IRAN. Élection présidentielle : Aggravation de la crise hégémonique et du contrôle politique

A quelques jours des élections présidentielles prévues en Iran le 18 juin, le Conseil des gardiens de la Constitution (un organe non élu opérant sous les auspices de Khamenei chef suprême du régime) a évincé, le 25 mai, tous les candidats rivaux crédibles d’Ebrahim Raïssi, candidat favori de Khamenei.

Ebrahim Raïssi, chef du système judiciaire iranien, a été l’un des quatre membres du « Comité de la mort » lors de l’extermination en 1988 de milliers de prisonniers politiques. Désigné par les Iraniens comme le « juge de la mort », il figure sur la liste des personnes sanctionnées par le Département du Trésor des États-Unis depuis 2019.

Parmi les évincés, figurent des responsables de la République islamique dont l’ex-président Mahmoud Ahmadinejad (2005 – 2013), Eshaq Jahangiri, premier vice-président, Hassan Rouhani, président sortant, et Ali Larijani, ancien commandant des IRGC [Corps des Gardiens de la révolution islamique] et ancien président de l’Assemblée consultative Islamique.

L’éviction des candidats à la présidence est une pratique courante en Iran. Seuls les très fidèles du régime passent le filtre du Conseil des gardiens de la Constitution. Mais le limogeage de représentants de factions proches de Khamenei lui-même, reste paradoxal.

ISNA.IR, Ebrahim Raïssi, le candidat préféré du Guide suprême parmi ses partisans.jpg

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Le point de vue développé dans cet article est qu’éliminer les rivaux du candidat favori du régime soit la seule alternative pour sa survie. Ainsi, les récentes interventions du régime pour exclure du pouvoir certaines de ses factions, ne sont pas des événements exceptionnels mais constituent une tendance à long terme en réponse à la crise hégémonique croissante.

Cette montée élèverait un rempart contre la société iranienne, toujours au bord de l’explosion. Cette société ayant choisi la voie des manifestations de rue comme lors des deux derniers soulèvements de janvier 2018 puis novembre 2019.

La mère des crises

Au cours des quatre dernières décennies, le nom de la République islamique a été associé, par les analystes politiques, à une combinaison de crises, de sorte que son existence même est clairement définie selon le type, l’ampleur et la gravité des crises auxquelles elle est confrontée.

Cette crise considérée comme un état instable, résulte de la perturbation et du dysfonctionnement d’un système politique pouvant ébranler sa stabilité et son équilibre. Au-delà d’un certain palier, un changement définitif peut en résulter.

Certains théoriciens de l’Etat considèrent que celui-ci a trois fonctions fondamentales. La plus importante est de créer la cohésion dans le bloc du pouvoir et d’exercer une hégémonie idéologique. En d’autres termes, la tâche la plus importante de l’Etat (quelle que soit la nature sous-capitaliste de la « République islamique ») est d’organiser et de donner une cohérence politique aux classes dirigeantes.

La crise hégémonique en tant que crise structurelle a coïncidé avec l’établissement de la République islamique, ainsi, après seulement deux ans et demi de présence, du 13 février 1979 au 20 juin 1981, la faction libérale a été complètement évincée du pouvoir.

Plus tard, en écartant M. Montazeri,- (seul ayatollah à s’indigner du massacre de prisonniers politiques à l’été 1988)-, de la succession de Khomeiny, ce qui était visé était la cohésion et l’uniformité après la mort du fondateur du régime.

La présidence du fondateur de la République islamique, bénéficiant toujours du potentiel laissé par une révolution populaire, n’a pas donné d’occasions d’enflammer les contradictions entre les différentes factions du bloc de pouvoir. La bourgeoisie commerciale, le clergé, les gardiens de la révolution et les forces de sécurité formaient un bloc.

 

La poursuite de la guerre catastrophique avec l’Irak (1980-1988) a été un facteur d’unification interne du système, limitant ces conflits. Mais la mort du fondateur du Velayat-e Faqih en 1989 a eu un effet ravageur sur l’embrasement de ces contradictions les années suivantes. Cette disparition a définitivement privé le régime du rétablissement de l’hégémonie idéologique dans le bloc du pouvoir.

À la lumière des travaux de théoriciens de l’État, nous pouvons affirmer que la crise hégémonique en Iran découle de l’incapacité à créer une cohésion entre les factions composant le bloc du pouvoir. Dans la mesure où aucune de ces factions n’est dans une position hégémonique, l’État est confronté à des lacunes et des conflits irréconciliables.

Selon des théoriciens et des commentateurs de la théorie de l’hégémonie presque tous inspirés par les travaux d’Antonio Gramsci, ce n’est que dans l’ombre de l’hégémonie idéologique que le pouvoir dominant est en mesure d’attirer le soutien et la coopération d’autres puissances et de les adapter à son système. En raison de cette incapacité structurelle, le régime est incapable de remplir les deux autres fonctions vitales : (i) empêcher l’unification des forces et des classes dominées, et (ii) mobiliser les forces politiques et idéologiques partisanes.

Le régime n’est plus en mesure de créer de différences entre les classes dirigeantes et de monter différentes sections de la société les unes contre les autres, cela été démontré dans la solidarité et l’unanimité des classes dominées au cours des soulèvements sanglants de décembre 2017-janvier 2018 et novembre 2019. Durant ces événements, plus de 200 villes, à forte diversité culturelle, ethnique et religieuse, se sont soulevées

Il convient également de mentionner la longue série de grèves quotidiennes, de manifestations syndicales et politiques et des efforts inlassables des travailleurs pour organiser et former des syndicats clandestins dans des conditions d’oppression. Ce sont bien les signes que les contradictions d’une grande partie de la société avec le pouvoir en place évoluent vers l’antagonisme.

Quant à l’échec du régime à mobiliser politiquement ses forces de soutien traditionnelles, forces extérieures à la lutte de classe dans le bloc du pouvoir (dans son sens marxiste : la petite bourgeoisie et la paysannerie) et sa reproduction idéologique, les deux derniers soulèvements l’attestent

Le mythe de la base partisane de la République islamique parmi les classes inférieures de la société notamment les bidonvilles et la périphérie de la capitale, s’est effondré. Ces zones, ainsi que les petites villes de tout l’Iran étaient impliquées dans le centre du conflit.

L’afflux des classes populaires dans les manifestations anti-régime sanglantes et les slogans scandés par les manifestants en Novembre 2019 notamment, ont contraint Khamenei à proposer une nouvelle définition du mot « opprimés » (Mostazafin) le 26 décembre de la même année. « Mostazafin» est le mot le plus largement utilisé pour s’adresser à la classe défavorisée ou ” va-nu-pieds” selon la rhétorique du régime de Khomeiny. Khamenei redéfinit désormais les Mostazafin comme les « Imams et dirigeants potentiels du monde humain » Ce discours était une reconnaissance claire de l’absence de base de classe revendiquée par le régime.

La somme de ces trois échecs dans l’analyse de l’État conduit à une « crise du contrôle politique », explication la plus claire de la situation actuelle du régime. Situation renvoyant spécifiquement à la crise politique dans la société, situation dans laquelle toutes sortes de crises peuvent se multiplier et créer une synergie.

La nature de la crise

La faction ayant toujours le dessus dans ce fragile équilibre, – le corps des Pasdaran (IRGC) et de Khamenei-, est la plus consciente de la nature et de la profondeur de la crise actuelle.

