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Portrait. Sharareh Mehboudi, journaliste et militante iranienne 

« Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée »

Dotée d’un sourire franc et aux cheveux couleur magenta, Sharareh Mehboudi est une reporter indépendante, activiste et chercheuse iranienne, réfugiée en France depuis mars 2023. Désormais hébergée à la Maison des journalistes, elle revient pour l’Œil de la MDJ sur son parcours éclectique, ainsi que sur la répression des droits civils et sociaux en Iran. 

Sharareh Mehboudi est une femme aux multiples facettes : reporter, activiste, chercheuse universitaire, blogueuse, rien ne semble l’arrêter. Fondatrice du site irandigitalnomad, où elle documente depuis 2015 ses combats, Sharareh s’est érigée en véritable opposante du régime des Mollahs et à l’autoritarisme avec le soutien de la population iranienne. Aujourd’hui, son blog relaie les informations de journalistes sur place et couvre la résistance civile iranienne sur Paris.

La journaliste garde un doux sourire durant tout l’entretien, parlant un français courant, qu’elle a pourtant commencé à apprendre moins d’un an plus tôt. Elle explique que depuis plus de dix ans, elle s’est engagée « en Iran dans le milieu journalistique en faveur d’une diffusion libre des informations et pour la défense des droits de l’Homme », et plus particulièrement dans la protection des droits des femmes. « J’étais et je suis l’une des activistes de la campagne de lutte contre les crimes d’honneur en Iran, et de la campagne s’opposant au port obligatoire du voile. »

Sur son blog, elle poste des photos d’elle sans hijab et relate l’actualité sur les droits des femmes de son pays, ainsi que des communautés kurdes. Une activité qui a manqué de venir à bout de la reporter, contrainte à l’exil.

Sharareh durant son voyage en Turquie, à Istanbul.

Une journaliste-activiste habituée aux arrestations sommaires

Depuis dix ans donc, Sharareh a documenté son combat et ses protestations, ainsi que travaillé pour de nombreux journaux iraniens et occidentaux : Iran Intl, VOA News, Iran Global, Akhbar-Rooz, Tribune Zamaneh, Stop Honor killings, News Gooya ou encore Le Figaro. Elle traite les sujets de tous les domaines : politique, économique, culturel, sociétal, droit des femmes et des kurdes… La journaliste ne se refuse aucun sujet, malgré les menaces et la répression qu’elle subit dès 2011. 

« En novembre 2011, j’ai été emmenée dans les locaux de l’Ershad (Bureau de police de charia), rue Wozara à Téhéran. J’y suis restée trois jours car je ne pouvais pas payer la caution. Lors des interrogatoires, j’ai été torturée par les agents des services de sécurité : ils m’ont insulté, tabassé, donné des coups de pieds et des violentes gifles. » 

Courageuse, Sharareh refuse de signer des excuses et la promesse officielle qu’elle ne s’attaquera plus à certains sujets, notamment sur la communauté kurde. « Les violences ont continué. J’ai été blessée et suivie par un médecin pour cela mais je n’ai jamais pu être soignée. »

Cet épisode n’arrête pas la reporter et activiste, bien au contraire. Elle entame entre 2016 et 2019 un grand voyage en Iran : l’objectif, se balader libre et sans hijab dans les rues et sur les sites historiques. Durant 3 ans, Sharareh se prendra en photo tête nue dans tout le pays, défiant le port du voile obligatoire. 

Et dès 2016, « j’ai publié une photo de moi non voilée lors de la célébration de la mémoire de Cyrus le Grand. Cette photo a été par la suite largement relayé dans les médias étrangers. J’accompagnais souvent cette photographie d’articles critiquant l’obligation du port du voile. La publication d’une de mes premières photos sans voile obligatoire sur Internet m’a valu d’être virée de mon poste de directrice pédagogique d’un centre de conseil Moshaverin. »

Par la suite, « j’ai été la cible de menaces des Services de sécurité iraniens et ai subi de nombreuses pressions de leur part. Je recevais en permanence des appels anonymes des agents des services de sécurité, me menaçant d’arrestation et même de mort. Leur objectif était de me réduire au silence et de me pousser à renoncer à mes activités de militante. »

La communauté kurde, ligne rouge du régime des Mollahs

Un voyage peuplé d’embûches, mais durant lequel Sharareh rencontre un fort soutien de la population. Les civils ne lui font pas de remarques, alors que les services de sécurité n’hésitent pas à la terroriser. 

Qu’à cela ne tienne, Sharareh continue de documenter son aventure ainsi que la vie des Iraniens et des Kurdes qu’elle rencontre. « En 2019, je me suis rendue au Kurdistan afin de préparer un reportage sur la situation des kolbars qui s’y trouvent. À l’issue de mon travail, je me suis rendue à Chiraz dans le sud de l’Iran pour voir mes proches, en novembre de la même année. »

Une période sensible pour le pays, qui entre à l’époque dans une révolte contre le régime des Mollahs, violemment réprimée. En 2019, le pays connaît une période d’inflation extraordinaire, ruinant la population. Le 15 novembre, des manifestations géantes éclatent dans le pays, conduisant à la mort de 140 civils et à 7 000 arrestations, avant que le régime ne coupe l’accès à Internet à la population. 

« Je vivais à ce moment-là à Téhéran mais j’ai participé aux manifestations de Chiraz », nous explique Sharareh de sa douce voix. « Après quelques jours, je suis retournée à Téhéran pour assurer ma sécurité car le risque que l’on m’identifie à Chiraz était trop important. » Trop tard cependant, car une photo d’elle sans hijab dans la ville se met à circuler sur tous les médias persans. Sa visibilité explose et d’autres Iraniennes suivent son mouvement. 

Sharareh tête nue à Chiraz, en 2016.

Une notoriété qui n’est pas sans funeste conséquence : elle fait dorénavant l’objet d’une violente campagne de harcèlement en ligne, où elle est régulièrement menacée de mort. À son retour à Téhéran, sa vie bascule.

