HAÏTI – La liberté d’informer n’existe pas, journalistes en danger

En 2019, le sénateur haïtien Jean-Marie Ralph Fethière a tiré plusieurs coups de feu en direction d’un photojournaliste. Loin d’être des coups tirés en l’air, il a touché le photojournaliste au niveau de la mâchoire. Voilà un fait qui résumé la situation actuelle d’Haïti. Pour honorer la mémoire des journalistes assassinés dont les auteurs sont impunis, ainsi que le rôle des politiques, notre journaliste haïtien réfugié à la Maison des journalistes nous livre cet article passionnant.

La liberté d’informer en Haïti a coûté la vie à plus d’une dizaine de journalistes depuis le début du siècle.

“Le journaliste exerce librement sa profession dans le cadre de la loi” stipule la constitution haïtienne de 1989, article 28.1.

Le choix d’informer dans le cadre du métier de journaliste en Haïti a toujours été dangereux. Pourtant il y a eu un espoir après la chute du régime dictatorial des Duvalier (1957-1986) qui a causé la mort de plusieurs journalistes haïtiens et poussé bon nombre d’entre eux à l’exil après avoir été maltraités, emprisonnés et violés par les bras armés du régime qu’on appelait à l’époque “Tonton macoute”.

En effet, la fin de cette dictature en 1986 conjuguée à une nouvelle Constitution, celle de 1989, qui favorise la liberté de presse, donna de l’espoir à toute l’île. Les journalistes avaient alors l’ambition de faire leur travail en toute quiétude sans risquer leur vie et celle de leurs proches.

Une période cauchemardesque et angoissante pour la presse haïtienne…

Le 3 avril 2000, Jean Dominique, journaliste, commentateur politique et grand défenseur de la démocratie, est assassiné dans la cour de la station radio Haïti Inter.

Cet assassinat n’est pas anodin car Jean Dominique était l’un des journalistes les plus célèbres du pays. Ce meurtre montre à quel point tous les journalistes sont menacés et à quel point ces crimes restent impunis. Est-ce parce que la démocratie haïtienne est une dictature ?

3 décembre 2001 à Petit-Goâve, c’est au tour du journaliste Brignol Lindor de radio Echo 2000 d’être assassiné. Cette fois-ci, c’est à coups de hache et de machettes. Brignol Lindor s’était engagé pour la liberté de la presse au-delà de sa passion pour la culture.

A qui le tour ? Au journaliste et poète Jacques Roche, le 14 juillet 2005 à Delmas. Après 4 jours de kidnapping, son corps gisait par terre, troué de balles, les bras menottés, en short, torse nu.  Son cadavre portait aussi des traces de coups et de brûlures.

En 2007, tout s’accélère, trois journalistes sont tués :

  • Le photographe indépendant Jean-Rémy Badiau le 19 janvier à Port-au-Prince
  • Alix Joseph, le 16 mai aux Gonaïves
  • L’animateur de radio François Latour, enlevé et exécuté le 22 mai à Port-au-Prince, après une demande de rançon d’environ 100 000 dollars américains.

Journalistes tués, politiques complices

De 2007 à 2020, plus de 40 journalistes sont victimes de crimes impunis. Parmi eux, il y en a qui ont été assassinés, agressés, battus, dans le cadre de leur métier de journaliste.

En Haïti, ce n’est finalement rien de nouveau. Cela fait plus d’un demi siècle que les politiques organisent des répressions sur les journalistes et des cabales contre certains médias.

Espoir Emmanuel Cledanor est un ancien présentateur de radio en Haïti. Témoin oculaire du meurtre de son ami Brignol, il a accepté de nous parler de ce qui a précédé le crime. C’est toute une série de menaces auxquelles son ami faisait face et toutes ces menaces venaient du pouvoir en place.

Nulle surprise de savoir que des partisans du président Jean Bertrand Aristide, selon plusieurs sources, avaient, lors d’une conférence de presse une semaine avant l’assassinat de Brignol, listé les gens qu’ils allaient assassiner, liste dans laquelle le nom de ce dernier s’affichait.

Jean Oriel, ancien chef de sécurité de l’ex président Jean Bertrand Aristide, nous a laissé un témoignage posthume dans lequel il raconte comment le président Aristide a planifié avec ses proches l’assassinat du journaliste Jean Dominique.

Les rapports d’enquête ont poussé la justice à dresser des mandats à l’encontre de plusieurs proches du pouvoir mais sans suite.

Souvent les journalistes haïtiens font face à des menaces réelles qui viennent des politiques. Dès que les journalistes font leur travail d’analyse et d’information, ils sont menacés. Nous n’avons pas cité tous les journalistes tués, comme Rospide Pétion, assassiné le 10 Juin 2019 ou Néhémie Joseph assassiné le 10 octobre 2019, ou encore Vladimir Legagneur disparu le 4 mars 2018…

49ème en 2013, Haïti est tombé à la 62ème place au classement de la liberté de la presse en 2020. Bien que cette place soit relativement haute puisqu’il y a 179 pays dans ce classement, la vie des journalistes haïtiens est menacée dès qu’ils enquêtent et qu’ils défendent la liberté d’informer.

D’autres articles