TOGO. La presse sous l’oppression incessante du pouvoir

Au Togo, les journalistes font face à une répression quotidienne malgré un semblant d’ouverture du Président Faure Gnassingbé. Pegasus constitue le dernier outil de surveillance utilisé par les autorités politiques togolaises. 

La liste des cibles potentielles du logiciel espion Pegasus, dévoilée lors de l’enquête menée par Forbidden Stories, recense 300 numéros de togolais·es. La majorité opère dans l’opposition au président de la République togolaise, Faure Gnassingbé. Ferdinand Ayité[1], journaliste et directeur de publication du bi-hebdomadaire d’investigation L’Alternative très critique du pouvoir a été sélectionné pour être ciblé par le logiciel d’espionnage. « Je n’ai pas été surpris », se remémore-t-il. « Mettre des journalistes sur écoute ou prendre le contrôle de leur téléphone à travers un logiciel […] vous donne une idée de ce que le régime pense de certains journalistes. Le système de répression de Faure Gnassingbé s’inscrit dans la continuité de son père. »

L’actuel président Faure Gnassingbé a pris le pouvoir après un coup de force constitutionnel à la mort de Gnassingbé Eyadema en 2005. Il brigue désormais un quatrième mandat à la suite de sa réélection le 22 février 2020. Son père était lui-même au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1963. À de nombreuses reprises, des ONG ont dénoncé les pratiques de Gnassingbé Eyadema à l’image d’Amnesty International : TOGO État de terreur, 5 mai 1999[2] ; TOGO Silence, on vote, 23 avril 2003[3]. « Il n’y a pas à faire une quelconque différence entre le système du père et celui du fils. Leur objectif principal est de garder le pouvoir. Hier c’était peut-être brute, aujourd’hui c’est avec des gants de velours. Cela revient à la même chose », continue Ferdinand Ayité.

De son côté le journaliste de Freedom-fighter Basile Agboh nuance ce constat. Il perçoit une amélioration des méthodes mises en œuvre par Faure Gnassingbé : « Lorsqu’on compare les écrits auxquels on était habitué avec le régime Eyadema où de simples peccadilles pouvaient faire envoyer un journaliste derrière les barreaux à ce qu’on lit aujourd’hui, il faut reconnaître que le régime Faure respecte plus la liberté de presse. »

Pour autant, les atteintes à la liberté d’expression se sont accumulées ces dernières années. Les coupures des communications sont fréquentes. En 2020, lors de l’élection présidentielle comme lors des grandes manifestations de 2017, les autorités ont restreint l’accès à l’Internet. La Cour de justice de la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a d’ailleurs condamné les coupures de 2017[4]. En parallèle, les journalistes sont régulièrement opprimé·es lors des manifestations à l’image de Tesko Aristo, reporter à Togo Actualités. Alors qu’il tente de couvrir le 21 avril 2020 une intervention policière au domicile du principal opposant de Faure Gnassingbé, Agbéyomé Kodjo, le journaliste est interpellé par des agents de police aux côtés d’une consœur. « Quand nous sommes revenu·es pour chercher nos motos, un militaire s’est pointé et souhaitait les perquisitionner. Il a appelé quatre agents pour venir les chercher. Je me suis interposé », raconte-t-il. Les forces de l’ordre l’arrêtent et l’emmènent au poste du Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC). Il passe la journée enfermé. Les agents l’interrogent puis le relâchent vers 20h30. « Je ne suis pas le premier à être victime de cette répression ; beaucoup de journalistes l’ont déjà vécu. » Ce genre de pratiques sont courantes au Togo. Plus récemment, le directeur du journal proche de l’opposition L’Indépendant Express, Carlos Ketohou – visé par le logiciel Pegasus, a été embarqué de son domicile pour être interrogé dans les locaux du SCRIC après la diffusion d’une enquête mettant en cause deux ministres togolaises pour le vol de cuillères en or durant une réception officielle[5]. Robert Kossi Avotor, journaliste au bi-hebdomadaire L‘Alternative, enquêtait sur un litige foncier dans la banlieue nord de Lomé. Il a été tabassé par des gendarmes[6].

Un harcèlement judiciaire organisé

Les autorités togolaises possèdent un arsenal répressif bien plus conséquent : la loi. La révision du Code de la presse et de la communication en janvier 2020 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Pour autant, il permet désormais d’infliger des amendes disproportionnées, par exemple, pour outrage au président de la République, aux parlementaires et aux membres du gouvernement[7] – un à trois millions de Franc CFA (1 520 à 4560 euros environ). Les journalistes peuvent également être poursuivi·es grâce au Code pénal[8] et à la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité. Ce qui permettrait d’infliger des peines de prison pour la « publication de nouvelles fausses » (Article 497 du Code Pénal) ou encore pour « outrage aux bonnes mœurs » (Article 392 du Code Pénal). De plus, la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité « contient des dispositions vagues relatives au terrorisme et à la trahison, qui prévoient de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans, et pourraient être aisément utilisées contre des lanceurs d’alerte et autres personnes dénonçant des violations des droits humains », avertit Amnesty International. « Elle confère également des pouvoirs supplémentaires à la police, notamment en termes de surveillance des communications ou des équipements informatiques, sans contrôle judiciaire adéquat. »[9] Aucun journaliste n’est aujourd’hui incarcéré·e au Togo. Le pays se situe à la 74éme place 74 du Classement mondial de la liberté de la presse 2021 de RSF.

