Entrées par Rédaction

BÉLARUS. Trois photoreporters en exil témoignent (entretien)

 De gauche à droite : Kseniya Halubovitch, Violetta Savchits et Volga Shukaila devant la Maison des journalistes. Crédit : Hicham Mansouri

Elles s’appellent Violetta Savchits, Volha Shukaila et Kseniya Halubovitch. Trois photoreporters bélarusses en exil, venues à Paris pour le vernissage de l’exposition photo “Si près, si proche : Bélarus – un an de lutte” organisée à la Maison des journalistes (MDJ), et à laquelle elles participent. Entretien.

Vous êtes des photoreporters femmes en exil, et le thème de la femme est très représenté dans cette exposition. Les femmes au Bélarus sont-elles plus à risque ou bien sont-elles simplement plus courageuses ?

Violetta Savchits

Violetta Savchits : Les protestations féminines [de 2020, NDLR] ont eu un effet de surprise. Il y avait une sorte d’admiration de ces marches notamment dans les médias occidentaux leur donnant ainsi davantage de visibilité. Mais c’est aussi la conséquence d’un système patriarcal et sexiste ambiant. On a eu des scènes où des mecs sont battus par la police devant leurs copines qui, elles, ont été épargnées. Mais cela n’a pas duré longtemps. Dans les faits, la répression touche tout le monde, toutes les classes sociales, peu importe l’âge ou le sexe, même si la majorité des prisonniers politiques sont des hommes.

 

Qu’est ce qui dérange dans votre travail? L’aspect informationnel, émotionnel ou peut-être même militant?

Volha Shukaila

Volha Shukaila : Prenons l’exemple des deux filles sur cette photo. Elles ont réalisé des streams pour une chaîne de télévision bélarusse-polonaise, et ont été condamnées à des peines lourdes pour avoir “coordonné les manifestations”, en dirigeant les déplacements des manifestants. Je dirais donc que c’est surtout le côté information qui a dérangé, et ce pendant longtemps. Aujourd’hui, en révélant les violences policières que l’État tente de cacher, il y a un aspect émotionnel. Les photos parlent et constituent un facteur mobilisateur au travers des émotions véhiculées.

Kseniya Halubovitch

Kseniya Halubovitch : L’aspect émotionnel, en effet, est arrivé dans un second temps. Le côté émotionnel peut être interprété comme une forme de militantisme. Inquiétée un jour par le KGB, des officiers m’ont demandé si les sujets traités m’étaient imposés. J’ai répondu que non,  choisissant moi-même mes sujets et travaillant librement. Ils ont eu du mal à me croire. En tant que photojournaliste je ne fais que prendre des photos. J’ai déjà refusé de participer à une manifestation en 2020 pour conserver ma neutralité. Mais, à mon avis, c’est plus le combat pour l’information qui dérange, surtout que tout le monde peut aujourd’hui filmer ce qui se passe et envoyer aux médias ou en publiant soi-même. Un jour, la police m’a montré une vidéo amateur filmant une arrestation brutale, en me disant “des choses comme ça il ne faut pas filmer”.

Violetta Savchits

Violetta Savchits : La police combat le travail d’information sur les manifestations. La propagande minimise de cent fois le nombre des participants. Il est donc évident que les photoreporters soient

les premiers à être ciblés. Car ils montrent la réalité. La police a le feu vert pour arrêter toute personne qui filme, qu’elle soit journaliste ou pas.

Les peines contre les journalistes sont d’ordre sécuritaire et financier. Ces méthodes détournées de répression sont-elles plus efficaces?

Violetta Savchits

Violetta Savchits : les journalistes sont poursuivies et condamnées en vertu de l’article 23.34 du Code des infractions administratives (« violation relative à l’organisation ou au déroulement d’événements de grande ampleur »). Le code pénal est aussi instrumentalisé pour cibler les rédacteurs en chef notamment. Les peines sont d’ordre financier et sécuritaire. Concrètement, pour les médias extrémistes, cela commence par des amendes et va jusqu’à des peines de prison.

 

Que voulez-vous dire par “médias extrémistes” ?

Violetta Savchits

Violetta Savchits: Au Bélarus, tout média indépendant est considéré comme un média extrémiste (rires). Dans cette dictature ils te haïssent à tel point qu’ils te qualifient d’extrémiste avant de te coller un procès. Être journaliste extrémiste au Bélarus veut dire tout simplement que tu fais un bon travail. Chez nous, les mots “extrémiste” et “terroriste” commencent à perdre leur sens car la propagande les utilise sans cesse pour désigner les manifestants, les opposants et les journalistes critiques. Comme le dit l’Historien américain Timothy Snyder : « Les régimes autoritaires modernes, comme la Russie, utilisent des lois sur l’extrémisme pour punir ceux qui critiquent leurs politiques. De cette façon, la notion d’extrémisme en vient à signifier pratiquement tout sauf ce qui est, en fait, extrême : la tyrannie. »

Modern authoritarian regimes, such as Russia, use laws on extremism to punish those who criticize their policies. In this way the notion of extremism comes to mean virtually everything except what is, in fact, extreme: tyranny.” Timothy Snyder

Vivre en exil ne vous pousse-il pas, malgré vous, à devenir des opposantes et les porte-voix des opprimés au Bélarus?

