Danielle Mitterrand ou « la mère des Kurdes »

Nous avons l’habitude, dans les pays de la région, de voir des rues et des places publiques porter les noms de martyres, de guerres et même parfois d’occupants. Mais l’un de ceux choisis au Kurdistan d’Irak peut surprendre : celui de Danielle Mitterrand. Qui est donc cette farouche défenseuse des droits des opprimés et pourquoi est-elle adulée par les Kurdes?

Première dame de France – épouse de François Mitterrand, ancien président de la République française de 1981 à 1995 –, elle a embrassé la cause des Kurdes et a ouvert la porte de l’asile aux familles irakiennes. En parallèle, bien entendu, du soutien politique et militaire de son mari. 

La mémoire des Kurdes est riche en histoires célébrant le rôle de Danielle Mitterrand dans le soutien à leur cause. Notamment pour son aide face aux attaques de l’ancien président irakien Saddam Hussein contre leurs villes et villages.

Ce n’est pas par hasard que les Kurdes la surnomment encore « la mère des Kurdes ». Elle fut en effet à l’origine de nombreuses résolutions internationales visant à mettre fin aux massacres contre eux. Comme la résolution 688 émise par le Conseil de sécurité de l’ONU en avril 1991, condamnant la répression des Kurdes qui provoquait alors un flux massif de réfugiés, dont des enfants, vers les montagnes du Kurdistan, la Turquie, l’Iran, etc. Une décision qui a largement contribué à la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne (no-fly zone) au-dessus de l’Irak et, surtout, a contraint Saddam Hussein à cesser ses attaques contre les Kurdes. Cette mesure a d’ailleurs perduré jusqu’à la chute du régime de Saddam en 2003.

Danielle Mitterand dans un camp de réfugiés

Danielle Mitterand dans un camp de réfugiés

Parmi ses autres actions dont l’ancienne comme la nouvelle génération des Kurdes se souviennent, on peut citer l’envoi au milieu des années 90, d’une délégation de la fondation France Liberté qu’elle présidait, pour œuvrer à la réconciliation entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) – deux “frères” en conflit armé.

En juillet 1992, Danielle Mitterrand avait également marqué les esprits par son inauguration de l’Assemblée nationale du Kurdistan fraîchement élue. D’autant que lors de ce séjour, sur la route de la ville martyre de Halabja, son convoi fut victime d’un attentat des services irakiens faisant plusieurs morts parmi les peshmergas chargés de sa protection. Son engagement auprès du peuple kurde n’a cependant pas faibli, comme en témoigne en 2003, sa participation à la session parlementaire historique annonçant l’unification du gouvernement régional du Kurdistan. 

En signe de reconnaissance pour toutes ses contributions et en hommage à sa personne, son nom a donc été donné à plusieurs lieux publics, dont l’un des principaux boulevards de la ville de Dohuk

Grâce à Danielle Mitterrand, les Kurdes considèrent désormais les Français comme des alliés historiques. Ils les accueillent chaleureusement et leur offrent du thé irakien accompagné d’un sourire.

Ainsi, malgré les attaques et les menaces iraniennes et turques qui pèsent encore sur le pays, la population entretient cette mémoire qui l’a aidée à se libérer du règne de Saddam Hussein et à construire un État qui reste l’un des plus sûrs de la région.

Shiyar khaleal

Journaliste syrien, ancien résident de la MDJ

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Journée des droits des femmes – Le regard de Jamshidifar

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le dessinateur de presse iranien Ali Jamshidifar (ancien résident de la Maison des journalistes) nous livre son regard sur cette journée et les luttes qu’elle incarne.

Vous pouvez découvrir d’autres travaux de Jamshidifar sur son site officiel : www.jamshidifar.com

Contact : ali.jamshidifar@gmail.com

 

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Ce qui se passe en “Irak démocratique” est-il normal?

Le président irakien Barham Salih en visite à Téhéran en 2018

Malgré la transformation démocratique qu’a connue l’Irak, depuis 2003, avec l’adoption d’un système parlementaire après la période douloureuse de dictature sous Saddam Hussein, et malgré toutes ses capacités humaines et économiques, le pays est devenu l’un des pires lieux où vivre dans le monde. Quelles en sont les raisons? C’est une question gênante que de nombreux étrangers m’ont posée et à laquelle j’ai souvent évité de répondre.

