Daech menace la Palmyre de Libye

[Par Sirine AMARI]

Les craintes montent sur le fait que les terroristes de l’Etat Islamique aient détruit un ancien site romain en Libye.
Des fanatiques de l’Etat islamique voyageant dans 30 pick-up ont pris d’assaut la ville côtière de Sabratha, mercredi soir, après que trois de leurs hommes aient été capturés par une milice rivale.

Image de propagande de l'EI (source: france24.fr)

Image de propagande de l’EI (source: france24.fr)

Des militants vêtus de noir ont maîtrisé les résidents sur place et mis en place des points de contrôle dans la ville, qui est à seulement 50 miles de Tripoli, avant de récupérer avec succès les trois hommes.

Des monuments d’une valeur inestimable dans la ville, dont un amphithéâtre romain du 3ème siècle, qui font partie de sites du patrimoine mondial de l’Unesco, ont été détruits par l’État islamique.

En Syrie, le groupe avait déjà détruit des sites historiques du patrimoine mondial de l’Unesco, à Palmyre, dont des temples, des colonnes et des sculptures qui, selon le groupe islamiste représentent de «fausses idoles».

Le site archéologique de Sabratha (source: directmatin.fr)

Hier, les partis rivaux de la Libye se sont réunis à Tunis pour des entretiens sur un accord négocié par les Nations Unies, soutenu par la communauté internationale, afin de mettre en place un gouvernement d’union dans le pays, ravagé par les conflits.

Les discussions devaient se concentrer sur l’avancée du processus d’une réunion internationale sur la Libye prévu dimanche à Rome, selon la Mission d’appui des Nations Unies en Libye.

L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Martin Kobler, et des représentants des parlements rivaux, ont pris part à des discussions dans un hôtel de la banlieue de Tunis, avec des diplomates étrangers invités en tant qu’observateurs.

Kobler, qui a pris ses fonctions le mois dernier, a déclaré qu’il se sentait «encouragé» par ce qu’il a entendu dans les pourparlers, ajoutant que les parties se rencontreraient à nouveau vendredi.

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry va co-présider les pourparlers de dimanche à Rome avec son homologue italien Paolo Gentiloni. Des représentants de la Russie, la Grande-Bretagne, la Chine et la France seront également présents.

Les discussions viennent à un moment clé de la préoccupation internationale croissante sur le fait que le groupe djihadiste Etat Islamique a exploité le chaos en Libye pour prendre racine dans le pays.

La Libye a eu deux administrations depuis Août 2014, quand une alliance de la milice islamiste a envahi Tripoli, forçant le gouvernement à prendre recours dans l’administration de l’est.

 

Une Syrie inédite à la MDJ

[Par Mourad HAMMAMI]

La Maison des journalistes de Paris a organisé jeudi dernier, le 19 novembre 2015, dans l’après-midi, une conférence-débat animée par deux journalistes venus de la Syrie. Le voyage et la rencontre ont été initiés et encadrés par le Collectif des amis d’Alep du Rhône-Alpe.

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Mot d’accueil de Denis Perrin, représentant de la MDJ

Les deux journalistes syriens sont Youcef Seddik et Louai Aboaljoud. Le hasard du calendrier a voulu qu’ils arrivent en France au même moment que les terribles attentats de Paris. « C’était prévu que nous serions à Paris dans la nuit du 13 novembre, puis le vol a été reporté jusqu’au lendemain ». Ils devaient faire une conférence majeure à Lyon le 25 novembre ; à la demande de la préfecture, suite aux derniers évènements, elle a été annulée.
Seddik et Aboaljuoud sont très actifs en Syrie, notamment à Alep : ils ont en effet créé des syndicats et des agences de presse, à travers lesquels ils informent le monde sur la réalité de leur pays.
C’est leur premier déplacement à l’étranger, au-delà de la Turquie. Selon Youcef Seddik, les frontières sont fermées. C’est grâce à l’invitation du Collectif des Amis d’Alep et au visa français qu’ils ont pu se rendre en Turquie, puis prendre l’avion pour la France.