Volha Shukaila

Volha Shukaila : C’est une question que je me pose chaque jour (rires). Je continue à m’identifier en tant que journaliste. J’ai toujours veillé à conserver ma neutralité. Par exemple, je ne scandais jamais les slogans quand je participais à une manifestation. Après mon exil forcé, je découvre que c’est de plus en plus compliqué. Je suis aussi un être vivant et je comprends mieux où se situent le mal et le bien. J’essaye de ne pas laisser les jugements personnels transparaître dans mes paroles et dans mes écrits sur les réseaux sociaux.

Kseniya Halubovitch

Kseniya Halubovitch : Avant les élections 2020, nous avons eu un show télé invitant des intervenants opposants à Loukachenko à débattre. Ce n’est plus possible aujourd’hui. La télévision en question a été fermée et l’équipe a été contrainte de fuir. Si un rédacteur en chef essaye de faire pareil il ne sait pas ce qu’il peut lui arriver. Il risque d’être arrêté. Il est donc difficile d’aller vers l’autre camp à cause du système totalitaire qui est en train de s’installer au Bélarus. Devant cette situation, je ne pense pas qu’on puisse prétendre à une neutralité. C’est comme dans le régime fascistes, les camps de concentration et les morts. On ne peut pas parler de ces sujets d’une telle atrocité en étant neutres mais en étant des êtres humains. Au Bélarus nous savons aujourd’hui que la torture est pratiquée. On ne peut pas mettre en relief la deuxième parole, qui est de la propagande, alors qu’on sait qu’il y a de la torture. La vérité te transforme et tu ne peux pas rester neutre.

Violetta Savchits

Violetta Savchits : Je garde toujours ma neutralité. J’essaye toujours de donner la parole à l’autre camp, y compris aux officiels. Je reconnais que c’est très injuste de quitter mon pays, mais j’essaie de ne pas infecter mon éthique journalistique. Bien sûr il impossible d’être neutre face à certaines situations comme la torture, mais, en même temps, si tu travailles avec les émotions tu ne peux pas donner la bonne information. Il y a toutefois un obstacle qui nous empêche de respecter cette éthique. On ne peut pas obtenir d’information officielle sans masquer notre identité. Est-ce qu’on ne peut pas franchir cette ligne pour s’adresser à eux sans s’exposer et prendre le risque? Autrement dit, qu’est ce qui est le plus important l’information ou l’éthique? C’est une question.

Kseniya Halubovitch

Kseniya Halubovitch : Un jour, la police m’a montré une vidéo de manifestants légèrement armés. La police voulait voir ma réaction, me provoquer. Je leur ai dit que vous êtes en train de me montrer une partie des évènements et que je ne peux pas répondre puisqu’on ne voit pas les scènes d’avant. Il est important de donner une information large et globale. Sans le contexte, la réception de l’information sera incorrecte et chacun l’utilisera à sa guise et afin de servir ses propres fins.

 

(*) Un grand merci à Alice Syrakvash, co-présidente de la Communauté des bélarusses à Paris, qui a assuré l’interprétariat de cet entretien.

 


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Devant une salle comble, la conférence de presse “Droit d’informer et droits fondamentaux au Bélarus” s’est tenue mercredi 15 septembre à la Maison des Journalistes (MDJ). L’événement s’inscrit dans le cadre de l’exposition « Si près, si proche : Bélarus, un an de lutte vue par les photojournalistes[1]» organisée par, la MDJ, la Communauté des Bélarusses à Paris, l’Institut Polonais de Paris et l’Ambassade de Lituanie en France.

Darline Cothière, directrice de la MDJ, ouvre cette rencontre en soulignant la symbolique de la date et du lieu. Coïncidant avec la journée internationale de la démocratie, cette rencontre est une opportunité pour “mettre en lumière la situation des droits humains au Bélarus et de rappeler l’importance de la démocratie pour l’équilibre de nos sociétés”. Darline Cothière relie ensuite les journalistes réfugiés accueillis à la MDJ aux exilés bélarusses. Accueillir ces femmes et hommes dans ce lieu emblématique, la Maison des journalistes, renvoie aux 210 250 personnes ayant abandonné le Bélarus en 2020 pour fuir la dictature.

Darline Cothière. © Ahmad Muaddamani

Faire entendre la voix des biélorusses en France et dans le monde

Les regards et les projecteurs se sont ensuite tournés vers l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, ancienne candidate à l’élection présidentielle d’août 2020 et épouse du célèbre youtubeur emprisonné Sergueï Tikhanovski. Cette professeure d’anglais est la bête noire du régime de Loukachenko, “le dernier dictateur d’Europe”.

