Le journalisme étant un sacerdoce…

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Keith Mallet


Chers amis lycéens,

 

Je suis journaliste­ présentatrice ivoirienne (Côte d’Ivoire), membre de la rédaction de « l’œil de l’Exilé », journal en ligne de la Maison des Journalistes de Paris. Permettez moi de commencer cette lettre ouverte par une petite histoire.

 

A l’aube d’un 20 avril 2011, une femme, sa fille âgée en son temps d’à peine 20 mois et son époux quittèrent leur terre natale, sous les bruits assourdissants d’armes lourdes. Avec comme seuls biens, juste des casse­croûtes et un peu de sous pour la route .Elle portait un bébé. Toute sa famille arriva au Ghana, pays voisin de la Côte d’Ivoire. Après deux jours passés dans ce pays où la barrière linguistique était un problème face à une situation d’assistance sanitaire urgente, elle et sa famille ont décidé de mettre le cap sur le Togo, pays francophone, donc plus accessible sur le plan linguistique. Cette famille se fit enregistrée au HCR Togo, et a vécu de dons et de petits commerces dans des conditions extrêmement difficiles. Elle perdit son bébé après 4 mois de grossesse. La femme se forma en Cycle III de Diplomatie à l’ENA du Togo. Les extraditions, menaces de mort, et enlèvements, étaient de plus en plus récurrents. Elle arriva avec sa fille le 1er août 2013 en France. Cette femme c’est moi, et cette petite digression est en rapport avec le thème de la Semaine de la presse et des médias que vous célébrez en ce moment.

 

C’est­-à­-dire, « Liberté de la presse ». Parce que mon seul péché pour avoir vécu ces trois dernières années dans la précarité, loin des miens, privée de mes acquis professionnels et financiers, c’était d’avoir dénoncé l’imposture, la prise du pouvoir par les armes et le refus de respecter les lois, dans l’exercice de mon métier. Le journalisme étant un sacerdoce, j’ai refusé de cautionner le coup d’État militaire manqué du 19 septembre 2002, qui s’est mué en rébellion armée, qui a fait des milliers de morts et de graves violations de droits de l’Homme, et qui a été parachevé le 11 avril 2011, avec l’approbation de la Communauté internationale. En Côte d’ivoire, la presse a bénéficié de la dépénalisation, depuis décembre 2004. C’est à l’actif du président Laurent Gbagbo qui, s’est toujours opposé à ce qu’un journaliste soit persécuté ou emprisonné pour ses idées. Mais, cette loi n’est plus qu’un vulgaire texte. La presse est muselée et vit dans la terreur à cause des intimidations, voire des assassinats. On peut citer par exemple, Sylvain Gagneteau, Légré Marcel, et plus récemment, en octobre 2013, Désiré Oué assassiné devant sa famille parce que soutenant les institutions de la République incarnées par Laurent Gbagbo.

 

En France, comme presque partout dans le monde, la liberté de la presse n’est qu’un leurre! J’en veux pour preuve que la presse française ne peut expliquer à son peuple toutes les dérives de la politique étrangère de celle­ci. L’installation de la démocratie par les bombes avec ses dégâts collatéraux qui touchent sensiblement les populations hors de la France. Le soutien de présidents illégitimes, des rébellions armées, parfois même au mépris de lois de ces pays souverains, n’est nullement dénoncés par les médias occidentaux. Aujourd’hui le classement de la Côte d’Ivoire à la 101ème place selon Reporters Sans Frontières (RSF) est plus que justifié. Car, ni la presse occidentale, ni la presse nationale ivoirienne et les autres presses n’arrivent à dénoncer les graves violations de droits de l’Homme en Côte d’Ivoire. Par exemple, le génocide des Wè (ethnie de l’ouest de la Côte d’Ivoire), la torture de plus de 800 prisonniers politiques, le règne des seigneurs de guerre décorés par le régime d’Abidjan, la dépossession des terres des autochtones ivoiriens, la naturalisation en masse de nombreux étrangers, les assassinats, les arrestations et tortures systématiques de tous les proches et sympathisants de Laurent Gbagbo. Pour différentes raisons, la presse quelle que soit où elle se trouve est muselée et sous pression des politiciens et autres maîtres du monde. Doit-­elle pour autant reculer face à sa responsabilité, à savoir informer, éveiller la conscience des populations, mener la lutte pour les libertés et la souveraineté des Etats?

