Suite à l’écriture d’un article sur l’existence d’extrémistes au sein de la structure du gouvernement, Mariam Mana, journaliste afghane, est contrainte de fuir son pays du fait de menaces. Réfugiée en France en 2017 et ancienne résidente de la Maison des Journalistes, elle retrace, pour l’Œil de la MDJ, son parcours ainsi que la situation dans son pays.
[Par Coraline Pillard, publié le 24/06/2025]

Etre journaliste n’est pas un métier facile. Et ce n’est pas Mariam Mana qui dira le contraire. En 2017, cette journaliste est contrainte de fuir son pays, l’Afghanistan, après avoir reçu des menaces. Pourquoi ? Elle a rédigé un article dénonçant la présence d’extrémistes au sein du gouvernement, lesquels justifiaient les actions djihadistes.
L’Afghanistan est loin d’être un pays libre. Depuis la guerre civile et l’invasion soviétique en 1978, le pays connaît une crise politique et sécuritaire quasi ininterrompue. En mai 2017, le départ du vice-président Abdul Rashid Dostum ne fait qu’exacerber les tensions. Celui-ci est accusé de corruption et de violences. En parallèle, les talibans ne cessent d’intensifier leurs attaques et en 2021, le gouvernement chute et les talibans reprennent le pouvoir, comme entre 1996 et 2001. Restriction des droits humains ou encore pauvreté, l’Afghanistan est plongé dans une forte instabilité.
Dans ce contexte hostile, les médias disparaissent peu à peu, et de nombreux journalistes quittent la profession, en particulier des femmes. La répression ne fait que s’aggraver. « Il n’y avait pas de justice, de protection, pour les journalistes en Afghanistan », nous explique-t-elle.
« C’était tellement facile d’effacer. Il n’y avait pas de justice, de protection, pour les journalistes en Afghanistan. » Mariam Mana
Arrivée en France, la Maison des Journalistes a accueilli et accompagné Mariam. “Quand je suis arrivée à Paris, je ne savais pas où aller. Je n’avais pas de domicile. C’était tellement compliqué”, souligne-t-elle avec nostalgie.
La jeune femme a d’abord été hébergée durant 8 mois, période durant laquelle elle débuta son apprentissage du français. “La langue, c’est très important. Nous les journalistes, on gagne de l’argent par les mots”, nous explique Mariam. Par la suite, l’organisation lui trouve un logement social, lui permettant de retrouver son indépendance.
« Avec le soutien de la MDJ, j’ai avancé. »
Mariam Mana a ainsi pu renouer avec le journalisme, trouver le courage d’exercer son métier, malgré l’exil. “Le journalisme, il faut sacrifier beaucoup. C’est d’autant plus compliqué lorsqu’on est loin de son pays, de sa famille”, souligne, avec émotion, la journaliste.
Son pays, l’Afghanistan, Mariam ne l’a vu qu’à 17 ans. Élevée en Iran, son enfance fut marquée par la discrimination. “C’était tellement triste. J’étais uniquement considérée comme Afghane et ce mot était perçu comme un gros mot. C’était quelque chose de sale”, rapporte-t-elle avec regret. Après son baccalauréat, la jeune femme retourne dans son pays natal où très peu de femmes sont éduquées. Son niveau d’étude, plus élevé que la moyenne, lui permet d’enseigner les matières fondamentales. A Kaboul, un de ses amis lui propose d’intégrer un quotidien. “Et il me dit que si je peux bien écrire, sans faute, alors je peux exercer le métier de journaliste. J’ai commencé ce métier comme ça, par hasard.” témoigne Mariam. Elle a rejoint, par la suite, un programme de production radio, au sein duquel elle a été amenée à collaborer avec divers médias.
Après quelques années loin du métier de journaliste, Mariam entame, en France, un travail pour une chaîne de télévision, dont les bureaux sont situés à Londres et à Washington DC, en tant que pigiste (40 heures par semaine).
En dépit d’une vie qui n’a rien de commun, Mariam n’oublie pas ses valeurs. La modestie, voilà le maître-mot de cette femme forte. Quand des personnes possèdent un talent, elles aiment généralement le montrer. Cette perspective, la journaliste s’y oppose. Elle se décrit comme ayant plutôt tendance à se sous-estimer et à être sous-estimée.
« Moi, je préfère laisser les gens me découvrir. »
La jeune femme s’attarde également sur sa difficulté à dire non : « Je dis tout le temps oui. J’essaie de faire une collaboration avec les gens, mais parfois, ils en abusent. Ils mettent beaucoup de pression. »
La jeune femme n’oublie pas ce qui la rend fière : la persévérance dont elle a fait preuve. Malgré l’exil, elle n’a pas perdu espoir. Mariam Mana nous dit que son but est de partager des informations, surtout sur l’Afghanistan, avec celles et ceux qui cherchent à mieux comprendre. Selon elle, la société française est curieuse et s’intéresse à ce qui se passe dans le monde : elle est à l’écoute. Partager l’information, c’est faire avancer les idées dans la société.
Arrivé dans une nouvelle société n’est jamais simple : nouvelle langue, nouvelle culture, il faut apprendre à s’adapter. « Je me sentais exclue de la communauté française et des journalistes », nous rapporte la jeune femme avec un pincement au cœur. Mariam Mana fait partie de la deuxième promotion de Voix en exil. Pour elle, ce programme est une vraie opportunité qui lui a donné le courage et l’envie de s’impliquer dans la société française. Cela lui a permis d’obtenir les aides extérieures pour lancer son projet médiatique. « Je peux parler de ce qui m’intéresse, des choses auxquelles je tiens encore, et cela, avec les Français. »
LE PROJET. Lancé par CFI, la Maison des journalistes (MDJ), SINGA et Reporters sans frontières (RSF), Voix en Exil est un nouveau projet de soutien et d’accompagnement là Paris de journalistes et médias en exil, soutenu par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, afin de faire de la France l’une des principales terres d’accueil des journalistes en exil.
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