Articles

PORTRAIT. Naama Al Alwani, une journaliste syrienne au mental d’acier

Du haut de ses  31 ans, Naama Al Alwani, journaliste syrienne, garde le sourire, malgré un parcours semé d’embûches. Ancienne résidente de la Maison des journalistes, elle accepte de revenir sans filtre sur son parcours. Portrait d’une journaliste dotée d’une confiance en soi inébranlable.

c0c48884-d6d3-49dd-822d-9640f77ef082.JPG

Un rire facile et un débit de phrase posé. Voilà ce qui caractérise Naama Al Alwani lorsqu’elle accepte de remonter le temps et de retracer son parcours.  Née en 1991, elle a rapidement trouvé sa vocation grâce à son esprit très curieux et sa passion d’être sur le terrain. Dès son plus jeune âge, elle sait tout de suite ce qu’elle veut : être journaliste. Elle lance sa carrière à l’âge de 20 ans. Nous sommes en plein printemps arabe, au cœur de l’année 2011. Naama Al Awani se définit alors comme « journaliste activiste ».

Très concrètement, elle partage sur ses réseaux sociaux toutes les actualités sur les mouvements de la révolution dans sa ville de Homs, en Syrie, située à 100 kilomètres de Damas, la capitale. En particulier les frappes israéliennes qui ont détruit sa ville. Le tout en variant les supports afin de donner encore plus de poids à ces informations : photographies, vidéos, témoignages de locaux sur place… En 2012, le conflit prend une tournure encore plus grave pour Naama : “Ma maison à Homs a été bombardée par le régime de Bachar El-Assad. J’ai vraiment eu peur pour ma vie, mais aussi pour celle de mes proches. C’était la goutte de trop, je devais partir”, raconte-t-elle, d’une voix tremblante. 

Le cœur lourd, elle décide de prendre la direction de Daraya, dans la province de Damas. “Sur place, j’ai notamment pu travailler pour l’organisation Life Institute : the Lebanese Institute For Democraty and Human Rights, une instance qui milite pour les droits humains. Je réalisais des rapports et des comptes-rendus sur la situation des droits de l’Homme en Syrie, tout en continuant bien-sûr à dénoncer l’injustice et les crimes commis par ce dictateur, je conserve toujours ma liberté de penser, malgré les multiples pressions, telles que l’intimidation ou les menaces de mort”, se remémore Naama. 

Le régime syrien, qui a toujours gardé un œil sévère sur les activités de Naama, n’apprécie guère son militantisme. À tel point qu’il décide de passer à la manière forte. En octobre 2013, Naama a été arrêtée par le régime, qui voulait depuis un moment museler la journaliste. Pendant cette période, il était en effet interdit de diffuser et de partager toute diffusion d’information en rapport avec le régime syrien et la révolution.

“Je me souviens qu’ils ont arrêté plusieurs autres journalistes qui étaient contre le pouvoir, retrace Naama. Rendez-vous compte, à cause de nos convictions, de nos idées, ils nous ont bâillonné en nous envoyant en prison. Moi, j’y suis restée pendant huit mois. J’ai toujours gardé la force mentale, grâce à la spiritualité, avec ma religion. Cela m’a rendue encore plus forte pour surmonter cette épreuve très dure”, complète-t-elle. Musulmane très pratiquante, Naama Al Alwani a recours à sa foi pour ne pas sombrer. Durant sa détention, elle en profite notamment pour réaliser un rapport sur les conditions des femmes en prison. “Je pensais en permanence à mon entourage, à mes proches. Cela m’a aidé à tenir”, souffle-t-elle.

e1026dd5-befb-4def-82fe-f3000d4ed320.JPG

Naama Al Alwani apprécie particulièrement la télévision et le montage vidéo.

Les chiffres clés de la guerre en Syrie depuis 2011
Selon un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme publié en juin 2022, 306 887 civils ont été tués entre le 1ᵉʳ mars 2011 et le 31 mars 2022 en Syrie depuis le début du conflit. En d’autres termes, cette estimation indique qu’au cours de ces dix dernières années, ce sont en moyenne 83 civils par jour qui ont subi une mort violente. “Cela n’inclut pas les très nombreux autres civils qui sont morts en raison de la perte d’accès aux soins de santé, à la nourriture, à l’eau potable et à d’autres droits de l’homme essentiels, qui restent à évaluer” déclare dans ce rapport Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme. Ce nombre de victimes civiles recensées au cours de ces dix dernières années “représentent un taux stupéfiant de 1,5 % de la population totale de la République arabe syrienne au début du conflit”, indique encore le rapport.

« J’ai fait 8 mois de détention à cause de mes convictions »

Naama Al Alwani, journaliste syrienne

Dès sa sortie de prison, Naama n’oublie pas ses engagements : lutter encore et toujours contre le régime en place, à son échelle. “Personne ne me fera taire”, tonne-t-elle. Ainsi, pendant plusieurs années, elle continue de dénoncer les actes sanglants du régime en enregistrant des vidéos sur son téléphone, en réalisant des reportages vidéos et des articles, qu’elle garde pour elle. Mais le petit écran la titille toujours. Spécialisée dans la télévision, Naama Al Awani réalise des reportages pour le petit écran.

Elle collabore notamment avec Halab Today TV, une chaîne de télévision syrienne depuis septembre 2020. En plus de ses talents de présentatrice, la Syrienne a un profil très polyvalent : polyglotte – elle maîtrise l’arabe, l’anglais et a de bonnes bases en français, elle aide les chercheurs et journalistes étrangers qui la contactent pour faire de la traduction sur des sujets liés à l’actualité de la Syrie. Parmi les sujets traités, Naama a ses domaines de prédilection : “J’apprécie particulièrement tous les sujets de société qui concernent les réfugiés syriens et les femmes syriennes. Je me focalise principalement sur la révolution et sur ce qu’il se passe sur ce long conflit syrien qui dure depuis 2011”, explique-t-elle. Sa mère, qui vit actuellement au Liban, lui apporte une autre culture : “Je me sens syrio-libanaise”, sourit-elle.