Depuis son exil en Lituanie où est établi son QG, Svetlana Tikhanovskaïa tente d’organiser l’opposition en multipliant les déplacements et les “tournées diplomatiques”. Reçue récemment par Angela Merkel, Joe Biden et Boris Johnson, elle est arrivée mercredi dernier à Paris pour deux jours.

© Karzane Hameed

Depuis la Maison des journalistes, elle appelle la France et Emmanuel Macron à prendre des “mesures décisives pour résoudre la crise bélarusse”. Elle estime que “la voix forte” de la France au sein des instances internationales, -comme l’Organisation des Nations Unies, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ou encore le Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne-, est capable de faire de la question du Bélarus, “une des principales priorités de la politique mondiale”. Si Svetlana Tikhanovskaïa, alerte sur la répression exercée par le régime en place dans son pays, elle s’inquiète surtout de l’oubli de la cause des Bélarusses.

Arnaud Ngatcha, adjoint à la Mairie de Paris en charge des Relations internationales et de la Francophonie, et Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Mairie de Paris en charge des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, ont salué le travail de la Maison des journalistes tout en réaffirmant le soutien de la Mairie de Paris.

Arnaud Ngatcha et Jean-Luc Romero-Michel. © Ahmad Muaddamani

Romero-Michel considère que la question bélarusse est un sujet qui a été “malheureusement un peu oublié car une crise en fait partir une autre, aujourd’hui on a été très focalisé sur l’Afghanistan” tout en rappelant l’importance que les parisiens sachent ce qui se passe dans ce pays qui est “le seul sur notre continent qui légalise encore la peine de mort”. 

Michel Eltchaninoff. © Karzane Hameed.

Le journaliste et philosophe Michel Eltchaninoff va dans le même sens et qualifie la situation de “non-assistance d’un peuple en danger”. Il pense qu’il est important de s’interroger également sur “l’indifférence et l’impuissance” face à la situation terrible vécue par les Bélarusses. Mais “l’impuissance est souvent le produit de l’indifférence” conclut-il.

Christophe Deloire. © Ahmad Muaddamani

Secrétaire général de Reporters Sans Frontières, Christophe Deloire a salué le travail de Darline Cothière et d’Albéric De Gouville (président de la MDJ) via cette exposition. “La Maison des journalistes est aussi un lieu de mobilisation” affirme-t-il. Le Bélarus est le pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes. Le pays occupe la 158ème position dans le classement mondial de Reporters Sans Frontières.

A tour de rôle, les intervenants ont dressé le bilan accablant du régime de Loukachenko vis-à-vis de sa population et des droits de la presse.

[1] Découvrez les œuvres de 7 photojournalistes bélarusses sur les murs de la Maison des Journalistes du 9 septembre au 21 octobre 2021 et à partir du 15 septembre sur les grilles du jardin Villemin Mairie du 10ème arrondissement de Paris.


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Karzan Hameed, journaliste Kurde exilé, “ Il a toujours son nom : Irak, mais le pays n’existe plus” (#Portrait)

Journaliste depuis 20 ans, Karzan, 42 ans, est né au Kurdistan Irakien, région autonome rattachée à l’Irak. Pour s’être intéressé de trop près au clan Barzani dirigeant le Kurdistan Irakien, il a dû fuir le pays où sa vie était menacée. Résident en France, Karzan est aujourd’hui un des 14 résidents de la Maison des journalistes (MDJ). Portrait.

  •  Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la  Maison des journalistes. 

“Les Kurdes sont un peuple différent des turcs, des arabes et des perses. C’est une autre ethnie, différente.” explique Karzan à propos des Kurdes. “Nous avons deux dialectes, le kurmandji, parlé par les Kurdes syriens et turcs. En Irak et Iran, les Kurdes parlent soranî”, ajoute-il. Il explique que les Kurdes sont éparpillés sur quatre États : la Syrie, la Turquie, l’Irak et l’Iran. Selon lui, la population kurde compte environ trente millions de personnes, chiffre inférieur aux 44 millions officiels. Au moment de présenter les villes du Kurdistan Irakien telles Erbil, la capitale et Souleimaniye une autre grande ville, il s’arrête sur Halabja et n’oublie pas d’évoquer un douloureux épisode historique. Halabja, a été bombardée chimiquement parle gouvernement irakien en 1988, ce fût un génocide pour nous, comme un second Hiroshima.”

Karzan entame sa carrière de journaliste en 2000, en tant que reporter-photographe à Erbil, capitale du Kurdistan, puis à Bagdad de 2003 à 2005 où il est témoin de la guerre en Irak, puis de la violence d’Al-Qaïda. De 2005 à 2007 il est envoyé à Kirkouk, au nord de l’Irak. Sa maîtrise des dialectes kurdes et arabe lui est un atout précieux.