 

Moi je dis non, parce que le journalisme en plus d’être un métier noble est un devoir et quelque soit les sacrifices à consentir, il faut tenir cet engagement. Tel est l’engagement de la femme, de la mère et de la journaliste que je suis!
Puisse mon témoignage vous édifier et vous apporter un plus dans le choix important de votre
future place dans la société. Pourquoi pas en tant que journaliste. Excellente semaine de la presse et des média.

 
Carole Attioumou­ Sérikpa

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Chers élèves, séparez la bonne graine de l’ivraie

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Chers élèves,

 

Vous allez aborder comme chaque année « la Semaine de la presse et des médias dans l’école ». Mais vous êtes conviés cette fois-ci à l’examiner sous l’angle de l’« info, et des supports ». Car une même information peut être différemment traitée selon le type de média qui la prend en charge. Vous l’avez sans doute remarqué par vous-mêmes et ce, avant même qu’on vous l’enseigne, une nouvelle apprise à la radio, est reprise presque instantanément par la télévision et les publications en ligne, la presse écrite prenant généralement le relais le lendemain, voire dans la semaine ou le mois selon la périodicité.

 

Excusez-moi, de faire cette comparaison brutale avec le commerce, sachant que le métier de journaliste prête à idéalisation quand bien même il demeure un métier noble. Vous l’avez compris : toute information, quelque soit le support qui la véhicule est un produit. Un produit informatif certes, mais, qui plus est, est doublé d’une valeur commerciale.

 

L’info comme le chocolat
Vous l’avez sans doute relevé avant que vos parents vous l’apprennent, le chocolat est vendu sous diverses formes. Il existe en poudres, en pilules, en boissons, en purées, en bouchées, en grandes ou petites tablettes, en bonbons, en coffrets, en jouets de miniature et j’en oublie… Il peut être associé à d’autres ingrédients comme le lait et le sucre. De même l’information comme tout produit se décline sous des formules extrêmement diverses. Pour ainsi dire, l’info se coule dans le moule qui lui donne sa forme. Si nous sommes tous des consommateurs de l’info, il y a, au demeurant, autant d’infos et de journaux que de publics ou ce qu’on appelle les lectorats. Les petites bourses par exemple ont un accès limité aux magazines onéreux ou de luxe, qu’ils peuvent néanmoins consulter en médiathèque. Mais pas seulement. Les plus instruits des gens, autodidactes ou ayant fait des études à l’université, ont la capacité d’assimiler les écrits de haut niveau, ce qui n’est pas le cas des moins cultivés. Aussi certaines personnes seront-elles plus aptes à lire tel ou tel journal suivant qu’elles sont accros de foot, d’informatique ou de cinéma, d’où d’ailleurs le besoin des médias spécialisés comme les revues pour enfants, les revues médicales, de voyages, de l’auto, de la pêche, du bricolage, du jardinage, d’animaux etc. C’est dire que finalement ce sont les consommateurs que nous sommes, qui déterminent la fabrication du support par lequel nous vient l’info.

 

Si j’ai comparé l’info au chocolat, c’est qu’elle peut être livrée dans un bel emballage tellement aguichant, que vous risquez d’en consommer de mauvaises. Il faut avoir goûté à plusieurs genres de produits journalistiques, pour que vous puissiez apprécier les infos à leur juste valeur. On dit que la radio donne l’info, la télé la « montre » et les journaux l’analysent. La pluralité de titres et de supports, renforce certes la liberté d’expression, mais celle-ci n’est pas pour autant définitivement acquise. Il lui faut la sanction des différents publics. C’est pourquoi, chers élèves, vous êtes appelés en tant que consommateurs de l’info à séparer la bonne graine de l’ivraie sinon vous ne lirez que ce qu’on voudra vous faire lire.