Un départ pour développer sa polyvalence

Après ces longs mois, Naama décide de quitter sa Syrie natale pour rejoindre le Liban voisin, toujours dans l’optique d’y exercer son métier de journaliste. “J’ai pu travailler avec plusieurs médias sur place en tant que freelance, comme Al Jazeera magazine, Al Aan TV. Je voulais toucher à tous les médias pour développer ma polyvalence”, précise Naama. En plus de ses activités journalistiques, la jeune femme n’oublie pas la cause qui lui tient à cœur, en accompagnant les réfugiés installés dans des camps au Liban. La journaliste leur fournit notamment les premiers soins et contribue à distribuer des denrées alimentaires aux personnes les plus démunies.

Réfugiés syriens au Liban : un parcours du combattant pour survivre 
Au Liban, on estime le nombre de réfugiés syriens entre 1,5 et 2 millions, faute de données officielles, dont 805 000 sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cela fait du Liban l’État qui héberge le plus grand nombre de rescapés de la guerre civile syrienne par habitant. Ces réfugiés représentent environ 25 % du total de la population libanaise. Avant le conflit syrien qui a débuté en 2011, le pays du Cèdre accueillait entre 250 000 et 500 000 Syriens. 

Ils étaient alors pour une partie d’entre eux employés dans le BTP et l’agriculture particulièrement. Alors que le Liban continue de s’engouffrer dans une crise sociale et économique majeure depuis 2019, le pays est depuis plus de neuf mois sans président et avec un gouvernement démissionnaire. 82 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et la livre libanaise a perdu plus de la moitié de sa valeur. Les conditions de vie des réfugiés syriens sont déplorables : selon le HCR, 90 % d’entre eux croupissent dans une situation de pauvreté extrême : ceux d’entre eux qui travaillent dans des champs et assurent les récoltes, par exemple, gagnent l’équivalent en livres libanaises de cinq dollars la journée.

Naama vivra dans le pays du Cèdre pendant sept ans. En tant que journaliste-reporter, elle a notamment collaboré avec le média syrien « Halab Al-Youm », pour informer de l’actualité des Syriens qui résident au Liban et en Turquie. En quittant le Liban en 2020, après avoir subi de plein fouet de la xénophobie, mais aussi les multiples crises du pays, Naama rejoint le territoire turc, où elle y résidera pendant sept mois. La journaliste continue de travailler pour « Halab Al-Youm » et le média « Watan », tout en entreprenant les démarches afin d’obtenir le visa, pour vivre en France. 

Après de multiples contacts avec l’ambassade française au Liban, elle obtient son précieux sésame en 2021, après deux ans et demi d’attente.  Elle rejoindra l’Hexagone la même année. Sa famille, quant à elle, continue de résider actuellement dans la ville de Tripoli, au Liban. “C’était très dur de les laisser, mais j’ai régulièrement de leurs nouvelles en visio. Pour le moment, je n’envisage pas de rentrer au Liban à cause de la situation locale très compliquée. Mais je garde toujours espoir pour un avenir meilleur”, lance Naama Al Alwani. 

Une adaptation contrastée en France 

Naama Al Alwani est arrivée en France le 15 juillet 2021. “J’ai choisi ce pays parce que je voulais uniquement la paix, je n’en pouvais plus de subir des pressions de la part du gouvernement syrien, je veux avoir la liberté de porter fièrement mes convictions. En France, il y a cette liberté d’expression”, clame-t-elle. La journaliste commence par découvrir la Normandie et en particulier la ville de Rouen, où elle habite avec une amie, pendant une dizaine de jours. 


“Après quelques recherches sur le web, j’ai découvert la Maison des journalistes et les combats de cette association qui milite notamment pour la liberté de la presse. J’ai rempli le formulaire d’admission et je m’y suis installée le 18 août 2021”, raconte Naama, soit tout juste un mois après son arrivée sur le territoire français. Elle réside au sein de la Maison des journalistes pendant une année. Le programme « Renvoyé spécial », qui consiste à raconter son histoire devant un jeune public de lycéens, lui tient particulièrement à cœur. “Je suis souvent positivement surprise par le public que je rencontre. Je trouve qu’ils ont des questions très pertinentes sur le fonctionnement de la liberté de la presse et moi j’apprends beaucoup sur leur manière de s’informer. Dans notre société, ce sont des sujets cruciaux”, développe Naama Al Alwani.

B4363797-A46C-4282-9BC5-57DF22FB4333.JPG

J’ai beaucoup apprécié de vivre ces expériences et surtout de ressentir la curiosité de ces jeunes. Je sens qu’ils sont souvent captivés par ce que je raconte”, se remémore Naama Al Alwani. La journaliste retient également ce mixte de cultures qui lui a permis de tisser des liens avec d’autres journalistes de l’association. Naama Al Alwani a obtenu son statut de réfugiée en novembre 2021.

Entre octobre 2021 et octobre 2022, elle a suivi  des études dans la spécialité « Français langue étrangère » à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Elle a enchaîné avec une licence en cinéma, toujours dans le même établissement, entre juin 2022 et juillet 2023. Elle recherche actuellement un Master, sans savoir encore dans quelle spécialité. 

« Je dois choisir entre mon hijab ou ma carrière »

Naama Al Alwani, journaliste

La jeune femme, qui réside actuellement à Paris, souhaite trouver un travail dans le journalisme avec toujours une appétence pour l’univers de la télévision, mais se heurte à une difficulté majeure selon elle : le port du hijab. “On m’a déjà forcé à l’enlever, mais je ne veux pas. Le hijab fait partie de moi, de ma personnalité et de ma religion. Cela fait 18 ans que je le porte. Je suis donc confronté à un dilemme : je dois choisir entre mon hijab ou ma carrière”, déplore Naama.