RSF (capture d’écran)

Sur cette base, Ferdinand Ayité subit un harcèlement judiciaire quotidien. Le 4 novembre 2020, le Tribunal de première instance de première classe de Lomé a condamné le journaliste et son média à une amende de six millions de francs CFA (9 170 Euros) pour « diffamation ». Il lui est reproché un article qui met en lumière une affaire de détournement de fonds, 764 millions d’euros, orchestré par deux fonctionnaires du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) dans le secteur pétrolier togolais. « Un procès parodie », estime-t-il. Les affirmations du journal seront confirmées par un rapport d’audit commandité par le gouvernement[10]. « Par ailleurs, après la publication de cet article, M. Ferdinand Mensah Ayité a fait l’objet de menaces, y compris de menaces de mort, et d’actes d’intimidation, notamment par le biais d’appels téléphoniques anonymes », ajoute la Fédération internationale des droits humains[11]. Tesko Aristo assure à son tour recevoir régulièrement de tels appels.

Simultanément, la Haute autorité de l’audiovisuel et des communications (HAAC) a suspendu le 23 mars 2020 la publication de deux journaux, L’Alternative et Liberté – respectivement deux mois et deux semaines, pour diffamation après une plainte déposée par l’ambassadeur français. Fraternité est à son tour suspendu pour deux mois en raison d’un article dénonçant la suspension de ces journaux d’opposition cités précédemment. « Bien que des restrictions au droit à la liberté d’expression peuvent être permises pour garantir la protection des droits et de la réputation d’autrui, de telles restrictions doivent être nécessaires et proportionnées », estime Amnesty International[12]. À la suite de l’affaire des « cuillères d’or » dévoilée par Carlos Kétohou, dont nous parlions précédemment, sur ordre de la HAAC L’Indépendant Express a été suspendu puis fermé définitivement le 15 janvier 2021. De son côté, L’Alternative a de nouveau été suspendu pour quatre mois après une plainte du ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière. Un membre de la HAAC s’est désolidarisé de cette décision estimant que l’instance « n’est pas restée fidèle au déroulé de l’audition » de Ferdinand Ayité[13].

 

Une justice et une régulation au service du pouvoir

Cette dissidence permet de s’interroger à la fois sur l’indépendance de la HAAC ainsi que de la Justice et les menaces inhérentes à cette situation. « La justice togolaise comme la HAAC sont loin d’être indépendantes », affirme Ferdinand Ayité. « Il existe des magistrats sérieux mais une grande partie de l’appareil judiciaire est sous les bottes de l’exécutif. » En effet, malgré les garanties, la Constitution et les lois ne garantissent pas l’indépendance de ces deux instances. « La Cour constitutionnelle en particulier, dont une majorité est nommée par le président et l’Assemblée nationale contrôlée par l’UNIR [L’Union pour la République, parti du Président Faure Gnassingbé], serait partisane du parti au pouvoir. Les juges des autres tribunaux sont nommés par l’exécutif sur la base des recommandations d’un conseil judiciaire, lui-même dominé par des juges de haut rang », avance l’ONG Freedom House [14]. La HAAC est aussi sous influence des autorités politiques. Selon la loi, l’instance de régulation est composée de neuf membres, quatre désignés par le Président et cinq par l’Assemblée nationale – majoritairement contrôlée par UNIR, dont deux sur une liste proposée par les organisations les plus représentatives de journalistes. Ces derniers ne disposent d’aucun mécanisme de recours contre les jugements de la HAAC.

Cette dépendance de la justice et de la HAAC à l’égard du pouvoir permet à la présidence de les instrumentaliser selon ses propres intérêts. Tesko Arsito se questionne : « Quand quelqu’un te donne à manger, peux-tu vraiment désobéir à ses ordres ? »

 

[1] https://forbiddenstories.org/fr/journaliste/ferdinand-ayite/

[2] https://www.amnesty.org/download/Documents/140000/afr570011999fr.pdf

[3] https://www.amnesty.org/download/Documents/100000/afr570032003fr.pdf

[4] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/togo-envoie-un-message-clair-que-les-coupures-volontaires-internet-violent-la-liberte/

[5] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201231-togo-reporters-sans-fronti%C3%A8res-r%C3%A9clame-la-lib%C3%A9ration-d-un-journaliste-arr%C3%AAt%C3%A9

[6] https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/togo-un-journaliste-moleste-par-des-gendarmes-a-lome_1882260.html

[7] https://www.droit-afrique.com/uploads/Togo-Code-2020-presse.pdf

[8] https://www.policinglaw.info/assets/downloads/Code_p%C3%A9nale_du_Togo_(2015).pdf

[9] https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2018/12/togo-spiraling-violence-and-repressive-cybersecurity-law/

[10] https://icilome.com/2021/03/togo-petrolegate-osc-rapport-daudit/

[11] https://www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/togo-condamnation-de-m-ferdinand-mensah-ayite-directeur-de

[12] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/03/togo-la-suspension-dun-journal-met-la-liberte-dexpression/

[13] https://icilome.com/2021/02/togo-suspension-de-lalternative-zeus-aziadouvo-se-desolidarise-de-la-decision-de-la-haac/

[14] https://freedomhouse.org/country/togo/freedom-world/2021

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Maroc. La surveillance des journalistes n’a pas attendu Pegasus (ENQUÊTE)

Un article co-écrit par Alexandre GARNIER et Eliott AUBERT pour Orient XXI

L’enquête de Forbidden Stories a mis au jour en juillet 2021 l’usage intensif du logiciel israélien Pegasus pour venir à bout de la presse indépendante au Maroc. Mais depuis des décennies, des journalistes marocains subissent surveillance et harcèlement, grâce notamment à des logiciels fournis par des sociétés italiennes et françaises.

En octobre 2019, Fouad Abdelmoumni apprend que son téléphone apparaît dans une liste de 1 400 mobiles infectés par le logiciel espion Pegasus. Cela ne le surprend pas. « Je dirais que j’ai été immunisé à cette surveillance constante puisque j’ai grandi dans cette atmosphère », raconte l’économiste militant des droits humains, déjà emprisonné et torturé à deux reprises durant le règne d’Hassan II. Il sait que chacun de ses mouvements est épié. Pour autant, apprendre quels moyens sont mis en œuvre contre lui, « c’est déjà un progrès ». D’un ton serein, il détaille :« Ce n’est pas quelque chose qui me choque particulièrement. Je considérais qu’avoir des flics à la porte, qui relèvent ceux qui vont et viennent, même envisager qu’il y ait des écoutes ou des caméras […], à la limite pour un pays en transition, je peux le comprendre. Mais là on est face à un État voyou ».

