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Cameroun – Boko Haram : Paul Biya, un chef de guerre “nonchalant”

[Par René DASSIE]

Engagés dans une inquiétante escalade, les islamistes ont commis cinq attentats-suicides dans le nord du Cameroun, en deux semaines. Le président Paul Biya ne s’est pas adressé à la nation au moment où la panique s’installe dans les villes. L’absence d’un chef de guerre actif se fait vivement sentir dans le pays.

Paul Biya en juillet 2015 ©voaafrique.com

Paul Biya en juillet 2015 ©voaafrique.com

« Nonchalante ». Voilà le terme utilisé par le Social Democratic Front (SDF), le principal parti de l’opposition camerounaise, pour qualifier l’attitude de Paul Biya, face aux agressions toujours plus violentes des islamistes de Boko Haram.

Le SDF se sent intrigué par « l’approche nonchalante à cette grave menace à la sécurité nationale du commandant en chef de nos forces armées, chef de l’État, qui a obstinément refusé de s’adresser à la nation et de consulter les associations politiques et civiles avant la riposte à ces événements tristes et tragiques ».

Le parti du chairman Ni John Fru Ndi, lui aussi inaudible depuis que le Cameroun fait face aux incursions meurtrières des islamistes venues du Nigeria voisins’exprimait ainsi samedi dernier, à l’issue de la réunion de son comité exécutif à Bamenda son fief, et capitale régionale du Nord-Ouest anglophone. C’est-à-dire trois jours après la visite d’État du président nigérian Muhammadu Buhari, venu voir Paul Biya à Yaoundé, dans l’espoir de sceller avec lui un accord en vue d’ une meilleure coordination de leurs actions contre Boko Haram.

Le point de vue du SDF est largement partagée par l’opinion camerounaise. Il y a une dizaine de jours, le quotidien Le Messager évoquait déjà « l’incroyable complaisance de Paul Biya », au moment où les islamistes frappaient durement le pays.

Attentats-suicides

Coup sur coup, entre le 12 et le 25 juillet, Fotokol, une cité de l’extrême-Nord du Cameroun proche de la frontière avec le Nigeria et souvent visée par les islamistes, et Maroua, une ville symbole, à la fois capitale régionale et centre opérationnel du dispositif militaire national de lutte contre Boko Haram, ont été la cible de cinq attentats-suicides attribués à Boko Haram. Bilan: plus de 40 morts et des dizaines de blessés, civils pour la plupart.

Ces attaques ne sont pas les plus meurtrières commises sur le sol camerounais depuis le début des hostilités, les islamistes ont fait pire à Fotokol en février dernier, en massacrant, selon des sources crédibles, plusieurs centaines de personnes. Elles ont cependant causé un choc inédit dans tout le pays, eu égard au changement radical du mode opératoire des assaillants, qui, pour la première fois, ont fait usage de « bombes humaines »

Voisins du Cameroun, seuls le Nigeria et le Tchad eux-aussi confrontés à la menace terroriste avaient en effet jusque-là connu des attentats-suicides meurtriers.

D’où le choc et la stupeur qui se sont emparés des concitoyens de Paul Biya, lorsqu’on leur a appris que les assaillants de Fotokol et de Maroua étaient pour la plupart des adolescentes, qui portaient le voile islamique intégral, sous lequel on avait dissimulé des charges explosives qu’elles ont déclenché dans des lieux publics, causant leur propre mort et celle de nombreux innocents.

Paul Biya silencieux

« Il s’agit clairement d’une escalade. Et le président Paul Biya déjà l’objet de nombreuses critiques a manqué une occasion de revêtir les habits de chef de guerre », relève un observateur.

Face à la gravité de la situation, le président camerounais aurait dû en effet beaucoup communiqué.

Il aurait dû envahir les écrans de télévision, les ondes des radios et les colonnes des journaux, pour rassurer les populations et atténuer l’effet de panique et de confusion recherché par les islamistes. Comme le fit l’ancien président américain Georges Bush debout, mégaphone en main sur les ruines du Word trade center à New York peu après les attentats du 11 septembre 2001. Ou comme le fit en janvier François Hollande, dont l’image dévalant quatre à quatre les marches de l’Élysée le 7 janvier dernier, pour se rendre au siège du journal satirique Charly Hebdo, victime d’une attaque terroriste, fit le tour du monde.

Le président camerounais a fait le choix de se contenter d’une réaction minimale, froide et distante.

Lundi 13 juillet, au lendemain des deux premiers attentats-suicides commis à Fotokol qui ont fait treize morts dont les deux kamikazes et sept blessés, Paul Biya est resté silencieux. C’est le Secrétaire général de la présidence camerounaise, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui a signé un communiqué lu sur les médias d’État, rapportant à la troisième personne des propos attribués au chef d’État camerounais. Lesquels condamnent « avec fermeté ces attentats lâches et odieux ».

« Rebelote » une dizaine de jours plus tard. Le 22 juillet, les terroristes récidivent en frappant Maroua. Un double attentat-suicide cible un lieu populaire de la ville, faisant 13 morts et 32 blessés selon le bilan officiel. C’est encore Ferdinand Ngoh Ngoh, qui rapporte aux Camerounais par communiqué, la réaction de Paul Biya.

© rfi.fr

© rfi.fr

Lorsque trois jours plus tard un nouvel attentat-suicide endeuille la même ville, le collaborateur du président ne juge plus nécessaire de rédiger un nouveau communiqué au nom de son patron. Paul Biya n’est même pas alors à Yaoundé. Peu après la visite du président français François Hollande, il s’était retiré à Mvomeka’a, son village natal dans le sud du Cameroun, où il s’était fait bâtir un somptueux palais.

Le quotidien Le Messager qui juge « froids et impersonnels » les communiqués de la présidence camerounaise a fait un parallèle entre l’attitude de Paul Biya et celle du président Idriss Déby, qui lui, se comporte en véritable chef de guerre.

En juin, le président tchadien avait décrété trois jours de deuil national en mémoire des victimes du double attentat terroriste qui avait fait 33 morts à N’Djamena, la capitale. « Les auteurs répondront de leurs actes » avait laissé entendre M. Déby, dès son retour du sommet du 25e sommet de l’Union Africaine de Johannesburg en Afrique du Sud.  

La désinvolture de Paul Biya est telle que les médias officiels habitués à lui tresser des lauriers à la moindre action doivent se livrer à de ridicules contorsions éditoriales, pour lui fabriquer une présence, même fictive, auprès des populations agressées.