Alors qu’elle rentrait chez elle, Sharareh aperçoit la porte de son domicile enfoncée, avec des individus à l’intérieur, appartenant aux services de sécurité. « Ils ont saccagé le mobilier et ont emporté avec eux mon téléphone professionnel ainsi que mon ordinateur portable. Il contenait tous mes documents confidentiels y compris mes reportages d’investigation, mes écrits, les vidéos des manifestations ainsi que mes échanges avec des activistes des droits de l’Homme à l’étranger. »

Dès lors, Sharareh comprend que « [son] arrestation et [mon] emprisonnement étaient inéluctables. Le risque était d’autant plus important qu’à l’issue du soulèvement de novembre, la répression des services de sécurité s’est considérablement intensifiée. J’ai décidé de partir directement d’Iran vers Istanbul à la fin de l’année 2019. »

« Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran »

« À Istanbul, j’ai rejoint des amis journalistes et reporters. Ma famille m’a informé qu’une convocation au tribunal était parvenue à mon domicile à Téhéran. De même, le tribunal a contacté ma famille et a menacé ces derniers pour que je me rende au ministère des Renseignements. Je ne connaissais pas la raison de ma convocation mais je ne souhaitais pas prendre le risque de subir toute forme d’interrogatoire ou d’arrestation arbitraire. »

Le mauvais sort ne cesse d’accabler Sharareh, qui s’installe en Turquie juste avant l’annonce du confinement du fait de la pandémie. « Je ne pouvais plus retourner en Iran et mon séjour irrégulier à Istanbul s’avérait compliqué. J’ai alors effectué une démarche en ligne afin d’obtenir un visa de touriste d’une durée d’un an avec une autorisation de travail. J’ai pu le renouveler deux fois pour une durée totale de trois ans. »

C’est durant cette période que Sharareh se met à travailler pour plus de médias occidentaux, parfois sous couvert d’anonymat : Voice of America, Iran International, Tribune Zamaneh, la journaliste ne lésine pas. Elle poursuit par ailleurs son travail d’activiste, en participant à des rassemblements iraniens à Istanbul, notamment en septembre 2022, après le meurtre de Mahsa Jina Amini. Tuée le 16 septembre 2022, date d’anniversaire de Sharareh, Mahsa a durablement marqué les mémoires des Iraniens et de la communauté

« Des photos et des vidéos de ma personne en train de scander des slogans tels que « Femme, Vie, Liberté » et de brûler un voile ont été relayées dans les médias iraniens et turcs. J’ai notamment collaboré avec Le Figaro dans le cadre de la réalisation de nombreux reportages et d’interviews avec les manifestants et opposants en Iran. Ces activités ont été à l’origine d’une reprise des menaces et des appels anonymes à travers les réseaux sociaux et sur WhatsApp. »

Malgré les changements récurrents de numéro de téléphone, les agents des services de sécurité continuent de la harceler et de la traquer. « Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran. Ils connaissaient mon adresse postale. Ils pouvaient m’appeler deux à trois fois par semaine ou plusieurs fois dans la même journée. Je me suis recluse chez moi, inquiète de l’effectivité des menaces de mort et de viol. »

Elle demeure néanmoins quatre ans à Istanbul et continue son travail de correspondante étrangère pour plusieurs journaux occidentaux. « En octobre 2022, j’ai également subi une cyberattaque sur irandigitalnomad.com. J’ai perdu les articles que j’avais écrit sur des sujets féministes iraniens et droits de l’Homme, ainsi que la partie graphique de mon site », déplore-t-elle avec douleur. 

Des campagnes de harcèlement en ligne, des menaces quotidiennes et des cyberattaques qui lui font craindre pour sa sécurité à Istanbul. Il n’y a plus d’autres choix que de fuir dans un pays « tiers et lointain », où le régime des Mollahs ne pourrait pas l’atteindre. « Ainsi, j’ai adressé une demande de visa à l’Ambassade de France en Turquie. Ils m’ont proposé de me remettre un visa talent afin que je puisse entrer sur le territoire français et déposer ma demande d’asile, avec la recommandation de Reporters sans frontières. »

« Lorsque j’ai dû déménager à Istanbul, puis en France, ma plus grande crainte et ma plus grande inquiétude étaient de perdre mon indépendance en tant que journaliste. Ma vie a été détruite deux fois parce que j’écrivais et disais la vérité. J’ai dû laisser mon chat à Istanbul pour immigrer en France », témoigne-t-elle avec douleur.

« Avec l’aide d’organisations comme RSF et la MDJ, et avec l’aide de journalistes indépendants comme Delfin Minoui, je suis une journaliste indépendant parrainé par l’Union européenne. Aujourd’hui, je suis un journaliste indépendant parrainé par la Maison des journalistes. S’il n’y avait pas de MDJ, la vie en exil serait plus difficile pour moi. » Des partenaires que Sharareh tient à remercier chaleureusement, lui ayant permis de se sentir plus en sécurité.

Depuis, Sharareh Mehboudi poursuit sa lutte à Paris. Ayant fait l’objet d’un procès par contumace en Iran, dont l’accusation a été formée selon les informations recueillies sur son ordinateur. « Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée », affirme-t-elle. Alors, elle prolonge la lutte pour ses sœurs iraniennes et pour elle-même, malgré la haine qu’elle subit.

Grâce à la Maison des journalistes, Sharareh a pu bénéficier d’un accompagnement sur le plan administratif, et profiter des cours de français qui y sont dispensés. « Faire la connaissance de journalistes d’autres pays qui ont été contraints d’émigrer en raison de la liberté d’expression est pour moi intéressant et inspirant », précise-t-elle.

« J’aimerais beaucoup publier en français mon livre, qui est une biographie de 20 combattantes iraniennes, et pouvoir poursuivre ma carrière de journaliste dans les médias francophones. Comme vous le savez, plus de 100 journalistes sont emprisonnés en Iran. En raison du manque de liberté d’expression en Iran, je peux publier la vérité sur les événements actuels de mon pays avec Le Figaro. »

Elle continue par ailleurs d’alimenter son blog, Irandigitalnomad, et de travailler avec des médias iraniens indépendants. Elle souhaite également publier son livre en français, récit de la lutte et de la résistance civile des femmes iraniennes. « Je souhaite rester journaliste pour le reste de ma vie et travailler sur les droits de l’homme, les droits des femmes et l’information. Et pouvoir aider les journalistes indépendants dans les pays dictatoriaux », rappelle-t-elle avec fermeté. « Et après la victoire du peuple iranien, je retournerai dans mon pays pour ouvrir une Maison des journalistes en Iran et consolider la liberté d’expression. »

Maud Baheng Daizey

Initiative Marianne 2023 : la Maison des journalistes aux côtés des défenseurs des droits

Ce lundi 13 février 2023, la MDJ a accueilli l’Initiative Marianne, à l’occasion d’une table ronde. Fondée par l’Elysée en 2021, l’Initiative Marianne a pour vocation d’aider et soutenir des défenseurs des droits du monde entier à construire leur projet. Les 12 lauréats 2023 ont ainsi pu rencontrer les journalistes de la MDJ, afin d’échanger expériences et perspectives.