 

Larbi GRAÏNE

 

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Semaine de la presse : les élèves s’invitent aux infos

[par Benson SERIKPA]
 
La 25ème édition de la Semaine de la presse et des médias dans l’école® se tient du 24 au 29 mars autour du thème : « Une information, des supports », s’achèvera le 29 mars prochain. C’est une initiative du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI), un rendez-vous annuel d’éducation aux médias et à l’information, axe fort de la loi de refondation de l’école de la République en France. L’objectif étant durant toute cette semaine, d’emmener les élèves à apprendre à analyser, à hiérarchiser, à vérifier les informations, à développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information.
 
Il s’agit donc de 14 125 établissements scolaires, de 186 675 enseignants et de 3 137 940 élèves qui se retrouveront pour échanger lors de cette édition. Près de 1900 médias participant à cette semaine de la presse et des médias dont 657 de la presse écrite, offrent à cette occasion 1 113 120 exemplaires de journaux et magazines (dont 10 000 journaux scolaires) pour permettre aux participants de mieux s’imprégner des médias. Chaque école recevra en moyenne 57 titres, acheminés gracieusement par La Poste et 46 000 colis, distribués par les facteurs.
 
Par ailleurs, des médias numériques tels que, AFP, Médiapart, Arrêt sur image, La Documentation française, Europresse, Relay.com, Vocable, Philosophie Magazine, etc feront des offres spécifiques aux différents participants. A savoir, un mois d’accès gratuit à leur site internet. Les enseignants quant à eux, pourront télécharger la première application tablette d’éducation aux médias, réalisée par le CLEMI avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication et de l’Agence pour l’Enseignement français à l’Étranger (AEFE).
 
Une Semaine de partage en perspective et riche en enseignement de part et d’autre, à laquelle est associée La Maison des Journalistes (MDJ). Les journalistes de la Rédaction de l’Oeil de l’Exilé, journal en ligne de cette institution, dirigée par Darline Cothière, se proposent d’adresser une lettre ouverte aux lycéens français, en vue de leur parler de la liberté de la presse, lors de cette 25ème édition.
 

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A l’origine des représentations

[Par Larbi GRAÏNE]

 

La bibliothèque nationale de France – Richelieu, sise au 5 rue Vivienne dans le 2e arrondissement de Paris abrite depuis le 18 mars une exposition de dessins français du XVIIe siècle. Cette exposition qui se poursuit jusqu’au 15 juin 2014, rassemble plus de 100 dessins et 50 estampes qui leur sont associées. Ces œuvres sont puisées du Fonds du département des Estampes et de la photographie.

 

L'affiche de l'exposition

L’affiche de l’exposition

 

« On découvre des artistes méconnus et on se rend compte de l’importance de la gravure. Ce qui est intéressant, c’est cette possibilité qui nous est offerte de découvrir une partie des œuvres de certains artistes dont on connait leurs peintures mais pas leurs dessins » nous confie ce monsieur venu assister au vernissage qui s’est déroulé le 18 du mois courant. Il est vrai que la sélection proposée, concerne plus de 40 artistes du Grand Siècle qui sont alternativement peintres et graveurs, sous la période allant d’Henri IV à la mort de Louis XIV. On retrouve les grands noms de l’époque à l’image de Martin Fréminet, Toussaint Dubreuil, Charles Le Brun, Jean Jouvenet, Jacques Callot, Sébastien Leclerc et Pierre Brebiette. La majeure partie des feuilles, restée inédite, n’a jamais été du reste exposée, comme celles de Michel II Corneille, Charles de La Fosse, Charles le Brun, Laurent de la Hyre ou Eustache Le Sueur. En outre, le public pourra aussi affiner sa connaissance des artistes récemment exhumés des comptes d’archives comme Marin Desmarestz ou Louis Richer. Autres curiosités qui ne sont pas des moindres : l’étude au lavis-rouge Prédication, décollation et miracle de saint Denis devant Paris dont l’auteur serait un artiste proche d’Henri Lerambert et Le Sacre de Louis XIII à Reims le 17 octobre 1610 de François Quesnel. La BNF a acquis récemment cette collection célèbre ayant été formée par le marquis d’Avignon au XVIIe siècle.
Les œuvres sont présentées selon un ordre chronologique où estampes et dessins paraissent dialoguer sur des thématiques variées. Cela va des projets d’architecture aux pompes funèbres en passant par les illustrations d’almanach, les images satiriques, les décors éphémères, les entrées triomphales et les modes. N’oublions pas que le site qui accueille cette exposition n’est autre que le somptueux Palais Mazarin, l’ancienne bibliothèque royale. Ce qui facilite une plongée dans le faste de la France monarchiste du temps de Corneille et de Molière.