Le 24 juillet, Cameroun Tribune, le quotidien d’État, titrait ainsi à sa Une : « Double attaque-suicide de Maroua : Paul Biya réconforte les victimes ». Cependant, la photo illustrant le titre montrait plutôt le ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o debout dans un hôpital de la ville, face à un survivant de l’attentat blessé et alité.

Ce trompe-l’œil n’est pas sans rappeler le photomontage publié sur le site de la présidence camerounaise, et montrant Paul Biya rendant hommage aux soldats tombés dans la guerre contre Boko Haram, qui avait fait scandale début mars dernier. Face au tollé suscité par cette affaire, le gouvernement camerounais avait évoqué sans trop convaincre, la piste de pirates informatiques. En réaction, des médias camerounais avaient ressorti d’autres photomontages situant Paul Biya à des cérémonies auxquelles il n’avait pas participé.

« Nonchalant », absent aux sommets décisifs contre Boko Haram

Les médias privés camerounais le rappellent régulièrement : c’est Paul Biya qui avait déclaré la guerre contre Boko Haram sur le perron de l’Élysée le 17 mai, à l’issue du mini-sommet organisé par François Hollande pour déterminer la stratégie à adopter face au groupe islamiste. Depuis lors, le président qui ne rate jamais une occasion de se rendre en Occident n’a jamais mis les pieds dans le nord du Cameroun, où sévit la secte islamiste.

Et lorsque les dirigeants africains se réunissent pour débattre de Boko Haram et adopter des stratégies, Paul Biya préfère se faire représenter.

C’est son ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o qui était allé voir le tchadien Idriss Déby à N’Djamena, pour négocier les conditions d’entrée en guerre de son pays, aux côtés du Cameroun.

Fin janvier au sommet de l’UA d’Addis-Abeba en Éthiopie  largement consacré à Boko Haram où il avait été décidé de mettre en place une force africaine contre la secte, c’est le même Mebe Ngo’o qui l’avait représenté. Tout comme à la rencontre d’Abuja du 11 juin convoquée deux semaines à peine après son investiture par le président Muhammadu Buhari et où Paul Biya a été le seul dirigeant absent, parmi les cinq chefs d’États du bassin du lac Tchad, engagés contre Boko Haram.

Boko Haram n’est visiblement pas une préoccupation majeure pour le chef d’État camerounais, qui avait déclaré au début des années 90 : « Lorsque Yaoundé respire, le Cameroun vit ». La capitale camerounaise a jusqu’ici été épargnée par les attentats-suicides.

Cameroun : Comment Paul Biya torpille la lutte contre Boko Haram

[Par René DASSIÉ]

Entre ses silences répétés, ses erreurs de langage et son indifférence vis-à-vis des rencontres stratégiques pour lutter contre Boko Haram, l’attitude de Paul Biya dans la gestion du dossier de la secte islamiste laisse perplexe. Il se pose désormais la question de sa capacité à continuer à diriger un Etat désormais en guerre.

Cameroun : Fotokol enterre ses morts (source : 237online.com)

Cameroun : Fotokol enterre ses morts (source : 237online.com)

Une semaine après le massacre de Fotokol, le plus sanglant depuis le début des incursions des hommes de Boko Haram sur le territoire camerounais, les concitoyens de Paul Biya n’attendent plus de leur président qu’il engage un élan de solidarité nationale envers les victimes. Mardi soir, dans son discours à la nation, à l’occasion de la fête nationale de la jeunesse, il n’a même pas effleuré le sujet. M. Biya s’est contenté de mettre les jeunes en garde contre la tentation de s’engager auprès de ceux qui dans « certains pays » créent « la guerre civile », provoquent « les déplacements de population » et « l’anarchie ». Il leur a enfin donné en exemple, « nos jeunes soldats qui veillent à notre sécurité le long de nos frontières ». Pas un mot sur le bain de sang d’il y a sept jours. Pas un mot sur la vingtaine de personnes enlevées par les hommes de Boko Haram lors d’une nouvelle incursion dimanche, c’est-à-dire deux jours avant son discours.
Le drame de Fotokol, c’était dans la nuit de mercredi à jeudi dernier. Dans cette petite ville du nord-ouest Cameroun frontalière du Nigéria, les islamistes qui sont arrivés par petits groupes portant des tenues militaires ont ratissé les quartiers, maison après maison, tuant jusqu’à 400 personnes selon certaines sources citées par des médias crédibles, à l’instar de RFI.
Un dirigeant normal aurait tout de suite condamné fermement ce carnage. Il aurait adressé ses condoléances aux familles des victimes. Il aurait ordonné que les drapeaux soient mis en berne et décrété un jour de deuil national. Il aurait réuni son gouvernement pour élaborer la riposte.

François Hollande et Idriss Déby en exemple

François Hollande (source : lesechos.fr)

François Hollande (source : lesechos.fr)

C’est ce qu’a fait François Hollande en France. Le Président s’est rendu immédiatement au siège de Charlie Hebdo mercredi 7 janvier peu après l’attentat terroriste qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique, alors que les assassins couraient toujours et que rien ne pouvait, dans l’absolu, garantir sa propre sécurité. En chef de guerre d’un pays attaqué, le président français s’était, dans la foulée, adressé à ses concitoyens pour condamner l’attentat et les rassurer, avant d’organiser des réunions ministérielles de crise pour coordonner la riposte à l’attentat le plus sanglant connu par l’Hexagone depuis des décennies. Il avait décrété pour le lendemain un jour de deuil national, et organisé la marche républicaine qui, quatre jours plus tard, devait mobiliser près de quatre millions de personnes dans les rues françaises et à laquelle ont participé une cinquantaine de chefs d’Etats et de gouvernements.

Idriss Déby (source : senego.com)

Idriss Déby (source : senego.com)

C’est ce que fait le tchadien Idriss Déby, chaque fois qu’on s’en prend à la sécurité de son pays. Engagé de manière préventive dans la guerre contre Boko Haram, M. Déby s’est exprimé devant son parlement, et a accompagné ses soldats envoyés au Cameroun, jusqu’à la frontière de son pays. C’est ce que font tous les présidents qui n’ont pas oublié qu’ils sont présidents.
Paul Biya était en devoir de s’exprimer pour consoler les victimes et rassurer la nation. Il était en devoir d’expliquer ce qui s’était réellement passé ce jour-là à Fotokol. D’autant plus que de nombreuses questions au sujet de ce massacre sont restées sans réponses. Au moment des faits, où était l’armée camerounaise qui était censée protéger la ville? Les soldats avaient-ils fui devant les islamistes, comme l’a prétendu un journal en ligne tchadien ? Les rumeurs qui parlent de nombreuses défections dans les rangs sont-elles avérées ? Voilà autant d’interrogations auxquelles les Camerounais sont en droit d’avoir des réponses.
Curieusement, ces questions ne semblent pas préoccuper outre mesure Paul Biya, qui semble vivre le conflit avec détachement, comme si les choses se passaient loin, dans un autre pays et qu’il n’en recevrait que de lointains échos. Alors que les islamistes portent de plus en plus la guerre à l’intérieur même du Cameroun.

