Articles

De Calais à “Nulle part en France”, un film de Yolande Moreau

[Par Khosraw MANI, envoyé spécial du Festival de Cinéma de Douarnenez]

Kirkouk, Athènes, Macédoine, Serbie, Croatie, Hongrie, Allemagne, France… Hawré, un Kurde Irakien de 28 ans, diplômé en géologie, se retrouve dans la jungle de Calais. Il a traversé la mer, pris des voitures, des trains, marché à pied pour arriver ici, espérant passer en Angleterre.

nulle partLa cinéaste belge Yolande Moreau s’est rendue une dizaine de jours dans les jungles de Calais et de Grande Synthe en janvier 2016, afin de rencontrer des migrants qui passent leurs jours et nuits sous les tentes, coincés dans la boue et la misère. Le résultat est là : Nulle Part en France, un documentaire saisissant, avec un ton singulièrement poétique, rempli d’empathie et de souffrance. Il y a des scènes bouleversantes : les toiles de tentes, des feux, un vent incessant, des policiers, des enfants souriants, un drapeau qui flotte tristement, un bulldozer qui refuse aux migrants le droit de vivre sur cette terre…calais«On n’a pas fui la mort pour venir mourir ici», lâche une femme kurde. La terre refuse de les accepter, la frontière refuse de se laisser franchir. Fuir de la mort pour mourir sur une autre terre : c’est ainsi que se termine la vie d’Ali, d’Aroon Yousif, de Shaheed, couchés à jamais dans le cimetière des jungles de Calais et de Grande Synthe. Hawré supplie le gouvernement français d’avoir «un peu de patience», rien que ça. L’espoir est toujours là. L’espoir «en temps de détresse». Nulle Part en France pose une simple question : quand l’attente se finira-t-elle enfin ?

Nulle part en France
Un film de Yolande Moreau (France, 2016)

Projection : mardi 23 août à 10 heures dans le cadre du Festival de Cinéma de Douarnenez

Sur ARTE Reportage (ARTE+7 – 52 min jusqu’au 27 aout 2016) : http://info.arte.tv/fr/videos?id=03027358100000

Spécial Réfugiés: Nulle part en France / Laurent Gaudé / Christina Malkoun

[Pour lire les autres articles de nos envoyés spéciaux dédiés au 39ème Festival de Cinéma de Douarnenez, c’est par ici.]

Festival de Douarnenez : Radél, film-fiction hors du commun

[Par Marie-Angélique INGABIRE]

« L’histoire se raconte elle-même. Il n’y a rien de fixe à comprendre, les images parlent d’elles-mêmes », raconte Alexis Berg, jeune français dont la collaboration avec Michel Le Meur a permis la réalisation du film-fiction « Radél ».

Radél ©festival-douarnenez.com

Radél ©festival-douarnenez.com

Tournée dans une ancienne école d’apprentissage maritime d’Audierne dont les portes ont été ouvertes en 1964 et refermées en 1995, Radél n’a aucune narration ni mot de la part de l’acteur. Malgré l’abandon du bâtiment, un homme, qui, d’après Alexis Berg pourrait être un naufragé, un ancien élève ou un marin, y passe sa vie quotidienne qui n’est pas trop différente de celle des autres. Le vent a cassé les vitres et la pluie et le temps ont dégradé l’école. L’acteur y fait du sport, mange, prend sa douche, se couche, fait le ménage, aime…

L’acteur est inséparable du lieu de tournage car c’est la même personne qui a vu le lieu qui a décidé d’y faire un film. Au cours de leurs vacances dans la région, Berg et le Meur l’ont tourné et ne l’ont jamais considéré comme un produit fini. D’abord, pour Berg un produit c’est quelque chose qui n’est pas hors du marché, ensuite ils l’ont toujours regardé, visionné, modifié.