Je me souviens d’une question qui m’a été posée par une lycéenne de la ville de Boston sur la situation de l’enseignement secondaire en Irak. Je n’avais alors pas pu lui dire que même dans les quartiers les plus “chics”, les écoles sont en ruine ou dans un état délabré, sans toilettes. Que les salles de classe sont sans climatisation [la température peut parfois atteindre les 50°] et parfois sans tables. Elle ne m’aurait tout simplement pas cru.

Ce qui se passe en “Irak démocratique” est quelque chose de vraiment illogique, déjà difficile à concevoir pour le simple irakien, mais relevant de l’absurde pour l’observateur étranger.En effet, comment accepter que, dans une démocratie moderne, le Premier Ministre (également le commandant en chef des forces armées) puisse admettre de façon explicite être incapable de protéger son propre gouvernement des groupes hors-la-loi? 

Il n’est pas non plus logique qu’un ancien président du parlement, évoque dans une interview une “vente et achat de postes ministériels” et d’autres hautes fonctions ayant eu lieu à la cafétéria du Parlement, comme une simple transaction. Comment convaincre l’observateur occidental de notre “démocratie”, face à ce comportement devenu la règle au moment de chaque élection? Comment justifier l’incapacité du pouvoir judiciaire à condamner des personnes impliquées dans des crimes, en raison de leur appartenance partisane ou tribale? Comment qualifier un régime qui revendique la démocratie, matin, midi et soir, et qui mène une campagne d’exécutions massive à l’encontre de centaines de jeunes pour avoir organisé des manifestations pacifiques et spontanées? Est-il logique qu’un ministre des Finances puisse déclarer sans crainte un détournement de 250 milliards de dollars du budget de l’État?

Si j’étais citoyen étatsunien, comment aurais-je pu croire, que dans une démocratie contemporaine, une jeune militante et sportive puisse être abattue à cause d’une photo prise avec le consul américain à Bassora, ou qu’un journaliste ayant interviewé l’ambassadeur américain à Bagdad soit accusé d’espionnage?! Si j’étais citoyen canadien, comment pourrais-je croire en  un système qui accepte de laisser assassiner ses journalistes, ses chercheurs et ses militants sans que les auteurs ne soient punis?

Si j’étais un ingénieur de l’État de Chicago, j’aurais du mal à croire que la ville d’Al-Zafaraniya, au sud-est de Bagdad, ne compte aujourd’hui plus qu’un marché populaire appelé «Souk Al-Hawa », alors qu’on l’appelait – avant 2003 – le Chicago d’Irak en raison de sa grande industrie diversifiée?

Si j’étais un italien, je ne pourrais pas croire que le théâtre historique de Babylone n’accueille plus de concerts de musique et que les irakiens sont obligés d’acheter exclusivement des vêtements made in Turkey. Si j’étais un vétéran anglais, comment croirais-je qu’il n’y ait plus d’eau à Bassora et qu’Abu Al-Khasib” ne produise plus de dattes? Si j’étais français, j’aurais refusé l’idée que l’ancienne université de Bagdad, qu’on surnommait la “Sorbonne arabe”, ne soit plus au même rang prestigieux qu’auparavant.

Si j’étais somalien (pays qui vit pourtant une grande crise), je ne croirais pas que les fonctionnaires d’Irak, pays connu pour ses richesses pétrolières, agricoles et autres, soient restés plusieurs mois sans salaire…

Passons au citoyen iranien, dont le gouvernement a une grande influence en Irak. Sait-il qu’on trouve dans les rues de Bagdad le double de portraits à la gloire du ‘’leader’’ qu’à Téhéran et Qom réunies? Peut-il croire que l’hôpital allemand des maladies cancéreuses de Jadriya, situé au centre de Bagdad, est devenu la mosquée d’un parti islamique bénéficiant du soutien du gouvernement Que même les Irakiens les plus courageux ne peuvent pas critiquer le système iranien de Velayat-e faqih (“tutelle de la jurisprudence religieuse” qui confère aux religieux une mainmise sur le politique).