Elle souhaite par ailleurs dénoncer un cliché: “Beaucoup font le rapprochement entre les extrémismes et le terrorisme, juste à cause d’un vêtement. Mais je ne suis pas terroriste, je ne cache rien !”, clame Naama. La journaliste souhaite réaliser une enquête journalistique sur les discriminations liées au port du hijab.

Elle rebondit par ailleurs sur une polémique qui a fait couler beaucoup d’encre au sein de tous les partis politiques en France : le port de l’abaya, qui est désormais interdit à l’école  par le ministre de l’Education, Gabriel Attal. “On voit finalement que les gens ne sont pas traités de manière équitable. En quoi l’abaya peut vraiment déranger une personne ?” 

La journaliste confie que des connaissances qui portent le hijab ont accepté de l’enlever, uniquement sur le temps professionnel. “Je suis juste un être humain, une personne normale. Ici une des premières choses que l’on me dit lorsqu’on me voit avec le hijab, c’est : ‘’Tu n’as pas trop chaud avec ça ? Mais oubliez-le et concentrez-vous sur ma personne!“, lance Naama dans un grand éclat de rire. “Mais dans d’autres pays, comme en Allemagne, la mentalité est différente. Je me rends compte qu’ici en France, je ne peux pas totalement exprimer ma spiritualité”, ajoute la Syrienne.

Pour autant, Naama Al Alwani ne se voit pas qu’ailleurs qu’en France, reconnaissant être  “fatiguée” d’être perpétuellement en mouvement.  “Mon corps est ici en France, mais ma tête est au Liban avec mes parents et mes proches”, explique-t-elle pour définir son état d’esprit.

En plein apprentissage de la langue française avec un niveau B2, Naama a encore plusieurs souhaits : stabiliser sa situation professionnelle, obtenir la nationalité française et revoir sa mère. Cela fait déjà deux ans qu’elles ne sont pas vues. “Sur le plan psychologique, je désire aussi avant tout que tout ce stress disparaisse une bonne fois pour toute”, conclut-elle avec un long soupir. Une différence qui peut se faire au mental, Naama en a désormais l’habitude. 

Par Chad Akoum 

PORTRAIT. Nadiia Ivanova : fuir la guerre pour retrouver Paris, ville de la paix

Nadiia Ivanova, Ukrainienne au carré long et impeccable, possède un sourire empreint de gentillesse. Née en avril 1981 en Crimée, Nadiia Ivanova est une femme pugnace et souriante, détentrice de trois masters : l’un en économie après un cursus à l’Université des ressources naturelles de Crimée, le second en journalisme et le troisième en marketing. Réfugiée à Paris et accompagnée par la Maison des Journalistes depuis mars, la brune a confié son parcours à l’Œil de la MDJ. Portrait d’une voix ukrainienne inépuisable.

Tout commence en 1998 pour Nadiia Ivanova, lorsqu’elle prend les commandes d’une radio de divertissement en Crimée, en tant que rédactrice cheffe de la rubrique informations. La femme grimpera les échelons au fil des années en même temps qu’elle obtiendra ses diplômes, avant de se rendre à Kiev pour poursuivre sa carrière et travailler pour une radio locale, en tant que cheffe de la rubrique musicale.

En 2015, Nadiia entre au service de Lux FM en tant que journaliste info, un tournant significatif pour sa carrière. Dès 2018, la journaliste radio devient une professeure des arts oratoires de l’école de Journalisme Radio à Kiev, un métier qui la passionne encore aujourd’hui.

Véritable voix des Ukrainiens, Nadiia incarne deux ans plus tard la voix officielle de l’application mobile des services publics Diia.gov.ua, utilisée par la population pour envoyer, signer et remplir des documents administratifs. La quarantenaire a conduit plus de 500 interviews en live et possède une solide carrière de 20 ans en radio.

Une carrière interrompue par les bombardements

Mais en février 2022, Nadiia assiste impuissante aux premiers jours de la guerre, alors qu’elle représente l’une des journalistes radios les plus en vue de Lux FM. Celle-ci est obligée de fermer dès les premières heures des hostilités, coupant court à ses aspirations professionnelles.

Le sourire de Nadiia s’efface un peu à l’évocation des bombes, tandis que ses yeux roulent pour fouiller dans sa mémoire. Le second jour de la guerre l’a terriblement marquée : alors que Kiev est bombardée par la Russie, son appartement situé à l’ouest de la capitale échappe de peu à un obus, qui tombera sur le bâtiment à côté.

« C’était effrayant et très compliqué », assure-t-elle en déviant le regard. « Je dormais chez moi, le 24 février, lorsque les premières bombes sont tombées à cinq heures du matin. C’était la première fois que j’entendais ce son qui m’a fait réaliser que la guerre avait véritablement commencé. »

Nadiia Ivanova à son bureau

Depuis début février 2021, les Ukrainiens étaient prêts à la guerre, qu’on « pouvait sentir dans l’air. » Ils avaient préparé pour la majorité des sacs de secours en cas de fuite. « Lorsqu’un bombardement est annoncé à travers les sirènes de la ville, vous avez une quinzaine de minutes pour fuir », relate Nadiia sans attarder son regard trop longtemps. « Votre sac doit déjà être prêt avec quelques vêtements, de la nourriture, une trousse de secours et de l’eau. » Nadiia ne partira pas seule : un ami la rejoindra à son appartement, plus proche de la frontière que partagent la Pologne et l’Ukraine, pour qu’ils puissent se rendre en France ensemble.