Ce film-fiction a été produit dans la région de Bretagne et son histoire peut se raconter de plusieurs manières, car « il n’utilise pas le langage et le sort d’un dispositif habituel : pas de scénario, pas de rôle, ni de métier ni de spécialisation […], ». Ce réalisateur précise que le fait de ne pas y inclure des paroles ne dit pas forcément qu’il n’y a pas de langage. D’après lui, dans ce monde qui devient de plus en plus bruyant, trop de bruit risque d’entrainer la carence en écoute. Radél cadre avec le Festival de Douarnenez dont des présentations sont normalement faites dans différentes langues, dont le français, l’espagnol, la Langue des Signes Françaises (LSF) et la version sourds et malentendants : toute personne s’y retrouve facilement, pas besoin d’interprète ni de sous-titrage, le langage du film se suffit et ne limite pas l’histoire.

La proximité entre Audierne et Douarnenez (22km) fait de ce festival une opportunité de diffuser Radél « dans le coin ». Selon Berg, l’un de ses réalisateurs, ils ont la malchance de vivre dans une époque qui ne convient pas, avec le monde de la culture qui reste enfermé ou bouclé, mais ils espèrent trouver en Douarnenez 2015 un lieu ouvert aux artistes et ainsi à l’expression des acteurs du domaine culturel. Premièrement, ce festival leur a été facilement accessible, deuxièmement il ne se penche pas trop vers le concept de la « marchandise », comparativement au reste de l’industrie aussi morbide qu’est le cinéma.

Les 2 réalisateurs qui à la base ne sont pas des professionnels du cinéma sont pourtant satisfait d’avoir pu faire Radél dont la réalisation sans budget ne leur a pas couté cher. Déjà présenté Radél dans un bar à leurs invités, et ils sont ravis de participer au festival de cinéma de Douarnenez 2015 où sa diffusion est prévue pour ce lundi 24 aout à 21h.

Moi, je suis avec la mariée : un cinéma hors-la-loi

[Par Ahmad BASHA]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens
Article en version originale publié sur alModon, le jeudi 04/09/2014

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Avant et après les événements de la Mostra de Venise, les media italiens et internationaux n’ont cessé de parler du documentaire palestino-italien « Moi, je suis avec la mariée » de Khalid Suleiman Al Nassiry, Antonio Augugliaro et Gabriele Del Grande. L’agence de presse italienne ANSA est allée encore plus loin en décrivant le film comme étant « l’une des dix raisons qui font que nous nous rendons au festival ». De fait, les tickets d’entrée (mille sièges) pour la première projection, prévue à Venise jeudi soir dans le cadre de la manifestation « Perspectives Nouvelles », furent déjà distribués quatre jours auparavant. Le film fut présenté à la presse dans une projection exclusive, organisée la veille de la projection officielle.
Les réalisateurs de « Moi, je suis avec la mariée » – un palestinien et deux italiens – voulaient que leur premier documentaire soit une aventure pouvant potentiellement engager leur responsabilité légale ; une supercherie qu’ils ont eux-mêmes tissée et tournée à des fins purement humanitaires, dans le but de permettre à cinq réfugiés (des palestiniens et des syriens) de se rendre en Suède. Pour cela, les trois cinéastes ont demandé l’aide de leurs amis mettre en place leur stratagème. De nombreux jeunes se sont portés volontaires afin que la mission soit un succès. Tout fut organisé pour que le convoi ait l’air du cortège d’un mariage italien, qui se rendrait de Milan à Stockholm en passant par la France, le Luxembourg, l’Allemagne et le Danemark. Et c’est exactement ce qui s’est produit.