Les journalistes marocain·es racontent des dizaines d’histoires de ce genre. Chacun de leurs déplacements est scruté jusqu’aux moindres détails. Omar Brouksy collaborateur régulier d’Orient XXI, se remémore une discussion avec son gardien d’immeuble : “J’habitais dans un appartement. Peu après mon arrivée à l’AFP en 2009, la police est venue devant chez moi pour voir le concierge ». Les questions à propos de son quotidien s’enchaînent : qui vient le voir ? Quand est-ce qu’il sort ? Qu’est-ce qu’il fait ? Quel est son programme « Ils l’ont menacé s’il me le disait. Comme c’est un ami, il m’a averti. » 

Maroc, les enquêtes interdites” de Omar Brouksy, Nouveau Monde Eds (2021)

Plus récemment fin juillet 2021, le journaliste marocain Hicham Mansouri, ancien résident à la Maison des journalistes (MDJ) et actuellement chef d’édition du site de l’Œil de la MDJ et membre de la rédaction d’Orient XXI, a été suivi par des hommes en civil dans le métro parisien. « J’avais rendez-vous à Gambetta avec deux amis dont Maâti Monjib. Je suis descendu du métro, j’ai pris le sens inverse puis j’ai repris le bon sens. Ils ont continué à me suivre ». Maâti Monjib se rend à Montpellier quelques jours plus tard et retrouve des photos de son voyage publiées dans un média de diffamation proche du pouvoir.

« L’ESSENTIEL EST LA SÉCURITÉ DES SOURCES »

Les journalistes marocain·es mettent tout en œuvre afin de contourner ces différents types de surveillance. « Je m’entretiens physiquement avec toutes mes sources. Je les rejoins dans la rue, en marchant, dans un café… Je ne dis jamais le lieu où on se rencontre. Au téléphone, c’est inimaginable, je suis trop méfiant », détaille Omar Brouksy. Aboubakr Jamaï, fondateur des hebdomadaires marocains Le Journal et Assahifa Al-Ousbouiya a également recours à ce genre de ruse. Après la publication d’une enquête en 2000 sur l’implication de la gauche marocaine dans le coup d’État de 1972 contre Hassan II, le journaliste apprend par un haut fonctionnaire que les services de renseignement connaissent sa source avant même la publication.

Aboubakr Jamai (crédit : Saïd Laayari)

Quelques mois plus tard, le rédacteur en chef du Journal redouble de vigilance lors de la publication de l’enquête sur l’affaire Ben Barka publiée conjointement avec Le Monde. Les deux journaux apportent la preuve de l’implication des services de renseignement marocains dans la disparition du principal opposant politique d’Hassan II, Medhi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965. Pour ce faire, Aboubakr Jamai a réussi à convaincre l’ancien agent secret Ahmed Boukhari de témoigner. « Dans cette affaire-là, l’essentiel était la sécurité de la source. On craignait pour la vie du type. On a eu recours à des ruses pour échapper à leur surveillance », se remémore-t-il.


“La rédaction ne savait pas qu’on allait sortir l’affaire Ben Barka. Trois journalistes étaient au courant. Pour le rencontrer, on descendait dans mon parking en voiture. On changeait de voiture et on sortait par une autre sortie. On a été très vigilants et c’est une grande fierté de ne pas avoir mis au courant les services secrets de la sortie de cette enquête. Ça a fait l’effet d’une bombe. C’est rare qu’une information tombe sans qu’ils ne sachent rien.”


DES LOGICIELS ESPIONS ITALIENS ET FRANÇAIS DÈS 2009

Pegasus ne représente que le dernier outil en date utilisé pour museler la presse indépendante et plus généralement la société civile. Certains, à l’image de Maâti Monjib, Omar Radi, Fouad Abdelmoumni, ou encore Aboubakr Jamaï ont appris avoir été ciblés par Pegasus en 2019 lors des révélations du Citizen Lab de l’université de Toronto. D’autres ont été averti·es en juillet 2021 lors de la publication de Projet Pegasus comme Taoufik Bouachrine, Souleimane Raissouni, Maria Moukrim, Hicham Mansouri, Ali Amar, Omar Brouksy. « Les journalistes savent qu’ils et elles sont constamment surveillé·es ou sur écoute », explique ce dernier, ancien rédacteur en chef du Journal et professeur de sciences politiques au Maroc. « À chaque fois que je parle au téléphone, je sais qu’il y a une troisième personne avec nous », confirme Aboubakr Jamaï. « Ça ne date pas d’hier ».

Ce n’est pas la première fois que le Maroc achète ce type d’outils, avec la bénédiction d’États peu regardants de l’utilisation qui en est faite. L’Italie a permis l’exportation des différents logiciels espions de la société Hacking Team qui proposaient une surveillance similaire à ce que permet aujourd’hui Pegasus. Des documents internes ont révélé que le royaume a dépensé plus de trois millions d’euros à travers deux contrats en 2009 et 2012 pour s’en équiper. L’État français, qui n’en est pas à son premier contrat avec les états autoritaires du Maghreb et du Proche-Orient, a également estimé qu’un outil de surveillance massive du web serait entre de bonnes mains (celles de Mohammed VI) au Maroc.