Louai Aboaljoud Alep Point Zero

Louai Aboaljoud pointe le catalogue de l’exposition Alep Point Zéro, qui a eu lieu à la MDJ de mai à septembre 2015

Selon ces journalistes Alep est divisé en deux territoires. A l’Est, il y a les révolutionnaires et à l’Ouest l’armée loyale au régime de Bachar el-Assad. Ils ont souligné que l’organisation de l’Etat Islamique, communément appelé Daesh, fait sa percée dans une partie du territoire de l’Est d’Alep et occupe du terrain particulièrement dans les zones rurales.
Selon eux, chaque jour il y a des bombardements contre les territoires sous le contrôle des révolutionnaires. Pour faire face à l’absence de l’Etat, les habitants ont mis en place des comités de quartiers, des conseils municipaux. En dépit des armes qui sont à la portée de tous, rares sont les moments où l’on enregistre des dépassements ou des dérapages entre citoyens. L’ennemi extérieur a fait tisser une grande solidarité entre les habitants, en effet une protection civile par la police a été mise en place : le service minimum est assuré grâce à cette auto-organisation des habitants.
Youcef Seddik accuse clairement l’aviation russe de bombarder des positions de révolutionnaires qui ne sont pas islamistes. Il cite à titre d’exemple le bombardement du village Sahara où un responsable révolutionnaire a été tué.

Un moment de l'intervention de Youcef Seddik

Un moment de l’intervention de Youcef Seddik

Selon ces journalistes, Daesh est une organisation barbare. Mais le premier ennemi à combattre est Bachar el Assad, car c’est lui qui a créée et qui alimente cette organisation terroriste dans le but de créer une diversion et un chantage pour se maintenir au pouvoir.
Les deux journalistes rajoutent que Daesh est surmédiatisé. Il existe d’importantes organisations de révolutionnaires qui luttent chaque jour et dont on parle rarement.

Interviewé par le magazine Télérama, Youcef Seddik a passé donc la parole à son collègue, Louai Aboaljoud, déjà emprisonné par le régime d’Assad, au lendemain de la révolution en 2011, ainsi que par Daesh, lors de son apparition dans la région d’Alep. A cette occasion, Aboaljoud a été menacé de mort et retenu six mois par le groupe terroriste dans un hôpital civil utilisé également comme prison. Sa libération n’a été possible qu’à la faveur de négociations menées par la rébellion.

La journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Le journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Malgré un lourd vécu de crimes menés par la dictature et par les terroristes, Aboaljoud a terminé la rencontre par une note d’espoir et de paix : à son avis, une action non violente sera la seule solution possible pour sortir la Syrie de la guerre et rendre le pays en un Etat libre et démocratique.
Selon Aboaljoud, les bombardements russo-occidentaux instaurés en réponse aux attentats terroristes seront en fait perçus par les jeunes Syriens comme une confirmation de la propagande anti-occidentale fondamentaliste : en conséquence, ils décideront de rejoindre les rangs des recrues djihadistes.

De cette manière, Bashar el-Assad sera de cette façon officiellement réhabilité par la communauté internationale en tant qu’interlocuteur privilégié (au lieu d’être jugé pour ses crimes contre l’humanité) et, avec le soutien de l’Occident et de la Russie, il obtiendra l’anéantissement de Daesh ainsi que de tous les groupes de pouvoir qui aspirent à contrôler la région. Au niveau politique, il n’y aura plus aucune alternative démocratique, en raison de l’appauvrissement du front révolutionnaire de l’opposition syrienne.

Renverser la dictature syrienne, libérer tous les prisonniers politiques détenus dans les prisons du régime et de Daesh, ainsi que permettre à tous les réfugiés syriens de retourner en Syrie : c’est l’appel lancé par les deux journalistes à la communauté internationale, afin de soutenir la mise en place d’un ordre véritablement démocratique en Syrie.

Youcef Seddik et Louai Aboaljoud n’ont pas demandé l’asile à la France ; leur retour pour Alep est prévu le 30 novembre.

Ci-dessous une galerie photo de la rencontre (crédit photo : Lisa Viola Rossi/MDJ)

 

Je ne suis pas un arabe

[Par Mourad HAMMAMI]

Je ne suis pas un arabe !

Mes respects pour les vrais arabes ! Pas question de laisser les « cerveaux » du chaos ériger l’islam en une identité. L’Islam est une religion et ne doit en aucun cas être une identité.

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Symboles de l’Islam (source: français.islammessage.com)

Dieu n’est pas arabe !

Dieu n’a pas ordonné d’appliquer un Etat islamique sur Terre !

Dieu n’a pas besoin de défenseurs zélés sournois, hypocrites et violents…

Dieu n’a pas besoin d’avoir des défenseurs zélés et ignorants recrutés parmi la pègre, les repris de justice, les trafiquants, les belliqueux et les sanguinaires.

Dieu a créé la diversité et ses adeptes zélés et hypocrites veulent instaurer le contraire en unifiant le monde en une seule culture, libertaire, violente, fasciste, raciste et dévastatrice.

Je n’accepterai jamais que l’Islam fasse de moi un arabe de fait.