 

« Dessins français du XVIIe siècle », du 18 mars au 15 juin 2014 à la BNF-Richelieu (Paris 2°) Infos et réservations : http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.dessins_francais.html

 

 

FIFDH – Au-delà de la dernière frontière

« C’est à nous jeunes, première génération Shengen, nous qui bénéficions du droit de circuler librement d’un Pays à l’autre, nous qui ne pouvons pas imaginer une frontière entre la France et l’Italie: c’est à nous de changer les choses, et de considérer finalement d’une façon différente l’idée de ‘frontière’ ». Le journaliste et reporter italien Alessio Genovese est intervenu jeudi 13 mars au Cinéma Nouveau Latina de Paris, lors de la projection de « Eu 2013 l’ultima frontiera », film documentaire dont il est co-réalisateur avec la journaliste Raffaella Cosentino. Après le grand impact obtenu auprès du public italien (le film avait été présenté au Festival dei Popoli de Florence en décembre 2013), il est arrivé pour la première fois en France à l’occasion du Festival international du film des Droits de l’Homme de Paris qui a lieu jusqu’au 18 mars.

crédit photo Giulio Piscitelli

 

La caméra d’Alessio Genovese est entrée pour la première fois à l’intérieur des Centres d’identification et expulsion (CIE), des établissements prévus par la loi italienne et dans lesquels chaque année sont retenues, pour une période maximum de 18 mois, environs 8000 personnes en régime de détention administrative. Dans les faits ces personnes n’ont commis aucune infraction pénale qui puisse justifier leur détention: il s’agit de migrants sans papiers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

Nés en 1998, les CIE répondent à l’exigence d’identification prévue par la Convention de Schengen sur l’ouverture des frontières intérieures des citoyens extra UE qui circulent dans l’Union. « Les CIE sont la démonstration de la faillite de l’Europe Unie – a commenté Alessio Genovese après la projection -; nous avons abattu les frontières intérieures, nous nous sommes constitués comme une communauté, nous nous ne sentons plus comme français où italiens, mais européens: cependant ce sentiment communautaire a été possible par la reconnaissance de l’autre comme ‘étranger’, les ‘extracommunautaires’ justement ». On estime qu’en Italie il y aurait quelque 500 000 migrants sans papiers: 8000 parmi eux entrent dans les CIE, et à peine la moitié est renvoyée dans son pays d’origine. Un taux qui démontrerait un système de régulation des flux migratoires « idéologique – a dit Genovese – parce qu’il ne répond à aucune utilité ».

 

« Eu 2013 l’ultima frontiera » constitue un point de rupture. Jusqu’au moment de la réalisation du film, en effet, les CIE étaient interdits à la presse. L’accréditation aux journalistes était accordée par les préfectures de façon « discrétionnaire ». En août 2011 un décret du Ministre de l’intérieur Roberto Maroni avait interdit l’entrée des journalistes dans les CIE. Grâce à l’intervention de la société civile, des nombreux journalistes et activistes, le décret a été aboli en décembre 2011 par la nouvelle Ministre Anna Maria Cancellieri. Cependant, même aujourd’hui l’accès aux CIE reste difficile pour les journalistes. « Nous avons réussis à avoir le permis – nous a expliqué Raffaella Cosentino – parce que nous l’avons demandé directement au Ministre, en contournant les préfectures. Le Ministère nous a accordé l’accès au maximum pour deux jours consécutifs, pour environs deux ou trois heures par jour. C’est peu, mais beaucoup si on pense aux quinze ans d’oubli ». Pendant le tournage les deux journalistes ont assisté aux nombreuses tentatives d’évasion, à des moments de tension et de soulèvements dans lesquels l’équipe de tournage a été éloignée et contrainte à éteindre la caméra. « La censure fait partie des CIE – a expliqué Cosentino – et nous avons décidé de montrer aussi les images dans lesquelles la police nous coupe la caméra. Nous n’avons pas réussi à vaincre la censure, mais nous l’avons montrée ».