La société Amesys/Nexa Technologies, dont quatre dirigeants sont actuellement poursuivis pour « complicité d’acte de torture » en Égypte et en Libye a également vendu son logiciel de deep package inspection nommé Eagle. Au Maroc, le contrat révélé par le site reflet.info est surnommé Popcorn et se chiffre à un montant de 2,7 millions d’euros pour deux années d’utilisation. Pour les États européens, ces contrats permettent également de sceller des accords de collaboration avec les services de renseignement marocains bénéficiant de ces outils. L’État marocain est libre dans l’utilisation qu’il en fait, mais en échange il fournit à Paris les informations dignes d’intérêt, notamment en matière terroriste comme lors de la traque d’Abdelhamid Abaaoud, terroriste d’origine belge et marocaine qui a dirigé le commando du Bataclan.

LA CONTINUITÉ DES « ANNÉES DE PLOMB »

Pour Fouad Abdelmoumni, les logiciels Pegasus et Amesys représentent la suite plus sophistiquée de la ligne sous écoute et de l’ouverture du courrier d’antan. Hassan II comme son successeur et fils Mohamed VI ont toujours eu recours à la surveillance massive. « Le Maroc n’a jamais été considéré comme une démocratie. Comme dans tous les régimes autoritaires, il y a une surveillance sur toutes les personnes considérées comme un danger », poursuit Aboubakr Jamaï. Pourtant, après trois décennies de répression durant le règne d’Hassan II, à partir des années 1990 le roi entreprend une ouverture démocratique. De nombreux journaux indépendants prolifèrent.

Lorsque Mohamed VI succède à son père en 1999, le nouveau roi n’a de cesse de s’attaquer à la presse et aux militants. « Si je sors aujourd’hui les enquêtes de l’époque, je risque la prison. D’ailleurs on a été interdits pour ces raisons sous Mohamed VI. Hassan II ne nous a jamais interdits pendant deux ans », décrit Aboubakr Jamaï. Aujourd’hui, de multiples journalistes et observateurs de la situation au Maroc comparent la politique répressive de Mohamed VI à celle des « années de plomb » (1960-1990) du règne d’Hassan II. Les autorités s’immiscent désormais dans la vie privée de ses opposants.

DES CAMÉRAS CACHÉES À DOMICILE

Après son infection par Pegasus, Fouad Abdelmoumni, alors secrétaire général de la branche marocaine de Transparency International saisit la Commission nationale de contrôle de la protection des données personnelles. Plusieurs médias proches du pouvoir multiplient alors les menaces pour tenter de le faire taire. « Dès que je m’exprimais sur Facebook ou ailleurs sur un acte de répression, immédiatement il y avait des articles de menaces qui suivaient ». À la fin du mois, plusieurs médias pro-monarchie l’accusent d’adultère (crime passible de peine de prison au Maroc) ou même de proxénétisme. ChoufTV lance la rumeur qu’une sextape circulerait sur WhatsApp. D’autres sites reprennent l’accusation.

En février 2020, peu avant son mariage, des proches de Fouad Abdelmoumni, dont sa belle-famille, reçoivent via WhatsApp sept vidéos, filmées à son insu lors d’un rapport sexuel avec sa nouvelle compagne. Celles-ci ont été enregistrées à l’aide d’une caméra discrète cachée dans le climatiseur de la chambre de sa propriété secondaire en banlieue de Rabat. « Il y a deux implantations, une première dans le salon qui ne devait pas être suffisamment intéressante. Ils en ont fait une seconde dans la chambre à coucher. Ils ont ensuite pu pénétrer une dernière fois pour retirer ce qu’ils avaient installé ».

Fouad Abdelmoumni

Hajar Raissouni n’a quant à elle pas été traquée par Pegasus, mais le 31 août 2019 la journaliste d’Akhbar Al Yaoum est arrêtée alors qu’elle sort d’un rendez-vous chez son gynécologue. Une caméra de ChoufTV est présente pour immortaliser l’arrestation« À chaque fois qu’il y a un meurtre ou une affaire qui fait le buzz, ChoufTV sont directement informés par la police et ils ont l’exclusivité. Un ami à moi a trouvé un très bon parallèle : ChoufTV c’est comme si InfoWars1 était un département du FBI et que les États-Unis étaient une dictature ». Elle est accusée avec son compagnon de « débauche » (relation sexuelle hors mariage) et « d’avortement illégal ». Malgré le manque de preuves, ils sont condamnés à un an de prison et le gynécologue à deux années fermes.

Un an auparavant, le 23 février 2018, une quarantaine d’agents de police débarquent dans les locaux d’Akhbar Al-Youm pour y arrêter son directeur de publication, Taoufik Bouachrine. Le patron de presse et journaliste est accusé, vidéos à l’appui, d’avoir eu des relations forcées avec deux journalistes. Avec de telles accusations, Reporters sans Frontières (RSF) s’est retenu de commenter l’affaire jusqu’au jour du délibéré, huit mois plus tard, pour finalement évoquer un « verdict entaché de doute ». Le journaliste purge une peine de 15 ans de prison pour « traite d’êtres humains », « abus de pouvoir à des fins sexuelles » et « viol et tentative de viol ». Si le procès a été critiqué pour le manque d’éléments attestant des faits — les deux plaignantes se sont retirées au cours du procès —, le nom de Taoufik Bouachrine refait surface cet été dans la liste des 50 000 numéros visés par Pegasus.

Suleiman Raissouni, directeur de publication de Akhbar Al-Youm est lui arrêté à son domicile le 22 mai 2020 après qu’un témoignage d’un militant LGBTQ+ sur Facebook l’accuse d’agression sexuelle en 2018. Pour avoir pris position en faveur du journaliste, RSF s’est fait accuser de nier le témoignage de la victime, signe de la difficulté de traiter ce type d’accusation. « Ils portent ces accusations [d’agressions sexuelles] [pour ne pas leur donner le statut gratifiant de prisonnier politique. La question des agressions sexuelles est extrêmement sensible », estime Omar Brouksy.