C’est la pus grande arnaque au nom de Dieu et de l’Islam.

Une identité artificielle

Cette violence permanente allant du Maroc jusqu’au fin fond de l’Extrême-Orient s’explique en grande partie par la déperdition identitaire.

C’est sur les décombres des autres civilisations, des autres identités qu’on a greffé une identité artificielle. C’est en écrasant les identités des Berbères, des Kurdes, des Assyriens…que l’on a imposé une autre idéologie, une autre identité et ce par la force et la violence.

Ces peuples depuis l’effacement de leur identité sont comme des organes génétiquement modifiés (OGM). Ils sont dans l’égarement permanent. Cette perte de repères crée des dysfonctionnements et des perturbations psychologiques et sociologiques importantes qui aboutissent à des impasses et à des violences inouïes.

En Iran, qui est pourtant un Etat islamique, l’on enregistre moins de violence et d’égarement. Car tout simplement l’Iran a su comment conserver en partie son identité. On ne peut assimiler l’Islam à une identité… car, dans le sillage de l’Islam exporté, on glisse une culture venue de l’Arabie et de surcroît, une culture rétrograde, figée à 14 siècles en arrière. On ne peut imposer ou inculquer une culture de l’Arabie à des peuples situés à une dizaine de milliers de kms de là.

La Kabylie est connue pour son Islam modéré et équilibré. Car malgré des attaques, cette région a su comment constituer un système de défense pour ne pas céder à l’Islam idéologique, l’Islam dogmatique. Elle accepte l’Islam spirituel, l’Islam tout court.

Pour sauver l’Islam il faudra combattre frontalement l’islamisme

Il est clair que la priorité est à la lutte armée contre ces gens violents et barbares, mais au-delà, si l’on souhaite garantir l’avenir, il faudra bel et bien attaquer le mal dans ses racines. L’une de ses racines est cette dépravation, ce détournement des identités au nom de Dieu et de l’Islam.

Non je ne suis pas un arabe. Je suis musulman et j’assume bien mon islamité. Non jamais je ne considérerai que l’Islam est mon identité. Ni l’Islam ni aucune autre religion ne peuvent constituer une identité. Pour sauver l’Islam il faudra combattre frontalement l’islamisme.

A bon entendeur, salut.

Je suis Sarah la syrienne, je cherche mon cadavre

[Par Rana ZEID]

Version originale publiée sur Souriahouria.com le 3 août 2015.

Traduit de l’anglais au français par Yassin Jarmouni.
Révision de l’arabe au français par Lina Zafer Hadid.

Je suis Sarah la Syrienne, je cherche mon cadavre dans une fosse commune

Illustration de Rania Moudaress

Illustration de Rania Moudaress

Je suis Sarah Jamil. Je ne suis pas Tina Modotti et je ne sais rien non plus sur la Révolution.

Le 22 avril 2011, le jour du vendredi saint ; j’ai vu des personnes habillées en gris. Leurs yeux avaient l’air de loups apprivoisés privés de leur volonté pendant des décennies. Leurs applaudissements étaient plutôt des gémissements qui résonnaient dans les montagnes : « Liberté … liberté » Le régime syrien était terrifié. La force collective des masses est sa bête noire. La toute-puissance est essentiellement la peur de la force du peuple. Cependant le jugement de conviction est une alternative mentale à la frustration amère qu’avaient les manifestants.

J’étais habituée à passer mes journées, seule chez moi pas loin de l’entrée Est d’al- Ghawta, dans un village de Damas. L’entrée était décorée avec des photos d’Assad. Un jour, j’ai même imaginé qu’il devait y avoir une statue à l’entrée d’une ville proche, Assad apparaissait nu, « son membre » caché par une écharpe de pierre, alors qu’un agent nain intelligent entourait sa jambe dans une incarnation de la personne qui se considère comme le démon du pays.

Leurs voix résonnaient comme le feraient de grandes quantités d’eau déversées dans les quartiers résidentiels ruraux après une longue absence. Elles ont submergé le silence de Damas, et l’ont averti lui et son mouvement maladroit, de la présence de la sécurité et de l’intelligence de la place des Abbasides ainsi que de la prolifération de snipers sur les toits. La zone résidentielle de Damas est à la fois fragile et séquentielle. Comme une couche d’oignons, on ne trouve rien après l’avoir enlevée à part des grosses larmes. Je pensais que c’était une mobilisation temporaire causée par les villageois que je voyais quotidiennement, prenant leur place dans un micro bus, s’entassant dans le couloir minuscule ou sur les sièges pour rentrer chez eux sous un volcan de malédiction. Leurs habits étaient couverts de poussière alors que leurs cœurs chantaient et brillaient dans l’obscurité de la nuit.