Un véritable parcours du combattant. Les deux amis établissent leurs pénates d’abord dans un petit village à l’ouest du pays pour quelques jours, village qui fait face comme le reste du pays à des problèmes d’électricité, gaz et eau courante. « J’ai dû porter les mêmes habits pendant douze jours environ », affirme-t-elle de sa voix douce avec un demi-sourire gêné. « Nous étions tellement stressés avec les alertes à la bombe qu’on ne pouvait plus dormir ou manger correctement, nous ne pensions pas à nous changer au cas où il faudrait s’enfuir au plus vite. »

Vingt minutes d’antenne par jour pour Lux FM

Ils passent quelques jours en Allemagne avant de rejoindre la capitale française, que Nadiia a toujours portée dans son cœur et où d’autres amis vivent. Le traumatisme la suit jusqu’à Paris, où elle a eu les premiers mois l’impression d’entendre le sifflement mortel des bombes. Aujourd’hui encore, il est difficile pour elle de se dire qu’elle est finalement saine et sauve et que la guerre ne la poursuivra pas.

De son appartement, Nadiia n’a quasiment rien emporté : les vêtements qu’elle porte à Paris les premiers mois sont ceux de ses amis. Toujours en location, l’appartement est aujourd’hui utilisé par une de ses connaissances après son départ, qui lui a attesté du vol de plusieurs de ses affaires. « Je me suis énervée au début, avant de relativiser. En temps de guerre, ce vol est beaucoup plus compréhensible. »

Quant à la radio Lux FM, elle peut à nouveau émettre des émissions. Problème, la couverture électrique est terriblement chamboulée par les bombardements. De nombreux blackouts minent les journées des Ukrainiens, avec quelques minutes d’électricité par jour dans tout le pays. « Les drones iraniens ont détruits nos centrales électriques, les habitants doivent pouvoir cuisiner, se laver et laver leurs vêtements en l’espace d’une vingtaine de minutes seulement. A Lux FM, seulement deux journalistes sont revenus travailler et ne bénéficient que d’un temps d’antenne quotidien très court », explique-t-elle d’une voix ferme.

Paris, ville des Lumières et de la paix

Nadiia évoque la libération de la ville de Kherson comme « un jour marquant, comme si on entrait dans une période de vacances très spéciales. » Elle ne compte cependant pas retourner à Kiev et Lux FM car elle ne veut plus vivre seule comme auparavant dans son appartement. « J’ai trop sacrifié pour faire le chemin inverse, la guerre m’a trop effrayée. Je veux vivre à Paris, la ville des Lumières et en temps de paix. J’ai toujours été fascinée par la langue française et Paris. La capitale est comme mon amante, je comprends cette ville et ses habitants, je m’y retrouve bien. Je ne veux pas perdre ma gentillesse et vivre dans la haine », confie la journaliste avec un franc sourire.

Nadiia participera bientôt aux activités de la MDJ, notamment l’édition 2022 de Renvoyé Spécial, le programme de sensibilisation à la liberté d’expression et de la presse. Elle étudie aujourd’hui le français et les arts à la Sorbonne et ne compte pas retravailler dans l’économie, mais “devenir une personne utile à la société française” et lui rendre tout ce que le pays a su lui donner. « J’ai suivi un parcours économique pour faire plaisir à mes parents, mais je suis une personne artistique et là est ma voie. J’ai des projets que je veux développer en France concernant la culture artistique du pays, des projets avec l’Unesco » explique-t-elle, enveloppée dans un manteau à carreaux marron. « Cette ville m’a sauvé », conclut-elle en accrochant son regard dans le nôtre. Pour le prouver, son compte Instagram intitulé « elle murmure. »

Lorsqu’on lui demande pourquoi, Nadiia n’hésite pas à rire à l’évocation de ce bon souvenir. « Il y a 12 ou 15 ans, mon Instagram était mon blog, mon journal intime. Mon copain de l’époque parlait un peu français, et je trouvais la prononciation des mots « elle murmure » très élégante. Ce n’est qu’au bout de plusieurs années que j’ai appris la signification réelle de ces termes. En tant que journaliste radio et professeure de journalisme, tu « murmures » au micro lorsque tu prends ta voix de radio. C’est mon petit jeu de mots. » Un jeu de mots qu’elle partage avec Paris, à qui elle murmure ses projets et aspirations. Elle n’attend plus que la ville lui prête oreille.

Maud Baheng Daizey

Guerre en Ukraine : l’Afrique prise en étau entre l’Occident et Moscou ?

Par Jean-Jules Lema Landu

Manifestation en soutien à l’Ukraine, Paris, France. © Cédric VT on Unsplash 

” La guerre en Ukraine place l’Afrique dans une position inconfortable.”

Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France

Il y a, d’abord, les anciens pays d’Europe occidentale. Après la séquence historique de colonisation, ils sont restés liés à leurs anciennes colonies. Y avait-il moyen de faire autrement, pour les Africains, que d’accepter cette relation « naturelle », sur fond de rapports de force largement déséquilibrés ? Ainsi, les deux parties, bon an, mal an, devaient-ils coopérer dans quasi tous les domaines, à ce jour. Et ce, depuis 1960, années des indépendances. Il y a donc de cela plus de six décennies avant que la machine se grippe. Le continent réclame justice, l’Europe promet de modifier le tir. On en est là.

Quant aux deux autres dimensions, il y a celle dans laquelle les relations entre l’Afrique et la Russie sont également liées par l’Histoire. Mais sur l’autre versant, comme par osmose, où Moscou parlait « libération », alors que l’Europe colonialiste, se cabrant, durcissait sa position pour ne pas lâcher-prise. Il s’en suivit une bonne saison de guerres de libération. L’Union soviétique, à l’époque, fut aux côtés des Africains, à travers l’Algérie, l’Afrique du Sud et l’Angola, notamment. Sa part dans le domaine de la coopération militaire, surtout, fut des plus appréciables. Elle permit également à plusieurs Africains de fréquenter ses universités et, qui plus est, construit l’université Lumumba, en mémoire du héros de la lutte de libération. Ce n’est pas rien, en termes de symbole. Et, enfin, la mondialisation, cette réalité qui met le monde en synergie, interconnecté. Où s’exprime un véritable effet papillon, image d’un « village planétaire », cher à McLuhan.