Leur particularité ? Faire partie des lauréats 2023 de l’initiative. Bahreïn, Bangladesh, Cameroun, Russie, Ouganda, ou encore Venezuela, les quatre coins du monde sont représentés. Ils sont avocats, directeurs d’un institut des droits de l’Homme, fondateurs d’associations, d’agence de publicité ou encore d’ONG, interprètes pour les instituts de l’ONU, consultants en environnement, et sont de fervents défenseurs des droits.

La directrice de la MDJ Darline Cothière effectue la visite aux défenseurs des droits.

Les journalistes Niaz Abdullah (Irak), Noorwali Khpalwak (Afghanistan), Nadiia Ivanova (Ukraine), Manar Rachwani (Syrie), Laura Seco Pacheco, Wimar Verdecia Fuentes (Cuba), Alhussein Sano (Guinée Konakry) et Elyaas Ehsas (Afghanistan) étaient présents pour échanger autour d’une table ronde avec les lauréats. Au programme, les droits de l’Homme, de presse et d’expression dans les différents pays représentés.

De nombreux partenaires permettent à l’Initiative Marianne de pérenniser sa mission : le ministère des Affaires étrangères favorisant les candidats en France pour six mois, avec le groupe SOS, l’Agence Française de Développement et la Plateforme des droits de l’Homme. Une fois par mois, les lauréats visitent un organisme, association ou institut français pour la protection des droits de l’Homme afin de faire évoluer leur projet.
Les lauréats 2023 de l’Initiative Marianne discutent et débattent avec les journalistes de la MDJ.

La guerre en Ukraine a occupé une certaine place sur la table, évoquée par des défenseurs de droits russes : Tamilla Ivanova, seulement âgée de 23 ans, défendait le droit de manifester et de se rassembler à Moscou, et enquêtait sur les disparitions inexpliquées en Tchétchénie lorsqu’elle a dû quitter le pays au début de la guerre. Des amis activistes avaient été emprisonnés à l’aube du conflit pour s’être exprimés contre l’invasion russe, la poussant alors à s’exiler.

La question des indigènes a également été soulevée à travers les interventions de Virginia Roque Aguilar, activiste environnementale du Salvador et persécutée par le président actuel, ainsi que du Colombien Eliecer Aras, indigène de la Sierra menacé de mort. Originaire du nord de la Colombie, Eliecer Aras a été témoin des politiques d’extermination des peuples indigènes menées par les milices paramilitaires, et dont son frère a été la malheureuse victime.

Recevant toujours des menaces de mort depuis la Colombie, il s’était réfugié un temps en Espagne avant de participer à l’Initiative. Aujourd’hui, Eliecer Aras travaille pour l’Organisation des victimes d’Etat en plus d’être bénévole pour la Croix Rouge.

Le Pérou a également été évoqué avec la défenseure péruvienne Karin Anchelia Jesusi, une femme courageuse se donnant corps et âme pour le peuple et les indigènes de son pays. Elle a expliqué accompagner depuis une quinzaine d’années des femmes ayant subi une stérilisation forcée (politique mise en place par l’Etat), alors que le pays traverse une crise économique et politique considérable.

Karin Anchelia Jesusi a tenu à rappeler qu’environ 60 personnes autochtones sont mortes dans les dernières manifestations, sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte, faute d’intérêt du gouvernement. Une violation des droits de l’Homme que la Péruvienne a dénoncé et mis en lumière.

Estelle Lobe, activiste camerounaise de l’environnement et protection des populations locales, aide de son côté à protéger les autochtones vivant dans les espaces forestiers (dévastés par les groupes industriels). Elle a enquêté et exposé depuis plusieurs années « la chaîne de corruption de la zone forestière du bassin du Congo », tout en étant cofondatrice d’une ONG.

Cette dernière s’est fixée pour objectif la protection des déplacés internes et des migrants environnementaux d’Afrique. Autour de la table, Estelle Lobe a rappelé la gravité de la situation des libertés au Cameroun, et du muselage extrême des journalistes dans le pays, évoquant l’affaire du journaliste Martinez Zogo, assassiné en janvier 2023. Le collègue d’Estelle Lobe, originaire du Gabon mais travaillant dans le bassin du Congo, s’était fait tirer dessus il y a quelques semaines et est toujours persécuté à l’heure actuelle. Il a pu s’enfuir du pays depuis, gardant secret sa localisation précise.

La Maison des journalistes et l’Initiative Marianne aux termes d’une rencontre enrichissante. Une photo d’Alhussein Sano.

Maud Baheng Daizey

Egypte – Histoires de la plus grande prison pour femmes, Al-Qanatir

C’est une matinée d’hiver ensoleillée au Caire où moi et un petit groupe de Maadi Community Church (MCC) prenons la route pour la prison d’al-Qanāṭir.

Après une heure de route à travers différents quartiers entourant la capitale égyptienne, je me retrouve devant la porte principale de la prison, signalé par un gros écrit en arabe «Manṭiqa al-sujūn al-Qanāṭir» (zone des prisons d’al-Qanāṭir) au sommet duquel flotte le drapeau tricolore égyptien.

Située dans la zone d’al-Qanāṭir, au sommet du delta du Nil, la prison d’al-Qanāṭir comprend la seule grande prison pour femmes d’Égypte. De plus, le complexe présente une division pour les détenus étrangers et les détenus égyptiens. Un visiteur fréquent de la prison a indiqué qu’environ 2000 détenus sont actuellement détenus dans la section des femmes, dont 200 étrangers, malgré une capacité maximale de 1200 personnes. Les hommes sont au nombre de 250, dont 160 Égyptiens et 90 étrangers.

Poncet, originaire du Congo Kinshasa RDC qui visite les prisonniers depuis 23 ans, passe attentivement en revue les principales règles applicables à la zone: pas de téléphone, pas d’équipement électronique, identification personnelle obligatoire. Avec Nina, il organise des visites régulières aux détenus des divisions hommes et femmes de la prison d’al-Qanāṭir et dans d’autres endroits comme le poste de police de Nuzha. Avec certains membres de l’église communautaire de Maadi (MCC), ils fournissent un soutien aux détenus étrangers, à travers des visites régulières, des consultations avec les avocats et les ambassades ainsi que la livraison de nourriture et de fournitures générales.

La longue attente

Comme c’est la première fois que je visite une prison, je suis particulièrement vigilante, observant attentivement mon environnement et essayant de saisir chaque détail autour de moi. Tout en restant dans la longue file d’attente pour le contrôle de sécurité, un certain nombre de choses attirent inévitablement mon attention.


Une atmosphère humaine remarquable est paradoxalement générée dans un endroit confiné où, par définition, les gens ne peuvent pas bénéficier du même traitement humain qu’à l’extérieur.