Je fus prise par une crise de larmes quand les manifestants sont passés à côté de moi. Ce jour-là les gens venaient de zones rurales différentes mais leur destination commune était la place des Abbasides, qui se trouve dans le centre de la capitale, Damas. Quand j’étais petite, un jour, je fus propulsée à Lailat al Qadr pour aller prier dans la mosquée. J’avais beaucoup pleuré quand j’avais vu le Sheikh al Bouti en larmes à la mosquée al-Iman dans le quartier d’al-Mazra’a. Je pensais qu’il était triste à cause de ma misère alors j’ai pleuré pendant longtemps mais en vain.

Pendant que je le regardais, je pleurais comme s’il s’agissait d’un processus de purification de mon âme devant Allah pour les péchés du Diable opérant. Soudain poussée par un manifestant, l’idée me vint de rejoindre la révolution syrienne à la place des Omeyades. Il m’a dit qu’on serait des millions à protester. Je m’étais laissée porter par l’émotion et j’avais commencé à prendre des photos et à les envoyer de façon anonyme pour qu’elles soient publiées.

La route entre la municipalité de Damas et la campagne m’avait fatiguée, moi qui ne connaissais rien sur la révolution mise à part les têtes des rebelles. Le lendemain, le chauffeur de taxi qui avait bloqué toutes les portes de la voiture m’avait dit : on a enlevé leurs corps avec des bulldozers. Vous savez que moi aussi j’ai participé? Je lui avait répondu « C’est un devoir, on doit détruire les cerveaux, si vous pensez à ça, déposez moi aussi ».

Ils avaient tué des centaines de manifestants dans le massacre d’al Zablatani et j’avais traversé le massacre, des rues de meurtres en direction de la ville.

Pendant le siège de la campagne on ne pouvait pas respirer. Le vide des routes froissait les têtes des manifestants comme des ballons. Traverser une rue était comme être pris dans une machine du temps. Est-ce que j’étais un être vivant ou un mort? On pouvait se le demander.

La voiture dans laquelle je voyageais a été atteinte par le tir d’un snipper. La rue était la même que je parcourais quand je rentrais chez moi sans ressources il y a des années. Là un sniper avait tiré mais je n’étais pas morte, seulement une voiture a été touchée. On a pris des allées sur les côtés où des fantômes huaient et rigolaient. J’avais entendu le son d’objets, matériaux et corps percés par des balles. J’avais commencé à palper mon dos avec ma main. J’avais fait une courte crise de panique, je pensais que la balle avait traversé mon corps, je voyais du sang et des blessures. J’avais commencé à jouer le rôle, le rôle de voir comment mon esprit pourrait émerger de mon corps. C’était important que je maîtrise l’acte de décéder pour ne pas me tromper devant eux et avoir l’air d’une martyre stupide.

L’armée arabe syrienne a pris ses positions de combat comme le fait l’armée Israélienne, prête à faire feu et se cacher en attendant, effrayée par les manifestants désarmés. J’avais vu des soldats assis blottis sous les ponts, comme des embryons du diable. Après le jour du vendredi saint, la campagne de Damas, d’Homs … de toute la Syrie s’est transformée en une vaste plaine où les voleurs et bandits traînaient, comme ce fut le cas en Russie de Tchekhov.

À Homs, un soldat se cachait derrière une barricade de sacs remplis de sable. À un feu de circulation, il avait l’air de tirer sur n’importe quelle personne qui le regardait comme s’il voulait montrer qu’il était un démon ou qu’il voulait le devenir .
Je tremblais comme une personne qui savait bien qu’il fera face à sa décapitation à un moment donné. Mais l’enquêteur stupide, m’avait déclaré non coupable. Le parti Baath syrien ne fournit jamais d’outils informatiques à son personnel de sécurité, mais leur donne des bâtons, des balles, des bandes adhésives et des ongles.