Pourtant rien ne le destinait à devenir journaliste. “C’est bizarre (rire). Avant d’être journaliste,  ce que j’aimais beaucoup c’étaient les livres. A 20 ans j’ai suivi une formation de six mois pour devenir chercheur en économie, sociologie, science politique.  À la fin de cette formation, un étudiant, Hendren Ahmed, qui travaillait dans un journal, m’a contacté et proposé de venir travailler avec lui. Je ne connaissais rien au journalisme et avais un problème avec l’écriture.  Il m’a dit “c’est facile on va t’aider.” Cet ami et collègue, Hendren Ahmed, journaliste réputé, est secrétaire du Conseil du Syndicat de la Presse du Kurdistan. “ Tout le monde l’appelait “boss”, mais il disait “ Je ne suis pas votre boss, je suis votre collègue !”, on l’appelait comme ça quand même”. La vocation de Karzan a débuté par cette amitié. Il affectionne alors particulièrement le métier de reporter, entre l’Irak et la province du Kurdistan.  “Après trois ans, ils voulaient mon aide au bureau. Mais je préférais être reporter. De plus, j’avais acquis de bonnes connexions avec des hommes politiques.”

“Une main avec le diable et une autre avec Dieu”

Karzan est au Kurdistan lorsqu’éclate la deuxième guerre du golfe en 2003. Il ne peut aller en Irak alors que la coalition menée par les Etats-Unis envahit le pays. Lorsque le régime de Saddam Hussein tombe, en mai 2003, Karzan rejoint l’Irak et parcourt le pays. Il assiste alors à la violence des affrontements entre les forces américaines et les groupes armés irakiens et terroristes. “J’ai travaillé à Bagdad, un jour je suivais l’armée américaine, l’autre je suivais l’Armée du Mahdi, milice islamiste chiite combattant l’occupation américaine. Quand tu fais ce métier tu as une main avec le diable et l’autre avec Dieu.” Il a également assisté à la violence des attentats d’Al-Qaïda à Bagdad. “ J’ai encore des photos, je peux vous les montrer mais attention, elles peuvent être choquantes.” prévient-il au moment de nous les montrer.  Sur l’une d’elles, on voit des blessés ensanglantés  être évacués en urgence à l’arrière d’une voiture . “Cette photo date de mai 2005 après l’explosion d’une voiture piégée, près du ministère de la défense. C’était après la deuxième guerre du golfe, lors des attaques d’Al Qaïda contre le nouveau gouvernement et les américains.” Il vend certaines de ses images aux agences de presse internationales et les autres sont envoyées à un média Kurde d’opposition pour lequel il travaille alors.

Karzan évoque ensuite ses ennuis avec les autorités en Irak. Il est arrêté une première fois en 2005. Alors qu’il a rendez-vous à Bagdad, une explosion se produit, il prend des photos de l’évènement.  “Retenu trois heures, ils m’ont demandé comment il se faisait que juste après l’explosion je sois là à prendre des photos.” Ce jour-là, Karzan devait interviewer un professeur d’université. “Ils ne comprenaient pas, pensant que j’étais en lien avec les terroristes, qui m’auraient appelé, ils ont voulu voir mon téléphone. Heureusement, mon numéro uniquement adapté au réseau du Kurdistan, ne fonctionnait pas en Irak”, ils finirent par le relâcher.  “L’officier pensait que je mentais. Moi je n’en savais rien, en tant que journaliste, j’ai juste eu de la chance d’être au ‘bon endroit au bon moment’ !”

Mais Karzan a aussi eu de nombreux ennuis avec la police du Kurdistan. “ La police au Kurdistan, ils t’arrêtent trois fois. La quatrième fois tu meurs. J’ai été arrêté deux fois, avant la troisième j’ai quitté mon pays. Ce n’est pas possible de parler de certaines choses, si tu parles de la famille Barzani tu es fini.” En 2007, lors d’une manifestation à Erbil, il est arrêté alors qu’il prend des photos sur lesquelles figurent des policiers. Il parvient à effacer les clichés de son appareil mais les policiers le gardent une semaine. “Ils ne te disent rien, ils te mettent juste en prison. Tu ne sais pas pourquoi. C’est comme une guerre psychologique.” Quelques jours plus tard, il est à nouveau arrêté lors d’une nouvelle manifestation au même endroit. Cette fois, les policiers retrouvent les photos et le gardent à nouveau une semaine. Ils lui ordonnent de ne plus prendre de photos de policiers sans leur accord. Il parvient à récupérer son matériel et s’en sort sans conséquence grâce à une relation du ministère de la défense. “Ils m’ont dit : ‘Très bien, tu peux sortir mais on te connaît, ton jour viendra.’”

Karzan intègre ensuite la rédaction de la chaîne de télévision Rudaw basée au Kurdistan irakien, de 2012 en 2016. Après 2016, il s’oriente vers l’aide humanitaire, “Je travaillais avec les réfugiés, syriens, irakiens, arabes, qui fuyaient Daesh. Je travaillais entre le Kurdistan et l’Irak, à Mossoul. On les aidait dans leur démarche, on écoutait leurs histoires, on leur apportait des soins.”