En particulier, je suis stupéfaite par la variété de personnes qui se réunissent par hasard en visitant leur conjoint en prison. Des familles entières, femmes, hommes, plusieurs enfants, des gens de la ville ainsi que de la campagne, des classes sociales différentes, des emplacements géographiques, des niveaux d’éducation, d’âge, toutes ces catégories de personnes se mélangent et partagent le même espace pendant presque toute une journée.

En raison du long temps d’attente et de l’absence de dispositifs technologiques, les visiteurs inévitablement interagissent les unes avec les autres, se regardent et s’engagent même dans des conversations. En conséquence, une atmosphère humaine remarquable est paradoxalement générée dans un endroit confiné où, par définition, les gens ne peuvent pas bénéficier du même traitement humain qu’à l’extérieur.

De plus, un certain nombre d’événements sont observables dans ce très petit espace rempli de trop de monde.

À côté de moi, un groupe de femmes venant du Caire échange avec désinvolture des discussions sur leur voyage à al-Qanāṭir.

De l’autre côté, certains hommes font la queue en silence, tandis que d’autres s’entraident en portant les sacs lourds avec les fournitures nécessaires aux détenus. Pendant ce temps, d’autres personnes traversent la porte après avoir parlé avec les responsables de la prison. Je ne peux que remarquer l’échange d’argent et des bakchich qui se produisent à la porte d’entrée. Je me souviens immédiatement de l’avertissement du «Code de conduite – Ministère pénitentiaire international» que Poncet m’a envoyé avant la visite:

«Veuillez ne donner aucun baqshīsh (bakchich) à aucun membre du personnel pénitentiaire. C’est la seule responsabilité du chef d’équipe.»

Après avoir été soigneusement fouillés par les policiers, nous finissons par entrer dans la zone de la prison. Cependant, un autre long temps d’attente nous attend. Tout le monde essaie de se mettre à l’aise en espérant que la visite aura lieu bientôt.

L’étape suivante consiste à faire de nouveau la queue pour trouver une place dans les wagons tirés par un tracteur menant à la division féminine de la prison. Alors que nous approchons de la destination, certains officiers marchent le long du chemin et un camion transportant des détenus passe. Loin du bruit constant de la circulation au Caire, seuls les sons des oiseaux interrompus par les voix fortes des gardiens de la prison résonnent.

Détérioration des conditions des détenus

Nous sommes finalement devant le bâtiment dédié à la détention des femmes, étrangères et égyptiennes. D’autres procédures de sécurité approfondies sont nécessaires avant de pouvoir enfin rencontrer les prisonniers.

Ayant à l’esprit quelques informations générales sur le système pénitentiaire égyptien ainsi que des rapports spécifiques sur les conditions des détenus, je ne peux que porter mon attention sur la condition physique des détenus ainsi que sur l’environnement général.

Sans surprise, une grande image du président égyptien Abd al-Fattāḥ al-Sīsī accompagné des pyramides et de la mosquée de MuḥammadʿAlī se dresse au centre de la prison pour femmes, entourée de la devise répandue “Taḥyā Miṣr” (“Vive l’Égypte”) et une déclaration anglaise définissant l’Égypte comme le meilleur pays de tous les temps.

Je ne peux pas imaginer comment la vie peut devenir une fois enfermé dans cet endroit. Par conséquent, je me prépare à observer silencieusement et à écouter ce que les détenus sont prêts à partager avec moi.


«Je n’en peux plus», poursuit-elle


«J’ai commencé à détester l’Égypte depuis que je suis ici», raconte Nada, originaire du Soudan et condamné à cinq ans de prison pour enlèvement [très probablement un enfant à la suite d’un divorce et d’une lutte pour la garde d’un ou plusieurs enfants].

Sa peine est presque terminée car elle m’explique qu’elle a officiellement encore sept mois de prison. En pensant à l’avenir, les yeux de Nada brillent. Elle prévoit de retourner au Soudan et de prendre sa famille entre ses bras. Cependant, une ride de douleur apparaît soudain sur son visage. «Je n’en peux plus», poursuit-elle. Avant sa détention, Nada souffrait de problèmes de santé qui ont profondément affecté sa vie. Depuis son arrivée en prison, sa santé s’est détériorée physiquement et psychologiquement. Elle m’explique son besoin de médicaments, mais en raison de l’absence de soins médicaux appropriés, ses conditions physiques et mentales se détériorent de façon inquiétante comme la plupart des autres détenus autour de nous.

Elle décrit brièvement les conditions de vie dans la prison d’al-Qanāṭir, où depuis quatre ans et cinq mois elle est privée non seulement de sa liberté mais également de son espace privé dans la vie quotidienne.

«Nous avons une petite pièce, nous dormons près les uns des autres sans aucun espace privé vital», raconte-t-elle.

De plus, la nourriture fournie par la prison est insuffisante et les détenus survivent avec les vivres de leurs visiteurs à leur arrivée. Elle ne peut toujours pas croire à quel point sa vie a pris une telle tournure depuis son arrestation et sa mise en prison rapide.

Évitant d’entrer dans les détails de son arrestation, elle se souvient simplement qu’elle a aimé ce pays au cours des premiers mois en tant que personne libre malgré le stress de ne pas disposer de documents juridiques suffisants.

Les raisons de l’arrestation peuvent en effet être diverses et parfois contraires à la condamnation officielle prononcée. Parmi le groupe de détenus étrangers que Maadi Community Church (MCC) visite régulièrement, certaines personnes sont déclarées condamnées pour meurtre, drogue, vol, fraude, prostitution, enlèvement et immigration. Ils viennent de Biélorussie, de Bolivie, du Brésil, du Chili, d’Angleterre, d’Allemagne, de Guinée, des Pays-Bas, du Kenya, du Maroc, du Nigéria, du Pérou, des Philippines, du Soudan du Sud, du Soudan, de Tanzanie, d’Ukraine et du Venezuela.

Des détenues politique pour un post Facebook qui critique le régime en Egypte

L’image de la prison pour femmes d’al-Qanāṭir ne serait pas complète sans mentionner un autre type de détenue. Il est en effet possible de retrouver des prisonniers politiques, dont le crime était de s’opposer au récit officiel de l’État.


Je quitte la prison d’al-Qanāṭir, avec de nombreuses réflexions sur la valeur du mot “liberté”.


C’est le cas d’une jeune fille de 21 ans originaire d’un village du gouvernorat de Minufia. Je ne l’ai pas rencontrée personnellement car elle ne faisait pas partie du groupe de personnes qui m’était attribuée. Pourtant, j’ai appris son histoire à travers sa famille en attendant notre visite.