Visite aux victimes du conflit

Les Camerounais ne rêvent même plus de voir leur président se rendre dans le nord du pays où la Croix Rouge ne cesse d’alerter sur la catastrophe humanitaire que pourrait engendrer le conflit. Il y a six mois, cette ONG indiquait déjà qu’environ 48 000 Nigérians s’y étaient réfugiés, s’ajoutant à 30 000 réfugiés internes.

La Croix Rouge camerounaise (source : ifrc.org)

La Croix Rouge camerounaise (source : ifrc.org)

Le sentiment d’abandon est si présent chez les populations du nord Cameroun, qu’on a les a vu sortir par centaines pour acclamer en libérateurs les soldats tchadiens, lorsque ceux-ci sont entrés au Cameroun, mi-janvier. Les journaux indépendants camerounais relèvent également que Paul Biya n’a jamais rendu hommage aux soldats tués dans la lutte contre les islamistes de Boko Haram, et ne manquent pas de faire le parallèle avec l’attitude des présidents d’autres pays en guerre.
L’absence d’un chef de guerre actif, qui communique, est par ailleurs dévastatrice sur l’opinion camerounaise. Par son silence, Paul Biya a laissé prospérer toutes sortes de rumeurs et d’amalgames, au sujet des belligérants et de leurs motivations réelles.
En septembre dernier, fidèles à la stratégie de division que le président a lui utilisé tout au long de ses 32 ans de pouvoir, certains de ses fidèles, dont un ministre, agitaient la thèse du complot nordiste dans un manifeste public. Ils laissaient croire que derrière Boko Haram se cachaient en réalité des dignitaires de la région où, jusqu’ici, sévit exclusivement la secte, suggérant que ceux-ci auraient fomenté une rébellion. Le manifeste connu sous le nom de « l’appel de la Lékié », du nom d’un petit département proche de Yaoundé, avait obligé certaines personnalités insidieusement mises en cause, à se justifier publiquement.
On aurait attendu d’un président faisant son travail, qu’il s’élève au-dessus de cette mêlée, pour appeler à l’unité nationale face à un ennemi commun, et rejette cette stratégie du bouc-émissaire. Paul Biya est resté silencieux.
Il est tout aussi muet, depuis que des médias douteux accusent l’occident, notamment la France à laquelle il a pourtant demandé une aide contre les islamistes, de financer et d’armer les islamistes de Boko Haram, pour déstabiliser le Cameroun. Cela sans la moindre preuve.
Silencieux, absent. Alors que dans ses rares discours où il évoque le conflit, le président camerounais appelle à « une réponse globale », il montre, dans les faits, un dédain curieux à toutes les initiatives de ses pairs africains, soucieux d’apporter une réponse mutuelle aux assauts des islamistes.
En mai dernier, peu après le sommet élyséen où le président camerounais avait déclaré la guerre contre Boko Haram, Idriss Déby était allé le voir à Yaoundé pour mettre au point avec lui les mesures adoptées à Paris, pour combattre les islamistes. Paul Biya avait trainé des pieds. Plusieurs mois après, en janvier, lorsqu’il doit revenir vers le président tchadien, les hommes de Boko Haram frappant de plus en plus fort, c’est son ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o, qu’il envoie à N’Djamena discuter avec M. Déby.

24e sommet de l’Union africaine (source : rfi.fr)

24e sommet de l’Union africaine (source : rfi.fr)

L’absence de Paul Biya à Addis-Abeba, lors du 24e sommet de l’Union africaine a également été remarquée. Réunis dans la capitale éthiopienne le dernier week-end de janvier, les présidents africains ont décidé de constituer une force de frappe de 7500 hommes contre Boko Haram. Cela en l’absence du président camerounais, qui est avec son homologue nigérian Goodluck Jonathan, également absent, principaux concernés par le sujet.

Incohérence

Les Camerounais ont commencé à se faire petit à petit à l’idée que leur président n’est plus cohérent, lorsqu’il s’exprime en dehors des discours préparés d’avance.
Début août, alors qu’il se rend au sommet Etats-Unis-Afrique de Washington, le président se risque à répondre, chose rare, aux questions des journalistes locaux, avant de prendre son avion. Il commet alors une bourde irréparable, en mettant dans le même panier les martyrs de la lutte pour l’émancipation du pays du joug colonial, la guerre contre le Nigeria pour la presqu’île de Bakassi, et les islamistes de Boko Haram. « Je dis que le Cameroun a eu à traverser d’autres épreuves, on a eu à lutter à Bakassi, on a éradiqué les maquis, les mouvements révolutionnaires, on est venu à bout des villes mortes. Ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun », laisse-t-il entendre, à la surprise générale.

Boko Haram et Paul Biya

Boko Haram et Paul Biya

Bien entendu, cet écart avec la réalité plombe la lutte contre Boko Haram. Paul Biya s’étonne de l’inertie au sein de son gouvernement qu’il ne cesse de fustiger, oubliant que ses ministres attendent depuis bientôt deux ans, un remaniement qu’il avait lui-même annoncé, pour rendre l’équipe plus efficace. Dans ce contexte, les ministres prennent peu d’initiatives. La coordination entre différents départements est défaillante, et les renseignements civils et militaires fonctionnent mal. L’année dernière, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary reconnaissait lui-même à demi-mots cette faiblesse, en suggérant aux populations des zones attaquées par les islamistes de Boko Haram, de renseigner le gouvernement sur leurs mouvements.
Sur la scène internationale, Paul Biya est isolé, ignoré, boudé. Définitivement, le vieux président parait hors-jeu. Il est sans doute temps que les Camerounais songent résolument à se doter d’un vrai dirigeant.