Le conflit au sommet de la pyramide du pouvoir, comportant une mafia de clercs, de gardiens de la révolution, de forces de sécurité et d’une partie de la bourgeoisie commerciale, s’est réellement intensifié.

Peut-être plus que l’éviction d’Ali Larijani, celle des cinq autres candidats occupant des échelons supérieurs des Gardiens de la révolution, caractérise clairement l’ampleur de la crise. L’annonce de ces candidatures fut le premier signal de la rupture avec la machine répressive, son manque d’intégration voire une coercition interne entre rivaux.

Par ailleurs, elle a révélé comment ces candidats ont servi les intérêts de certaines puissances politiques et économiques qu’ils représentent au sein du Corps des gardiens de la révolution.

Par conséquent, il semble qu’un changement qualitatif et décisif se soit produit dans le système de contrôle de ces contradictions : les factions dirigeantes du régime se sont battues dans le passé, et ce mécanisme de partage des conflits est largement sous le contrôle et l’influence de Khamenei. Khamenei lui-même, – au moins depuis les élections de 2009 -, est devenu partie prenante dans ces conflits.

 Les conflits brutaux pour des intérêts politico-économiques spécifiques dans le cadre de relations de pouvoir, et les titres communs de fondamentaliste, réformiste, modéré, technocratique, etc., en sont la représentation idéologique.

Réponse à la crise

Le régime Velayat-e-Faqih a trois options pour répondre à la crise hégémonique et tenter de réduire les conflits au sein du bloc de pouvoir : éliminer les factions rivales, impliquer une partie des factions rivales en apportant des contributions économiques et politiques, et enfin, harmoniser afin de créer une coordination des revendications des factions belligérantes.

La première option a toujours été choisie au cours de ces quatre dernières décennies. D’où la politique d’élimination, de chirurgie ablative. En bref, «la contraction » du bloc de pouvoir est le monisme qui régit le comportement du régime.

Le régime a été contraint d’accepter (sous la pression) cette ligne dite de l’« expansion » suite à deux évènements historiques. Le premier a conduit à la scission du régime en 1997 avec l’arrivée au pouvoir de Mohammad Khatami et l’acceptation de la faction évincée après la mort de Khomeiny. Cette rupture ayant conduit à des soulèvements populaires (protestations étudiantes de 1999 et ses conséquences) et une guerre de factions au sein du régime.

En 2005 avec l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, les mollahs tentent d’unifier et combler le fossé dans le bloc de pouvoir, bien qu’Ahmadinejad ait évincé la faction rivale, son deuxième mandat a conduit à de nouvelles divisions au sein de la soi-disant faction conservatrice.

Pour la deuxième fois, lors de l’élection présidentielle de 2013, le régime a dû renoncer à son programme nucléaire pour conclure un accord nucléaire avec l’Occident, se tournant vers une version légèrement modifiée de Khatami : Hassan Rohani et l’ancienne faction de Hashemi Rafsandjani.

Mais le deuxième mandat de la présidence de Rohani, surtout sous l’influence des changements géopolitiques résultant de l’élection de Donald Trump, a intensifié les conflits au sein du régime à tel point que cette fois Khamenei et les autres dirigeants du régime ne cachent pas leur volonté d’établir le gouvernement. Il apparaît que l’approche d’apaisement des tensions avec les États-Unis (pas même la normalisation des relations) conduira à un recul significatif du régime dans certains domaines vitaux. En fait, ce que le régime veut dans sa situation déplorable actuelle, est une levée significative des sanctions, la vente libre de son pétrole et l’acquisition de « cash ». Mais l’Occident, dirigé par les États-Unis, veut faire plus (développement du programme de missiles, soutien aux groupes terroristes ou fondamentalistes, interventions régionales …), et implique de poursuivre une politique d’ouverture et de changement dans les stratégies constructives de la République islamique, ce qui déclenchera davantage de conflits internes.

Selon certains analystes sur l’Iran, accepter un nombre important de demandes occidentales signifierait non seulement abaisser l’équilibre des pouvoirs du régime dans la région mais aussi réduire l’équilibre des pouvoirs du régime avec la société explosive de l’Iran.

En d’autres termes, à la fois la politique de réduction des tensions avec l’Occident et l’ouverture (avec l’escalade des conflits internes) dans le contexte susmentionné enverra un message de faiblesse et conduira à une explosion dans la rue.

Khamenei en est conscient. Ses tentatives d’éviction d’un potentiel futur président gênant est une tentative pour restituer un minimum de cohésion interne. La probabilité de la mort de Khamenei (82 ans) et la question critique de sa succession est un autre facteur important amplifiant la nécessité de cette cohésion.

Comme nous l’avons dit, dans les deux cas, le nouvel arrangement politique du régime est un barrage contre la société explosive et le danger d’un soulèvement. Un danger connu de tous y compris de Mahmoud Ahmadinejad (ancien président du régime).

Actuellement, pour les ayatollahs, toutes les autres questions tournent autour de cette préoccupation majeure.

Par Rasoul Asghari journaliste et analyste politique iranien

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Biélorussie. La répression brutale d’un régime de plus en plus isolé.

Depuis le 9 Août 2020 manifestations et contestation s’enchaînent en Biélorussie à l’encontre du président Loukachenko suspecté de fraude électorale qui le maintient au pouvoir. La répression continue et affiche un visage toujours plus brutal. Dernièrement un avion transportant un journaliste d’opposition a été contraint d’atterrir sur le sol biélorusse, un opposant a tenté de se suicider au cours de son procès au début du mois. Mais derrière la férocité de ce régime quasi-dictatorial se cache un pouvoir vacillant, de plus en plus dépendant d’un allié russe qui le voit presque comme un fardeau.

  •   Par. Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Depuis le 9 Août 2020 manifestations et contestation s’enchaînent en Biélorussie à l’encontre du président Loukachenko suspecté de fraude électorale qui le maintient au pouvoir. La répression continue et affiche un visage toujours plus brutal. Dernièrement un avion transportant un journaliste d’opposition a été contraint d’atterrir sur le sol biélorusse, un opposant a tenté de se suicider au cours de son procès au début du mois. Mais derrière la férocité de ce régime quasi-dictatorial se cache un pouvoir vacillant, de plus en plus dépendant d’un allié russe qui le voit presque comme un fardeau.

Le gouvernement biélorusse multiplie les scandales

Parmi les derniers épisodes de brutalités à l’égard de ses opposants, il y a évidemment le scandale international de l’avion détourné. Le 23 mai, un vol commercial Ryanair survole la Biélorussie, intercepté par les autorités biélorusses il est forcé d’atterrir. Le prétexte étant un risque d’attentat à la bombe, mais les faits sont que Roman Protassevich un journaliste et militant d’opposition, et sa compagne Sofia Sapega ont été arrêtés, et détenus arbitrairement par les autorités. Les réactions d’indignations ont été nombreuses, propulsant Roman Protosevich à l’international comme symbole de la cause du peuple biélorusse. Ce journaliste militant d’opposition, de 26 ans, est toujours détenu arbitrairement par les autorités biélorusses. Les réactions diplomatiques n’ont pas tardé. L’Union européenne a fermement condamné cette action, puis établi des sanctions économiques contre la Biélorussie et travaille à de nouvelles mesures. Lundi 31 mai, le commissaire européen Thierry Breton déclarait à l’AFP que ce détournement était “un acte de piraterie d’état” et a déclaré que l’Union Européenne se concertait quant à des sanctions économiques supplémentaires contre la Biélorussie.