De la corruption à la répression pour faire taire les journalistes

Il explique qu’en 2018, alors qu’il travaille au Kurdistan, beaucoup de choses changent pour lui en tant que journaliste. Le nouveau premier ministre est Masrour Barzani, la famille Arzani tenant les rênes du Kurdistan irakien depuis plusieurs décennies. C’est là que les vrais problèmes commencent pour Karzan et ses confrères journalistes. “Le nouveau premier ministre vient des services secrets. Fils de l’ex-président, il n’aime pas la démocratie. Il règne d’une main de fer. Il ne croit pas au dialogue, ni à la liberté de la presse.” Il explique alors, qu’exercer librement son métier devient impossible, sept de ses amis et collègues journalistes sont arrêtés pour “espionnage” et “collusion avec des puissances étrangères”. “Après 20 ans que fais-tu ? Tu quittes ton travail ? Non c’est ton travail, c’est ta vie. Te battre ? Tu ne peux pas te battre, ils ont les militaires, ils ont le pouvoir. Tu es seul. De plus, tu as une famille. Et ils peuvent s’en prendre à eux, ils se fichent que ce soient des enfants ou des femmes…”

Pour autant, il explique qu’avant 2018, “il n’y avait pas de liberté, on ne peut pas dire qu’avant on avait la liberté et qu’on l’a perdue, c’est différent.” Avant la violence, c’était plutôt la corruption. “Lors du mandat du précédent premier ministre il y avait un peu de liberté. Il y avait des médias indépendants, radios, télévisions… Si tu parlais de politique, il venait, et il t’achetait, maintenant il n’y a plus ce type de business, seulement le silence.”

En 2019, face à l’impossibilité d’exercer librement son métier de journaliste, Karzan fait une demande de visa au consulat français à Erbil. En mai de la même année, il obtient son visa et arrive en France en juin 2019. “C’était rapide” commente-t-il. Il vit à Paris chez des connaissances puis à Orléans pendant plusieurs mois. A Paris, il rencontre quelqu’un de la Fédération internationale des journalistes qui lui parle de la Maison des journalistes (MDJ), il fait donc sa demande et trois mois plus tard il intègre la résidence.

Aujourd’hui, Karzan suit des cours de français auprès de la Croix Rouge mais aussi de l’association France terre d’asile et de la professeure de français bénévole de la Maison des journalistes. Il écrit toujours et fait des traductions de l’arabe vers le kurde pour un média en ligne Kurde, AVA today.  Son projet désormais est d’aller vivre dans le Sud-Ouest avec sa famille, composée de sa femme, sa fille de dix ans et son fils de cinq ans, restée à Erbil. “J’ai fait un dossier pour les faire venir. Je l’ai envoyé au consulat, j’ai passé des entretiens et je dois attendre peut-être quatre ou cinq mois. Mes enfants et ma femme pourront venir.”. Contrairement à lui, Karzan estime que sa famille n’est pas menacée, et espère pouvoir bientôt la faire venir en France.  Sa fille lui demande régulièrement quand ils pourront enfin se rejoindre. “Ma fille lit en français. Je l’aide, je lui apprends les nombres, les semaines, à se présenter, à dire son âge, je lui dis “je t’aime”, “ tu me manques”… On communique via Whatsapp ou Telegram.”

Karzan n’a pas l’intention de retourner dans son pays. “Non, honnêtement non. Je peux dire que l’Irak et le Kurdistan c’est fini.” Un constat pessimiste au premier regard “ Le Premier ministre a détruit la politique, l’économie, il veut installer une dictature.  Cela ferme toutes les fenêtres de liberté, peu à peu il détruit le pays.” Karzan explique que les Barzani, puissante famille d’Erbil descendant de Mustafa Barzani[1], règnent de manière quasi-monarchique sur le Kurdistan, au-delà les institutions officielles. “ C’est la famille du premier ministre, son père, son grand-père… Ils dirigent tout au Kurdistan. Ils ont des affaires en Irak, en France et ailleurs dans le monde, la fortune de la famille Barzani se compte en milliards de dollars !”

Quant à l’Irak, “Après 2003, l’Irak c’était fini. Il n’y avait plus de pays irakien, seulement des groupes armés.” Il explique alors longuement les maux dont souffre l’Irak, pays qu’il a sillonné comme reporter durant les périodes les plus violentes. Il affirme que le gouvernement officiel, à part une green zone, une enclave hautement sécurisée dans Bagdad, ne contrôle plus rien. Le pays n’existe plus en lui-même, “Il y a toujours le nom, Irak, mais le pays n’existe plus. Il n’y a que le Hezbollah et les autres milices armées sunnites et chiites.” Il explique alors que les manifestations de 2019 étaient le signe d’un peuple orphelin de sa patrie, partagée entre groupes armés et influences des pays étrangers. “En 2019 lors des manifestations, que demandaient les gens dans la rue ? Juste un mot, ‘Nous avons besoin d’un pays.’ ‘Nous avons besoin d’une terre.’ Où est leur pays ?” Quant à une solution provenant de l’État irakien, cela paraît bien illusoire pour Karzan. “Le premier ministre n’est personne ! Il ne pourrait rien changer, même s’il le voulait, les militaires ne l’accepteront pas. Les groupes armés diront peut-être ‘d’accord on accepte mais on veut tant de millions, on veut du pétrole, on veut ce business, ce marché etc..’. C’est impossible pour l’Irak. Tous les ministères sont soutenus par des groupes militaires”. Il rappelle que la vie pour le peuple irakien est un calvaire quotidien. “Tout est privé, il faut payer pour tout, payer, payer… Tout appartient à des compagnies, des entreprises… Les compagnies tiennent le pétrole, les écoles, les affaires, le commerce, etc.”