 

À mi-chemin entre fiction et documentaire, « Eu 2013 l’ultima frontiera » a été tourné a l’aéroport international de Fiumicino, au port d’Ancona, et dans les CIE de Rome, Bari et Trapani. « Le film est né d’un véritable désir de montrer ce qu’on voit jamais, donc ce que personne ne connait », a avoué Genovese. Les CIE ont été installés dans des anciens bâtiments pensés pour d’autres fins, comme des casernes ou des hôpitaux psychiatriques. Des barreaux, des cadenas, des chaînes empêchent tout contact avec l’extérieur. Les migrants restent enfermés en attente : une attente qui peut durer 18 mois. Très touchantes les scènes filmées lors des entretiens périodiques avec le juge de paix, qui décide de la rétention ou de l’expulsion: il peut donner au migrant l’obligation de quitter l’Italie en sept jours. Mais, une fois sorti, s’il entre dans un autre Pays UE, comme le prévoit le règlement de Dublin, il est renvoyé en Italie où il est relégué de nouveau dans un des treize CIE de la Péninsule.

 

Adressé au public de cinéma, plus large et varié, le film a aussi été présenté dans les institutions, comme le Sénat et le Capitole de Rome. « Le film est là – a dit Genovese – désormais personne ne peut dire ‘je ne savais rien ».

 

 

FIFDH – Châtel : « La vie des demandeurs d’asile est suspendue à l’entête d’une enveloppe »

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, coréalisé avec Charles Emptaz, quelque chose de théâtral. Projeté le 13 mars 2013 au Nouveau Latina de Paris dans le cadre du 12e Festival International du film des Droits de l’Homme, Les Réfugiés de la nuit polaire, n’a pas manqué d’interpeller sur la situation des demandeurs d’asile en France.

 

Jonathan Châtel - crédit photo Larbi Graïne

Jonathan Châtel – crédit photo Larbi Graïne

Fjord, chalets éparpillés dans une campagne recouverte d’un manteau blanc, banquise à la dérive, mer azurée surplombée par de prodigieux rochers, rivière serpentant entre de grands icebergs, ce pan de Norvège sur lequel s’appesantit la caméra de Jonathan Châtel, ne fait guère la promotion du tourisme norvégien, même si elle s’efforce de décrire un monde oscillant entre désert polaire et univers féerique. Car l’histoire qui s’y raconte contraste avec ces paysages idylliques dont se ressentent l’opulence et la sérénité. C’est celle des demandeurs d’asile enfermés dans un Alcatraz d’un autre genre. Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, quelque chose de théâtral même si à priori, cela semble ne pas s’accorder avec ce genre de film ni avec le sujet traité : la vie des étrangers ayant fui leur pays et qui se retrouvent dans un hôtel désaffecté, le Mottak, transformé en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Or ce côté théâtral, est ce qui rend compte le mieux de la réalité vécue par les pensionnaires de ce centre insulaire implanté dans l’archipel des Lofoten.

 

Un homme de théâtre
L’air intellectuel, la chevelure ébouriffée, le visage ovale et bienveillant, arborant une fine moustache et une barbe, ce spécialiste du théâtre d’Ibsen, metteur en scène, scénariste, compositeur, voire enseignant et directeur d’un département d’études théâtrales à l’Université, se prend tout de suite de sympathie pour Salek, un Sahraoui militant pour l’indépendance du Sahara occidental. Jonathan Châtel, pour faire jouer sa pièce a trouvé le site idéal en le village de Stamsund, une petite île de pêcheurs. « J’ai choisi cet endroit parce qu’il présente un microcosme de la société norvégienne. Si mon film avait été tourné dans une grande ville, le centre serait noyé et la population ne se serait même pas aperçue de son existence. Là dans le village, on voit le Mottak immergé dans la société ». Et de confesser « il y a aussi quelque chose de subjectif dans ce qui a présidé à mon choix, c’est le fait que Salek soit enrôlé dans un théâtre local (Teater Nor )».