Selon sa mère, elle est détenue depuis 45 jours. Elle a été enlevée de chez elle après avoir publié un post sur Facebook condamnant l’arrestation de plusieurs personnes innocentes en Égypte. Ironiquement, sa mère dit: «Maintenant, elle est devenue l’une d’entre elles. C’est ce qui se passe en Egypte».

Elle a besoin de médicaments réguliers, donc chaque semaine, la famille vient avec des médicaments en plus de la nourriture. Sa mère, dont le visage indique la présence d’une profonde souffrance intérieure, ne dispose d’aucune information sur un éventuel procès ou remise en liberté. Elle attend, soutenue par sa sœur et les deux autres filles, tout en espérant que ce cauchemar se terminera bientôt.

Avec les images des nombreux officiers de prison, les voix fortes résonnant partout dans la prison d’al-Qanāṭir dans mon esprit et les histoires de certains détenus dans mon cœur, je quitte la prison d’al-Qanāṭir, avec de nombreuses réflexions sur la valeur du mot “liberté”.

D’autres articles

Une prisonnière kurde plus que jamais en danger d’exécution après avoir accouché d’un enfant mort-né

[Par Rebin RAHMANI]

Traduction : Evin

Les dernières nouvelles de Zeynab Sakanvand, cette jeune prisonnière kurde de 22 ans enceinte et condamnée à mort dans des circonstances suspectes, sont mauvaises.

Campagne d’Amnesty International contre la condamnation à mort et la torture à l’encontre de Zeynab Sakanvand. Source : www.amnesty.org

Une source fiable et proche du dossier a dit récemment au Réseau des droits de l’homme du Kurdistan : « Zeynab a été transférée vendredi 30 septembre de la prison pour femmes d’Orumieh où elle est détenue vers un hôpital en ville où elle a donné naissance à un enfant mort né. D’après l’équipe de la maternité, le bébé était mort in-utero depuis au moins 2 jours probablement suite à un choc émotionnel violent. Zeynab a été ramenée en prison dès le lendemain malgré les risques pour sa santé.»

Toujours selon cette source : « Deux jours avant cet accouchement dramatique, Madame Malek Nouri, une camarade de prison et amie proche de Zeynab a été placée en cellule d’isolement dans l’attente de son exécution imminente. Zeynab qui est très déprimée et terrorisée par la perspective de sa probable future exécution a été fortement perturbée et nous soupçonnons que le choc émotionnel a provoqué la mort in-utero de son enfant. Deux semaines auparavant, l’infirmerie de la prison avait recommandé le transfert de Zeynab vers un hôpital en ville afin d’effectuer une échographie mais le directeur de la prison s’y était opposé. Zeynab n’a eu droit qu’à une seule et unique échographie au cours de sa grossesse au printemps dernier au cours de laquelle le fœtus avait été déclaré en bonne santé. Lundi 3 octobre, Zeynab a été convoquée au bureau d’application des peines de la prison où on lui a notifié son exécution prochaine.»

Pour rappel : Zeynab Sakanvand Lakran est née le 22 juin 1994 dans une famille kurde très pauvre et traditionaliste des environs de Makou. Elle s’est mariée avec un jeune homme de son entourage à l’âge de 15 ans et a été arrêtée à l’âge de 17 ans après seulement deux années de vie commune pour le meurtre de son époux le 1er mars 2012. Une camarade de cellule de Zeynab a raconté au Réseau pour les Droits de l’homme au Kurdistan les circonstances de ce mariage : « Les parents ultra traditionalistes de Zeynab lui ont fait vivre une enfance et adolescence difficile et elle a vu dans ce mariage avec ce garçon, qu’elle connaissait à peine, un moyen d’échapper à sa famille ». Elle s’est, dans un premier temps, enfuie avec lui avant de pouvoir l’épouser officiellement avec l’autorisation de ses parents après que la famille du jeune homme a dédommagé financièrement les parents de Zeynab. Mais loin d’avoir été comblée de bonheur par ce mariage, elle a vécu un vrai calvaire conjugal avec son époux, fait de violences psychologiques et physiques. Jusqu’à ce jour de mars 2012 où elle s’est spontanément présentée au commissariat le plus proche en affirmant avoir assassiné son mari.

L’enquête de police et l’inspection du portable de Zeynab ont révélé que cette dernière avait eu, au cours des mois précédant le meurtre, des contacts téléphoniques réguliers avec son beau frère ce qui a fortement laissé soupçonner les enquêteurs que les deux jeunes gens avaient « fait le coup » ensemble. Le beau frère a donc été arrêté et interrogé puis relâché faute de preuves.

De son côté Zeynab a été détenue dans un commissariat de Makou où elle a subi des interrogatoires musclés et des tortures physiques et morales pendant 9 jours afin de lui extorquer des aveux.
L’avocat commis d’office de Zeynab a déclaré au Réseau pour les Droits de l’Homme au Kurdistan : « L’enquête a été bâclée. Pour autant que je sache, il n’y a par exemple jamais eu de reconstitution de la scène de crime. Sachant que Zeynab est droitière, le coup de couteau porté à la gorge de la victime aurait dû présenter un mouvement partant de la droite vers la gauche alors que c’est précisément le contraire qui s’est passé. Autre fait troublant : puisque les murs de la maison étaient maculés de sang, logiquement les vêtements de Zeynab auraient dû l’être également ce qui n’était vraisemblablement pas le cas. Enfin dernier point : les empreintes digitales sur le manche du couteau n’ont jamais été prélevées. »

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Orumieh, ville de détention de Zeynab Sakanvand (Source : googlemaps)

Après le crime, Zeynab a passé un certain temps dans un hôpital psychiatrique de la ville d’Orumieh (entre mars et avril 2013) où des psychiatres ont déterminé en juin de la même année qu’elle avait la parfaite conscience de ses actes au moment du crime. Ils n’ont pris en compte ni son jeune âge ni son lourd passif.
Le procès s’est déroulé sur deux séances au tribunal de la ville d’Orumieh en présence de son avocat commis d’office et de la mère de la victime. Ce tribunal a condamné Zeynab à la peine capitale en vertu de la loi du Talion le 22 octobre 2014 après que la mère de son défunt époux a fermement refusé de lui « pardonner » ce qui lui aurait permis d’éviter la peine capitale. Son avocat a fait appel de la condamnation mais la peine de mort a été confirmée par la Cour Suprême le 20 juillet 2015.