La communauté internationale doit comprendre le slogan “Nous voulons une patrie!” (Nouridou Watan!), scandé par les jeunes en octobre 2019. Il appelle à un pays qui offre le minimum pour une vie de dignité. Il met le monde entier devant sa responsabilité, son devoir de tendre la main à ce peuple abandonné comme on le ferait face à un enfant. Ces jeunes, malgré toutes les déceptions et les revers,  ont encore l’espoir d’un État prospère qui mettra fin à l’échec et à la corruption qui sévissent  depuis de nombreuses années en Irak.

Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ

Contact : ahm_198950@yahoo.com

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Gökkuş : “Je fais passer des sentiments et non des messages”

Capture d'écran de Take a Breath

Réalisateur et journaliste turc réfugié en France, Beraat Gökkuş continue à s’inspirer de sa vie parisienne pour faire des films. Après The Lost Pen, qui a remporté le prix du meilleur réalisateur et le meilleur film SmartFone Flick Fest 2020 (Australie) et le Festival International du Film Africain sur Smartphone, c’est le tour de Take a Breath; un film qui s’inspire du confinement pour traiter de la liberté d’expression. Il est déjà sélectionné pour le festival Super9Mobile (Portugal). Ancien résident de la Maison des journalistes, Beraat répond aux questions de L’oeil de la MDJ. Entretien.

Comment as- tu vécu les deux confinements?

C’est une expérience à la fois étrange, difficile et intéressante. C’est quelque chose que je n’ai jamais vécu. Je pense que c’est le cas pour des millions de personnes à travers le monde. C’était difficile, mais on a eu le temps de nous découvrir nous même. On commence à avoir l’habitude de rester chez soi. C’est intéressant pour quelqu’un comme moi qui sort beaucoup et ne passe que peu de temps à la maison. Sur le plan psychologique c’était dur, notamment avec le fameux “papier de sortie” [attestation de déplacement]. Soudain on sent cette autorité qui nous interdit de sortir “car ce n’est pas bien pour nous”. C’est liberticide comme action. Le second confinement a été encore plus difficile à mon avis. Les gens étaient plus solidaires pendant le premier. C’est ce qu’on a vu avec les applaudissements de 20h qui ont presque disparu pendant le second.

Et l’idée du film?

C’est pendant le second confinement justement. Je vis dans un appartement de 30 mètres carrés. Il fallait donc sortir marcher. Je le faisais chaque jour. Alors que je marchais un après-midi, j’ai remarqué les changements dans les couleurs des arbres. C’était le début du printemps. Il y avait quelques rayons de soleil. Et tout à coup j’ai senti une grande envie d’enlever mon masque, de respirer naturellement et de profiter de la nature. Je voulais me libérer. C’est donc comme ça que l’idée du film m’est venue à l’esprit.

Malgré cette sensation d’étouffement dans le film, il y a un message d’espoir…

Je ne sais pas. Pour moi le film traite d’une question politique : un manque de liberté. Marcher sans masque est devenu une façon de se libérer et d’exercer cette liberté. C’est quelque chose que nous n’avons pas toujours constaté avant la crise du Covid 19 et le confinement. Il y a bien sûr un espoir avec les images et le son. Mais moi ce que je veux faire passer ce n’est pas des messages, mais des sentiments. Une fois ces derniers transmis, c’est à chacun de déduire les messages qu’il veut capter.

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Covid-19 : l’Afrique en passe de lâcher prise?

Nombre d’observateurs prévoyaient les ravages du Covid-19 en Afrique. Ces prophéties ne s’étant pas réalisées totalement, les Africains ont cru disposer, à leur avantage, de jours moins lugubres que d’autres continents. Ils pensaient qu’il en serait ainsi, jusqu’à la disparition totale du virus. C’était sans compter avec la capacité de celui-ci à revenir par vagues successives et à muter. Et, même, pourquoi pas, à resurgir un jour ici et là, comme c’est le cas d’Ebola.

Nombre d’observateurs prévoyaient les ravages du Covid-19 en Afrique. Ces prophéties ne s’étant pas réalisées totalement, les Africains ont cru disposer, à leur avantage, de jours moins lugubres que d’autres continents. Ils pensaient qu’il en serait ainsi, jusqu’à la disparition totale du virus. C’était sans compter avec la capacité de celui-ci à revenir par vagues successives et à muter. Et, même, pourquoi pas, à resurgir un jour ici et là, comme c’est le cas d’Ebola.