Le Kremlin soutient le régime Biélorusse. Vladimir Poutine a reçu à Sotchi le 28 mai son homologue biélorusse. Au cours de cet entretien public, le président russe a réaffirmé son soutien à son allié, indiquant être “en train de construire une union” avec la Biélorussie, et estimant la demande de l’Union Européenne de contourner l’espace aérien biélorusse d’“irresponsable”, ne voyant aucune raison de douter du gouvernement biélorusse.

Enfin, l’ultime épisode marquant de la répression biélorusse s’est déroulé au cours du procès de l’opposant Sciapan Latypov, qui a tenté de se suicider au cours de l’audience du 1er juin. Selon l’ONG Viasna de défense des droits humains, il faisait l’objet de brutalité et de tortures régulières de la part des autorités biélorusses depuis son arrestation en septembre 2020, pour organisation de mouvements de contestation du pouvoir en place. Sa famille a également été la cible de menaces du régime.

Ces évènements de répression brutale font suite au vaste mouvement de contestation qui traverse le pays depuis près d’un an.

L’origine de la contestation

Avant les manifestations d’août 2020, le régime semblait s’être quelque peu relâché en autorisant l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa à se présenter à l’élection présidentielle. Celle-ci a acquis  de nombreux soutiens et  lancé des appels à manifester contre le régime, notamment lorsque son mari a été arbitrairement emprisonné par le gouvernement. Elle a fait pour promesse de campagne d’instaurer de véritables élections démocratiques. Le 9 Août 2020 des manifestations sont organisées en Biélorussie après les résultats du scrutin de l’élection présidentielle donnant à 80% des votes, la victoire au président sortant, Alexandre Loukachenko.

Protestation en août 2020

La volonté des manifestants étant de contester les résultats d’une élection frauduleuse et irrégulière qui le donne gagnant face à la candidate d’opposition, pratique qu’il exerce régulièrement depuis 1994. Les manifestations se poursuivent désormais régulièrement depuis près d’un an, de même que la violence de leur répression. Le mari de Svetlana Tikhanovskaïa est toujours en prison en Biélorussie et elle, menacée, vit en exil en Lituanie. L’État biélorusse ne cède pas face à la contestation et confirme par là son statut de “dernière dictature en Europe”.

Une dictature en Europe

En 1990 la Biélorussie sort de l’Union soviétique, quatre ans plus tard, A. Loukachenko est élu après deux ans de parenthèse démocratique, réprimée par le pouvoir.  Élu avec 80% des voix,  Alexandre Loukachenko jette les bases de son régime autoritaire, modifiant la Constitution au profit du président, étendant ses pouvoirs à sa convenance. Depuis cette première accession au pouvoir, le régime accumule les accusations de fraude électorale et d’atteinte aux libertés fondamentales, perpétuant les méthodes anti-démocratiques de la période soviétique. Loulia Shukan, maîtresse de conférences en études slaves à Paris-Nanterre expliquait en août dernier que «les fraudes sont un fait avéré en Biélorussie, pointé par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à chaque élection».

Alexandre Loukachenko entretient une forte idéologie nationaliste et étouffe toute velléité libertaire. Cet état de fait repose à l’origine sur un certain statu quo établi avec le peuple de Biélorussie, lequel est privé du respect des libertés et droits fondamentaux et de toute protection des droits de l’Homme en échange d’une sécurité économique et nationale. Économique tout d’abord, en n’adhérant que partiellement à l’économie de marché après la fin de l’ère soviétique et ensuite une sécurité existentielle face aux puissances voisines, les Européens et la Russie. Alexandre Loukachenko s’appuie fortement sur ce besoin de sécurité du peuple et sur cette domination de type “charismatique” et paternaliste, passant par une forte personnalisation du pouvoir.

Alexandra Goujon, politologue française spécialiste des pays d’Europe de l’Est et en particulier de la Biélorussie nous offrait un décryptage du système politique biélorusse dans un article paru en 2002. Elle y qualifie la domination du président Loukachenko de “populisme autoritariste”, fréquemment appelé par ses opposants de “loukachisme”. Expliquant que ce régime s’appuie notamment sur la perpétuation de l’autoritarisme issu de la période soviétique et employant des discours basés sur une vision conflictuelle, martiale et autoritaire de la société, la justifiant par des antagonismes irrémédiables entre différents corps de la société, comme les riches contre les pauvres, les occidentaux et les slaves etc..

Le régime biélorusse a renforcé sa domination sur un besoin de sécurité du peuple, en présentant la figure forte d’Alexandre Loukachenko comme unique solution. Le président biélorusse instrumentalise ce besoin comme  argument de choix pour légitimer sa politique, son discours présente la situation sous la forme de deux choix possibles pour le peuple biélorusse : c’est lui ou le chaos et le désordre. Il s’affirme donc en garant de  paix, de  sécurité dans le pays, les opposants seraient les véritables porteurs de la violence. Au moment de l’éclatement des manifestations en août dernier, il fait jouer à l’opposition le rôle d’une menace pour le pays, manipulée par les ennemis extérieurs, ainsi les contestataires constituent un danger soutenu par les ennemis étrangers contre le peuple biélorusse. Il déclare alors que les manifestations s’accompagnent d’importants “agissements des forces de l’OTAN à proximité immédiate”, et qu’il est de son devoir de “prendre les mesures les plus strictes pour défendre l’intégrité territoriale de notre pays”.

La liberté de la presse bafouée 

Si les manifestations sont toutes systématiquement réprimées depuis 1994, la liberté de la presse y est aussi sévèrement bâillonnée. Reporter sans frontière faisait état de chiffres alarmants dans un rapport de novembre 2020, rapportant que “335 interpellations ont été recensées en trois mois par l’Association biélorusse des journalistes (BAJ), sur un total de plus de 400 exactions commises par les forces de l’ordre”. L’ONG apporte d’autres faits édifiants, “au moins 60 journalistes ont été victimes de violences graves, de mauvais traitements, voire de torture “, rappellant le calvaire de la journaliste Alena Doubovika, “frappée, à moitié nue, à coups de matraque lors de sa détention en août (2020), privée de nourriture pendant 24 heures, incarcérée avec une cinquantaine d’autres détenues dans une cellule de 12 m2, prévue pour 4”.

Le Bélarus est le pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes (RSF)

Le Bélarus est le pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes (RSF)

Une autre mesure liberticide a été prise le 13 septembre 2020, avec la suspension d’internet dans le pays, mesure inefficace car, comme l’expliquaient des opposants biélorusses exilés en Lituanie au micro d’Arte, bien souvent les images et communications des opposants sont conservées et envoyées une fois la connexion rétablie ou sont transmises de l’extérieur. Les témoignages de ces journalistes empêchés d’entrer ou de sortir du pays, ou encore les cas de torture des opposants durant leur détention se multiplient depuis près d’un an.

Un allié de la Russie, dépendant et embarrassant

Pour mieux comprendre la situation délicate du pays, il faut rappeler qu’économiquement, la Biélorussie est surtout dépendante de la Russie, avec 55% d’importations et 48% d’exportations. La Russie est un acteur économique nécessaire à la Biélorussie. Cependant le pétrole raffiné biélorusse, est destiné pour 50%, à l’Union Européenne, laquelle s’appuie notamment sur ses liens économiques pour entamer des sanctions contre le régime très dépendant de l’allié russe.