En mars 2015, Hicham Mansouri passe devant un tribunal alors qu’il est encore au Maroc. Des policiers ont pénétré son appartement de force et ont monté un dossier l’accusant de proxénétisme et d’adultère. Un collectif de voisins dément ces accusations, mais on refuse leur témoignage. Un document est présenté durant le procès : le témoignage du gardien de l’immeuble qui l’accuse de tous les maux.


“Le juge l’a convoqué. Au Maroc les gardiens, les cireurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes, tous ces travailleurs informels collaborent avec la police, parce qu’ils sont fragiles, parce qu’ils craignent les pressions. Donc quand je l’ai vu au tribunal, je me suis dit : ‟Voilà, c’est lui qui va m’enfoncer!” Mais en fait non. Le juge lui a dit :
— La police vous a entendu, voilà ce que vous leur avez déclaré.
— Non Monsieur, c’est exactement l’inverse que j’ai dit ! Je n’ai jamais rien vu, c’est quelqu’un de très bien.
— Mais c’est bien votre signature ?
— Oui, mais je ne sais ni lire, ni écrire.”


À la fin d’un procès kafkaïen, seule l’accusation d’adultère sera retenue contre Hicham Mansouri. À sa sortie de prison en janvier 2016, un autre procès le guette pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Il risque jusqu’à 5 ans devant un tribunal, et 25 ans s’il passe devant un juge antiterroriste. « L’objectif premier [de ces procès] avant d’être celui de mettre au pas des individualités, c’est de terroriser l’ensemble des élites et de la société civile du pays », analyse Fouad Abdelmoumni. Le fait que tous ces journalistes aient été surveillés permet de remettre en cause l’impartialité de la justice marocaine dans le traitement de ces dernières accusations.

UN PRIX À PAYER EXTRÊMEMENT LOURD

Les mœurs sexuelles ne sont pas le seul motif d’accusations péremptoires : Maati Monjib pour « blanchiment de capitaux », Ali Anouzla pour « apologie du terrorisme », Hamid el Mahdaoui pour « non-dénonciation de l’atteinte à la sûreté intérieure de l’État ». Malgré un préambule très bavard sur les droits humains, la Constitution de 2011 et les lois ne garantissent pas l’indépendance de la justice. Le roi Mohamed VI préside et nomme certains membres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) en charge d’élire les magistrats. L’article 68 de la loi organique relative au CSPJ lui octroie d’ailleurs un droit de regard sur ces élections. De surcroît, les verdicts sont prononcés selon l’article 124 de la Constitution « au nom du Roi ». Une atteinte à la séparation des pouvoirs, souligne Omar Brouksy. « Quand nous sommes poursuivis pour « atteinte à l’image du roi, de la monarchie, ou quand nous critiquons un proche du pouvoir, nous serons jugés par une personne nommée par le Roi et le verdict sera prononcé au nom de celui qui vous a attaqué. »

Omar Boruksy

La révision du code de la presse de 2016 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Une avancée de façade, car la dépendance de la justice à l’égard du pouvoir permet à la monarchie de l’instrumentaliser selon ses propres intérêts. Le régime se base notamment sur des accusations de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte à la sûreté de l’État afin d’enfermer les journalistes.

Au-delà de s’attaquer à un individu, le régime marocain cherche à « semer le trouble sur les journalistes pour décourager les sources », analyse Omar Brouksy, voire de les trouver. Fouad Abdelmoumni conclut :

“Il y a une spécificité de la répression au Maroc : elle ne veut pas être méconnue. Elle veut être connue et identifiée. Mais pas d’une manière qui puisse être probante devant une ‟justice molle”. Ce qui les intéresse ce ne sont pas tant les personnes ciblées que les milliers ou dizaines de milliers d’autres qui pourraient, soit être encouragées à agir, soit au contraire se dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle. En voyant que si on s’engage et si on s’expose trop, le prix peut devenir extrêmement lourd.”

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FRANCE-MAROC. Hicham Mansouri de la Maison des journalistes parmi les cibles du logiciel espion Pegasus

“Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories.

Chargé d’édition au sein de la Maison des journalistes, Hicham Mansouri est parmi les cibles des autorités marocaines via le logiciel espion israélien Pegasus. Réfugié en France depuis 2016 et ancien résident de la Maison des journalistes, Mansouri n’est pas totalement à l’abri d’un pouvoir de plus en plus répressif (lire son témoignage “Maroc. « Comment j’ai été tracé à Vienne par Pegasus » publié dans Orient XXI dont il est membre de rédaction). “Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories. Voici le reportage de Forbidden Stories réalisé par Phineas Rueckert (traduit de l’anglais par Clément Le Merlus) sur son cas. 

Loin des yeux, mais pas hors d’atteinte

Les murs de son bureau à la Maison des Journalistes sont couverts d’affiches de Reporters Sans Frontières et d’autres organisations de défense de la liberté de la presse. Hicham Mansouri vivait auparavant dans le bâtiment, qui sert à la fois de lieu d’exposition et de résidence pour les journalistes réfugiés. Il a depuis déménagé mais partage toujours un petit bureau au rez-de-chaussé où il se rend trois fois par semaine.

Avant de discuter avec Forbidden Stories, le journaliste marocain éteint le portable qu’il a emprunté et le plonge au fond de son sac à dos. Une analyse scientifique de son téléphone précédent, réalisée par le Security Lab d’Amnesty International, a montré qu’il a été infecté par Pegasus plus de vingt fois sur une période de trois mois, de février à avril 2021.

Journaliste d’investigation indépendant et co-fondateur de l’Association Marocaines des Journalistes d’Investigation (AMJI), Hicham Mansouri rédige actuellement un livre sur le trafic de drogue illégal dans les prisons marocaines, lui qui a fui son pays en 2016 en raison des nombreuses menaces physiques et judiciaires à son encontre.