L’officier de sécurité m’a dit : « Je ne veux pas porter une arme. Ils m’ont forcée. J’ai peur des manifestants »
Le capitaine : « Qui sont-ils ? »
Moi : « Les manifestants. Ceux qui crient : Liberté, liberté, liberté »
Le capitaine : « Qu’est-ce qu’ils criaient encore ? »
Moi : « Ils ne criaient pas. Ils portaient des pancartes claires écrites à la main qui disaient : Maher al-Assad ne touche pas à mon peuple »
Le capitaine : «Vous êtes folle ? »
Moi : « Non, décidément non, Colonel »
Le capitaine, avec un certain plaisir: « Je suis un capitaine, je ne suis pas un colonel »
Moi : « J’espère que vous deviendrez un jour Général, Monsieur. Je crois que son excellence Dr. Bachar al-Assad a annulé les lois d’urgence. Pourquoi suis-je ici ? »
Le capitaine : « Vous êtes en train d’halluciner. Qui est ce Bachar al Assad ? »
Moi : « Bachar, le diable, celui qui terrifie les plantes de cactus dans les bosquets d’al Mazza »
Le capitaine : «On est tous Bachar »
J’ai été relâchée parce que mon mari appartient à une minorité.

Une heure après ma libération, je me suis sentie sous l’impact de la torture psychologique dont les cicatrices m’ont accompagnée pendant les trois années suivantes. Mon passeport avait une photo personnelle sans caractéristique. Une photo qui ne me ressemblait pas. Le miroir montrait une loupe qui mangeait sa propre main. J’étais un cadavre avec une odeur neutre.

Si j’avais su que le monde était un monde d’assassins, j’aurais crié « Revenez camarades, mangez mon corps, mais ne partez pas. La révolution n’est pas ici! Elle est juste dans les quartiers pauvres de Damas. Seulement les affamés sont mangés par le monstre ».

Un journaliste avait enquêté sur moi. Je savais qu’il était en contact direct avec l’office de Buthaine Sha’ban, alors j’avais menti sur ma vraie opinion politique, dès lors que la plupart des médias étrangers en Syrie sont surveillés par un personnel qui coopèrait avec la sécurité. Il m’avait dit: Tais toi! Le téléphone était décroché pendant notre conversation. Je ne lui avais pas demandé quelle branche de la sécurité était en ligne. Je lui avait juste chuchoté «Ils ont raccroché depuis longtemps. Ne vous inquiétez pas, notre discours n’est pas équivoque ».

Je suis Sarah Jamil. Mes cheveux châtains sont lâchés au vent. « Vas y! N’y va pas ! Va mourir! Moi, qui ne savais rien sur la révolution. Mon fin t-shirt d’été avait été tiré par l’un des hommes de la sécurité au point de contrôle de la route principale entre Homs et la campagne de Damas d’un côté et la ville de Damas de l’autre. Là-bas, près de la piscine Tropicana ou devant le panorama de la guerre de libération d’octobre ; musée des victoires contre l’ennemi brutal, le régime syrien a battu ceux qui ont survécu au massacre de Ghawta de l’est et la plupart ont été arrêtés. Mes cheveux volaient. Ils me saluaient. Ils voulaient que je prenne plus de photos. Salut les rebelles de Saqba, ‘Ain turma, Kfur Batna, Harasta et Doma … je suis votre sœur Sarah, tuée par le geôlier et envoyée à la ville des prostituées. Je garde mes craintes à chaque point de contrôle . Je suis Sarah Jamil ; mon corps est une proie pour les corbeaux. Est-ce que vous y retournerez après la mort ? »

J’avais entendu des voix me dire : « Hé Sarah, n’aie pas peur ! Fais semblant d’avoir peur de nous, et le chemin vers la mort se passera ». J’avais l’habitude de frémir et de défendre que j’étais contre toi. La Dochka se trouvait juste devant moi pendant que de longues files de tanks creusaient la terre. Avant ça j’avais marché avec un grand sac sur les épaules pour essayer d’échapper au siège . Le sniper me regardait avec son arme dans ses mains, il pouvait me transformer très vite en filet pour chasser des papillons. J’avais salué les soldats, les tueurs, comme un traitre confident. Ensuite la quatrième brigade m’arrêta à la barrière. J’avais mal partout. Je lui dis que les groupes armés allaient brûler ce pays, alors il devait me laisser partir pour échapper à l’humiliation et à la détention. Finalement il me laissa partir pour Damas.

Je pensais à l’amour. Mais maintenant je suis un corps avec des grandes contusions, un corps qui est bombardé à chaque fois que je suis triste et qui se noie dans les moments de joie.

Je suis Sarah la frustrée, Sarah l’affamée, Sarah la morte. Avez-vous trouvé mon corps parmi les corps de la cimetière commune ? Moi-même je le cherche depuis ce jour. Je veux l’embrasser, le serrer dans mes bras et ensuite l’enterrer. S’il vous plait, ne me saluez plus, car je crois toujours que le régime de Bachar al-Assad peut me surveiller. Je suis dans un état constant de trouble psychologique. Je n’ai pas quitté ma maison depuis deux ans maintenant. Enterrez mon corps perdu à la campagne.