Un seul rêve rassemble les personnages principaux du film : arriver en Suède, espérant une vie meilleure pour eux et leurs familles, qui pourraient quitter la Syrie si leurs membres pionniers arrivaient à entrer au pays nordique. Les cinq immigrants se rencontrent sur l’île italienne de Lampedusa alors que la chance leur a déjà souri de nombreuses fois : la première fois, lorsqu’ils ont échappé à la mort dans leur pays ; la seconde lorsqu’ils sont sortis vivants des bateaux des passeurs et des malédictions de la Méditerranée ; la troisième fois, lorsqu’ils ont rencontré les trois réalisateurs qui allaient les aider dans la traversée vers leur rêve.
Dans leur documentaire, qui dure une heure et demie, les trois cinéastes présentent une œuvre cinématographique particulière. Ils condensent avec application la durée de leur voyage – qui se déroula du 14 au 18 octobre 2013 – afin que ce dernier devienne un instant de connivence, comme un jeu, dès le départ, entre les cinéastes et leurs personnages d’un côté, le film et ses spectateurs de l’autre. Pour servir l’objectif du cortège, les réalisateurs ont eu recours à un jeu cinématographique qui impose une élégance visuelle que l’on retrouve dans les images et les plans travaillés du film. De même, la musique du film – qui est essentiellement basée sur des instruments à percussion – et les intertitres précisant les noms des lieux traversés durant les différentes étapes du voyage contribuent à présenter un espace cinématographique irréel, factice mais aux détails soignés. Suivant la même logique, l’Europe dont ils ont entendu parler, l’Europe dont 17 des membres ont annoncé qu’ils accueilleraient des réfugiés, n’est pas celle qui existe réellement.
A travers ce travail, les trois cinéastes ont enfreint les lois en vigueur, les exposant à des poursuites judiciaires pouvant aboutir à des peines allant jusqu’à 15 ans de prison. L’équipe du film a eu recours aux éléments techniques habituels mais avec l’objectif délibéré de montrer que le cinéma a la capacité de truquer la réalité. Le cinéma devient ici un outil pour traverser le réel et rejoindre le rêve. Comme le décrivait Walt Disney : « Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire ».
Après le début du voyage, le temps réel s’enfuit, s’ouvrant sur de nombreux lieux et espaces sillonnés par les personnages du film. Depuis l’histoire d’Ahmad, qui s’est réveillé au milieu de cadavres durant son voyage où près de 250 corps ont été perdus en Méditerranée, jusqu’au récit que fait Tasmeen de ses souvenirs avec ses amis activistes et combattants dans l’armée libre au camp de Yarmouk. Tasneem – qui est arrivée d’Espagne pour jouer le rôle de la mariée dans la supercherie à laquelle elle a volontairement contribué – est elle aussi venue d’un autre lieu : celui du film Les Chebabs de Yarmouk, quand elle était encore à Damas et qu’elle passait son temps avec Hassan Hassan et ses amis sur les toits du camp de Yarmouk pendant le tournage de ce film.
Les variations de lieux durant le voyage du film accompagnent aussi les transitions entre les souvenirs de chaque personnage. Du camp de Yarmouk jusqu’à la patrouille côtière à Maltes ; du mariage auquel a assisté Gabriele à Alep en 2012 jusqu’à sa proposition concernant l’idée de Moi, je suis avec la mariée ; et du film Les Chebabs de Yarmouk jusqu’aux lieux cités dans les chansons qui les aident à patienter à mesure qu’ils se rapprochent du « rêve » nordique.
Les lieux s’entremêlent et bifurquent, les nouvelles du pays et de ses habitants se perdent. Ainsi, le père s’épuise afin d’obtenir le droit au regroupement familial pour sa famille, même s’il ne sait pas si le nombre de ses proches est resté le même que celui qu’il a en tête. Tous arrivent et le film s’achève. Restent les barils du système. Les gens continuent de fuir la Syrie « en payant des milliers de dollars pour mourir dans la mer », comme le dit l’un des personnages du film.
Le documentaire Moi, je suis avec la mariée suit un scénario prévisible. Il ne contient ni péripétie ni surprise. Tout ce qui arrive est attendu. La structure du film n’est pas classique : le drame vient de la difficulté qu’ont les personnages de rester en accord avec eux-mêmes alors qu’ils doivent jouer un rôle, du fait de leur confusion face à un univers inconnu et de la manière dont ils se confrontent aux éléments du monde « nouveau » à partir d’une langue, d’une musique, d’une manière de penser, etc. En revanche, plusieurs scènes tranchent avec le style général du film, comme la scène de lecture de poésie et celle du chant de Tasneem face à la mer, par exemple. L’unité du film – qui est construit dans la forme comme dans le fond sur l’idée de jeu – souffre de la présence de ces scènes.
Les cinq arrivants semblent participer à une mascarade ayant lieu dans un endroit étrange, qui n’a aucun lien avec les personnages, sauf à travers la supercherie mise en place. Les paradoxes se révèlent dans le caractère poétique des personnages, à travers leur spontanéité dans un cadre pourtant construit, leur rapport avec la réalité et leur attente concernant leur rêve. Le rêve se trouve peut-être ici dans la capacité qu’a le cinéma de changer la réalité.
A propos de la participation du film à la Mostra de Venise, Al Nassiry a précisé au journal alModon : « Notre rêve a franchi une nouvelle étape dans sa réalisation, dans un sens métaphorique, bien évidemment. Imaginez avec moi la situation: un immigrant fuit une guerre contre laquelle l’Occident n’a pas fait ce qu’il devait faire pour y mettre un terme. Il traverse la mer, souffre de la soif, de la faim et du fait que les Européens arrivent tardivement pour le sauver. Il arrive pieds nus et reste longtemps dans les camps de détention européens. Puis il s’en échappe mais les lois européennes lui interdisent de se rendre dans l’endroit sûr qu’il souhaite. Il se retrouve donc confronté aux passeurs qui sont des trafiquants d’êtres humains qui travaillent, en fait, grâce aux lois européennes ». Et à Al Nassiry de conclure : « Les immigrants qui sont arrivés pieds nus en Europe marcheront sur le tapis rouge du plus ancien festival cinématographique au monde ».
Peut-être que l’entrée des réfugiés à Venise, après leur traversée accompagnés de trois cinéastes qui ont commis un délit d’après la loi italienne, est une belle preuve que le cinéma est toujours capable d’action et de transgression. Car toi, « si tu peux le rêver, alors tu peux le faire ».