Les derniers évènements ont permis de constater que Vladimir Poutine continue d’afficher une ostensible confiance à l’égard de cet allié, car tous deux sont unis par une peur commune. Florent Parmentier, politologue, expliquait le 31 mai au micro de France culture ce qui rapproche les deux hommes, affirmant qu’ils ont “ un cauchemar commun : le rejet des révolutions colorées. Qu’est-ce qu’une révolution colorée dans le contexte post-soviétique ? C’est l’idée selon laquelle, des manifestations de masse populaires viennent renverser un pouvoir avec le soutien des services de renseignements étrangers afin d’aligner les préférences sur les préférences des politiques étrangères américaines.” La relation Poutine-Loukachenko est cependant traversée de divisions, le président russe n’apprécie pas vraiment la figure de Loukachenko mais soutient le régime dans son ensemble. Florent Parmentier explique aussi que Loukachenko essaie quant à lui de ne pas devenir intégralement dépendant du Kremlin, et de ne pas “se retrouver en tête avec la Russie. La Biélorussie ne peut être un acteur sur la scène internationale, que si elle est capable en même temps de profiter du soutien de la Russie (…), mais en même temps d’être capable d’avoir des relations avec les Etats-Unis et avec les européens.” Pour la Biélorussie il s’agit de profiter du soutien de la Russie, bien seule à la défendre sur la scène internationale, sans tomber dans une trop grande dépendance vis-à-vis de cette dernière. C’est pourtant bien ce qui semble se produire. Le Kremlin peut profiter de la faiblesse de cet allié pour étendre son influence, et renouveler un possible scénario ukrainien en Biélorussie.

Néanmoins, cet allié peut devenir préoccupant pour la diplomatie russe, qui ne tient pas à perdre cet appui dont elle peut profiter, mais qui doit le soutenir lorsqu’il devient embarrassant. Le détournement de l’avion intervient par exemple peu avant la rencontre avec Joe Biden prévue le 16 Juin, «Cette rencontre a été particulièrement difficile à organiser, et le Kremlin en attend beaucoup, explique le politologue Andreï Sinitsyne. Cela rend la démarche de Loukachenko très déplaisante pour Poutine.” En effet, cette fois le dictateur biélorusse semble être allé trop loin. Les pays membres de l’Union européenne, d’ordinaire peu enclins à s’unir sur des sanctions contre un pays étranger, se sont montrés unanimement fermes, adoptant immédiatement des premières sanctions économiques. L’UE, l’OTAN et l’ONU ont tous trois exigé la libération immédiate de l’opposant. Le Conseil de sécurité de ce dernier s’est d’ailleurs réuni en urgence mercredi 27 mai pour traiter la question biélorusse. Les Etats réunis exceptionnellement ont publié une déclaration, affirmant que le détournement du vol Ryanair “constitue une attaque flagrante contre la sécurité de l’aviation civile internationale et la sécurité européenne, et témoignant d’un mépris flagrant du droit international”, le lendemain, jeudi 27 mai, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a décidé d’ouvrir une enquête sur l’incident.

Alors que la répression brutale se poursuit et que le régime ne cède rien à la contestation, il se trouve de plus en plus isolé sur la scène internationale et finit par embarrasser son voisin russe. Les jours du “Loukachisme” sont peut-être comptés. 

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Dara (dessinateur iranien) : “Des jeunes vivent la liberté sans en avoir conscience”

En collaboration avec la Maison des journalistes, L’Orient à l’envers vous présente Dara, caricaturiste iranien aujourd’hui réfugié en France. Via son parcours, cet ancien résident de la MDJ revient sur son métier, ses conditions de travail en Iran, son arrivée en France et les valeurs qu’il porte aujourd’hui.

Ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ), Dara est arrivé en France en 2015 après la fermeture de son journal et fuyant les menaces à son encontre. “Je suis arrivé ici par hasard. C’est étrange, avec toutes les difficultés, comme l’obstacle de la langue. Un changement radical”.

Dessinant depuis l’âge de huit ans, ce langage universel lui permet de penser, communiquer et partager. C’est SA vie, résume-il. D’ailleurs, la première chose faite le jour de son arrivée à Paris, fut de se rendre au musée du Louvre. “C’était MON rêve d’enfant. C’était impressionnant. La culture française en général m’attire beaucoup”.

Dans ce podcast, Dara évoque aussi sa vision de la société française, estimant que son pays est incompris des Français, par leurs jugements “ erronés” sur les Iraniens. Ce constat le choque surtout lorsque les médias sont impliqués. “Nous sommes restés étrangers au monde occidental. L’Iran est malheureusement très absent des médias français, ses images très stéréotypées découlent d’un jugement partial, comme pour voile ou l’autorité religieuse. Parfois c’est vrai, mais ce ne sont pas des choses fondamentales. Nous pourrions par exemple évoquer différents Irans : Iran de la politique, de la culture, de la religion, etc.” Dara estime que les Iraniens sont “plus modernes” qu’ils ne paraissent. “L’Iran n’est pas un pays démodé. Les chiffres montrent que les femmes iraniennes sont plus éduquées que les hommes. Nous sommes une société moderne, bien à jour par rapport à l’actualité, et l’islam iranien est particulier.”

Membre de l’association Cartooning for Peace créée par le dessinateur Plantu et Kofi Annan, prix Nobel de la Paix et ancien Secrétaire général des Nations Unies, Dara est engagé dans des combats lui tenant à cœur. C’est le cas par exemple de l’éducation aux médias avec de multiples ateliers qu’il anime au profit des collégiens et lycéens français. “Il y a des jeunes qui vivent la liberté sans en avoir conscience. J’adore partager cela avec eux et leur dire combien ils ont de la chance”.


Halgurd S. © L’Orient à l’envers

Écoutez également le podcast de Halgurd, réfugié kurde d’Irak et un autre ancien résident de la MDJ.

https://podcast.ausha.co/l-orient-a-l-envers/portrait-du-kurdistan 


À PROPOS DE L’ORIENT À L’ENVERS

Le podcast de décryptage inspirant et réaliste sur le danger d’une histoire unique sur le Moyen-Orient. Une histoire de catastrophes, de guerres incessantes, de pauvreté, de désespoir, mais surtout une représentation incomplète, négative, stéréotypée, qui éloigne, dépossède et déshumanise.

L’Orient à l’envers se propose d’analyser et critiquer ces représentations, de découvrir ces sujets oubliés et de comprendre cette actualité compliquée, méconnue ou mal connue pour porter une représentation différente, juste, authentique.

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Ibrahim Cheaib : La Maison des journalistes m’a sauvé !

Ibrahim Cheaib, journaliste Libanais et résident de la MDJ, était l’invité de Radio Notre Dame pour une émission consacrée à la journée mondiale de la liberté de la presse. Il revient sur la situation de la liberté de la presse au Liban, les raisons de son exil et sa vie actuelle en France.

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IRAK/IRAN- Les illusions de la levée du blocus et de l’accord sur le nucléaire (3/3)

 À la fin de l’année 2003, le blocus a pris fin mais les Irakiens sont toujours confrontés à la pauvreté et à la privation. Beaucoup d’entre eux souhaitent même aujourd’hui revenir à l’époque pour pouvoir réceptionner des denrées alimentaires qui étaient alors distribuées gratuitement. Entre ce triste passé et ce présent tragique, l’illusion revient, portée par l’espoir d’un accord américano-iranien. 