Zeynab qui avait dans un premier temps été détenue à la prison de la ville de Khoy a été transférée à Orumieh après sa condamnation à mort. La jeune femme a assumé seule la responsabilité du meurtre pendant les trois premières années qui ont suivi son arrestation avant d’affirmer à ses co-détenues au milieu de l’année passée s’être dénoncée pour protéger le vrai coupable. Étant mineure au moment des faits, elle n’avait tout simplement « pas imaginé en arriver à être condamnée à mort.»

Son ancienne camarade de cellule conclut ainsi : « Zeynab est particulièrement dépressive et supporte très mal l’enfermement. Nous sommes très inquiets pour elle. L’année dernière, elle se sentait si seule et démunie qu’elle a épousé un prisonnier détenu à la prison pour hommes de Makou qu’elle avait rencontré par l’intermédiaire de connaissances communes. Étant tous les deux détenus, ils n’ont droit qu’à un seul et unique parloir par mois. Elle est tombée enceinte de cet homme peu après et elle avait repris espoir suite à cette grossesse de ne pas être exécutée dans l’immédiat. Maintenant que son bébé est mort, elle n’a plus aucun espoir.»

Arabie Saoudite : La princesse Lamia Al Saud entre tradition et modernité

[Par Clara LE QUELLEC]

Invitée dans le cadre de la 3e édition du Festival du Monde le week-end dernier, la princesse Lamia Al Saud d’Arabie Saoudite s’est livrée samedi 17 septembre à une conversation avec le public, animée par le journaliste Christophe Ayad. Le studio était plein pour la secrétaire générale de la Fondation Alwaleed, organisation non-gouvernementale mal connue qui s’occupe d’actions caritatives diverses dans le pays. L’occasion de revenir ainsi sur les activités de la Fondation mais également sur la question très périlleuse des droits des femmes en Arabie Saoudite.

Christophe Ayad, journaliste au Monde et la princesse Lamia Al Saud d'Arabie Saoudite Source : Twitter

Christophe Ayad, journaliste au Monde et la princesse Lamia Al Saud d’Arabie Saoudite
Source : Twitter

Alwaleed Philanthropies a été fondée en 1980 par le prince Al Waleed bin Talal, surnommé le « Bill Gates Arabe » et la princesse Ameerah. La fondation promeut des activités humanitaires, de cohésion entre les différentes communautés, de formation pour les femmes et des programmes de développement. « Vous savez nous avons encore de la pauvreté » explique Lamia Al Saud. La princesse travaille depuis une dizaine d’années dans le domaine des médias et est également romancière.

« Des progrès en matière de droits des femmes »

Le journaliste Christophe Ayad introduit la question des droits des femmes par la problématique de la conduite des femmes en Arabie Saoudite. « C’est un obstacle dont nous nous accommodons pour le moment » répond la princesse. « Oui la voiture est importante, mais c’est plus important pour nous d’arriver à quelque chose avec nos diplômes qu’avec notre voiture ».

Femme saoudienne entrant dans une voiture à Riyad le 26 octobre 2014 Source : 20minutes.fr

Femme saoudienne entrant dans une voiture à Riyad le 26 octobre 2014
Source : 20minutes.fr

Lamia Al Saud explique que s’il est effectivement vrai qu’il est très difficile pour les femmes en Arabie Saoudite d’avoir une liberté de mouvement, « des progrès en matière de droits des femmes » ont été néanmoins réalisés. Par exemple, 56 % des étudiants aujourd’hui à l’université sont des filles et l’âge du mariage a reculé pour arriver à une moyenne de 25-26 ans. « Avant personne ne nous prenait au sérieux, ce n’est plus le cas, nous avons un rôle important aujourd’hui. Quand j’étais adolescente on ne comprenait pas pourquoi les femmes devaient avoir accès à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui nous avons des architectes, des avocates… ». La princesse raconte ainsi qu’après le décès de son père, sa mère est retournée à l’université du Caire et que la petite fille de 13 ans à l’époque l’accompagnait à tous ses cours. « Si vous avez un rêve, il faut vraiment lutter. Le diplôme n’a pas été une option pour moi mais nécessaire ».

Du temps pour changer les mentalités

L’Arabie est un pays jeune qui a moins de 100 ans. « Il faut du temps pour changer les mentalités. L’honneur c’est ce qui mène toutes les tribus et la communauté saoudienne est beaucoup plus fondée sur la tradition que sur la religion ».

Etudiantes saoudiennes en chimie à l'université Source : geo.fr

Etudiantes saoudiennes en chimie à l’université
Source : geo.fr

Que penser alors des nombreuses campagnes d’opinion réalisées à l’étranger sur la condition féminine ? « Vous savez les médias ne regardent que les points négatifs et cela m’attriste. Néanmoins, je pense qu’il est nécessaire de faire ces campagnes mais malheureusement, nous femmes saoudiennes, n’avons pas appris à comprendre l’intérêt des médias ». La question de la mixité sur le marché du travail a également été abordée. « En réalité, l’environnement au travail est beaucoup plus mélangé » mais encore une fois, pas de comparaison possible car « ce n’est pas la même mixité que chez vous. Nous avons nos propres critères, notre propre style ». Les femmes et les hommes peuvent donc cohabiter dans le même étage mais pas dans le même bureau.  

Immigration, burkini et Raif Badawi

Lamia Al Saud a été interrogée à de nombreuses reprises sur plusieurs sujets délicats. Ainsi, la question de l’interdiction de la construction d’autres lieux de cultes que ceux islamiques en Arabie Saoudite a posé débat alors que le pays attache beaucoup d’importance aux financements de mosquées à l’étranger. Pour cette question tout comme celle consacrée aux travailleurs immigrés ne pouvant pas pratiquer leur religion, Lamia Al Saud avoue « ne pas pouvoir parler au nom du gouvernement ». En revanche, son point de vue sur la polémique sur le burkini en France est clair. « Le burkini n’est pas islamique, c’est un choix politique. Il n’a rien à voir avec l’islam ». De façon générale sur les interdictions en France du voile (hijab) à l’école ou du niqab dans la rue, la princesse explique que « si l’interdiction du hijab a été pour elle une surprise » la France étant un pays de liberté de croyances, elle respecte le point de vue français sur le niqab.

Le bloggeur Saoudien Raif Badawi Source : amnestyinternational.fr

Le bloggeur Saoudien Raif Badawi
Source : amnestyinternational.fr

« L’islam n’oblige en rien à le porter. Le fait de couvrir son visage peut être un problème pour reconnaître les identités donc si c’est interdit, nous devons le respecter ».

Il est bientôt l’heure, juste le temps de prendre une dernière question. Elle sera sur Raif Badawi, ce bloggeur saoudien, très soutenu par la communauté internationale. Applaudissements dans la salle. Accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam, il est emprisonné depuis juin 2012. Il a été condamné à 1000 coups de fouet et dix années de prison. La princesse avouera alors n’avoir « pas du tout connaissance de ce cas » et « n’en avoir jamais entendu parler ».