37e édition du Festival de Cinema de Douarnenez – Le reportage de nos envoyés spéciaux

37e édition du Festival de Cinema de Douarnenez. Peuples de l’Indonésie et sexualité pour interroger l’identité. [ Par Larbi GRAÏNE, publié le 20 août 2014 ]

10620964_10153062602637802_1870963673_n

Festival de cinéma de Douarnenez : Focus sur les peuples :

1. Hiandjing Pagou Banehote, sculpteur kanak

2. De l’intersexe avec Ins A Kromminga

3. Les Messagers de Hélène Crouzillat et Laetitia Tura

[Par Larbi GRAÏNE (redacteur) et Muzaffar SALMAN (photographe), publié le 25 août 2014]

m27

Douarnenez, troisième jour : les images de Muzaffar Salman

Crédit photo : Muzaffar Salman

Festival de Cinéma de Douarnenez, ce mardi en photos [Par Muzaffar SALMAN, le 26 août 2014]

Crédit photo : Muzaffar Salman

Muzaffar Salman raconte Dourmanez : le 5ème jour du Festival [le 27 août 2014]

Crédit photo : Muzaffar Salman

Crédit photo : Muzaffar Salman

Douarnenez : Quand la réflexion se conjugue avec l’ambiance festive :

1. Film en langue bretonne

2. Métier Traducteur / LSF, une remarquable percée

3. Les bénévoles à l’affût

[Par Larbi GRAÏNE (redacteur) et Muzaffar SALMAN (photographe), publié le 28 août 2014]

Crédit photo : Muzaffar Salman

Douarnenez, images d’un festival entre terre et mer  [Par Muzaffar SALMAN, le 1er septembre 2014]

 

Si Douarnenez m’était conté [Reportage réalisé par Larbi GRAÏNE, photos de Muzaffar SALMAN, le 12 septembre 2014]