tortures à l’intérieur des prisons Syriennes seront traduits en justice. Une responsabilité et une justice de transition sont des éléments essentiels pour garantir une Syrie libre pour tous les Syriens.

 

Traduction par Johanna Galis.

 

 

Une prisonnière kurde plus que jamais en danger d’exécution après avoir accouché d’un enfant mort-né

[Par Rebin RAHMANI]

Traduction : Evin

Les dernières nouvelles de Zeynab Sakanvand, cette jeune prisonnière kurde de 22 ans enceinte et condamnée à mort dans des circonstances suspectes, sont mauvaises.

Campagne d’Amnesty International contre la condamnation à mort et la torture à l’encontre de Zeynab Sakanvand. Source : www.amnesty.org

Une source fiable et proche du dossier a dit récemment au Réseau des droits de l’homme du Kurdistan : « Zeynab a été transférée vendredi 30 septembre de la prison pour femmes d’Orumieh où elle est détenue vers un hôpital en ville où elle a donné naissance à un enfant mort né. D’après l’équipe de la maternité, le bébé était mort in-utero depuis au moins 2 jours probablement suite à un choc émotionnel violent. Zeynab a été ramenée en prison dès le lendemain malgré les risques pour sa santé.»

Toujours selon cette source : « Deux jours avant cet accouchement dramatique, Madame Malek Nouri, une camarade de prison et amie proche de Zeynab a été placée en cellule d’isolement dans l’attente de son exécution imminente. Zeynab qui est très déprimée et terrorisée par la perspective de sa probable future exécution a été fortement perturbée et nous soupçonnons que le choc émotionnel a provoqué la mort in-utero de son enfant. Deux semaines auparavant, l’infirmerie de la prison avait recommandé le transfert de Zeynab vers un hôpital en ville afin d’effectuer une échographie mais le directeur de la prison s’y était opposé. Zeynab n’a eu droit qu’à une seule et unique échographie au cours de sa grossesse au printemps dernier au cours de laquelle le fœtus avait été déclaré en bonne santé. Lundi 3 octobre, Zeynab a été convoquée au bureau d’application des peines de la prison où on lui a notifié son exécution prochaine.»

Pour rappel : Zeynab Sakanvand Lakran est née le 22 juin 1994 dans une famille kurde très pauvre et traditionaliste des environs de Makou. Elle s’est mariée avec un jeune homme de son entourage à l’âge de 15 ans et a été arrêtée à l’âge de 17 ans après seulement deux années de vie commune pour le meurtre de son époux le 1er mars 2012. Une camarade de cellule de Zeynab a raconté au Réseau pour les Droits de l’homme au Kurdistan les circonstances de ce mariage : « Les parents ultra traditionalistes de Zeynab lui ont fait vivre une enfance et adolescence difficile et elle a vu dans ce mariage avec ce garçon, qu’elle connaissait à peine, un moyen d’échapper à sa famille ». Elle s’est, dans un premier temps, enfuie avec lui avant de pouvoir l’épouser officiellement avec l’autorisation de ses parents après que la famille du jeune homme a dédommagé financièrement les parents de Zeynab. Mais loin d’avoir été comblée de bonheur par ce mariage, elle a vécu un vrai calvaire conjugal avec son époux, fait de violences psychologiques et physiques. Jusqu’à ce jour de mars 2012 où elle s’est spontanément présentée au commissariat le plus proche en affirmant avoir assassiné son mari.

L’enquête de police et l’inspection du portable de Zeynab ont révélé que cette dernière avait eu, au cours des mois précédant le meurtre, des contacts téléphoniques réguliers avec son beau frère ce qui a fortement laissé soupçonner les enquêteurs que les deux jeunes gens avaient « fait le coup » ensemble. Le beau frère a donc été arrêté et interrogé puis relâché faute de preuves.

De son côté Zeynab a été détenue dans un commissariat de Makou où elle a subi des interrogatoires musclés et des tortures physiques et morales pendant 9 jours afin de lui extorquer des aveux.
L’avocat commis d’office de Zeynab a déclaré au Réseau pour les Droits de l’Homme au Kurdistan : « L’enquête a été bâclée. Pour autant que je sache, il n’y a par exemple jamais eu de reconstitution de la scène de crime. Sachant que Zeynab est droitière, le coup de couteau porté à la gorge de la victime aurait dû présenter un mouvement partant de la droite vers la gauche alors que c’est précisément le contraire qui s’est passé. Autre fait troublant : puisque les murs de la maison étaient maculés de sang, logiquement les vêtements de Zeynab auraient dû l’être également ce qui n’était vraisemblablement pas le cas. Enfin dernier point : les empreintes digitales sur le manche du couteau n’ont jamais été prélevées. »

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Orumieh, ville de détention de Zeynab Sakanvand (Source : googlemaps)

Après le crime, Zeynab a passé un certain temps dans un hôpital psychiatrique de la ville d’Orumieh (entre mars et avril 2013) où des psychiatres ont déterminé en juin de la même année qu’elle avait la parfaite conscience de ses actes au moment du crime. Ils n’ont pris en compte ni son jeune âge ni son lourd passif.
Le procès s’est déroulé sur deux séances au tribunal de la ville d’Orumieh en présence de son avocat commis d’office et de la mère de la victime. Ce tribunal a condamné Zeynab à la peine capitale en vertu de la loi du Talion le 22 octobre 2014 après que la mère de son défunt époux a fermement refusé de lui « pardonner » ce qui lui aurait permis d’éviter la peine capitale. Son avocat a fait appel de la condamnation mais la peine de mort a été confirmée par la Cour Suprême le 20 juillet 2015.

Zeynab qui avait dans un premier temps été détenue à la prison de la ville de Khoy a été transférée à Orumieh après sa condamnation à mort. La jeune femme a assumé seule la responsabilité du meurtre pendant les trois premières années qui ont suivi son arrestation avant d’affirmer à ses co-détenues au milieu de l’année passée s’être dénoncée pour protéger le vrai coupable. Étant mineure au moment des faits, elle n’avait tout simplement « pas imaginé en arriver à être condamnée à mort.»

Son ancienne camarade de cellule conclut ainsi : « Zeynab est particulièrement dépressive et supporte très mal l’enfermement. Nous sommes très inquiets pour elle. L’année dernière, elle se sentait si seule et démunie qu’elle a épousé un prisonnier détenu à la prison pour hommes de Makou qu’elle avait rencontré par l’intermédiaire de connaissances communes. Étant tous les deux détenus, ils n’ont droit qu’à un seul et unique parloir par mois. Elle est tombée enceinte de cet homme peu après et elle avait repris espoir suite à cette grossesse de ne pas être exécutée dans l’immédiat. Maintenant que son bébé est mort, elle n’a plus aucun espoir.»