 

 

2014 : Une année dramatique pour les journalistes

[Par René DASSIÉ]

René Dassié, Albéric de Gouville, Sadegh Hamzeh

René Dassié, Albéric de Gouville, Sadegh Hamzeh

L’année 2014 a été particulièrement meurtrière pour les journalistes. Selon le décompte de la fédération internationale des journalistes (FIJ) publié le 31 décembre dernier, cent dix-huit d’entre eux ont en effet trouvé la mort, pour la plupart dans des zones de guerre. C’est beaucoup plus qu’en 2013, année au cours de laquelle cent cinq journalistes avaient perdu la vie dans l’exercice de leur métier. Les risques du métier ne suffisent plus à expliquer ces drames, car les journalistes sont de plus en plus directement pris pour cible. L’État islamique a ainsi décapité publiquement James Foley (américain) et Steven Sotloff (américano-israélien).

La 21e édition des rencontres Prix Bayeux-calvados des correspondants de guerre qui s’est tenue du 6 au 14 octobre à Bayeux dans le Calvados a rendu un vibrant hommage à ces victimes. Retour en vidéo sur cet événement.

Patrick Gomont : « L’information c’est l’oxygène de nos démocraties »
Maire de Bayeux, Patrick Gomont était au centre de l’organisation de l’édition 2014 des Prix Bayeux-Calvados des reporters de guerre. A l’opposé de certains politiques qui suggèrent de ne plus envoyer de journalistes dans les zones à risque, il estime que ceux-ci doivent pouvoir continuer à faire leur travail, qui est indispensable à la démocratie.

Albéric de Gouville : « Les journalistes sont de plus en plus pris pour cibles »
L’assassinat d’un journaliste constitue un drame particulièrement difficile à vivre pour ses collègues. Après avoir passé plus de vingt ans à RFI, Albéric De Gouville est rédacteur en chef à France 24. Il a perdu plusieurs collègues, tués lors de missions à l’étranger. RFI et France 24 ont mis en place des formations pour préparer psychologiquement leurs reporters qui se rendent dans des zones de guerre. Témoignage.

Jon Randal, président du jury : « J’avais toujours peur»
Grand reporter, correspondant de guerre pour le Washington Post pendant plus de trente ans, Jonathan Randal est un spécialiste mondialement reconnu du Moyen-Orient. Il est l’auteur de Oussama, la fabrique d’un terroriste et de La guerre de mille ans, des ouvrages de référence traduits dans plusieurs langues. Il était le président du jury de l’édition 2014 des Prix Bayeux-Calvados des reporters de guerre. Il explique son expérience de correspondant de guerre.

INTERVIEW. Côte d’Ivoire : « Ouattara est un président bâtisseur »

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklin Nyamsi, 42 ans, est professeur agrégé de philosophie, et chercheur à l’Université de Lille 3. D’origine camerounaise, il fait partie des rares intellectuels à avoir conservé leur indépendance vis-vis du pouvoir de Yaoundé. Il critique en effet régulièrement l’immobilisme qui le caractérise.
Polémiste parfois passionné, c’est l’Afrique de l’Ouest – notamment le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire – qui constitue son principal centre d’intérêt. Un choix de cœur, sans doute. Au début des années 90, il dut partir en exil, lors de la répression brutale qui sanctionna une longue grève des étudiants de l’université de Yaoundé. C’est la Côte d’Ivoire qui l’accueillit et lui permit de poursuivre ses études dans de meilleures conditions, avant de répondre à l’appel de l’université française. Depuis, il suit de près les soubresauts politiques du pays de Félix Houphouët-Boigny. Dans cette interview, il répond aux questions que de nombreux observateurs se posent au sujet des choix économiques du président Alassane Ouattara, et esquisse l’avenir de ce pays, qui sort d’une longue période de troubles politiques.

[Interview réalisée par René DASSIE]

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

1- Professeur, vous êtes Français d’origine camerounaise. Mais vous êtes plus présent sur la scène ivoirienne qu’ailleurs. Qu’est ce qui explique ce lien particulier avec ce pays ?
Votre question ne me surprend point. Elle confirme ce bon mot de Heidegger qui dit que « la célébrité n’est que la somme des malentendus qui se forment autour d’un nom ». Pour en venir au fond, je me définis avant tout comme un être humain, et à ce titre, un citoyen du monde, car mon idéal est d’enraciner l’action dans une vision qui articule l’ici et l’ailleurs, dans un Tout harmonieux. Être Camerounais ou être Français ne sont de ce point de vue, que des déterminations accidentelles de mon être, puisque je m’efforce essentiellement d’être tout simplement un homme dans son siècle. Cela dit, vous rendez-vous compte que j’ai écrit deux livres sur le Cameroun et un seul sur la Côte d’Ivoire ? Vous rendez-vous compte que pour beaucoup d’Ivoiriens, je suis essentiellement Camerounais comme pour beaucoup de Camerounais, je suis éventuellement franco-ivoirien ? J’ai horreur d’être défini, daté et classifié comme une boîte de sardines sortant de sa fabrique. J’existe, et exister c’est être en devenir tout en demeurant soi-même. La Côte d’Ivoire, comme pays, a une plus grande ouverture sur le monde que mon Cameroun natal. Je me dois de penser que si l’on me connaît surtout pour mon engagement ivoirien, c’est parce qu’une voix qui parle de Côte d’Ivoire touche plus vite l’Afrique entière qu’une voix qui parle de Yaoundé ou de Douala. L’enclavement mental et médiatique, mais aussi une certaine politique enténébrée caractérisent un peu trop les pays de la forêt équatoriale d’Afrique Centrale. Communiquer, c’est sortir de la forêt, c’est savoir habiter la savane où autant en emporte le vent. Une véritable déforestation politique du Cameroun s’impose. Elle seule pourra du reste empêcher la déforestation sauvage de la flore naturelle du Cameroun. Enfin, j’ai envie de vous dire, journaliste camerounais de votre état, que je ne vous parlerai pas de la Côte d’Ivoire si vous ne me posez pas des questions sur la Côte d’Ivoire. Le tropisme ivoirien que vous m’attribuez est sans doute celui de la presse camerounaise elle-même, lasse de parler du régime monotone de Paul Biya et avide de parler d’un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a changé par quatre fois de Chef de l’Etat en moins de vingt ans.