 

Un drame humain
Du reste, des 120 résidents du Mottak, quelques individualités sortent du lot. En plus de Salek, il y a le Syrien Oussama et un couple congolais. A eux quatre explique Châtel, ils représentent trois situations différentes. Si Salek s’est vu refusé à deux reprises sa demande d’asile et de ce fait devrait être renvoyé dans son pays, Oussama, lui, a reçu une réponse positive de la part de l’Udi, (la direction norvégienne de l’immigration) tandis que le couple congolais est en attente d’une réponse. « J’ai voulu décrire le désarroi de ceux qui vivent dans l’attente de ce sésame qu’est le statut de réfugié, c’est pourquoi je me suis plus intéressé aux personnes incarnant les différentes situations qu’aux nationalités des uns et des autres » soutient-il. Le film montre Salek comme quelqu’un de très sociable. Artiste accompli, il peint des tableaux, et campe des rôles sur les planches. Gentleman, il se mêle à la vie mondaine du village et fait connaissance avec une ancienne ministre norvégienne des Affaires étrangères. Mais il est présenté comme originaire du « Sahara occidental » devant être expulsé vers le « Maroc ». Jonathan Châtel a choisi de ne pas être très politicien, ce qui l’intéresse c’est le drame humain. Est-ce que Salek dont la demande d’asile a été refusée mérite-t-il le statut de réfugié ? Châtel pense bien que oui. « Salek est une personnalité, c’est quelqu’un qui a beaucoup de talent » dit-il. Le film n’évoque pas le statut du Sahara occidental dont une partie est administrée par le Maroc. La souveraineté de ce pays sur ce territoire, qui est une ancienne colonie espagnole est sujette à équivoque puisque l’ONU a décidé d’y faire tenir sous la supervision d’un organisme onusien un référendum d’autodétermination.

 

La Norvège, un pays riche mais fermé
Châtel fera observer que la « Norvège est un pays riche » rappelant qu’on y a découvert du pétrole dans les années 70 ». Dans le film, un habitant de Stamsund déplore le fait que la Norvège soit un pays fermé aux demandeurs d’asile, croyant savoir qu’on a « fait toutes ces lois afin d’empêcher de faire venir les gens de couleur ». Un autre plaide pour un « tri » des demandeurs d’asile pour ne pas être amenés à les parquer si l’on s’évertuait « à accorder le statut de réfugié au tout venant ». Est-ce que le Mottak a eu à héberger une personne provenant d’un Etat européen ? Jonathan Châtel a commencé par dire non avant de se raviser, signalant avoir entendu parler du « cas d’un Français mais dont je n’ai pas suivi la situation».

 

Comme à la prison
Châtel a réalisé un film où perce l’angoisse d’hommes et de femmes qui attendent la réponse de l’organisme appelé à leur accorder ou refuser le statut de réfugiés. Il a laissé entendre que les autorités considèrent les gens du Mottak comme des prisonniers. Et d’affirmer « d’ailleurs ils ont été avertis que s’ils ne donnaient pas signe de vie au bout de trois jours, ils seront exclus du centre ». Le film de Châtel rappelle un peu, même si on parait forcer sur le trait, la vie de ces prisonniers qui attendent leur tour pour passer sous la guillotine. « Ils ne veulent pas réfléchir à leur cas, ni échafauder des plans pour l’avenir avant de connaitre le sort qui leur est réservé » souligne Châtel. Et ce dernier de résumer ainsi la situation « la vie de ces gens est suspendue à l’entête d’une enveloppe, ils savent qu’à un moment ou un autre leur vie va basculer ». La délivrance pour certains intervient après une réponse positive, mais c’est le calvaire pour ceux qui doivent recevoir une réponse négative.

 

Quid de la France ?
En quelque sorte ces pensionnaires du Mottak, vivent ces moments d’attente comme un supplice « malgré le fait qu’ils touchent deux fois par mois, 200 euros ». Dans le débat, une intervenante fera remarquer que si en Norvège les demandeurs d’asile semblent être mieux traités que ceux de France, en percevant plus d’argent et en ayant droit à un hébergement, parfois à un travail, il n’en demeure pas moins qu’ils endurent la même situation d’incertitude que leurs homologues en France. En somme, un meilleur confort n’améliore en rien leur état psychologique.