A l’entrée de l’EI [Etat islamique] en Irak en 2014, les IRGC ont englouti toutes les factions irakiennes. Le rôle du VEVAK disparaît complètement et toutes les factions chiites s’associent aux Forces de mobilisation populaire (PMF), entièrement dirigées par Qassem Soleimani. Les Gardiens deviennent alors leur soutien direct en fournissant renforts, logistiques et armes. Grâce à ces factions, ils ont pu renverser le projet du VEVAK et contrôler tous les rouages de l’État en étendant l’influence des factions qui leur sont loyales sur des dossiers qui leur rapportent désormais de l’argent. Ainsi, le VEVAK a été vaincu parce qu’il a perdu la Syrie, l’Irak et le Liban. À l’origine, il n’avait d’ailleurs aucune influence au pays du Cèdre car Hassan Nasrallah avait un lien direct avec les Gardiens de la révolution et le duo Soleimani-Nasrallah est devenu dominant sur le dossier irakien, sur celui des factions et des groupes armés, sur les PMF et d’autres encore.

Tout au long de cette période, les négociations se sont poursuivies entre les IRGC et le politicien chiite qui penchait vers le VEVAK. Nouri al-Maliki, premier ministre sur le départ, coopérait avec eux tandis que le gouvernement de son successeur, Haider al-Abadi, essayait de les pousser à stopper le passage d’un avion iranien par l’aéroport de Bagdad pour aller soutenir le régime syrien, à la demande de l’administration américaine comme condition pour continuer à soutenir l’Irak dans la guerre contre l’EI. 

Le VEVAK, en accord avec l’Agence nationale de Sécurité dirigée par Ali Shamkhani (d’origine arabe), prévoyait de briser l’emprise des Gardiens sur le dossier irakien et de le ramener dans le giron des renseignements, bénéficiant de l’opposition de la plus haute autorité religieuse chiite, l’Ayatollah Ali Sistani, aux actions des IRGC et des factions qui les suivent à cause de leur manque de respect pour les valeurs de l’État irakien, projetant le pays dans des conflits en dehors de ses frontières qui se sont pas basés sur ses intérêts nationaux. Le chef du mouvement sadriste, Moqtada al-Sadr, s’aligne alors sur la position du Marja, en essayant de punir les dissidents de son courant ayant fait défection et ralliés à l’axe des Gardiens de la révolution, notamment Asa’ib Ahl al-Haq.

Ces développements ont abouti à une scission au sein des Chiites en Irak et en Iran. La scène était déjà claire avant les manifestations de 2018 à Bassora. Maytham al-Zaidi, l’un des chefs des factions chiites fidèles au grand Ayatollah d’Irak Ali Sistani, a annoncé son opposition à Abou Mahdi al-Mouhandis en raison de la subordination des PMF aux directives de Qassem Soleimani plutôt que du Marja et du gouvernement.

Najaf a répliqué aux gardiens de la révolution en recevant le président réformiste iranien Hassan Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. En revanche, il n’a pas reçu Soleimani ou encore Mahmoud Ahmadinejad, qui s’était rendu en Irak fin 2009. Le VEVAK était au courant de tout et savait qu’une frénésie populaire chiite sévissait à l’intérieur de l’Irak en raison du manque de services, de la misère, du chômage, de la sécurité délétère et de la corruption due à une classe politique protégée par les IRGC, jusqu’à ce que les manifestations d’octobre 2019 surviennent et représentent une occasion précieuse pour le VEVAK d’isoler les Gardiens.

Ces derniers peinent à trouver des solutions afin de faire face aux manifestations d’octobre, étendues à l’Iran. Leur fonction principale se limite en effet à autonomiser les groupes armés. Le VEVAK y a identifié l’opportunité de reprendre le contrôle sur le dossier irakien. Les États-Unis ont également exploité cette escalade en leur faveur en procédant, début janvier 2020, à l’élimination de Soleimani et d’al-Mouhandis pour profiter de la dispersion des factions armées et de l’élargissement du différend entre le VEVAK et les Gardiens, ceux-ci regardant celui-là comme s’il était impliqué dans le double-assassinat. Les renseignements iraniens commencent à reprendre le contrôle sur le dossier irakien à partir des manifestations de 2018, après que les Gardiens ont échoué à contrôler le mouvement dans le sud de l’Irak, en particulier à Bassora, où des manifestants chiites ont incendié le plus grand consulat d’Iran et brûlé les drapeaux et symboles de la République islamique, plongeant l’Iran dans l’embarras. 

La première pression exercée par le VEVAK sur les Gardiens a été de céder le pouvoir à Adel Abdel Mahdi mais ce dernier n’a pas réussi à faire face aux Gardiens de la Révolution. Ils ont ensuite favorisé Moustafa al-Kazimi, l’actuel Premier ministre, en espérant qu’il puisse réaliser ce qu’a fait Nouri al-Maliki au cours de son premier mandat. La stratégie des Gardiens et de ses ailes irakiennes est de poursuivre la confrontation militaire avec les Américains en Irak, même si elle consiste en des activités civiles, éducatives et d’investissement, pour briser la volonté de leurs adversaires chez eux (VEVAK) et de respecter l’accord avec les alliés chinois et russe.

Les raisons du conflit d’intérêts entre le VEVAK et les Gardiens en Irak sont les suivantes :

  • Premièrement : le VEVAK soutient le projet de diviser l’Irak en quatre régions, « sud, centre, ouest et nord ». Ses mandataires étaient chiites en 2004 et dirigés par le Conseil suprême islamique irakien, dans lequel il s’est beaucoup investi. Les gardiens de la révolution ont rejeté le projet et l’ont considéré comme un ciblage direct de leur plan dans la région dont ils espèrent une extension à l’Afrique.
  • Deuxièmement : le VEVAK s’oppose à la poursuite du soutien au régime de Bachar al-Assad, qui a coûté de lourdes pertes à la République islamique. Quant au soutien à Hassan Nasrallah, il doit s’inscrire dans la vision de la politique étrangère iranienne régionale. Nasrallah n’est pas censé se représenter lui-même mais agir comme le mandataire du système Velayat-e faqih.
  • Troisièmement : La popularité des conservateurs purs et durs a décliné à l’intérieur de l’Iran en raison de leur soutien continu à l’activité des Gardiens de la révolution dans les zones d’influence, à savoir en Irak, en Syrie et au Liban. Cet appui était centré autour du bloc conservateur au sein de l’Assemblée consultative islamique légiférant sur les lois pour soutenir les Gardiens, y compris à travers une augmentation de leur budget à des niveaux très élevés courant 2020.

Le soutien présent et passé que les Gardiens reçoivent des conservateurs a conduit à l’imposition de plus de sanctions économiques américaines contre le régime et à l’effondrement de la monnaie iranienne, avec, comme première victime, le citoyen iranien. De leur côté, les réformistes tentent de réduire le soutien aux Gardiens de la révolution au détriment d’un soutien croissant aux forces militaires iraniennes (l’armée). Les conservateurs interprètent l’opposition à la reprise du soutien aux Gardiens comme une tentative de leurs opposants réformistes visant à les isoler du contrôle du dossier externe iranien, en particulier dans les zones d’influence. Selon de nombreux observateurs, la mort du Guide suprême sera l’étape la plus difficile. Les deux partis (« conservateurs » et « réformistes ») envisagent d’acquérir le poste de nouveau guide de la République islamique.