 

Du bikini au burkini: la métamorphose d’un maillot de bain sous la mondialisation

[Par Larbi GRAÏNE]

C’est dans les années 30 du siècle dernier, en Europe, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires.

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris (Source : galeriejoseph.com)

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris
(Source : galeriejoseph.com)

L’affaire du Burkini m’a poussé à réfléchir sur la question de savoir si le maillot de bain ou la tenue de plage, était connu, de par le passé, dans le monde musulman. Il semblerait que non. Les chroniques concernant un pays comme l’Algérie, évoquent pour la période précoloniale des baignades en mer où les hommes et les femmes s’y relayaient – comme au Hammam – à des horaires différents. Cependant, ces sorties à la plage n’avaient aucunement un caractère massif et routinier qu’on leur connait aujourd’hui. Elles concernaient plutôt les riverains qui y allaient en période de canicule. Mais ces chroniques restent muettes sur le type d’habit qu’on portait pour s’immerger dans l’eau. On peut imaginer que les femmes, malgré la permission qui leur est accordée, endossaient par pudeur d’amples robes et sarouels pour faire face à tout imprévu qui les mettrait en présence de l’élément masculin. Ou peut-être que les activités de baignades étaient tellement codifiées que les femmes devaient se sentir suffisamment à l’aise pour enfiler quelque tissu de leur fantaisie. Il n’empêche, contrairement à ce qu’on peut en penser, le maillot de bain « chrétien » n’a pas une grande histoire par rapport à celui des pays du Sud. Il apparaît au moment de la révolution industrielle du XIXe siècle. Comme le football, le maillot de bain est originaire de l’Angleterre alors en proie à un boom industriel sans précédent. Il se diffuse, ensuite, sur les côtes de la Normandie, en France, propulsé par l’essor du transport ferroviaire. Dès 1820, les plages sont fréquentées surtout par la bourgeoisie et l’aristocratie anglaises ou françaises, permettant le développement des stations balnéaires. Beaucoup y viennent sur recommandation de leur médecin pour soigner telle ou telle maladie, calmer une nervosité ou une douleur. La tenue de plage dont le souvenir a disparu aujourd’hui, consistait en une robe en laine portée indifféremment par les hommes et les femmes. S’il semble dégager un caractère prude, cet habit a été célébré par les vers de Charles Cros :

La robe de laine a des tons d’ivoire
Encadrant le buste, et puis, les guipures
Ornent le teint clair et les lignes pures,
Le rire à qui tout sceptique doit croire

C’est pendant cette époque qu’une nouvelle catégorie de voyageurs voit le jour. On les appelle « touristes ». Ces derniers parcourent les pays étrangers par curiosité et oisiveté. Cette définition péjorative va évoluer au fil du temps avant de se fixer dans son acception actuelle.
C’est dans les années 30 du siècle dernier, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires. Le bikini rime donc avec bombe. Le chanteur algérien d’expression kabyle, Idir, qui évoque dans l’une de ses chansons la femme-bombe, ne se doutait pas que cette représentation de la féminité est partagée de part et d’autre de la Méditerranée…
Ce rapide aperçu sur les conditions d’apparition du maillot de bain permet de mettre en évidence ceci : c’est que le bikini a fait oublier qu’il n’est que la réplique féminine de la tenue de plage masculine, qui est apparue en même temps que lui. En tant que tenue de plage, réservée spécialement à cet effet, le maillot de bain n’avait pas d’existence avant 1820 et sa diffusion massive ne devait devenir effective qu’à partir du moment où la législation sur le travail adoptera le principe des congés payés. D’où la notion de loisir qui va en découler.
C’est le salariat qui va fabriquer le « désir des rivages ». A partir du XXe siècle, le gros des troupes du salariat, formé par les classes moyenne et ouvrière, déferle sur les plages. C’est ainsi que les séjours en bord de mer deviennent un phénomène social. Plus qu’un lieu de détente, la mer mute en un lieu de consommation. Désormais hôtels, commerces, bungalows, piscines, ports de plaisance s’égrènent tout le long des côtes.

La mondialisation

On a beaucoup parlé de la mondialisation. Concrètement ce qui me semble l’expliquer le mieux, c’est l’architecture des maisons. Partout dans le monde, à quelque exception près, qu’on soit dans des Etats à régime démocratique, dictatorial, islamique ou laïque, le modèle est, en gros, le même. Il est la copie conforme de celui de l’Occident. La structure du chez-soi recouvre un espace réparti entre la cuisine, la salle de bain, le salon et les chambres (il faut ajouter pour les classes privilégiées, le jardin, la buanderie, la véranda et le garage). Cet espace domestique est organisé de manière à recevoir toute la panoplie d’appareils et de meubles fabriqués par les grandes multinationales : la machine à laver, le frigidaire, la cuisinière, le lave-vaisselle, la chambre à coucher, la télévision, l’ordinateur, le climatiseur, etc. En l’espace de quelques décennies, des millions de gens ont changé leur manière de s’asseoir, de manger, de faire leur toilette et même l’amour, désormais prescrit par la télévision satellitaire. Des maisons traditionnelles, voire des villages entiers ont été rasés par leurs propres occupants afin d’y faire édifier en leurs lieux et places des constructions conformes au schéma européen. De nos jours, les familles se prélassent sur des fauteuils autour du petit écran alors que leurs aînés ont grandi sur des nattes ou des tapis. En Algérie (j’évoque ce pays fréquemment car c’est celui que je connais le mieux), un seul meuble paraît avoir été détourné de sa fonction première. Je fais allusion ici à la bibliothèque. En effet, en dehors de la classe aisée, on la garnit généralement de bibelots et de porcelaine. J’y vois là, le résultat d’un bricolage de l’Etat-nation algérien qui, via l’école, signifie (en accord avec la mondialisation) qu’on peut se passer des livres dès lors qu’on importe tout ce dont on a besoin pour vivre décemment.
Cela dit, l’habit le plus répandu en Algérie, voire dans un nombre incalculable de pays dans le monde, n’est ni le burnous, ni la djellaba, ni la gandoura, mais bel et bien le blue-jean américain. Généralement quand des journalistes étrangers débarquent en Algérie, surtout, les confrères français, ce qu’ils remarquent en premier est le voile féminin. Un objet qu’ils ont d’abord découvert chez eux.