2- Le troisième pont d’Abidjan a été inauguré en grandes pompes il y a quelques jours. Cela faisait au moins quatorze ans que le lancement de sa construction traînait. Peut-on enfin dire que le pays se relève après une longue crise ?
Vous l’avez dit vous-même. La renaissance ivoirienne n’est pas une fiction idéologique. Elle se concrétise dans l’action d’un président résolument bâtisseur, doué d’une vision et d’une volonté de grandeur pour son pays qu’il a manifestée en moins de trois ans de pouvoir. Rien à voir avec les slogans creux qu’on nous a servis ailleurs pendant plus de trente ans. J’aime beaucoup ce mot du Président Ouattara qui, citant Newton lors de son discours d’inauguration le 16 décembre 2014, a souligné que les hommes devraient cesser de construire entre eux des murs, pour mettre en lieu et place des ponts. La politique au sens le plus noble est un art du pontificat. Elle tisse des liens féconds au cœur de la pluralité humaine. La symbolique de ce 3ème pont sur la lagune Ebrié est remarquable : il relie deux grands quartiers de la capitale, l’un bourgeois et l’autre, populaire. Il unit deux grands hommes d’Etat, qui ont reconstitué une union ivoirienne plus parfaite après avoir été les pires ennemis de la république : les présidents Bédié et Ouattara, dont la leçon de fraternité servira sans doute de schème à l’espérance ivoirienne. Enfin, ce pont est un succès architectural et une belle promesse de fluidité commerciale pour la capitale économique ivoirienne, qui méritera encore plus son doux surnom de « perle des lagunes ».

© Reuters par DR  Tourisme - Vue aérienne d`Abidjan Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

© Reuters par DR
Tourisme – Vue aérienne d`Abidjan
Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

3- Ce pont a coûté très cher. 270 millions d’euros. C’est deux fois le prix qu’auraient proposé les Chinois, selon certaines sources.
Ce pont rapportera à long terme davantage que son prix. Votre allégation est donc infondée sur ce point. Je n’aime ni la Françafrique, ni la Chinafrique, ni la Russafrique, ni l’Américafrique. L’impérialisme m’insupporte, d’où qu’il vienne. Les décideurs ivoiriens, légitimement et légalement élus par leur peuple, ont cependant le droit de choisir le rapport qualité/prix qui leur convient entre plusieurs offres internationales. Je ne pense pas que le seul coût du pont puisse servir de critère suffisant à la décision des autorités ivoiriennes.
• Pourquoi le président Ouattara a-t-il préféré l’offre de Bouygues ? Un cadeau pour dire merci à la France ?
Je conteste votre méthode. Vous posez une question en préemptant la réponse. Par hypothèse, il faut aussi se demander si la France n’a pas fait l’offre la plus fiable en rapport qualité/prix. Je ne suis pas certain que la Chine ait atteint tous les standards de qualité des entreprises françaises dans tous les domaines. Je laisse donc ouverte l’hypothèse d’une préférence objective des Ivoiriens pour les entreprises françaises, y compris en raison de la longue histoire qui lie ces deux pays. Car il y a quelque chose que les Camerounais ne veulent pas confondre. En Côte d’Ivoire, le sentiment anti-français a parfois été instrumentalisé par le régime Gbagbo, mais il n’y a pas véritablement de camp politique anti-français en Côte d’Ivoire. Rendez-vous compte que c’est la France jospinienne qui a été la première à aider Laurent Gbagbo à s’installer au pouvoir en octobre 2000 ! Lui-même l’a dit, dans une vidéo disponible sur le web : « en 2000, la France nous a aidé sur tous les plans ». Et d’ailleurs, sous Gbagbo, la France a toujours eu la plupart des gros marchés internationaux ivoiriens. Alassane Ouattara, de ce point de vue, est dans la parfaite continuité de la tradition de coopération privilégiée entre Français et Ivoiriens depuis Félix Houphouët-Boigny.
• Ce pont doit permettre de désengorger Abidjan. Cependant, la traversée sera payante. Interdit aux pauvres donc ?
Le pont n’est pas interdit aux pauvres puisqu’il est fait pour des véhicules que les pauvres ne possèdent pas mais qu’ils pourront emprunter, sous forme par exemple de transports publics. Je crois donc que votre objection est sans fondement, car les pauvres passeront sur le pont via les transports publics qui sont accessibles à leur portefeuille modeste. Je crois savoir aussi que le péage de ce pont ne sera pas indéfini. Le pont finira par fonctionner comme toutes les routes urbaines.

4- Sur le même plan, selon Jeune Afrique, l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP) que dirige M. Coulibaly Non Karna a émis le 18 septembre un rapport très critique sur le mode de passation des contrats par le gouvernement. Jusqu’à 500 milliards de F CFA de marchés publics ont été passés de gré à gré, entre 2011 et 2013, c’est-à-dire en contournant la procédure usuelle des appels d’offres. N’y a pas là un risque évident de favoritisme ?
Oui, c’est un grave risque de favoritisme. Il y a urgence que l’éthique de la bonne gouvernance redresse les réflexes de prédation délétères. Et le gouvernement Ouattara, qui a commandité ce rapport, manifeste ainsi sa réelle volonté de combattre la corruption d’Etat, véritable fléau mondial et africain que les Camerounais connaissent d’ailleurs davantage que les Ivoiriens. N’est-ce pas ?
• L’urgence qu’il y a à relancer l’économie suffit-elle à expliquer ce procédé de gré à gré ?
Il s’agit là de nos pesanteurs sociologiques africaines, à surmonter de toute urgence. On peut constater, dans tous nos pays d’Afrique francophone par exemple, que la tentation de gestion patrimonialiste de l’Etat est très développée. Le rapport Coulibaly doit permettre au gouvernement Ouattara de mettre un coup de pied dans cette fourmilière de parasites qui jouissent au détriment des plus besogneux.

5- La croissance de la Côte d’Ivoire en 2013 qui est d’environ 8,8 est vigoureuse malgré un léger repli par rapport à l’année précédente. On doit cela notamment à la politique de relance par les grands travaux entrepris par le gouvernement. Cependant, le PIB par habitant reste faible par rapport à son niveau de 2000. On entend ainsi des Ivoiriens dire : « on ne mange pas béton ». Quelles sont les mesures que le président prévoit pour :
• Améliorer le pouvoir d’achat des Ivoiriens ?
• Pérenniser cette croissance ?
• Inciter le secteur financier en surliquidité, à financer les PME ?
• Créer des emplois au profit des jeunes Ivoiriens ?
• Améliorer la compétitivité du pays qui souffre, selon le rapport Paying Taxes 2014, de procédures douanières peu fluides et d’une fiscalité très complexe (62 dossiers d’impôts face à 36 en moyenne en Afrique)?