Pour qui opter ?

A cet égard, globalement, la guerre en Ukraine place l’Afrique dans une position inconfortable. Pour qui opter ? Il y a là à boire et à manger. La coopération avec l’Europe n’a pas été que négative sur toute la ligne. Les nouveaux venus, la Chine en première ligne, suivie de la Russie et des autres pays dits émergents, n’a rien d’ange tutélaire. La notion de mondialisation ? Elle ne profite qu’aux pays riches. Le vote à l’ l’Onu sur l’Ukraine, le 2 mars, a donné la mesure sur la considération des pays africains, par rapport aux « blocs économiques » qui dirigent le monde. La tendance a traduit une « neutralité » sensible quand sur 154 pays, un seul a voté pour la Russie ; 28 ayant été contre et le reste s’étant abstenu.

En réalité, c’est une des indications que les Africains se réveillent, en ouvrant un œil… responsable. C’est positif. Nombre d’observateurs rapprochent cette image et celle de l’après-Conférence de Bandung (Indonésie), en 1954, ayant prescrit la politique de « non alignement » pour les pays Africains, vis-à-vis des blocs communiste et occidental. A l’époque. A quelque chose, malheur est bon, dit-on. La guerre en Ukraine a permis au continent de se rappeler au bon souvenir des « fondamentaux », préconisés par les pères des indépendances.

Image drapeau ukrainien flottant, © Noah Eleazaron on Unsplash

MORT À PARIS D’UN EXILÉ CUBAIN : JESÚS ZÚÑIGA

Par Jacobo Machover

Jesús Zúñiga à la Maison des journalistes. © Lisa Viola Rossi

Jesús Zúñiga était un combattant pour la liberté de la presse et pour la liberté tout court. Mais il était incompris car il avait osé s’attaquer à un régime communiste qui bénéficie encore de la sympathie de nombre de ses collègues journalistes et intellectuels à travers le monde, celui de la Cuba des frères Castro et de leurs épigones. 

Il y avait pourtant vécu l’enfer. Journaliste indépendant, c’est-à-dire en dehors de la presse officielle, entièrement inféodée au Parti communiste (unique) depuis le début des années 1990, il avait été harcelé par la police politique, la Seguridad del Estado, et détenu pendant plusieurs semaines dans ses locaux, que tous les Cubains craignent particulièrement. La raison ? Il racontait, pour les journaux et les radios de l’exil, principalement installés aux États-Unis et diffusant à l’intérieur de l’île, la réalité quotidienne, celle de la corruption (secret d’État !) et de la prostitution (comment ? cela ne pouvait exister dans un pays socialiste !). Il avait même été cité dans un discours par Fidel Castro en personne, pas de manière élogieuse, évidemment. Bien qu’il en fît un titre de gloire, montrant à qui voulait l’entendre l’exemplaire de Granma, le quotidien officiel, qui reproduisait l’interminable discours en question,cela pouvait lui valoir une longue peine de prison. Ce fut le cas, durant la primavera negra (le « printemps noir ») de 2003, pour 75 dissidents et journalistes indépendants, condamnés, en moyenne, à vingt ans (ils purgèrent pour la plupart sept ans, avant d’être envoyés loin de Cuba, en Espagne. Jesús Zúñiga échappa à cette rafle mais, dès lors, il savait qu’il était à la merci de n’importe quelle vague répressive qui pouvait avoir lieu par la suite et ce, jusqu’à nos jours.  

Sa collaboration avec moi, écrivain exilé, par la rédaction d’un chapitre d’un de mes livres, Cuba, totalitarisme tropical, ou par la participation à des revues, le condamnait à la répression à court ou à moyen terme. Il en fut averti lors d’une convocation -une de plus- au siège de la Seguridad. Dès lors, il fallait organiser son départ à l’étranger. Cela devait se faire avec  sa femme, Margarita, et sa fille, Amelia, mais pour des raisons tenant au désintérêt, à l’inconscience et l’irresponsabilité de diverses personnalités françaises de tous bords, cela n’a pu se faire. Jesús est donc arrivé en France en juin 2006, seul. Peu après, il a été accueilli à bras ouverts à la Maison des journalistes, qui est devenue, comme il ne cessait de le répéter, sa « maison ». Il convient d’en remercier ici Philippe, Manu, Darline, Viola, qui ont été ses protecteurs et ses plus proches amis, ainsi que nombre de ses collègues, auxquels il s’évertuait à rappeler avec conviction le sens de son combat. 

Cependant, personne n’a pu faire pièce à l’absence de sa famille. Il portait sur lui une éternelle tristesse, à laquelle personne ne pouvait pallier. Au départ, juste après l’éloignement du pouvoir de Fidel Castro, suite à sa maladie, à partir de juillet 2006, nous avons cru que son exil n’allait pas durer, bien que Raúl Castro lui ait succédé. Il s’est prolongé jusqu’à sa mort.

Pendant ces quinze ans, Jesús est devenu une personnalité de l’exil. Il intervenait régulièrement dans les médias français, se désespérant toujours du manque de réactions aux injustices commises dans notre pays. Il organisait des débats et des réunions autour de la situation à Cuba, qui reste désespérément la même depuis des décennies. Il participait aux manifestations hebdomadaires devant l’ambassade castriste à Paris pour réclamer la libération des prisonniers politiques, dont bon nombre étaient ses amis. Par là, il a contribué grandement à la liberté qui vient, comme l’annoncent les manifestations spontanées contre le régime du 11 juillet 2021, qu’il a suivies avec enthousiasme et espoir.