  • Quatrièmement : continuer à violer les terres irakiennes et à traverser les frontières en Syrie et au Liban afin d’assurer l’expansion de l’influence des Gardiens de la révolution dans les pays du soi-disant Axe de la résistance, établir des groupes plus fidèles dans ces régions et gagner la loyauté des partis et des autorités en leur faveur au détriment des efforts de la diplomatie réformatrice iranienne.
  • Cinquièmement : Pour restaurer leur popularité, présenter les Gardiens de la Révolution devant l’opinion publique iranienne comme les seuls guerriers et véritables défenseurs des Perses, et la force principale contre les ennemis de la République islamique.

Alors que se profile l’élection de juin, Le VEVAK estime que la popularité de son aile politique, le mouvement réformiste, a reculé à l’intérieur de l’Iran. Cela est lié aux sanctions américaines imposées à Téhéran en raison du dossier nucléaire et du rôle des Gardiens dans la région. Cela est aussi dû à l’élimination de l’ancien commandant en chef de l’unité al-Qods au sein des Gardiens, Qassem Soleimani, et du savant spécialiste du nucléaire (Mohsen Fakhrizadeh NDLR), les bras les plus importants de Khamenei et des conservateurs. Les Gardiens ont donc commencé à battre en retraite à l’intérieur de l’Irak et la confusion a commencé à se faire sentir au sein des factions et ailleurs.

Le VEVAK considère Moustafa al-Kazimi comme un allié qui a commencé à retirer le bras des Gardiens de l’État en empêchant les PMF de continuer à surveiller la « sécurité des communications », à « contrôler la banque d’informations » et en levant les pouvoirs des IRGC les plus importants, tel que ceux de Abou Ali al-Basri et des responsables de la sécurité.

L’État a commencé à s’effondrer, permettant au VEVAK de parvenir à un accord avec les Américains et avec Mustafa Al-Kazimi pour avoir la main dans la construction d’un dossier irakien libéré des factions et des IRGC. Si ces derniers perdaient les élections, les « réformistes » gagneraient alors l’hégémonie et un nouveau contrôle sur les dossiers de sécurité qui étaient auparavant contrôlés par les Gardiens de la Révolution.

Quoi qu’il en soit, relier la question irakienne à l’escalade américano-iranienne, rappelle ce qui s’est passé dans les années 90, à l’époque du blocus américain, quand les Irakiens vivaient dans l’illusion que la pauvreté et la misère avaient été causées par l’embargo et que, par conséquent, sa levée signifierait leur sauvetage. À la fin de l’année 2003, le blocus a pris fin mais les Irakiens sont toujours confrontés à la pauvreté et à la privation. Beaucoup d’entre eux souhaitent même aujourd’hui revenir à l’époque pour pouvoir réceptionner des denrées alimentaires qui étaient alors distribuées gratuitement. Entre ce triste passé et ce présent tragique, l’illusion revient, portée par l’espoir d’un accord américano-iranien. 

Ahmed Hassan. © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ

Contact : ahm_198950@yahoo.com

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IRAK-IRAN. Les illusions de la levée du blocus et de l’accord sur le nucléaire (2/3)

Jusqu’en 2002, la condition posée par l’Iran pour accepter une intervention américaine en Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein a été d’accorder le pouvoir aux chiites qui lui sont loyaux.

La division entre le VEVAK et les Gardiens de la révolution en Irak

Le négociateur iranien était représenté par le Ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale (VEVAK – VEVAC). L’opposition irakienne en Iran était soumise au contrôle du VEVAK, tout comme l’opposition iranienne en Irak était soumise au contrôle du département du Renseignement. Feu l’ayatollah Mohammed Baqir al-Hakim, résidant en Iran, a pris part à la Conférence de l’opposition à Londres en 2002, en sa qualité de président du Conseil suprême islamique en Irak et de l’Organisation Badr, son aile militaire, et a déclaré son soutien à Washington et à ses alliés pour renverser le régime de Saddam. Par la suite, un conflit irano-américain est né au sujet de la nouvelle administration à mettre en place en Irak. L’administration américaine ne voulait pas donner le pouvoir au Conseil suprême islamique. La raison était que Washington pensait que le Conseil et ses forces militaires étaient sous la coupe du VEVAK.

L’administration du Président Bush fils, après la chute de Saddam Hussein, a ainsi été contrainte de tergiverser durant deux ans et demi afin de rechercher une alternative qui puisse satisfaire les deux parties, jusqu’à ce qu’elles s’accordent à remettre l’autorité élue, toute prête, au parti islamique Dawa, en dépit de la suprématie du Conseil suprême islamique irakien qui avait remporté les suffrages lors de la première élection le 30 janvier 2005, avec la liste 555. 

Cette période coïncide avec une démarche iranienne parallèle de la Force al-Qods affiliée aux IRGC et dirigée alors par Qassem Soleimani pour mener à bien la mission de défense du projet du VEVAK, voulant faire de l’Irak un point central pour l’équilibre et la négociation entre les Iraniens d’un côté et les Américains et leurs alliés occidentaux de l’autre, considérant l’Irak comme un terrain fertile pour leur influence et en possédant plus de connaissances qu’au sujet de n’importe quelle région.

Depuis, la vision du VEVAK est en contradiction avec celle de son rival, les Gardiens de la révolution, selon laquelle la Chine et la Russie sont les seuls alliés et amis de la République islamique et le rôle de l’Iran étant de surveiller attentivement les mouvements des États-Unis dans la région et de garder les frontières orientales et occidentales de l’Asie.

Pour le VEVAK, la Russie et la Chine sont deux pays idéologiquement et politiquement hostiles à l’Islam et aux principes fondamentaux de la révolution tandis que les IRGC s’obstinent à vouloir consolider ces relations et à protéger l’Asie de l’expansion américaine et européenne par fidélité aux directives du Guide de la révolution, l’Ayatollah Khomeini, et de son successeur l’Ayatollah Ali Khamenei.

Ce dernier avait mis en garde il y a un an contre les plans de ceux qu’il appelle les « chiites anglais » qui auraient trompé de nombreux loyalistes à la République islamique, pointant un doigt accusateur contre les Marajis à Najaf, contre des dirigeants politiques chiites irakiens et ceux qui les soutiennent parmi les Iraniens, c’est à dire des dirigeants au sein du VEVAK ou encore des « réformistes », qui bénéficiaient auparavant de la protection de hauts dirigeants iraniens tels que Hachemi Rafsandjani (ancien président iranien mort en 2017), Ali Hossein Montazeri (haut dignitaire chiite iranien mort en 2009) ou encore Mohammad Khatami, opposants à l’autorité du Velayat-e faqih.

Après 2003, il y a eu une montée en puissance significative du mouvement réformiste détenant le pouvoir sous la direction du président Mohammad Khatami. Période correspondant à une forte baisse de la popularité du mouvement conservateur fondamentaliste fidèle aux Gardiens de la révolution, indicateur s’expliquant par la reprise de l’économie à travers les grandes entreprises iraniennes investissant en Irak – à la suite du plan élaboré par le VEVAK – et par la volonté de renforcer un courant politique chiite fidèle à son autorité.

À partir de là, les Gardiens de la Révolution et son courant politique – opposé à l’origine au renversement du régime de Saddam Hussein par les Américains – ont commencé à s’inquiéter à l’idée de perdre le contrôle de la République islamique.