Williamsville, un des quartiers pauvres d'Abidjan (source : 20minutes.fr)

Williamsville, un des quartiers pauvres d’Abidjan (source : 20minutes.fr)

Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement ivoirien. J’observe cependant que le Président Ouattara a relevé le SMIG ivoirien à 60000 CFA. J’observe qu’il envisage une croissance à deux chiffres pour son pays, avec de solides raisons d’y croire. J’observe qu’en septembre dernier, il a publiquement critiqué la surliquidité des banques ivoiriennes qui ne prêtent pas autant aux entrepreneurs locaux qu’elles le font avec les grandes firmes internationales. Je vois le Président Ouattara soucieux d’employer des centaines de milliers de jeunes dans l’industrie, dans l’agriculture et de donner à chacun une chance de s’en sortir par la politique de micro-crédits qui va sans doute être plus vigoureuse dans son second mandat. Toutes les mesures que j’entrevois ainsi me semblent être des axes de la politique du gouvernement ivoirien. La fluidification du code des investissements, l’amélioration constante des indices de référence de la Côte d’Ivoire dans les classements Moody’s et Doing Business témoignent d’une forte volonté de progrès constant impulsée par le manager d’exception qu’est le président Ouattara. Comme vous le savez sans doute, la croissance – en attendant l’élaboration d’indices plus diversifiés – est encore la clé de tout, à condition qu’elle ne produise pas cette incongruité qui veut dans bien des pays africains, que les chiffres macroéconomiques élogieux ne se reflètent pas toujours positivement dans le panier de la ménagère. Le second mandat du Président Ouattara sera sans doute un mandat social. Je le vois prendre à bras le corps, après avoir reconstruit les fondamentaux.

6- Parlons maintenant un peu de politique. Laurent Gbagbo, Blé Goudé jugés à La Haye et sans doute bientôt Simone, l’épouse de M. Gbagbo. Comment mettre fin aux rancœurs dans ces conditions?
La justice politique est longue et patiente. Laurent Gbagbo, Blé Goudé et Simone Gbagbo sont les vrais responsables de l’escalade sanglante de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Je ne suis pas surpris qu’ils aient été sévèrement épinglés par la justice internationale et nationale. S’ils n’avaient pas voulu usurper le vote populaire, ils vivraient librement chez eux en Côte d’Ivoire. Quand vous parlez de rancœur, je vous réponds que vous oubliez un peu trop les victimes du régime discriminatoire de l’ivoirité. 3000 morts, tout de même, par la faute originelle de ces téméraires ! Ne les oublions pas si vite ! La justice est réparation des torts faits aux victimes, pas glorification des coupables. Laissons-la faire son travail.

7- Les enquêtes internationales ont reconnu des torts partagés, peut-être pas au même niveau, dans la crise sanglante qui a suivi la présidentielle de 2010. Seuls des membres du camp Gbagbo se retrouvent devant la justice à Abidjan et à La Haye. Justice des vainqueurs ?

La Haye -  Tribunal international

La Haye – Tribunal international

Vous faites une lecture morale et politique erronée du conflit ivoirien. A-t-on condamné et emprisonné les résistants français qui ont défait les nazis parce que des civils innocents étaient morts lors de leurs combats contre l’Allemagne nazie ? A-t-on condamné l’ANC combattant contre le régime de l’Apartheid parce que des civils étaient parfois tombés lors des attaques de l’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC ? Faut-il condamner les upécistes camerounais qui ont pris les armes entre les années 50-70 pour délivrer le Cameroun du colonialisme français et de ses héritiers, parce que lors de leurs confrontations avec le colon des civils trouvèrent la mort ? Il n’y a, hélas, pas encore de guerre propre au monde ! Telle est la dureté de l’Histoire, par quelque bout qu’on la prenne. Il vous faut apprendre que la résistance contre l’idéologie criminelle de l’ivoirité, bien qu’elle ait été violente, n’a pas la même portée morale que les agressions violentes du régime illégitime de Gbagbo contre les populations ivoiriennes. C’était une question de vie ou de mort pour les citoyens exclus et ostracisés par les Escadrons de la mort de Laurent Gbagbo et ses milices xénophobes. La légitime défense trace la ligne de démarcation nécessaire entre les victimes et les coupables. Depuis le charnier de Yopougon jusqu’aux tirs d’obus sur les femmes d’Abobo, le régime Gbagbo n’a pas laissé le choix aux vaillants ivoiriens. Ils devaient vaincre Gbagbo ou périr sous Gbagbo. Les Forces Nouvelles de Guillaume Soro, puis les FRCI sous les ordres du Président Ouattara ont sauvé le peuple de Côte d’Ivoire d’une dislocation certaine dans une tragédie génocidaire.

8- Sur le même plan, la Commission dialogue, vérité et réconciliation a plutôt déçu les attentes. Peu d’impact à travers le pays, en dépit des commissions locales installées un peu partout dans les communes. Certains pensent que cette commission souffre d’un péché originel : elle est présidée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, alors qu’elle aurait dû se placer au-dessus des chapelles politiques. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?
Je ne crois pas en la capacité de l’homme le plus saint au monde d’être dépourvu de vision politique. Le Christ, Gandhi, Luther King, etc., avaient tous une vision politique de l’humanité. Sortons donc de cet angélisme désuet qui consiste à croire qu’il y a des hommes « au-dessus des chapelles ». Etre « au-dessus des chapelles », c’est appartenir à une chapelle tout de même : la chapelle de ceux qui se croient ou qu’on croit être au-dessus des chapelles. Non. Assumons nos valeurs. Une commission de telle nature a toujours des résultats dans le temps long. Je n’ai pas eu le sentiment que la CDVR ivoirienne était partiale, bien que son président, Charles Konan Banny, ait davantage parfois pensé à son propre avenir politique qu’au succès de sa mission capitale. Soyons mesurés. On ne panse pas les plaies morales d’une société en un tour de passe-passe verbal. Il faut laisser aux mémoires le temps de l’émotion, puis celui de l’apaisement. Le travail de la justice vient aussi clarifier les responsabilités et ramener les choses aux proportions de la raison. Le régime Ouattara a tout de même mobilisé 16 milliards de FCFA pour les travaux de cette Commission dont les conclusions devraient inspirer une meilleure justice transitionnelle ivoirienne dans les prochaines semaines.

9- Si la réconciliation n’est pas effectivement réalisée, ne risque-t-on pas de renouer avec les troubles lors des prochaines élections ?
La qualité des élections et le respect des résultats justes sont les conditions de la paix postélectorale. La force doit, bien sûr toujours, demeurer au droit. Je ne saurais préjuger des comportements de tous les acteurs politiques. Je souhaite simplement que Gbagbo ne fasse pas tâche d’huile parmi les leaders politiques ivoiriens, car son attitude terrible en 2010-2011 a failli tuer la Côte d’Ivoire.