Cette situation décrite par Karzan, entraîne l’Irak depuis de nombreuses années dans une crise profonde, des conflits interminables et fratricides dont le pays ne semble pas près de voir la fin. “En 2007 les chiites et les sunnites s’entretuaient, maintenant les chiites se tuent entre eux. Au Kurdistan c’est pareil.” Karzan indique alors du doigt un livre de sa bibliothèque, Léviathan (1651). “Thomas Hobbes a écrit “ la guerre, de tous contre tous[2].” L’Irak n’a plus d’État, le pays est maintenant toujours en guerre, si tu veux voir la guerre, tuer des gens, va en Irak.” L’ancien reporter, ayant vu de ses propres yeux le drame irakien ne se fait pas non plus d’illusions sur la possible aide américaine ou occidentale. “Pour eux, c’est du business. Avant ils devaient négocier avec le pouvoir central Irakien, qui avait le contrôle des richesses. Maintenant ils peuvent le faire avec tous les groupes armés, c’est plus profitable.” La part de responsabilité américaine est selon lui indéniable, le “business” prime sur la reconstruction d’une démocratie en Irak. “Aujourd’hui ils t’aident, demain ils t’achèteront, ils s’en fichent, ils ne se soucient pas des réalités du pays.” Au moment de terminer notre entretien, il clôt la question par un constat clair : “ L’Irak meurt car  déchiré entre les militaires, le Kurdistan meurt car sous le joug d’un seul homme.”

 

[1] Mustafa Barzani est le principal chef du mouvement national kurde d’Irak au XXᵉ siècle. Il est le président-fondateur du Parti démocratique du Kurdistan et un symbole de la cause kurde.

[2] Bellum omnium contra omnes : « la guerre de tous contre tous », est la description que Thomas Hobbes donne à l’existence humaine dans l’expérience de pensée de l’état de nature qui le conduit au Léviathan.

 

 


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Merdan Eheteli : “C’est une guerre entre l’identité chinoise et celle du Turkestan Oriental ” (Entretien)

Poète ouïghour réfugié en France, Merdan Eheteli vient du Xinjiang où se déroulent actuellement des violences inouïes à l’encontre des Ouïghours qui peuplent la région. Résident de la Maison des journalistes, engagé dans la lutte pour l’indépendance du Turkestan Oriental, il explique en quoi les violences qui s’y déroulent ne sont pas le fruit de l’oppression d’une minorité ethnique mais de la volonté de Pékin d’achever le processus de colonisation d’un peuple et d’un territoire à l’identité bien distincte de la Chine. 

  •   Propos recueillis par Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la  Maison des journalistes. 

Merdan est poète, il est né dans la ville de Khotan en 1991, puis est parti en 2013 faire ses études à Pékin. Passionné de littérature, il souhaite quitter la Chine. En tant qu’étudiant à Pékin, il bénéficie d’un passeport et fait une demande pour étudier en échange universitaire à Chypre en 2016.
Une fois là-bas, il abandonne ses cours après quelques mois puis supprime ses comptes sur les réseaux sociaux chinois sur lesquels les agents de la sécurité intérieure chinoise le traquent et le questionnent sur son activité à Chypre. En 2018, il part en Serbie où il crée un groupe de musique avec ses frères et anime un salon littéraire. Il participe à des conférences en Serbie mais aussi en Turquie. Les autorités chinoises le pressent de récupérer ses papiers à l’ambassade de Chine à Belgrade et de rentrer en Chine. 

Après trois ans en Serbie,  il obtient en 2020 un visa pour la France grâce aux démarches entreprises par l’Institut Ouïghour d’Europe, basé à Paris, en accord avec le ministère des affaires étrangères. Arrivé en France en mars 2021, Merdan vit chez des amis durant trois mois puis il intègre finalement la Maison des journalistes en juin 2021


Vous dites venir du Turkestan Oriental et non du Xinjiang, quelle différence ? 

Je viens du Turkestan oriental que l’on appelle maintenant le Xinjiang, mais les habitants du Turkestan n’utilisent pas ce nom. C’est le nom donné par les colonisateurs, par les Chinois. Ça signifie “colonie” en ancien chinois et “nouveau territoire” en chinois moderne.  Je suis né dans le sud du Turkestan oriental, dans la ville de Khotan. Une fois l’occupation chinoise installée, la politique de région autonome a divisé notre territoire en deux : le sud et le nord. Le nord a reçu beaucoup de soutien économique, il y a beaucoup de ressources énergétiques là-bas, il y a une politique économique. La partie sud c’est un désert, après 50 ans nous sommes devenus la région la plus pauvre contrairement à la partie nord. 