J’étais arrivée au centre de Damas. Tout était normal. Les visages civilisés de la ville ne pouvaient plus rien supporter. J’étais fâchée contre moi-même et aussi contre ces visages qui pourraient me dire une phrase : « vous n’avez pas le luxe de la détention ». Quelle malédiction a pu atteindre la langue de mon interlocuteu ! J’avais répondu . « Parlons de cette nuit, très obscure, que Modigliani a passé avec Anna Akhmatova ».

 

Bayeux-Calvados 2015 : carnet d’un festivalier

« Je n’aime pas quand le ciel est bleu »

[Propos recueillis par Léon KHAROMON]

C’est le cri de détresse d’un jeune pakistanais de 13 ans dont la grand-mère a été tuée par les frappes d’un drone. Grièvement blessé, il a été invité à témoigner devant le Congrès américain à Washington. Son témoignage a inspiré à Thomas Van Houtriver, une exposition de photos qui a fait sensation à Bayeux.
Le photographe, déjà Prix du public en 2007, considère cette expo comme un « miroir tourné vers le peuple américain » pour lui faire prendre conscience du danger que représentent ces « engins de mort » que sont les drones dans les zones opérationnelles qu’ils survolent. En Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen où, au nom de la lutte contre le terrorisme l’armée américaine mène des frappes depuis 10 ans, sans vraiment affaiblir le mouvement djihadiste, les drones ont commis d’importants dégâts dits «collatéraux ».

Une des photos emblématiques de l’expo. On y voit Thomas Van Houtryve devant un cliché pris dans un parc à San Francisco où des hommes et des femmes font du yoga. Au Pakistan, ou au Yémen, dit-il, ce genre d’activité est suspect et peut vous exposer à des frappes de drones. (Crédit Photo : Léon Kharomon).

Une des photos emblématiques de l’expo. On y voit Thomas Van Houtryve devant un cliché pris dans un parc à San Francisco où des hommes et des femmes font du yoga. Au Pakistan, ou au Yémen, dit-il, ce genre d’activité est suspect et peut vous exposer à des frappes de drones. (Crédit Photo : Léon Kharomon).