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

10- Enfin, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, est très actif au plan international, surtout africain. Certains le présentent comme le dauphin du président Ouattara. Vous qui êtes proche de lui, partagez-vous ce regard?
Selon la constitution ivoirienne, le président de l’assemblée nationale est le dauphin du président de la république. Voilà qui est clair et sans commentaire. Pas la peine ici donc, d’enfoncer les portes ouvertes. Pour ce qui est de l’avenir, Guillaume Soro lui-même répond toujours : « la patience est de Dieu ; la précipitation, du Diable ». J’aime beaucoup cette sagesse du Chef du parlement ivoirien. Et la proactivité du parlement ivoirien devrait servir de modèle positif dans toute l’Afrique francophone, au lieu de susciter une jalousie stérile, comme c’est parfois malheureusement le cas. Guillaume Soro est essentiellement un homme de mission et non l’esclave de quelque grande ambition de pure forfanterie.

Cameroun : Quand le projet de loi mélange protestation citoyenne et acte de terrorisme

[Par René DASSIE’]

C’est la première réaction d’hostilité au discours prononcé à Dakar par François Hollande contre la tendance à s’éterniser au pouvoir de certains dirigeants africains. Le pouvoir camerounais envisage d’interdire toute manifestation publique, sous peine de mort. Un projet de loi allant dans ce sens a été déposé à l’Assemblée nationale camerounaise. Ce texte, sur lequel les députés sont invités à débattre dès vendredi, punit de la peine capitale toute manifestation de nature à gêner le fonctionnement normal des institutions. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme.

(Source : lepoint.fr)

(Source : lepoint.fr)

L’opposition et la société civile exigent son retrait, jugeant qu’il brime les droits politiques au moment où des voix s’élèvent de toutes parts pour réclamer le départ de Paul Biya, 81 ans, au pouvoir depuis 32 ans.
“Quand on fait voter des peuples pour des Constitutions à travers des référendums, on ne peut pas les modifier impunément. Quand un chef d’Etat reste plusieurs mandats de suite, et qu’à un moment il est fixé une limite d’âge ou il est fixé un nombre de mandats qui ne peut pas être dépassé, il ne peut pas en être décidé autrement”, avait déclaré François Hollande dans un discours prononcé à Dakar, la capitale sénégalaise, lors du 15e sommet de la Francophonie qui s’est terminé dimanche. Un sermon inédit, assené sans langue de bois diplomatique, qui visait particulièrement quelques dirigeants africains, présents eux aussi à ce sommet.
Interrogé peu après par TV5 et France 24 sur la situation de la République démocratique du Congo (RDC), du Congo-Brazzaville ou du Rwanda, le président de la République enfonce le clou. Il laisse entendre que l’expérience burkinabè, où Blaise Compaoré a été forcé par la rue à quitter le pouvoir « peut servir de leçon à beaucoup de chefs d’Etat, pas seulement en Afrique (…) On ne change pas l’ordre constitutionnel par intérêt personnel.»

Louise Mushikiwabo dans France 24

Louise Mushikiwabo dans France 24

Sur France 24, seule la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, dont le pays est en froid avec la France au sujet du génocide de 1990, critique M. Hollande. Elle juge son attitude « très inélégante ».
«Je trouve ça gênant qu’un président qui est avec ses pairs, ici, au sommet de la Francophonie ne vienne pas discuter avec eux, mais dicter ce qui devrait se passer dans leur pays.»
« Ce n’est pas Paris qui décide [de l’avenir politique des Africains] », tranche-t-elle.
Les dirigeants africains, eux, ont acquiescé en silence. Parmi eux, Paul Biya. Gêné par la limitation des mandats, il avait réussi à modifier la loi fondamentale camerounaise il y a quatre ans pour se représenter en 2011. Au prix d’une répression féroce des manifestations qui avait fait une centaine de tués. Elu pour sept ans lors d’un scrutin entaché d’irrégularités selon les organisations internationales, son mandat actuel court jusqu’en 2018. Cependant, il craint la contagion de l’expérience burkinabè, où, soumis à la pression de la rue, Blaise Compaoré a dû abandonner un mandat en cours.
A Yaoundé en effet, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer son départ. Et la nervosité du pouvoir ne cesse de s’accroitre. Un débat consacré à la gouvernance et la démocratie a été interdit. L’élection du nouveau président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), verrouillée d’avance par le pouvoir qui a éliminé tous les candidats sauf celui qu’il soutenait, a été reportée en 2015. Par crainte des manifestations de rue.
« Après le départ de Blaise Compaoré au Burkina Faso, Paris s’inquiète des risques d’éventuelles pressions de la rue pour obtenir [le départ des] dirigeants au Cameroun et au Tchad », lit-on cette semaine dans le JDD, qui cite une source diplomatique.

Assemblée nationale du Cameroun (source :rjcpatriote.centerblog.net)

Assemblée nationale du Cameroun (source :rjcpatriote.centerblog.net)

Mardi, le gouvernement camerounais a déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi portant sur la répression des actes terroristes. Le prétexte ? La lutte contre les islamistes de Boko Haram venus du Nigéria voisin. Depuis plusieurs mois, ceux-ci font des incursions dans le nord du Cameroun, soumettant les populations et l’armée à rude épreuve. Cependant, à la lecture du projet de loi, les opposants et les spécialistes du droit pénal découvrent, horrifiés, qu’il vise en réalité à criminaliser toute manifestation contre le régime.
Le texte amalgame en effet acte de terrorisme et manifestation de protestation citoyenne. Il interdit tout acte qui se traduirait par « la perturbation du fonctionnement normal des services publics, la prestation des services essentiels aux populations », ou qui créerait « une situation de crise au sein des populations ». Sanction : la peine capitale, toujours en vigueur dans le pays.
« N’importe quelle manifestation d’une quelconque opposition à une entité publique ou privée est assimilable à du terrorisme et dès lors, l’auteur est susceptible d’être condamné à mort. A titre d’exemple, la grève de la faim des employés de la CNPS [Caisse nationale de prévoyance sociale] ou la manifestation des étudiants sur la voie publique peuvent désormais entrer dans la même catégorie que le dépôt de bombes des activistes de Boko Haram », a réagi Edith Kah Walla, présidente du Cameroon People’s Party, un des partis d’opposition les plus actifs.
Juriste mondialement connu et ancien ministre délégué à Justice, Maurice Kamto, par ailleurs président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), un parti d’opposition, ne dit pas autre chose. « Le projet de loi créé manifestement une infraction politique puisqu’il interdit de la sorte l’expression collective, même pacifique, d’un désaccord politique. Il assimile en définitive les populations camerounaises qui manifesteraient leur mécontentement à des terroristes », écrit-il dans un communiqué de presse publié mardi.
M. Kamto ajoute que le texte viole plusieurs dispositions du droit international, notamment la Résolution 2178 du Conseil de sécurité relative à la lutte contre le terrorisme. Laquelle enjoint les Etats confrontés au terrorisme à agir de manière à préserver les droits et libertés individuels.
« Au nom de la liberté et de démocratie chèrement acquises dans notre pays, de la paix si chère à notre peuple, barrons la voie à ce projet de loi inique! Personne ne devra dire demain qu’il ne savait pas », tranche Maurice Kamto.
A sa suite, des citoyens camerounais vivants au pays ou à l’étranger ont initié une pétition, demandant le retrait pur et simple du projet de loi.