Pourquoi avoir quitté la Chine ? 

Petit, j’avais le rêve de devenir artiste ou poète. Mais pour les habitants du Turkestan oriental c’est difficile, nous vivons sous la surveillance d’un état policier, la présence de la police est partout. Il n’y a pas de liberté d’expression, pas de liberté tout court. 

Je rêvais donc d’aller à l’étranger, de voir le monde, de fuir la Chine. Je n’étais pas visé personnellement mais je ne me sentais pas libre en général. Je voulais fuir le régime. C’était comme vivre derrière un mur. Après deux ans d’études d’informatique, je ne voulais plus étudier, je voulais partir de Chine. Alors j’ai demandé à aller étudier à l’étranger, ce qui ce qui m’a donné enfin l’opportunité de fuir car en tant qu’étudiant à Pékin j’avais droit à un passeport. Il faut de nombreuses années aux habitants du Turkestan Oriental pour avoir un passeport normalement. 

Merdan à Istanbul durant la conférence ”Transcript of Contemporary Poetry Symposium” 2018.

Que se passerait-il si tu retournais en Chine?

Je serai tué ou emprisonné. Si je rentre à l’aéroport, des officiers de police vont venir me prendre et me poser des questions. Si j’ai de la chance je vais seulement être détenu une à deux semaines, sinon je vais être envoyé dans les camps de concentration ou même aller dans un camp où je serai être tué directement.

Pour quel motif officiel ? 

Avoir fui à l’étranger, “fugitive abroad” est le terme officiel.

Pourquoi as-tu fait une demande à l’ambassade française ? 

Vous connaissez Dilnur Reyhan [présidente de l’Institut ouïghour d’Europe, IODE]? C’est une femme qui passe beaucoup dans les médias. L’Institut a des accords avec beaucoup de gouvernements, il y a un programme avec le gouvernement français. Si l’Institut souhaite rapatrier quelqu’un en France, il peut s’adresser à l’administration française. 

Elle est venue à l’Elysée, elle a discuté avec le ministère des affaires étrangères, pour permettre d’accueillir des Ouïghours coincés dans certains pays dans le monde. Elle a évoqué mon cas comme exemple. En effet, à ce moment-là, après avoir quitté Chypre sans l’autorisation des autorités chinoises j’avais rejoint la Serbie où j’étais bloqué, je n’avais plus accès à mes documents officiels. 

L’Institut Ouïghour d’Europe a donc transmis ma situation au ministère qui a contacté l’ambassade de France en Serbie. Il y a eu tout un procédé pour faire une demande de visa. Trois mois après, ils m’ont appelé pour me dire que mon visa était prêt. 

Pourquoi avoir choisi la France ? 

Pour deux raisons. Tout d’abord, Paris est une ville de poésie, ce qui est important pour moi en tant que poète. L’autre raison, c’est l’aspect politique. Mon opinion politique est que la France est une république moderne et c’est un idéal pour beaucoup de pays. C’est ici que les idées de droits de l’Homme sont nées. Je pense que la République est la meilleure voie pour les sociétés humaines et pour la liberté, tout cela a été construit il y a deux cents ans en combattant. Les autres pays n’offrent pas cette possibilité d’accueil, même l’Allemagne que j’aime pourtant pour la philosophie.

Que souhaites-tu faire maintenant que tu es en France ? 

Pour l’instant mon premier objectif est de finir mon livre qui traite de la poésie classique ouïghoure. Ensuite, je veux étudier le français. J’ai également des objectifs sur l’aspect politique : donner des conférences, essayer de faire des travaux d’éducation politique dans notre communauté, pour la liberté d’expression, la démocratie, etc. C’est important de savoir ce qu’on peut faire, sur quoi on doit se focaliser et comment construire notre pays. C’est une immense tâche, c’est trop pour un seul homme, nous devons le faire ensemble. Mais je suis venu ici pour profiter d’une atmosphère saine où j’ai le droit de m’exprimer, pour respirer l’air démocratique si l’on veut.

Tu veux donc continuer de mener ton combat ? 

On peut appeler cela “un combat”, mais c’est un combat de l’esprit, je ne suis pas terroriste (rire). Je veux montrer le problème sous le vrai aspect. 

Tu penses qu’on ne voit pas la question Ouïghour sous son “véritable aspect” ? Pourtant on en parle beaucoup en ce moment…

Maintenant les gens font attention à la cause des Ouïghours mais ce n’est pas que le problème des Ouïghours. Il ne s’agit pas uniquement d’une crise de droits humains, c’est un problème pour tous les peuples opprimés par les han. Le gouvernement chinois n’agit pas de la sorte parce qu’on est simplement des Ouïghours, et que nous sommes minoritaires. 

Il agit ainsi parce que nous sommes un peuple du Turkestan, nous ne sommes absolument pas chinois. Ils veulent nous intégrer, ils veulent finir le processus de colonisation. Mais nous ne sommes pas chinois ! 