J’ai malheureusement l’habitude d’apprendre à intervalles réguliers la mort de mes frères d’exil, dispersés aux quatre coins du monde. Mais celle de Jesús m’a particulièrement touché : c’est celle d’un frère de cœur, qui avait fait de la France, malgré toutes ses souffrances, sa terre d’asile. Il nous reste à perpétuer une solidarité toujours vivante envers sa mémoire et sa détermination à voir un jour, de là où il est, sa terre natale, qui est aussi la mienne, enfin libre de la tyrannie, qu’il a combattue de toutes ses forces.   

L’homme politique haïtien Jerry Tardieu visite la Maison des journalistes

Pendant sa tournée pour sensibiliser les médias et différentes institutions européennes sur la crise actuelle d’Haïti, l’ancien député et leader du mouvement politique En Avant, Jerry Tardieu, a accepté d’accorder un entretien au journal en ligne de la Maison des journalistes.

Par Anderson D. Michel

Jerry Tardieu, âgé de 54 ans, est un homme politique, un ancien député de la 50ème législature en Haïti (2016-2020). Il a lancé en octobre 2021 son mouvement politique En Avant. Selon lui, En Avant part d’une volonté d’hommes et de femmes de se mettre ensemble pour fournir à Haïti une offre politique différente de ce qui est à l’œuvre dans le pays. Un mouvement politique qui est constitué surtout de jeunes leaders en vue du renouvellement de la classe politique actuelle.

Axée sur trois piliers, la jeunesse, la femme et la diaspora, ce mouvement politique à travers son leader entend porter un souffle de changement à Haïti.

Jerry Tardieu : « Haïti est un pays en danger »

Le point sur la situation actuelle d’Haïti

Depuis plusieurs années, Haïti traverse une période très chaotique, tant au niveau des catastrophes naturelles que politiques. Le phénomène d’insécurité n’arrête pas de s’accroître sur l’île. Et les derniers rapports de l’ONU et d’autres institutions habilitées, font état d’une augmentation de 200% des cas d’insécurité dans le pays. Le leader de En Avant nous explique que le pays fait face à une crise multidimensionnelle, une crise institutionnelle, politique, économique et sécuritaire. Selon lui, les autorités expriment clairement leur impuissance par rapport au phénomène de gangs armés sur territoire haïtien qui, depuis plusieurs années, tuent, pillent, violent en toute impunité.

Jerry Tardieu affirme que le premier objectif de En Avant est de restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité en Haïti : « Il faut que les Haïtiens puissent vaquer librement à leur activité, quelle que soit leur condition sociale et les villes dans lesquelles ils vivent. Pour cela, la création au sein de la Police nationale d’une nouvelle structure anti-terroriste avec un équipement adéquat permettra de lutter contre les milices armées qui gangrènent le pays ».

L’ancien député revient sur son expérience au parlement haïtien.

 « Mon expérience à la chambre des députés a été une expérience enrichissante. Le parlement vous aide à mieux comprendre les rouages de l’administration publique, du système politique. Cela permet aussi de comprendre le mécanisme de cette grande corruption qui existe dans le pays », explique Jerry Tardieu. Se qualifiant d’ancien député de la minorité, il regrette de ne pas avoir eu la possibilité de tout faire à cause de la dictature du nombre qui règne au parlement haïtien. L’homme politique revient sur les différentes propositions de lois qu’il a présentées durant son mandat, notamment celles sur la Police nationale, la double nationalité, l’introduction du crédit bailleur comme outil financier. Il rappelle que certaines de ces propositions de lois ont été adoptées par décret et ont eu un impact considérable sur la société haïtienne.

Les priorités de En Avant

Donner à la police nationale d’Haïti la capacité de protéger et servir est la première préoccupation du mouvement politique En Avant, insiste Jerry Tardieu. Il parle aussi de l’emploi en faisant remarquer qu’il y a dans le pays beaucoup de jeunes diplômés et talentueux qui, malheureusement, ne peuvent pas trouver de travail. « Notre responsabilité est d’assurer les conditions aptes à garantir l’investissement privé, local ou étranger qui peuvent faciliter la création de millions d’emplois dont le pays a besoin », souligne l’ancien député. Il parle de d’éducation en soulignant, qu’en Haïti, il y a 4 000 000 d’enfants pour budget de 200 000 000 de dollars affectés à l’éducation. Ce qui représente un investissement de 50 dollars par année pour chaque enfant. Une situation que le député juge anormale en la comparant à celle de la République Dominicaine, le pays voisin d’Haïti, qui consacre 1000 dollars par année pour l’éducation de chaque enfant.

Des élections en 2022 ?

Pour Jerry Tardieu, les conditions ne sont pas réunies
Pour organiser les élections en Haïti, en raison de l’instabilité politique et la situation d’insécurité. « Quand est-ce que les conditions seront réunies ? On ne le sait pas. Mais elles devraient l’être tôt ou tard, parce que la démocratie passe par les élections », conclut-il.

Jerry Tardieu avec Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes

Jerry Tardieu interviewé par le journaliste haïtien Anderson D. Michel, résident de la Maison des journalistes.

Crédit photo : Ahmad Muaddamani, Karzan Hameed
Vidéo et montage : Ahmad Muaddamani

Les journalistes de la MDJ aux assises de Tours et aux prix Bayeux

La Maison des journalistes (MDJ) a pris part à deux événements médiatiques majeurs : les assises du journalisme de Tours et le prix Bayeux. Au cours de ces deux rendez-vous annuels, les journalistes afghans résidents de la MDJ ont été particulièrement honorés.