Cameroun : Le livre de Marafa Hamidou Yaya interdit ?

[Par René DASSIE’]


Marafa Hamidou YayaS’agit-il d’une censure discrète ? En tout cas, un mois après sa parution, « Le choix de l’action », un ouvrage écrit depuis sa prison de haute sécurité de Yaoundé, par l’ancien ministre camerounais de l’Intérieur, Marafa Hamidou Yaya, n’est toujours pas disponible dans les librairies étrangères. Notamment à Paris, où il est très attendu.

Dans cet ouvrage de plus de 400 pages, l’ancien ministre qui a écopé de 25 ans de prison en 2012 pour « complicité intellectuelle de détournement » mais que le Département d’Etat américain considère comme un prisonnier politique, défend le bilan de ses dix années passées à la tête du ministère camerounais de l’Administration territoriale. Il expose un projet politique ambitieux pour son pays. Ce qui n’est visiblement pas du goût des autorités de Yaoundé.
Aux Editions L’Harmattan, éditeur et libraire parisien où l’on trouve la plupart des livres venant d’Afrique, « Le choix de l’action » n’est pas disponible. On laisse laconiquement entendre qu’il y a « un problème à la source ».
On sait que la première édition du livre s’était écoulée en quelques jours, obligeant l’éditeur, Les Editions du Schabel, à lancer une nouvelle impression.
Ce succès de librairie ne suffit cependant pas à expliquer la rareté, voire l’absence du livre à l’étranger. Une censure discrète l’empêcherait de sortir du territoire camerounais. Un voyageur qui se rendait en France ce week-end, et qui a requis l’anonymat pour des raisons évidentes, explique ainsi qu’il a été dépossédé des cinq exemplaires qu’il avait acquis pour des amis, lors d’une fouille à l’aéroport de Douala.
Et il n’est pas le seul à avoir subi ce type de censure personnalisée. Avant lui, une dame avait vu ses deux exemplaires être confisqués, dans les mêmes conditions.

Jacques Fame Ndongo (source : camer.be)

Jacques Fame Ndongo (source : camer.be)

Depuis la sortie du « Choix de l’Action », le régime camerounais fait feu de tout bois, pour en atténuer la portée auprès du public camerounais. Sans succès. Il y a une dizaine de jours, le ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, très proche du président Paul Biya, avait publié dans L’Action, magazine de propagande du RDPC au pouvoir, une tribune dans laquelle il tentait de retirer à M. Marafa les mérites qu’il s’attribue dans l’ouvrage. A sa suite, plusieurs seconds couteaux s’étaient relayés dans les médias, pour tenter de dénigrer l’auteur. Ils le présentaient collectivement comme une créature de Paul Biya, devenu opposant sur le tard. Tout en évitant soigneusement de débattre sur les multiples solutions brillamment argumentées que le livre propose, aux problèmes de gouvernance du pays.
Cependant, la manœuvre n’a pas eu le succès escompté et semble même s’être retournée contre ses initiateurs. Selon des indiscrétions, les camarades de parti de M. Fame Ndongo lui reprocheraient d’avoir par son activisme, contribué à la promotion de l’ouvrage et de son auteur, qu’il souhaitait combattre.
Peul du Nord du Cameroun et ancien proche collaborateur du président Paul Biya, M. Marafa Hamidou Yaya avait publié, avant la sortie de son ouvrage, de nombreuses tribunes dans la presse camerounaise et internationale, devenant de fait le chef de file des promoteurs de l’alternance politique dans le pays, par la pertinence de ses idées.

 

Cameroun : Arrestation de l’écrivain Patrick Nganang

[Par René DASSIE’]

L’écrivain engagé camerounais Patrice Nganang résidant habituellement aux Etats-Unis, et trois autres responsables de la société civile, Akwe Sab, Gérard Philippe Kuissu et Gabriel Mephou ont été arrêtés tôt lundi matin à Douala, la capitale économique du Cameroun, alors qu’ils s’apprêtaient à remettre un prix récompensant le meilleur journaliste de l’année.

Patrice Nganang (source : culturessud.com)

Patrice Nganang (source : culturessud.com)

Selon le site www.koaci.com, les quatre hommes ont été interpellés par les forces de sécurité vers 10 heures (GMT+1) au lieu-dit Foyer des marins à Douala, où devait se tenir la cérémonie de remise du « Prix Bibi Ngota du Journalisme contre l’Impunité en Afrique. » Ils ont été conduits vers une destination inconnue.
Les autorités auraient interdit la cérémonie de remise du prix, sans toutefois en informer ses organisateurs.
Le prix avait été lancé peu après le décès en avril 2010 du journaliste Bibi Ngota, en détention à la prison centrale de Yaoundé, la capitale camerounaise. Il est sponsorisé par l’ambassade de l’Allemagne au Cameroun et devait récompenser, cette année, Sébastien Chi Evido, journaliste au quotidien privé Mutations.

Écrivain prolixe et universitaire, Patrice Nganang s’était fait connaître ces dernières années par ses positions très critiques envers le Pouvoir de Yaoundé. Il était revenu au Cameroun début décembre notamment pour présider la cérémonie de remise du prix.
Jeudi, l’Assemblée nationale camerounaise avait adopté une loi antiterroriste particulièrement sévère. L’une des dispositions de ce texte interdit toute manifestation publique sous peine de mort et suscite une grande controverse dans le pays.
Plusieurs responsables de l’opposition et de la société civile ont appelé à manifester ce mercredi pour l’abrogation de cette loi qui n’a pas encore été promulguée par le président Paul Biya.