La Force al-Qods, associée aux Gardiens de la Révolution et dirigée par feu Qassem Soleimani, s’est vue confier la tâche de contrer le projet du VEVAK en Irak et a commencé à soutenir la création de nouveaux groupes chiites opposés à l’autorité de Bagdad perçue comme « chiite – à la solde du VEVAK – américaine ». Ainsi, la mise en place de l’Armée du Mahdi, l’aile militaire du mouvement sadriste dirigé par Moqtada al-Sadr, leur a permis d’en profiter pour changer la donne.

Milicien de l’armée du Mahdi

Milicien de l’armée du Mahdi

Mais le retrait de Sadr de la poursuite de la guerre pourtant menée deux fois – avec l’aide des Iraniens – à Najaf contre les Américains et contre le gouvernement de Iyad Allaoui, a incité la force al-Qods et les IRGC à établir des groupes spéciaux au sein de l’Armée du Mahdi, conduits par Qais al-Khazali, leader de Asaïb Ahl al-Haq, et par Akram al-Kaabi, le chef de Harakat al-Noujaba aujourd’hui, puis à réactiver les capacités de combat du Hezbollah irakien, qui avait été établi dans les années 90 en Iran, et qui, plus tard, serait amené à faire la guerre en Syrie.

L’activité de la Force Qods ne s’est pas limitée aux chiites, mais a fourni un soutien militaire parallèle au mouvement sunnite lancé depuis Falloujah contre les Américains et dirigé par Harith Al-Dhari. Elle en est même arrivée à soutenir militairement des groupes sunnites qui précédemment s’étaient faits connaître pour leur association avec Al-Qaïda, car l’intérêt commun était de combattre les Américains. Selon des informations de sécurité irakiennes et américaines, à l’époque, les Américains considéraient que les Iraniens s’étaient retournés contre l’accord, ce qui les avait forcés à demander un retour aux consultations avec le VEVAK par l’intermédiaire de Nouri al-Maliki, alors Premier ministre, et du feu Abdel Aziz al-Hakim, leader du Conseil suprême islamique.

Le VEVAK a estimé que les attaques contre les Américains et les intérêts communs par des « groupes spéciaux » ne représentaient pas formellement l’État iranien. Téhéran comme Washington ont alors accepté de les combattre en soutenant le gouvernement al-Maliki. Des affrontements ont eu lieu entre des groupes liés à l’armée du Mahdi et des éléments du parti Dawa, de l’organisation Badr et du Conseil suprême, avec l’incendie de leurs quartiers généraux et l’attaque de leurs maisons. Et il n’y a pas si longtemps, le mois dernier, une station satellite française a publié une interview avec al-Maliki, dans laquelle il disait : « J’ai encerclé ces groupes à Bassora en 2008, les obligeant à fuir en Iran. J’ai informé les Iraniens (il voulait dire aux gardiens de la révolution NDLR ) de les reprendre ». Et il a confirmé dans l’interview que ces factions ne représentent pas formellement l’État iranien.

Après 2010, l’affaire s’est muée en conflit entre le VEVAK et les IRGC, alors que les Gardiens de la révolution faisaient pression sur le gouvernement de Bagdad en entraînant ceux qui fuyaient les batailles avec les Américains entre les frontières irakienne et iranienne. Ils ont ensuite été capables d’attirer de nombreux jeunes du centre et du sud dans leurs camps et ont formé de nombreuses factions avant de les renvoyer en Irak afin de s’impliquer dans le travail d’investissement d’entreprises régionales et internationales – notamment turques, syriennes, chinoises, allemandes et russes – alliées aux Gardiens.

Le discours sur la confrontation américano-iranienne en Irak a pris fin après le retrait de 2011, selon les accords et traités conclus entre le gouvernement de Nouri al-Maliki au cours de son deuxième mandat et avec le consentement du VEVAK.

À la fin de la même année, le VEVAK et les IRGC soutenaient Bachar al-Assad en tant qu’allié stratégique. Les deux parties se sont mises d’accord pour mobiliser toutes les factions armées fidèles irakiennes au sein de la brigade « Abou al-Fadl al-Abbas », ayant pris en charge le sauvetage de Damas de la chute après avoir mené des combats acharnés avec les forces de l’opposition syrienne et le front al-Nosra.

Un nouveau différend a éclaté fin 2012 entre le VEVAK et les Gardiens concernant la Syrie, et cela après les déclarations américaine et européenne concernant leur intention d’intervenir en Syrie. Cela a poussé les services à réviser leurs calculs concernant ce pays, en vue de protéger le front irakien comme ligne de défense principale. Pour leur part, les Gardiens ont refusé de limiter leur présence en Syrie, les aidant à dominer les brigades d’Abou al fadl al-Abbas qu’ils ont pu diviser en plusieurs factions, dont les plus importantes étaient le « Mouvement du Hezbollah », « Al -Nujaba » et « Kataëb Hezbollah ».

Après 2013, le VEVAK a renoncé au dossier irakien, condition posée par les Gardiens de la Révolution pour que les réformateurs, menés par Hassan Rohani, puissent prendre le pouvoir en Iran. Les gardiens ont depuis monopolisé la domination du dossier irakien pour continuer à protéger secrètement le régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah au Liban, et le renforcement de toutes ses défenses dans la région, sous prétexte que la menace de l’État islamique atteignait les frontières iraniennes.

 

Ahmed Hassan. © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ

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IRAK-IRAN. Les illusions de la levée du blocus et de l’accord sur le nucléaire (1/3)

Une délégation ministérielle de l'Union européenne en Iran lors des discussions sur le programme nucléaire iranien, le 21 octobre 2003.

Lors d’une session de dialogue sur la situation irakienne, un Français m’a posé une question sur les efforts du président américain Joe Biden pour rétablir l’accord nucléaire avec l’Iran, et si cela constituait un tournant pour clore le conflit américano-iranien en Irak. C’était, bien sûr, important, mais je n’avais pas de réponse immédiate.

Après des recherches approfondies sur l’importance de cet accord, j’ai constaté qu’il n’y avait aucun avantage pour l’Irak. En effet son budget – amputé d’environ un million de dollars en 2012-, a été dépensé en logistique pour les réunions à Bagdad du groupe des “5 + 1” [les 4 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne]. Cependant un retour à l’accord sur le nucléaire serait une étape historique pour la réconciliation irano-américaine, et, en soi, un prélude au règlement de la crise irakienne.

Cependant une question émerge : le terrorisme, les combats internes, et l’effondrement politico-économique sont-ils le résultat du conflit américano-iranien, ou l’aboutissement d’une mauvaise gestion des responsables irakiens ? Le responsable irakien devrait reconnaître au quotidien, face aux administrés, le déroulement du pillage des fonds de l’Etat et leur décrire le processus d’approbation faisant de l’Irak un abîme financier, industriel, urbanistique et éducatif.