Assises de Tours (4 et 8-10 octobre)

Darline Cothière, directrice de la MDJ, Najiba Noori, journaliste afghane résidente de la MDJ et Mariam Mana, journaliste afghane ancienne résidente de la MDJ ont participé à la table ronde “Solidarité Afghanistan : les Assises ont donné la parole aux journalistes afghans exilés” animée par Catherine MONET, rédactrice en chef à Reporters sans frontière.

Animé par Catherine MONET, rédactrice en chef à Reporters sans frontières avec Akbar Khan ARYOBWAL, fixeur et interprète des médias français ; Darline COTHIÈRE, directrice de la Maison des journalistes ; Ricardo GUTIERREZ, président de la Fédération européenne des journalistes (FEJ) ; Mariam MANA, journaliste afghane réfugiée ; Najiba NOORI, journaliste afghane réfugiée ; Rateb NOORI, directeur vidéo du bureau de l’AFP à Kaboul ; Solène CHALVON, grand reporter, correspondante en Afghanistan ; Lotfullah NAJAFIZADA, directeur de Tolo News.

Darline Cothière est revenue sur la mission de la Maison des journalistes en rappelant que cette structure, unique au monde, a accueilli plus de 400 journalistes de 70 origines, en danger et arrivant en catastrophe pour fuir la répression.

“La Maison des journalistes est une sorte de baromètre de la répression dans le monde. En 2011, par exemple, nous avons eu un afflux de journalistes syriens. Maintenant nous sommes très sollicités par les journalistes afghans”, a déclaré Darline Cothière. Depuis le 15 août, la Maison des journalistes travaille étroitement avec ses partenaires pour (i) aider les journalistes afghans sur place et (ii) accueillir et installer dans de bonnes conditions ceux qui ont pu fuir. En effet, la MDJ a placé en priorité les journalistes afghans, tout en élargissant son dispositif d’hébergement limité à 14 chambres. “Nous avons besoin de les accueillir. Ils sont utiles à la France et au monde car, sans repères [qu’offrent le journalisme], on ne peut pas comprendre le monde dans lequel on vit”, explique Darline Cothière.

Crédit : Manuela Thonnel /EPJT

Arrivée en France en 2016, Mariam MANA fait partie de ces journalistes afghans ayant fui le pays bien avant la crise actuelle. Accueillie à la Maison des journalistes, elle est aujourd’hui heureuse de son intégration facilitée en grande partie par son passage à la MDJ. “C’est grâce à la MDJ que j’ai pu entrer en contact avec la communauté francophone. Cela m’a beaucoup aidé dans mon intégration en France. Car, il y a deux types d’exil : l’exil physique et l’exil linguistique. Ce dernier est encore plus dur”.

Arrivé en août dernier, Najiba Noori décrit la situation critique dans son pays bien avant la crise. « Avant le 15 août, les assassinats ciblés contre les journalistes ont augmenté, la violence s’est accrue, mais on continuait de travailler. Mais quand les talibans ont défilé devant chez moi, j’ai décidé de partir[1]. » Une décision difficile pour cette journaliste. “Quitter mon pays a été la décision la plus dure de toute ma vie. Tout ce que nous avons construit en tant que femme s’est effondré.” affirme émue Najiba Noori.

A retenir : “​​Il y a beaucoup d’axes d’aide aujourd’hui pour les journalistes afghans. Il faut penser à ceux qui sont arrivés, mais aussi à ceux qui restent. Il faut maintenir la pression sur les chancelleries occidentales et donner des fonds aux organismes qui peuvent aider comme la Maison des journalistes, la Fédération européenne des journalistes ou Reporters sans frontières. Ils ont aussi un besoin de transfert de compétences, d’enseignement ou de matériel.[2]

Lors de deux autres rencontres, cette fois devant des lycéens, les deux journalistes de la MDJ Samad Ait Aicha (Maroc) et Anderson D. Michel (Haïti) sont intervenus dans le cadre des missions de sensibilisation et d’éducation aux médias que mènent la MDJ. Accompagnés d’Albéric De Gouville, président de la MDJ, qui anime ces rencontres, les deux journalistes ont mis en lumière les violations de la liberté de la presse dans leurs pays respectifs en prenant comme exemple leur propre parcours et les raisons qui les ont obligés à fuir et à demander l’asile en France.

Rappelons que la Maison des journalistes effectue cette mission d’éducation aux médias dans des collèges, lycées et centres d’arrêts dans le cadre du programme “Renvoyé spécial”.

Prix Bayeux Calvados-Normandie (29 septembre – 1er octobre)

Accompagnés d’Albéric De Gouville, président de la Maison des journalistes, et de Hicham Mansouri, chargé d’édition de L’Oeil, cinq autres journalistes résidents de la Maison des journalistes ont participé au Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre : le syrien Ahmed Muaddamani, le guinéen  Mamadou Bah et trois journalistes afghans, Asghar Noor Mohammadi, Najiba Noori et Farshad Usyan.

De gauche à droite : les journalistes afghans Najiba Noori, Farshad Usyan et Asghar Noor Mohammadi.

Arrivée le 19 août en France, Najiba Noori a particulièrement attiré l’attention lors de la cérémonie de clôture en témoignant sur la liberté de la presse en Afghanistan et plus particulièrement celle des femmes.

Aux côtés de deux autres jeunes journalistes syriens, anciens résidents de la Maison des journalistes, Ahmed Muaddamani a pris la parole lors de la conférence “Syrie, la guerre est-elle finie ?”. Les témoignages émouvants, issus du vécu de la guerre, des trois journalistes ont recueilli des applaudissements chaleureux du public. “Les femmes, les femmes journalistes notamment, ne peuvent plus travailler ni même sortir dans la rue. Les talibans les privent des plus basiques de leurs droits” a affirmé Najiba Noori devant une audience déjà acquise à la cause.