Ils ont échoué à résoudre le problème de la colonisation lors des 70 dernières années passées. Ils emploient donc, depuis trois ans, la manière forte. Ils tuent, déportent, etc. 

C’est une guerre entre deux identités. Ce n’est pas la guerre des Ouïghours, c’est la guerre entre l’identité chinoise et celle du Turkestan oriental. 

 

Merdan à Chypre, 2017.

Donc le problème n’est pas que les Ouïghours sont une minorité religieuse ? 

Ça n’a rien à voir avec le fait que les Ouïghours sont musulmans, ce sont des bêtises. Sinon comment expliquer ce qui se passe au Tibet ? Ils sont bouddhistes et il leur arrive la même chose. La Chine est un empire à mes yeux, au Tibet, en Mongolie ils font un processus de colonisation. Ils veulent que ça se termine, que ces terres annexées deviennent des territoires chinois mais ça n’arrivera pas, car nous ne sommes pas chinois, c’est aussi simple que ça. 

Et ils n’ont pas encore réussi ce “processus de colonisation” ? 

Ils n’y arrivent     pas jusqu’à présent mais ils veulent que ça réussisse par la manière forte. Ils n’ont pas d’autres moyens de le faire. La Chine a ses propres ambitions pour l’avenir, le président Xi Jinping a parlé en 2013 du “rêve chinois”. Nous sommes un problème pour l’achèvement de ce rêve car nous ne le partageons pas. Nous n’avons pas ces objectifs d’enrichissement, de développement, de bonheur du peuple ou de communisme, on s’en fiche de tout ça. Nous voulons juste l’indépendance et la liberté. Nous voulons seulement des droits politiques, notre souveraineté politique et non pas être les citoyens d’un autre pays. 

Quel est l’intérêt économique de la Chine à concentrer tant d’efforts sur le Turkestan ? 

Il y a une importante route qui passe par notre région. Notre région sera traversée par le projet des “nouvelles routes de la soie”, ce sera le point de départ de ce nouvel axe vers le continent Eurasiatique. 

Donc, d’abord ils doivent maintenir le calme dans cette région stratégique, rien ne doit arriver qui puisse perturber les futurs échanges. Il y a deux ou trois ans, un haut gradé de l’armée a donné la consigne suivante aux autorités locales : “faites juste en sorte que rien n’arrive et vous pouvez faire ce que vous voulez”. 

Ils veulent juste qu’il y ait la paix, pas une réelle paix, une paix de cimetière. Ils veulent que rien ne vienne déranger le processus économique dans la région. Pour la Chine c’est si important, nous sommes à la frontière de beaucoup de pays. Si la Chine perd notre territoire, elle peut aussi perdre les autres territoires colonisés, qui sont des territoires frontaliers, et ce serait une énorme perte.

Le Turkestan oriental recèle sans doute d’importantes ressources stratégiques pour la Chine ? 

Premièrement, nous avons beaucoup de pétrole. Une grande production de coton également. Il faut savoir que 80% du coton chinois vient du Turkestan oriental. Il y a aussi d’immenses cultures de tomates. Dans le Xinjiang, la Chine produit aussi beaucoup de charbon et de gaz naturel. Sans oublier la main-d’œuvre à faible coût qui y est disponible. Il y a donc beaucoup de raisons pour que la Chine se concentre sur le Turkestan oriental. 

Ils ont toujours peur qu’il y ait une révolution contre la Chine dans les régions colonisées. Quoi qu’il se passe dans notre région, ils veulent que les gens ne fassent pas de bruit, les autorités ont carte blanche pour tout, elles peuvent faire ce qu’elles veulent du moment que rien n’émerge. 

Le fait que la cause Ouïghour ait émergé dans le débat public te semble augurer des progrès ? 

C’est important d’en parler. Les gens commencent à faire attention, mais ils ne comprennent pas réellement le problème. Nous étions un pays indépendant, nous avions un drapeau, des armes, nous combattions la Chine. 

Le Guomindang a tout d’abord obtenu des accords avec la Russie Soviétique pour occuper le Turkestan oriental dans les années 1940. En 1944 il y eut une rébellion contre l’occupant chinois et nous commencions à construire notre République dans le Nord du Xinjiang libéré, avec le soutien des soviétiques. Mais en 1949, après l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste Chinois,  l’Armée populaire de libération a annexé notre territoire par la force. 

Ils ont prétexté “nous venons pour administrer votre pays”, “nous sommes vos frères” et plein d’autres mensonges. Ils ont commencé par dissoudre notre propre armée puis ont tué nos leaders. Environ 200.000 personnes sont mortes les premières années d’invasion. Ce sont les chiffres officiels, je pense donc que c’est plus. Le taux de natalité a baissé de 40% ces trois dernières années. Ce que nous voyons aujourd’hui n’est qu’une part de ce qui se passe. Ce n’est pas qu’une histoire de camp de concentration qui a commencé il y a trois ans mais une occupation qui dure depuis 70 ans. 


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