En 2014, il est roué de coups par deux agresseurs anonymes alors qu’il quitte un rendez-vous avec d’autres défenseurs des droits humains, dont Maati Monjib, qui a plus tard, lui aussi, été ciblé par Pegasus. Un an après, des agents du renseignement armés perquisitionnent sa maison dès 9h et le trouvent dans sa chambre en compagnie d’une amie. Ils l’ont alors entièrement déshabillé et arrêté pour « adultère », ce qui est un crime au Maroc. Hicham Mansouri passe dix mois dans la prison de Rabat. Sa cellule est celle réservée aux criminels les plus dangereux et les autres détenus le surnomment « La Poubelle ». Au lendemain de sa libération, il saute dans un avion pour la France où il demande et obtient l’asile. En juin 2016, Hicham Mansouri et six autres journalistes et activistes de ce projet sont accusés de « menacer la sécurité intérieure de l’Etat » en ayant organisé ce programme [condamné à une année de prison ferme par accoutumance]. 

Cinq ans plus tard, Hicham Mansouri découvre qu’il est toujours une cible du gouvernement marocain. « Tous les régimes autoritaires voient le danger partout », dénonce-t-il auprès de Forbidden Stories. « On ne se considère pas dangereux parce qu’on fait ce que l’on pense être légitime. On sait que l’on est dans notre droit. Mais pour eux nous sommes dangereux. Ils ont peur des étincelles parce qu’ils savent qu’elles peuvent mettre le feu. »

Au moins 35 journalistes basés dans 4 pays ont été sélectionnés comme cibles par le Maroc, selon l’enquête publiée aujourd’hui. Nombre des journalistes marocains sélectionnés comme cibles ont été à un moment donné arrêtés, diffamés ou ciblés d’une certaine manière par les services de renseignement. D’autres, en particulier les rédacteurs en chef Taoufik Bouachrine et Souleimane Raissouni, sont actuellement en prison pour des accusations que les organisations de défense des droits humains prétendent être instrumentalisées avec pour objectif d’écraser le journalisme indépendant au Maroc.

Dans une déclaration à l’attention de Forbidden Stories et ses partenaires, les autorités marocaines ont écrit qu’ils « ne comprennent pas le contexte de la saisine par le Consortium International de Journalistes » et que les autorités sont toujours « dans l’attente de preuves matérielles » pour « prouver une quelconque relation entre le Maroc et la compagnie israélienne précitée. »

Réponse des autorités marocaines 

Les autorités marocaines ont répondu à Forbidden Stories qu’il n’existait pas de preuve qu’elles étaient clientes de l’entreprise NSO. L’entreprise NSO n’a pas répondu aux questions de Forbidden Stories concernant des attaques spécifiques mais a déclaré qu’elle « continuerait à enquêter sur toutes les allégations crédibles d’utilisation abusive et prendrait les mesures appropriées en fonction des résultats de ces enquêtes ».



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Tchad. La France de Macron à l’épreuve des réalités ?

La disparition du président tchadien Idriss Deby va-t-elle influencer la politique de la France envers ce pays? Le décryptage de Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France.

Françafrique ! Ce néologisme est très connu en Afrique. Il renvoie aux réseaux d’influence « opaques », militaro-mercantiles, entretenus par la France dans sa relation avec le continent africain. Le président Macron, qui voulait être le « dernier de cordée » dans cette mauvaise entreprise, avait promis d’y mettre un point final. Quelle sera l’attitude de la France vis-à-vis de la situation au Tchad, après la disparition du président Idriss Deby ? On sait qu’au-delà de l’inconnue politique qui se présente devant ce pays, ce chef d’Etat constituait un appui non négligeable aux forces françaises Barkane déployées au Sahel.

Pas que. Depuis des décennies, la France militaire campe au Tchad, pour diverses autres raisons, dont celle, capitale, de défendre et contrôler son pré carré.

Novembre 2017, à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso), le président français casse les codes : « Il n’y a plus de politique africaine de la France », martèle-t-il. C’est direct. C’est précis. Tonnerre d’applaudissements parmi les 800 étudiants burkinabè qui s’y trouvaient. La déclaration a eu une grande résonance en Afrique. En effet, depuis la chute du Mur de Berlin, en 1989, tous ses prédécesseurs ont certifié la mort de la Françafrique, mais personne n’y est parvenu.

Les présidents François Mitterrand et François Hollande, les socialistes, se sont limités à des vœux pieux. Est-ce parce que la Françafrique avait la vie dure en soi ou, au contraire, c’est parce que ses tenants ne voulaient pas, tout simplement, lâcher leur pactole ?  Quant au président Sarkozy, son désir pour mettre fin à cette forme subtile de néocolonialisme n’avait rien de sincère. A preuve, dans un discours, à Dakar, 2007, il a traité les peuples africains d’arriérés, puisque « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », selon lui. Autrement dit, la notion de tuteur qui régente tout pour eux devait leur être appli

Ces propos méprisants ont suscité une véritable levée de boucliers en Afrique noire francophone. Plusieurs écrivains et penseurs ont réagi à la provocation dans un ouvrage intitulé « L’Afrique répond à Sarkozy » (Editions Philippe Rey, 2008). Son résumé est simple : « Sapere aude ! » de Horace ou « ose savoir ». Les Africains voulaient dire qu’ils « savaient se servir de leur entendement ».

C’est dans cette atmosphère de méfiance, exprimée de part et d’autre, que le président Macron entre en scène, en 2017. Figure de pédagogue – le bon – et le verbe haut, il promet la mort de la Françafrique dans une sorte de serment : « J’appartiens à une génération qui ne vient pas dire aux Africains ce qu’ils doivent faire », professe-t-il. Exit donc, la génération des Jacques Foccart et autres Albert Bourgi, ceux, qui, après le général de Gaulle, constituaient l’âme damnée des présidents français, à l’égard de l’Afrique.

Aujourd’hui, l’Afrique regarde la France de Macron sur le Tchad, en tourments. Elle est placée au pied du mur. Que va-t-elle faire pour ce pays considéré comme une sorte de fer de lance dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, ensanglantée par des groupes terroristes ? En 2019, le président Macron avait déjà rompu le serment, en bombardant une colonne venue encore une fois de Libye, pour sauver l’ami Idriss.