Thomas Van Houtryve : Je m’appelle Thomas Van Houtryve, je suis photographe. J’ai présenté une exposition qui s’appelle « Quand le ciel est bleu » qui parle des drones militaires.
Léon Kharomon : Quelle corrélation faites-vous entre ciel bleu et drones ?
TVH : En fait, il y avait un jeune garçon pakistanais qui avait 13 ans et dont la grand-mère a été tuée par une frappe de drone. Et lui-même a été blessé. Il a été invité à témoigner à Washington devant le Congrès américain. J’écoutais son discours. Et une des choses qu’il m’avait dites m’a interpellé. Il a dit « je n’aime pas quand le ciel est bleu ». Je préfère quand le ciel est gris parce qu’il y a moins d’activités de drones. L’idée même qu’un enfant puisse rompre sa relation de plaisir avec le ciel bleu m’a vraiment frappé.
LK : Peut-on dire que dans certaines régions du monde, les drones ont changé la relation entre l’homme et la nature ?
TVH : Au Pakistan par exemple, il y a des zones survolées par des drones presque en permanence. On entend beaucoup de bruits. Et le jour où le ciel est bien clair, il y a beaucoup de visibilité, ils peuvent frapper des cibles quand ils veulent.
LK : Vos photographies ont pour la plupart été prises en dehors du Pakistan. Pourquoi faites-vous ce lien entre le Pakistan et d’autres pays qui peuvent se retrouver dans des situations similaires ?
TVH : j’ai voulu tourner le miroir. Les frappes étaient commandées par les USA, donc toutes les photos, je les ai prises aux USA. C’est un pays démocratique où les populations peuvent dire si elles veulent des leaders politiques qui déclenchent des guerres ou pas. Les USA, depuis presque dix ans maintenant font des frappes au Yémen, au Pakistan et dans d’autres pays. Mais aux USA, il n’y a pas beaucoup de débats sur ce sujet. Donc, quand j’ai lu une information sur les frappes, j’ai trouvé bizarre le fait qu’il ne s’agissait pas de frappes sur des champs de bataille, mais souvent dans des sites civils comme une école religieuse, un lieu de mariage, etc… J’ai voulu monter comment on peut être aussi vulnérables aux USA comme au Pakistan. Les drones, c’est une arme qui change notre relation avec le ciel.
LK : Sur une photo, on voit des gens faire du yoga-je ne sais pas si c’est à Central Park- (ndlr à New York), mais à première vue, j’ai cru que c’était des gens en train de prier.
TVH : C’est une photo que j’ai prise à San Francisco. La plupart des temps, quand les gens regardent, ils pensent effectivement qu’il s’agit des musulmans en train de prier. En fait, c’est du yoga. Mais, j’ai voulu souligner le fait que notre comportement depuis le ciel, quand il est éloigné de tout contexte, peut rendre suspects des trucs qui ne le sont pas du tout. Qu’est ce qui se passe avec un drone ? Un opérateur de drone, à partir d’un comportement vu du ciel (via le drone, Ndlr) décide si quelqu’un doit mourir ou pas.
LK : Ceci veut-il dire qu’aujourd’hui dans ces régions-là : Pakistan, Irak, et ailleurs où survolent les drones… on peut être tué juste en faisant sa prière… ?
TVH : Oui, il y a plein d’activités qui sont « entre guillemets » suspectes. Par exemple, s’il y a des hommes qui font du sport ensemble. Ils disent : Ah, ça peut être un entraînement terroriste. Et pourtant, cela peut être une chose complètement innocente. Autre chose, outre ce qu’ils regardent avec une caméra vidéo, ils peuvent suivre la localisation des téléphones portables aussi. Donc, si on se trouve à un mariage, alors qu’on est complètement innocent et qu’il s’y trouve un cousin éloigné de quelqu’un qui est suspect, le fait que les téléphones portables se retrouvent au même endroit, fait que tout le monde devient suspect. Et il y une frappe.
LK : Votre travail (exposition) peut-il être compris comme une interpellation du gouvernement américain ?
TVH : Oui ! Je voudrais éveiller une prise de conscience sur cette politique. Je pense que c’est une façon de faire la guerre sur laquelle on peut se poser beaucoup de questions.
LK : En Syrie, on constate qu’après plusieurs mois de frappes aériennes, les résultats escomptés n’arrivent pas toujours ; que les forces islamistes demeurent toujours aussi fortes…pensez-vous qu’il faille effectivement envoyer des soldats au sol ?
TVH : Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, mais on voit clairement les limites des frappes. Les frappes aériennes s’arrêtent-elles net aux activités liées au terrorisme ? Aujourd’hui, avec dix ans de recul sur les frappes, on a l’impression qu’au niveau stratégique, cela n’a pas stabilisé les pays où l’on mène ces actions. Donc, il reste des problèmes. Les gens sont morts, parfois ce sont des terroristes, parfois l’activité des drones peut inciter le recrutement d’autant des terroristes que ceux qui sont tués. Donc, il y a un problème sur le long terme avec cette activité.
LK : Comment êtes-vous entré en contact avec l’organisation du prix Bayeux ?
TVH : J’ai gagné le prix du public Bayeux en 2007 avec un reportage sur la rébellion maoïste au Népal et depuis, je suis resté en contact. Je trouve que c’est formidable ce qu’ils font ici. J’ai donc gardé des liens.
LK : Un petit mot aux festivaliers…
TVH : Merci beaucoup. Je pense que c’est une exposition qui peut inciter les gens à se poser des questions sur l’avenir de la guerre et des conflits.
LK : Merci.

Cliquez sur le lien  ci-dessous pour écouter l’interview audio avec Thomas Van Houtryve (par Léon Kharomon) :

Interview avec Thomas Van Houtryve, Photographe

 

 

A la Cinémathèque, une fresque filmique consacrée aux hommes dans la guerre

[Par Davy GOMA LOUZOLO]

Il est sans doute important de comprendre la motivation de Florent Marcie, réalisateur-photographe et journaliste français qui se place dans l’improvisation permanente de son art filmique. Motivation d’aller au-delà de l’histoire qu’il raconte à travers sa caméra. De filmer là où il filme dans des situations de guerre, de libération et de dévouement.

Florent Marcie

Florent Marcie (Crédit photo : Mortaza BEHBOUDI)

Nous avons assisté le soir du vendredi 25 septembre, à la Cinémathèque française (Paris-Bercy), en présence du réalisateur, à la projection spéciale de deux de ses films, Saïa et Commandant Khawani, qui constituent une grande partie de sa fresque consacrée aux hommes de guerre.