Chronologie des négociations entre la CIA et le VEVAK 

Dans les années quatre-vingt, après l’avènement de la révolution de Khomeini, la proclamation de l’Iran comme République islamique avec pour rhétorique le «Grand Satan américain », la prise d’assaut de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, par des partisans de la révolution avec séquestration de 52 diplomates et employés pendant 444 jours, est à l’origine de la rupture des relations entre les deux pays.. Cet épisode choc pour les Etats-Unis fut, pour l’Iran des Pahlavi, leur allié stratégique, un tournant décisif dans la transition à la République khomeyniste, hostile aux Pahlavi. À l’époque, Washington observait aussi avec défiance le changement survenu fin 79 en Irak : l’arrivée de Saddam Hussein à la présidence de la République remplaçant Ahmed Hassan al-Bakr, suggérant l’analogie que l’Irak et l’Iran devenaient les “nouveaux Cuba et Venezuela” dans cette région. La diplomatie américaine a cependant tenté de pallier à son déclin en redoublant d’efforts pour se rapprocher du régime de Saddam Hussein et initier un dialogue continu avec lui. L’intention étant de constituer une ligne de défense avec l’Irak face à l’Iran, afin de préserver le reste de son hégémonie dans la région et assurer la sécurité de ses alliés dans le Golfe, notamment l’Arabie Saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis et Bahreïn, qui redoutaient la révolution iranienne. Washington était aussi confronté à la terrible incursion russe dans les profondeurs du monde arabe (Irak – Syrie – Égypte – Liban). Dans la tempête de ces événements, l’Irak a échoué comme médiateur pour libérer les familles des diplomates américains à Téhéran, tout comme la stratégie de sauvetage par hélicoptères de Washington malgré la présence de soldats d’élite à bord. Deux avions ont été abattus à la frontière iranienne pour des raisons obscures. Washington a accusé Moscou de l’accident, officieusement, et un défaut technique survenu dans les deux appareils a été attribué à l’incident

L’intensification du conflit américano-iranien après la révolution a incité les États-Unis à considérer le régime de Saddam Hussein comme protecteur du Golfe et de l’arabisme face à la marée irano-perse. Le renforcement de l’Irak en tant que force active a amené Saddam à réclamer à l’Iran une négociation pour l’application de l’Accord d’Alger sur la démarcation des frontières maritimes entre les deux pays, signé par l’Irak sous le règne d’Ahmad Hassan Al -Bakr et par l’Iran sous Mohammad Reza Pahlavi.

Selon l’Irak, l’Iran, après Pahlavi , a refusé de respecter ses engagements et demandé des amendements. L’entêtement des deux parties les auraient ensuite poussées à enfreindre l’accord, Téhéran voyant le « Shatt al-Arab et le Golfe » comme propriétés perses. Le nationalisme de Saddam Hussein en fut exalté, d’autant que ces développements étaient accompagnés du sentiment d’un fort soutien au sud et au centre de l’Irak pour la révolution islamique chiite de Khomeini.

Quarante ans après la guerre Iran-Irak, les Iraniens obéissant au Guide suprême et au Velayat-e faqih (les Conservateurs et les Gardiens de la révolution (IRGC)) restent fermement convaincus que les Américains étaient derrière l’implication du régime de Saddam Hussein dans la guerre. Selon les informations reçues de la part de proches des Pahlavi ayant cherché refuge après la révolution [principalement en Egypte], un mouvement populaire dirigé par Sayyed Mohammad Baqir al-Sadr se préparait à transformer l’Irak, République arabe en une République islamique chiite.

Au plus fort de la guerre des années quatre-vingt, les États-Unis ont continué à soutenir l’Irak. L’Arabie saoudite, les Émirats et le Koweït convaincus que Bagdad combattait en leur nom pour défendre le Golfe, ont contribué à des financements considérables. Les pays du Golfe et le Koweït ont contribué à 15 milliards de dollars de prêts à l’Irak.

Le régime de Saddam a, entre autres, investi ces fonds dans des projets de construction et d’urbanisation, et le développement de l’énergie et de l’activité pétrolière. Afin de contrer le soutien américain à l’Irak, et attaquer le régime de l’intérieur, l’Iran a développé une stratégie de soutien à l’opposition kurde au Kurdistan (au nord de l’Irak) et aux chiites (dans le sud). À cette époque, des milliers d’habitants du nord et du centre sont morts. L’attaque chimique en 1988 dans la ville de Halabja, dans le gouvernorat de Sulaymānīyah, a provoqué la colère de l’opinion internationale. De nombreux chefs religieux chiites – notamment Mohammad Baqir al-Sadr – ayant contribué à la fondation du parti Dawa, ont été arrêtés et exécutés. Parallèlement, Washington a inscrit tout parti en Irak recevant des financements de l’Iran sur la liste du terrorisme et des personnes recherchées, plaçant les deux partis kurdes, le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani et l’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani sur la liste du terrorisme. Après les tragédies des combats et des déplacements dans les régions du nord et du sud de l’Irak, la dilapidation des fonds du Golfe, et l’entrée en jeu des Russes en faveur de l’Iran, les Iraniens et les Américains ont convenu indirectement, à travers la médiation russe, turque et française, d’arrêter la guerre Irak-Iran. La vision de l’accord reposait sur l’idée qu’il appartenait à chacun de suspendre le soutien aux opposants à l’intérieur de l’Irak, visant ainsi à empêcher l’Iran de financer les oppositions kurde chiite en échange de l’arrêt américain au soutien à Saddam Hussein. Les accords se déroulaient entre les services de renseignement des deux pays, entre la CIA et le VEVAK (principale agence de renseignement iranienne) en Irak.

Au début des années 90, Saddam Hussein refusait de payer les dettes qu’il avait contractées auprès des États du Golfe à titre de financements pour la guerre contre l’Iran. Le Koweït a ainsi porté plainte contre l’Irak aux Nations Unies et au Conseil de sécurité de l’ONU La Russie et la Chine figuraient parmi les bénéficiaires des emprunts irakiens,en lui vendant des armes et en développant ses usines.

Cependant L’administration de Bush père a développé une politique différente, estimant que Saddam Hussein était rusé et niait le soutien américain tout en ayant de plus en plus tendance à favoriser la politique des concurrents de Washington dans la région, à savoir la Russie et la Chine. Ces derniers l’auraient encouragé à attaquer les pays du Golfe, en particulier le Koweït, afin d’affaiblir l’influence américaine tant du côté irakien qu’iranien. La situation a ensuite tourné en faveur des Américains et de leurs alliés quand la Russie a concédé au silence pour sauver le Koweït et l’Arabie saoudite de l’incursion irakienne. 

À cette époque, l’armée américaine arrivait à Hafar Al-Batin, à la frontière irano-saoudienne. Après les frappes américaines sur al-Kut et à l’intérieur de l’Irak, le gouvernement irakien a commencé à se rapprocher de Cuba et du Venezuela, et la manœuvre a été interprétée par Téhéran comme un indice témoignant de l’intention de Washington d’intervenir en Irak et de s’en emparer en coopération avec les États du Golfe.

L’Iran ayant commencé à pousser les oppositions chiite et kurde qui lui étaient loyales à affronter le régime de Saddam Hussein, constituant un premier pas vers la prise du pouvoir par les chiites. Cette escalade désignée sous le nom de « soulèvement populaire », a conduit au contrôle de l’opposition sur toutes les régions, mis à part la capitale, Bagdad, sous le contrôle du régime. Les Américains et les Iraniens sont ensuite retournés à la table des négociations à travers une médiation régionale et internationale. L’Égypte et la Jordanie ont joué un rôle clé pour garder le régime de Saddam en échange du retrait américain et de l’arrêt iranien au soutien à l’opposition. Et le régime a de nouveau repris le contrôle de l’État.

 

Ahmed Hassan. © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan © Karzan Hameed. 2021.

Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ

Contact : ahm_198950@yahoo.com

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