Ahmed Muaddamani a participé à une seconde conférence, animée cette fois par Albéric de Gouville, avec Mamadou Bah et Hicham Mansouri. 

De gauche à droite : Hicham Mansouri, Ahmad Muaddamani, Mamadou Bah et Albéric De Gouville au prix Bayeux.

Devant des élèves et des enseignants de l’Académie de Normandie, les trois intervenants ont à tour de rôle analysé la situation de la liberté de la presse et d’expression dans leurs pays.

Quatre autres journalistes de la Maison des journalistes sont également intervenus auprès de collégiens et de lycéens : Makaila Nguebla (Tchad), Anderson D. Michel (Haiti), Samad Ait Aicha (Maroc) et Ghys Fortuné (Congo Brazaville).

[1]   https://assises-journalisme.epjt.fr/

[2]  https://assises-journalisme.epjt.fr/

D’autres articles 

FRANCE-MAROC. Hicham Mansouri de la Maison des journalistes parmi les cibles du logiciel espion Pegasus

“Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories.

Chargé d’édition au sein de la Maison des journalistes, Hicham Mansouri est parmi les cibles des autorités marocaines via le logiciel espion israélien Pegasus. Réfugié en France depuis 2016 et ancien résident de la Maison des journalistes, Mansouri n’est pas totalement à l’abri d’un pouvoir de plus en plus répressif (lire son témoignage “Maroc. « Comment j’ai été tracé à Vienne par Pegasus » publié dans Orient XXI dont il est membre de rédaction). “Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories. Voici le reportage de Forbidden Stories réalisé par Phineas Rueckert (traduit de l’anglais par Clément Le Merlus) sur son cas. 

Loin des yeux, mais pas hors d’atteinte

Les murs de son bureau à la Maison des Journalistes sont couverts d’affiches de Reporters Sans Frontières et d’autres organisations de défense de la liberté de la presse. Hicham Mansouri vivait auparavant dans le bâtiment, qui sert à la fois de lieu d’exposition et de résidence pour les journalistes réfugiés. Il a depuis déménagé mais partage toujours un petit bureau au rez-de-chaussé où il se rend trois fois par semaine.

Avant de discuter avec Forbidden Stories, le journaliste marocain éteint le portable qu’il a emprunté et le plonge au fond de son sac à dos. Une analyse scientifique de son téléphone précédent, réalisée par le Security Lab d’Amnesty International, a montré qu’il a été infecté par Pegasus plus de vingt fois sur une période de trois mois, de février à avril 2021.

Journaliste d’investigation indépendant et co-fondateur de l’Association Marocaines des Journalistes d’Investigation (AMJI), Hicham Mansouri rédige actuellement un livre sur le trafic de drogue illégal dans les prisons marocaines, lui qui a fui son pays en 2016 en raison des nombreuses menaces physiques et judiciaires à son encontre.

En 2014, il est roué de coups par deux agresseurs anonymes alors qu’il quitte un rendez-vous avec d’autres défenseurs des droits humains, dont Maati Monjib, qui a plus tard, lui aussi, été ciblé par Pegasus. Un an après, des agents du renseignement armés perquisitionnent sa maison dès 9h et le trouvent dans sa chambre en compagnie d’une amie. Ils l’ont alors entièrement déshabillé et arrêté pour « adultère », ce qui est un crime au Maroc. Hicham Mansouri passe dix mois dans la prison de Rabat. Sa cellule est celle réservée aux criminels les plus dangereux et les autres détenus le surnomment « La Poubelle ». Au lendemain de sa libération, il saute dans un avion pour la France où il demande et obtient l’asile. En juin 2016, Hicham Mansouri et six autres journalistes et activistes de ce projet sont accusés de « menacer la sécurité intérieure de l’Etat » en ayant organisé ce programme [condamné à une année de prison ferme par accoutumance]. 

Cinq ans plus tard, Hicham Mansouri découvre qu’il est toujours une cible du gouvernement marocain. « Tous les régimes autoritaires voient le danger partout », dénonce-t-il auprès de Forbidden Stories. « On ne se considère pas dangereux parce qu’on fait ce que l’on pense être légitime. On sait que l’on est dans notre droit. Mais pour eux nous sommes dangereux. Ils ont peur des étincelles parce qu’ils savent qu’elles peuvent mettre le feu. »

Au moins 35 journalistes basés dans 4 pays ont été sélectionnés comme cibles par le Maroc, selon l’enquête publiée aujourd’hui. Nombre des journalistes marocains sélectionnés comme cibles ont été à un moment donné arrêtés, diffamés ou ciblés d’une certaine manière par les services de renseignement. D’autres, en particulier les rédacteurs en chef Taoufik Bouachrine et Souleimane Raissouni, sont actuellement en prison pour des accusations que les organisations de défense des droits humains prétendent être instrumentalisées avec pour objectif d’écraser le journalisme indépendant au Maroc.

Dans une déclaration à l’attention de Forbidden Stories et ses partenaires, les autorités marocaines ont écrit qu’ils « ne comprennent pas le contexte de la saisine par le Consortium International de Journalistes » et que les autorités sont toujours « dans l’attente de preuves matérielles » pour « prouver une quelconque relation entre le Maroc et la compagnie israélienne précitée. »

Réponse des autorités marocaines 

Les autorités marocaines ont répondu à Forbidden Stories qu’il n’existait pas de preuve qu’elles étaient clientes de l’entreprise NSO. L’entreprise NSO n’a pas répondu aux questions de Forbidden Stories concernant des attaques spécifiques mais a déclaré qu’elle « continuerait à enquêter sur toutes les allégations crédibles d’utilisation abusive et prendrait les mesures appropriées en fonction des résultats de ces enquêtes ».



D’autres articles