Effectivement, pendant qu’on déplorait, dans les pays du Nord, des dizaines de milliers de personnes infectées et de milliers d’autres mortes, en Afrique subsaharienne, en revanche, le Covid-19 était comme inhibé. Et l’occasion faisant le larron, les charlatans, pour leur gloriole, qualifiait le virus d’une vue de l’esprit. Alors que le président tanzanien, John Magufuli, y ajoutant de son grain de sel, invitait son peuple à éviter tout produit pharmaceutique et à le remplacer par une prière fervente. Le sophisme marquait des points!

Pendant ce temps, le virus, lui, continuait son œuvre destructive. En Occident, la crise sanitaire devenait incontrôlable. Au point que quelques sociologues et philosophes, à cause des statistiques effrayantes de personnes atteintes ou mortes de la maladie, commençaient à voir le spectre de la peste noire asiatique, en 1330. Ou celle plus proche de nous, la peste espagnole, en 1918. Des crises ayant emporté des millions de personnes. La peur gagnait en intensité.

Les carottes étaient cuites

Aujourd’hui, la preuve de ce sentiment est là. À titre d’exemple, la France a enregistré jusqu’au 02 février 2021, 76 512 décès, tandis que la Grande-Bretagne en comptait 106 564.

Frémissements en Afrique ? Sans doute. La brutalité de la réalité était telle que toute superstition se rétrécissait comme peau de chagrin. Le nombre des morts ici et là commençait à inquiéter, malgré le fait que beaucoup ne croyaient pas à la fiabilité des statistiques, pourtant données par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon cette organisation, en août 2020, soit cinq mois après la manifestation de la pandémie, l’Afrique comptait 21 000 décès pour un million des cas confirmés.

Les carottes étaient donc cuites pour le continent noir, en dépit des mesures prises par les gouvernements dans le cadre de la réponse sanitaire. En ce début du mois de février 2021, l’OMS recense 3 569 145 cas confirmés pour 90 955 décès. L’impact économique, selon le cabinet britannique Brand Finance, s’élève à 50 milliards.

Quelle sera la situation de ce continent, à l’économie précaire, devant la violence de la deuxième vague du Coronavirus déjà présente ? Qui plus est, il semble que les « conditions naturelles » le protégeaient jusque-là sont en train de lâcher prise. Et, une faiblesse en plus pourrait lui être fatale. A moins que les vaccins en cours d’utilisation soient une bonne solution pour lui. 

 

Jean-Jules LEMA LANDU

Journaliste congolais, réfugié en France.



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Maha Hassan : Composer son identité, une utopie ?

© TAKAT

2018, à l’arrivée dans l’aéroport d’un pays arabe [que je préfère ne pas citer]. En consultant mon passeport français, l’officier me demande de quelle origine je suis. Il me demande ensuite de lui présenter un justificatif de ma “propre identité”. Choquée, je lui ai répondu : « mais je suis française, vous avez mon passeport entre vos mains ! ».

J’étais sidérée en discutant avec ce monsieur. J’ai essayé de lui expliquer, en vain, que je n’avais aucun papier de mon pays d’origine et que j’étais une citoyenne française. Ces quelques minutes devant l’officier me paraissaient longues. J’étais angoissée. J’ai eu l’impression qu’ils allaient me renvoyer. Finalement, l’officier a mis le cachet sur mon passeport en insistant que je ne pourrais pas quitter le sol de ce pays arabe, sans pouvoir justifier de mon identité d’origine.

En discutant avec les deux amis Français (l’un d’origine irakienne et l’autre marocaine) qui ont effectué le voyage avec moi, ils m’ont raconté que personne ne leur avait demandé leurs papiers d’origine. 

Ce n’est pas la première fois que ce genre d’incident m’arrive. Dans un autre pays arabe, quand l’officier en charge de vérifier mon passeport m’a demandé comment ça se faisait que je sois française alors que je portais un nom arabe. «Oui, je m’appelle Maha, je suis d’origine syrienne et je suis une voleuse d’identité», m’étais-je dit. Pour éviter une autre conversation inutile, je lui ai dit que je m’étais mariée avec un Français. «Et ta famille, comment accepte-elle ton mariage avec un Français?!», me lançant d’un regard méprisant.