 

 

FIFDH, Roman Vital fustige le traitement des demandeurs d’asile en Suisse

[Par Benson SERIKPA]

[Ci-dessous les propos recueillis par Carole SERIPKA]

 

Rejetés au paradis, pourrai-t-­on résumer, le film­ documentaire de Roman Vital, qui a ouvert la 12ème édition du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH), le mardi dernier au cinéma le Nouveau Latina, à Paris. Ce film intitulé « Life in paradise », qui passe en avant-première en France, a tenu en haleine le public présent pendant 78 min. Il met en exergue la vie miséreuse des demandeurs d’asile rejetés dans un des centres de déportation que compte la Suisse. Mais aussi, le réalisateur suisse projette le regard que les fonctionnaires qui y travaillent ont de ce centre ­même et de son fonctionnement. Et il n’occulte pas pour autant l’opinion à la fois hostile et dégradante des habitants de Valzeina, village paradisiaque qui abrite ce centre, sur « ces voisins » que le gouvernement leur impose.

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Photo crédits : http://www.rtr.ch/

 

Lors du débat qui a suivi la projection de ce film­ documentaire (en compétition officielle), Roman Vital a précisé qu’il a travaillé en toute objectivité dans le souci d’inviter les camps politiques (Droite et Gauche) suisses à se pencher sur la politique de l’immigration, notamment sur la question des demandeurs d’asile sur le territoire Suisse.

 

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Bien avant la projection de « Life in paradise », Jonathan Vaudey, Responsable de programmation du FIFDH, a rappelé que cet événement se veut être une plate forme d’expression sur les questions liées aux Droits de l’Homme. Selon lui, toutes les programmations seront suivies de débats avec les différents réalisateurs. Au nom de Vincent Mercier, Délégué général FIFDH Paris, il a remercié tous les partenaires de cette manifestation qui accueille pour la première fois l’UNHCR.
Pour sa part, Bernard Schricke, Directeur Action et plaidoyer France ­Europe, Secours Catholique, ­Caritas France, s’est dit heureux de soutenir une fois de plus cette initiative de l’association Alliance Ciné. Il a notamment encouragé le public à avoir également un grand intérêt pour l’exposition photo intitulée « Les oubliés de nos campagnes », qui se tient à la faveur de cette 12ème édition du FIFDH. Une belle soirée, qui en annonce encore de plus belles, jusqu’au 18 mars prochain, pour les mordus du 7ème Art qui, veulent bien entendu joindre l’utile à l’agréable.

[Propos recueillis par Carole Sérikpa]

Freddy Djerra (Dessinateur de presse) : « Plus informatif qu’engagé…»

« Le film partait dans tous les sens. C’est bien de prendre une position à savoir, être neutre. Mais pour moi, on ne peut traiter ces sujets, notamment ceux des Droits de l’Homme sans être engagé. On ne peut pas faire ce genre de film­ documentaire et dire qu’on laisse les gens  se faire leur propre idée. Je crois que son film est plus informatif qu’engagé et c’est vraiment désolant».

Laurène Lepeytre (Réalisatrice) : «C’est partial »
«J’ai été choquée par ce film, parce que le réalisateur dit être neutre. Pour moi, il n’est pas neutre parce qu’il épouse le point de vue des habitants. Qui, sont très peu en empathie avec ces demandeurs d’asile. J’ai l’impression que le réalisateur n’a pas réussi à créer cette proximité entre les habitants et ces demandeurs d’asile. Les paroles des habitants sont tellement choquantes et on n’a pas de contre­points pour contre-balancer le poids de leurs propos. Et c’est ce qui me gène. Du coup, pour moi ce film est partial ».

Gérard Valadier (Animateur au Secours Catholique) : « Un regard froid »
«Ce film est une occasion de se poser des questions sur le regard que nous portons sur les hommes quel que soit leur situation. Dans les commentaires des habitants de ce village, nous pouvons penser que c’est un regard froid. Mais en même temps, c’est le regard que porte certaines personnes sur les demandeurs d’asile. C’est donc l’occasion de s’interroger, est-ce le seul regard que je veux porter sur les gens ? Ou, est-ce que je veux aller plus loin? C’est un pas de plus sur la compréhension de la situation. Le plus important c’est de le montrer aux personnes qui ne sont pas encore convaincues, pour qu’elles voient l’aspect plus humain de la chose ».