La situation actuelle au Tchad nous apportera la preuve que la France de Macron a donné un coup de grâce à la Françafrique. Un vrai piège !

 

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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Congo. « Marius chez vous », fin d’une émission populaire

Dimanche, 28 mars, Marius Muhunga, annonçait avec une réelle émotion, la fin des émissions TV « Marius chez vous » sur les réseaux sociaux. Il en était, à la fois, le boss et l’animateur vedette. Pour justifier cette cessation, le journaliste évoquait son embauche à « La voix de l’Amérique ».

Ce média congolais émettait depuis Washington DC, capitale des Etats-Unis. Il croulait sous son audience au zénith. En raison, bien sûr, de son excellence.

Je suivais en direct de cette émission spéciale. Elle était conclue par des avis et considérations des fans, celles et ceux qui aimaient suivre cette télévision :  c’était une pluie de félicitations… et un feu de coups d’émotion. Sans doute sincères ! Je ne m’en cache point, j’ai tissé, moi aussi, en l’honneur de mon éminent confrère, un joli bouquet de « fleurs platoniques ».

Tweet de Marius Muhunga annonçant la fin de « Marius chez vous »

De fait, une telle opportunité, pour un journaliste africain, ne relève pas d’une sinécure. Il doit y avoir, pour ce faire, des arguments qui parlent excellence et mérite. C’est, pour Marius, le couronnement d’une carrière flamboyante. Ne le reçoivent que celles et ceux qui ont fait de leur plume et de leur micro un « distributeur » de vérités ; des journalistes qui savent brasser « rigueur du fond et clarté de la forme », pour l’éclat des valeurs républicaines.

Quant à mon bouquet de fleurs, j’avoue que ce sont des roses avec leurs épines. D’un côté, satisfaction et joie, de l’autre, inquiétude, tout de même. Suivie d’une interrogation angoissante : Marius s’est-il donné le temps de triturer la question autour de son « élection » à cette prestigieuse institution américaine ?

Je ne sais. S’il l’a fait, c’est tant mieux. Mais, s’il ne l’a pas fait qu’il essaie de « passer de l’autre côté du miroir », comme on dit, pour en savoir plus. Car, à cause de son rayonnement au sein des populations congolaises, par ces temps de la politique nationale faite de bassesse, « TV Marius chez vous » pouvait être la cible de ceux qui voulaient la voir disparaître. Ces ennemis implacables de la vérité. Ces menteurs au sommet de l’Etat.

Dans ce dernier cas, voilà peut-être un joli « coup de réussite » pour Marius, seul, mais certainement un terrible « coup de massue » pour la masse des Congolais progressistes, épris de justice et d’ardent désir de voir le Congo se relever. Autant au pays que dans la diaspora.

C’est mon humble point de vue.

 

 

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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Ce qui se passe en “Irak démocratique” est-il normal?

Le président irakien Barham Salih en visite à Téhéran en 2018

Malgré la transformation démocratique qu’a connue l’Irak, depuis 2003, avec l’adoption d’un système parlementaire après la période douloureuse de dictature sous Saddam Hussein, et malgré toutes ses capacités humaines et économiques, le pays est devenu l’un des pires lieux où vivre dans le monde. Quelles en sont les raisons? C’est une question gênante que de nombreux étrangers m’ont posée et à laquelle j’ai souvent évité de répondre.

Je me souviens d’une question qui m’a été posée par une lycéenne de la ville de Boston sur la situation de l’enseignement secondaire en Irak. Je n’avais alors pas pu lui dire que même dans les quartiers les plus “chics”, les écoles sont en ruine ou dans un état délabré, sans toilettes. Que les salles de classe sont sans climatisation [la température peut parfois atteindre les 50°] et parfois sans tables. Elle ne m’aurait tout simplement pas cru.

Ce qui se passe en “Irak démocratique” est quelque chose de vraiment illogique, déjà difficile à concevoir pour le simple irakien, mais relevant de l’absurde pour l’observateur étranger.En effet, comment accepter que, dans une démocratie moderne, le Premier Ministre (également le commandant en chef des forces armées) puisse admettre de façon explicite être incapable de protéger son propre gouvernement des groupes hors-la-loi? 

Il n’est pas non plus logique qu’un ancien président du parlement, évoque dans une interview une “vente et achat de postes ministériels” et d’autres hautes fonctions ayant eu lieu à la cafétéria du Parlement, comme une simple transaction. Comment convaincre l’observateur occidental de notre “démocratie”, face à ce comportement devenu la règle au moment de chaque élection? Comment justifier l’incapacité du pouvoir judiciaire à condamner des personnes impliquées dans des crimes, en raison de leur appartenance partisane ou tribale? Comment qualifier un régime qui revendique la démocratie, matin, midi et soir, et qui mène une campagne d’exécutions massive à l’encontre de centaines de jeunes pour avoir organisé des manifestations pacifiques et spontanées? Est-il logique qu’un ministre des Finances puisse déclarer sans crainte un détournement de 250 milliards de dollars du budget de l’État?

Si j’étais citoyen étatsunien, comment aurais-je pu croire, que dans une démocratie contemporaine, une jeune militante et sportive puisse être abattue à cause d’une photo prise avec le consul américain à Bassora, ou qu’un journaliste ayant interviewé l’ambassadeur américain à Bagdad soit accusé d’espionnage?! Si j’étais citoyen canadien, comment pourrais-je croire en  un système qui accepte de laisser assassiner ses journalistes, ses chercheurs et ses militants sans que les auteurs ne soient punis?