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel ( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel
( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Pour eux, les jambes de millions d’Algériennes moulées dans des blue-jeans trop serrés ne sont pas dignes d’intérêt. Un certain orientalisme y sévit encore, vaille que vaille, alors que l’ancien monde s’est écroulé comme un château de cartes. Hormis la barbe et le costume de l’islamiste invétéré, sous la mondialisation, on ne trouve plus sur quoi disserter. Le monde s’est tragiquement rétréci. Finie l’époque où l’on commentait le blanc immaculé du burnous d’Abdelkader, le turban d’El-Mokrani et le caftan des odalisques recluses dans les demeures d’Alger. A vrai dire l’histoire de l’habillement est à écrire. La mondialisation mène la guerre contre les habits traditionnels, les langues et les dialectes, les cultures et les monnaies locales. On ne compte plus les parlers menacés d’extinction.

La naissance du burkini

Le burkini porté par une musulmane ( Source : wikimedia.org )

Le burkini porté par une musulmane
( Source : wikimedia.org )

Il ne fait aucun doute que le burkini est un habit moderne.
D’inspiration islamique il se veut comme une alternative au bikini. Cette nouvelle offre d’habillement intervient après une première expérience du voile islamique qui se voulait comme un substitut du voile traditionnel (dont la forme et les couleurs, la taille et la manière de le porter, diffère suivant les pays et les cultures). En Algérie le hidjab a pris la place du haïk. Le hidjab n’étant lui-même que la forme islamique mondialisée.
Le progrès de la mondialisation qui a balayé costumes et coutumes, fit donc le lit de l’islam mondialisé qui a vite imposé les siens. Le marketing islamique s’appuie sur une technique très simple pour promouvoir ses produits. Il doit procéder à la halalisation de l’objet occidental dont il cherche à s’approprier le concept. Dans le fond le burkini ne s’oppose pas au bikini. En France, il est l’indice probant que les masses « musulmanes », en tant que partie prenante du salariat français, se coulent dans le moule de la mondialisation occidentale. Que cherche ce burkini si ce n’est à ramener et à faire traîner les corps des femmes « musulmanes » sur le bord des plages ? à les faire profiter du bien-être de la mer et à les soumettre à la loi de la consommation et du marché, quand bien même si cela soit sous le label islamique ? Sa finalité, fondamentalement, est la même que le bikini. Peut-être que l’horreur et le dégoût que ce maillot de bain inspire à certains « occidentaux » découlent-t-ils de sa ressemblance scandaleuse avec le modèle qu’il veut insidieusement cloner en faisant mine de s’en écarter ? Cette intention ne se lit-t-elle pas jusque dans son nom ? Décidément, le choc des civilisations n’aura pas lieu, car c’est vers l’uniformité que le monde est en train de cheminer. Le bilan du port du hidjab en Algérie durant ces dernières années, peut faire apparaître qu’il a plus participé au mouvement de la mondialisation qu’il s’en extrait.

Nonobstant ses accointances avec l’islam politique, qui empêche sa lisibilité, le hidjab est en réalité un voile-leurre qui légitime le travail féminin et qui permet aux jeunes filles de conduire des voitures, de faire du commerce et d’exercer le métier de journaliste. Une des percées spectaculaires du voile est d’avoir justement réussi à recouvrir la tête de très nombreuses journalistes présentatrices de journaux télévisés. Jamais les femmes salariées n’ont-elles été aussi nombreuses, puisqu’elles se sont même taillé la part du lion dans des secteurs stratégiques comme la Santé et l’Education nationale. Je ne dirais pas que c’est grâce au voile. Le voile n’est qu’un instrument de la mondialisation islamique, elle-même pendant de la mondialisation occidentale. Ce sont les évolutions en cours dans les sociétés musulmanes qui sont en train de changer les choses. L’arrivée des femmes (fussent-elles voilées) sur le marché du travail en constitue la pierre angulaire. Il est permis de supposer qu’à brève ou longue échéance, la question de l’obsolescence du voile, est appelée à être posée sur la place publique.Les cultures issues de l’islam auront alors à faire face à l’obstacle qui se dresse sur la voie de leur sécularisation : casser le tabou de la virginité dont le voile est le symbole.(1)
L’idée de s’affranchir de cet obstacle qui, pour l’instant, leur paraît quelque chose de monstrueux, pourrait bien trouver dans les transformations en cours les conditions de sa transcription dans l’action.

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(1) Cf. Malek Chebel, L’esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Paris, 2003. 

Le deuxième sexe selon l’Afghane Kubra Khademi

[Par Dina TIOUTI]

Kubra Khademi a déjà fait parler d’elle. Cette jeune afghane avait bravé le danger le 27 février 2015 en déambulant en armure de fer dans sa ville natale afin d’y dénoncer le harcèlement sexuel que les femmes de son pays subissent chaque jour. Aujourd’hui, toujours pour défendre les droits des femmes, elle récidive en se transformant en feu pour piétons dans les rues parisiennes.

Bien que non engagée politiquement, elle l’est fortement artistiquement. Avec ses performances originales elle exprime une opinion forte et dénonce ce qui la choque.

De Kaboul à Paris, la distance de l’Afghanistan ne l’empêche en rien de continuer de faire ce qu’elle aime tant : l’Art. « Je ne serai jamais arrêtée, les artistes ne peuvent être stoppés » aime-t’elle répéter.

Capture d’écran 2016-02-19 à 17.55.46Mardi 16 février dernier, dans les rues de Paris, cette jeune afghane de 27 ans a eu l’idée originale de se déguiser en une version féminine du feu pour piétons. Vêtue d’une jupe grise et coiffée d’un couvre-chef original. À l’intérieur de celui-ci une silhouette féminine remplace le petit bonhomme du feu pour piétons. Ainsi déguisée, elle demande aux passants, lequel des deux feux ; le sien ou le vrai, devrait être selon eux, le plus représentatif de la société.

Pour une meilleure représentation des femmes

Cette idée saugrenue lui est venue sur un coup de tête. Elle marchait dans les rues de Paris et voyant tous ces feux exclusivement masculins elle s’est fixée comme objectif de se transformer en second feu pour piéton mais cette fois-ci féminin.

Evidemment, son costume n’était pas passé inaperçu, les passants curieux étaient souriants et enclins à en savoir plus. Nombreux sont ceux à lui avoir posé des questions, souris et encouragée à continuer ainsi.

IMG_0624Kubra en garde « une expérience très bonne et très satisfaisante ». Selon elle, son objectif a été atteint. Bien que sa question était assez générale, les réponses accordées étaient très bonnes. Elle espère qu’à travers des démarches comme celle-ci, la sensibilisation à la condition des femmes va s’améliorer un peu plus chaque jour.