D’abord le film Saïa, qui désigne les ombres, projeté à 19h30, est un film expérimental de Florent Marcie sur une ligne de front en Afghanistan. Ce film constitue la genèse du Commandant Khawani, qui était projeté à la suite.
Saïa nous plonge dans l’univers du réalisateur, avec un style propre à l’artiste, à savoir filmer la beauté de la nuit en pleine guerre sous les bombardements avec les ombres et pénombres, la ligne de terre, d’eau et de feu dans sa beauté nocturne. Dans cette présentation, Florent Marcie nous peint une image documentaire qui montre le décès filmique de la guerre et de l’affrontement. C’est la beauté des images et l’ombre de la guerre, vues du regard transversal du réalisateur par sa manière de filmer la guerre la nuit. C’est un portrait qui dépasse le concept journalistique.

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(Crédit photo : Mortaza BEHBOUDI)

Ensuite, Commandant Khawani, qui n’est autre que la suite modifiée et accentuée de Saïa. Un portrait filmique d’un jeune commandant afghan sur la base de Bagram en 2001 au moment de la prise de Kaboul. Tourné il y a quinze ans, réalisé cette année, Commandant Khawani nous dévoile d’une part la suite de son film Saïa, d’autre part la tragédie du quotidien du jeune commandant et de ses hommes. Le réalisateur nous dessine à travers ses deux films expérimentaux une fresque des hommes dans la guerre avec un regard transversal sur l’Afghanistan. Ce sont des portraits qui dépassent le concept journalistique, plongeant dans une manière différente de voir le film. Sa façon de filmer, qui donne l’espace d’accréditation, laisse énormément de place au débat et à la réflexion. Cette fresque qu’il peint est, dans un sens, le témoignage d’une histoire des Talibans dans une guerre oubliée, appuyé par une démarche à contre-courant de la réalisation classique qui ne justifie pas la méthodologie normale du Reportage. Dans l’autre sens, au-delà des aspects géopolitiques, le film met en exergue la vie interdite des soldats pendant la période de guerre (danse, alcool, cigarettes, loisirs… ) pour donner un message d’universalité.
Enfin, ces deux films présentent une fresque de Florent Marcie consacrée aux hommes dans la guerre en Afghanistan. Une démarche poétique, filmée durant dix ans, de l’histoire vécue du commandant Khawani. Armé de sa conscience et du désir de trouver l’histoire où elle existe, il voit (et filme) de ses propres yeux la rencontre de l’autre dans ce qu’il a de plus vrai. Des situations où le réalisateur-photographe est affranchit des contraintes, notamment celle du temps. Des films qu’il tourne et monte lui-même situés à la limite entre cinéma et reportage, qui pour lui est un décalage de la stricte actualité. Ainsi, on ne se laissera pas de questionner le “pourquoi pas” d’une nouvelle voie, d’un nouveau style, que Florent Marcie essaie de revendiquer.

Un voyage dans le trafic d’êtres humains vers l’Europe

[Par Mortaza BEHBOUDI]

Mujtaba Jalali

Mujtaba Jalali

Pendant des semaines, Mujtaba Jalali a entendu parler des terribles conditions des réfugiés par les titres des journaux, jusqu’à ce que les images d’un enfant de trois ans, syrien, Aylan, provoquent un élan d’humanité partout dans le monde à nouveau.
Il a décidé de risquer sa vie et commencé un voyage comme photographe indépendant, en se joignant à trois afghans qui cherchaient à rejoindre l’Europe et il s’est ainsi retrouvé au cœur du trafic des êtres humains de Téhéran-Iran vers la Turquie et la Macédoine-Serbie Hongrie.

Crédit photo : Mujtaba Jalali,

Crédit photo : Mujtaba Jalali

En Turquie, avec le groupe de réfugiés afghans, ils ont décidé d’acquérir un bateau en plastique et de le mettre à l’eau pour aller en Grèce. Mujtaba a vu les vêtements des réfugiés laissés sur la plage en Turquie, quand il est arrivé en Grèce, à Mytilène, il a pris des photos et il a vu des milliers de réfugiés afghans, syriens et irakiens transportés par un navire à Athènes. Mujtaba prend des photos de la situation des réfugiés sur les chemins de Macédoine, de la Serbie et de la Hongrie.

Biographie :
Mujtaba Jalali est né en 1991 comme réfugié afghan en Iran. Il a étudié la langue et la littérature anglaise à l’université et il a fait de la photographie documentaire et du cinéma aussi. Il était professeur d’anglais pour les enfants afghans sans permis de résidence et professeur d’art pour les enfants handicapés à Mashhad-Iran. En 2012, il a commencé à faire un documentaire sur le retour en Iran des réfugiés afghans morts en Syrie, jusqu’à ce qu’il soit arrêté, en 2015, pour avoir photographié cette histoire-là, par le gouvernement iranien qui lui a pris tout son matériel.

Cliquez ici pour visiter le compte Instagram de Mujtaba Jalali.