Si j’étais un ingénieur de l’État de Chicago, j’aurais du mal à croire que la ville d’Al-Zafaraniya, au sud-est de Bagdad, ne compte aujourd’hui plus qu’un marché populaire appelé «Souk Al-Hawa », alors qu’on l’appelait – avant 2003 – le Chicago d’Irak en raison de sa grande industrie diversifiée?

Si j’étais un italien, je ne pourrais pas croire que le théâtre historique de Babylone n’accueille plus de concerts de musique et que les irakiens sont obligés d’acheter exclusivement des vêtements made in Turkey. Si j’étais un vétéran anglais, comment croirais-je qu’il n’y ait plus d’eau à Bassora et qu’Abu Al-Khasib” ne produise plus de dattes? Si j’étais français, j’aurais refusé l’idée que l’ancienne université de Bagdad, qu’on surnommait la “Sorbonne arabe”, ne soit plus au même rang prestigieux qu’auparavant.

Si j’étais somalien (pays qui vit pourtant une grande crise), je ne croirais pas que les fonctionnaires d’Irak, pays connu pour ses richesses pétrolières, agricoles et autres, soient restés plusieurs mois sans salaire…

Passons au citoyen iranien, dont le gouvernement a une grande influence en Irak. Sait-il qu’on trouve dans les rues de Bagdad le double de portraits à la gloire du ‘’leader’’ qu’à Téhéran et Qom réunies? Peut-il croire que l’hôpital allemand des maladies cancéreuses de Jadriya, situé au centre de Bagdad, est devenu la mosquée d’un parti islamique bénéficiant du soutien du gouvernement Que même les Irakiens les plus courageux ne peuvent pas critiquer le système iranien de Velayat-e faqih (“tutelle de la jurisprudence religieuse” qui confère aux religieux une mainmise sur le politique).

La communauté internationale doit comprendre le slogan “Nous voulons une patrie!” (Nouridou Watan!), scandé par les jeunes en octobre 2019. Il appelle à un pays qui offre le minimum pour une vie de dignité. Il met le monde entier devant sa responsabilité, son devoir de tendre la main à ce peuple abandonné comme on le ferait face à un enfant. Ces jeunes, malgré toutes les déceptions et les revers,  ont encore l’espoir d’un État prospère qui mettra fin à l’échec et à la corruption qui sévissent  depuis de nombreuses années en Irak.

Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ

Contact : ahm_198950@yahoo.com

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Afrique de l’Ouest : ces élections qui tuent l’espoir

Dans les pays développés, démocratiques, et dans la plupart de ceux qui aspirent à l’être, les urnes constituent une sorte de blanchisserie de la démocratie. Elles « nettoient » et accouchent, en principe, du propre pour donner des nouveaux habits à la République, un nouvel élan. C’est tout le contraire pour l’Afrique qu’elles habillent d’un accoutrement cachant contestations et violences meurtrières. En témoignent, singulièrement, les résultats de récentes élections au Niger, en Guinée Conakry et en Côte-d’Ivoire.

Pendant quasiment une semaine, Niamey, capitale du Niger, et plusieurs autres villes du pays flambaient de colère. On chahutait, on bousculait, on incendiait maisons de particuliers et bâtiments publics. Avec des morts à la clé. Et pour cause. Tout était parti, mardi 23 février, par la publication des résultats du deuxième tour de la présidentielle, remporté sans contexte par Mohamed Bazoum. Selon ces résultats, celui-ci avait récolté 55,75 % des voix, face à son rival de l’opposition, Mahamud Ousman, avec 44,25 % des suffrages.

Pourtant, le président sortant, Mahamadou Issoufou, avait écarté du chemin la pierre d’achoppement consistant à modifier la Constitution pour un « troisième mandat ». Astuce permettant aux présidents en place de se maintenir au pouvoir, mais ayant pour conséquences de générer des mouvements de protestations violents. Tout était donc fondé pour assister, cette fois, à des élections paisibles. On avait vite oublié que les désordres post-électoraux, en Afrique, étaient la règle et leur contraire l’exception.

Or, en novembre et en octobre derniers, il y a eu élection présidentielle, respectivement en Côte-d’Ivoire et en Guinée Conakry. Les présidents des deux pays ont procédé à une modification de Constitution pour un « troisième mandat » et se sont, de ce fait, maintenus à leur fauteuil. Mais, sur fond des crises pré et post-électorales, émaillées de brutalités : destructions de biens publics et bains de sang. L’opinion tant locale qu’internationale l’avait décrié à tue-tête, et on avait cru que cela était suffisant pour servir d’exemple au Niger. Bernique !

Manifestation contre la modification de la Constitution en Guinée, le 24 octobre à Conakry – Crédit : Aboubacarkhoraa

Les deux exemples laissent perplexe. En Côte-d’Ivoire, après avoir publiquement promis de quitter le pouvoir, le président Ouattara est spectaculairement revenu sur sa décision. Or, il est à classer parmi ce que l’Afrique a de meilleur, en termes d’élites intellectuelles. Il a renié la parole donnée, qui a valeur de serment. Sans scrupule. Il en est de même du président guinéen Alpha Condé, professeur des universités, y compris à la Sorbonne. Il s’accroche au pouvoir, à plus de quatre-vingts ans d’âge, après avoir lutté, lui-même, des décennies durant, contre l’aspérité des dictatures guinéennes.

Comment penser, dans ce contexte de proximité de temps (en l’espace de cinq mois) et de position géographique (le Niger est même voisin de la Côte-d’Ivoire) que ces attitudes de responsables politiques ivoiriens et guinéens, et des événements qui y sont liés, n’aient pas eu un impact sur le plan mental des Nigériens votants ? N’avaient-ils pas vu, instinctivement, une « main frauduleuse » dans les résultats d’élections organisées par un alter ego de l’Ivoirien Ouattara et du Guinéen Condé ?

Il y a, à cet égard, un problème fondamental de confiance, qui va continuer de se poser pendant longtemps encore entre les dirigeants africains et leurs peuples, dont la maturité politique ne cesse de croître.

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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