De retour à l’aéroport Charles de Gaulle, à Paris, l’officier chargé de vérifier mon passeport avait scruté mon visage et avait commenté: Madame, vous avez l’air fatiguée ! 

J’avais failli pleurer. J’étais touchée de l’attention de la part de cet officier français qui me traite enfin comme une vraie concitoyenne, moi qui venait d’arriver d’un pays qui était sur le point de m’interdire de quitter son sol. Un pays où je m’étais sentie humiliée et accusée de porter un faux-passeport.

En Europe, où on a la mentalité de cette égalité entre des Français de souche et les “autres”, je me déplace avec confiance. Ces “autres”, comme moi, qui ne sont pas toujours légitimes dans leur pays d’origine et les pays voisins. 

Maha Hassan © Ouest-France

 

Exil linguistique

Je suis donc née en Syrie, dans une famille kurde. Contrairement à mes cousines et cousins, qui vivaient à la campagne, je parlais l’arabe, la langue de quartier, de l’école et la langue officielle du pays. J’étais douée dans cette langue ; je maîtrisais la grammaire, la dictée, etc. Mais, en allant dans mon village d’origine et en jouant avec mes cousines et cousins, je n’arrivais pas à communiquer avec elles. Ils me traitaient alors comme une étrangère !

En ville, les voisins du quartier appelaient ma famille ”la maison des kurdes”. Je ne comprenais pas comment je pouvais être Kurde selon les autres (arabes et kurdes) car je ne parle que l’ arabe. Je me sentais « différente » : je ne ressemblais ni à mes amies arabes de “souche”, ni à mes cousines kurdes.

La lecture m’a aidé à remplir ce fossé au fond de moi. Partager les idées des autres et trouver des points communs avec eux ou avec leurs personnages, me faisait me sentir, enfin, “légitime”. Je pense avoir commencé à aimer la littérature française grâce à Camus. Avec Camus, j’ai senti un rapprochement avoir lu ”L’étranger”. 

Le temps s’est écoulé, et je suis devenue une écrivaine en langue arabe, mais j’ai toujours porté au fond de moi-même, cette blessure.

En arrivant en France, je pensais que ce nouveau pays allait soigner ma cicatrice, et que je pouvais, enfin, devenir une citoyenne internationale; le rêve de mon père communiste. 

Je ressens une proximité avec Sartre, Rimbaud, Camus, André Breton, Jacque Vaché, Derrida, etc. Je guérirai donc ici. Dans ce pays que je connais, comme si j’y étais avant, via la littérature et le cinéma.

Je me retrouve beaucoup dans la série française de films documentaires « Histoires d’une nation » qui m’a énormément touché. Elle m’a donné le sentiment de cette légitimité qui me manquait, que ce soit en Syrie ou en France. Après avoir terminé cette série, en marchant à Morlaix; ma ville actuelle; une femme que j’ai croisé m’a adressé la parole. Quelque chose de banal comme “il fait froid”. Je lui ai répondu que oui. Puis elle répondait : “et, vous êtes de quelle origine ?”. C’est la question que j’entends systématiquement depuis presque 17 ans que je vis en France.

Nouvelle identité

Malgré l’amertume de ne pas trouver une légitimé, ma vie en France m’a donné la sécurité et la protection de ma liberté. 

Ici, j’ai retrouvé une partie de mon identité perdue, l’identité kurde. Cette identité qui était, et l’est encore, interdite et méprisée en Syrie.

Je considère la France comme mon pays. Elle est au fond de moi. Elle m’a ôté ce sentiment de peur, le “péché” d’être Kurde. Ici, je suis une Kurde légitime, mais pas vraiment une Française reconnue.

Comme un puzzle, je construirai ma nouvelle identité : je suis Française et Kurde, même si je ne maîtrise ni le français ni le kurde surtout que je maîtrise parfaitement l’arabe. Je suis française par choix et culture, par la sécurité et la liberté. Je reste Kurde, par histoire, mémoire et passion. Et arabe, par cette langue qui me permet de m’exprimer et de penser.

J’essaie de recomposer mon identité, de la tisser, une couche sur l’autre. Je peux me déplacer d’une identité à l’autre, sans avoir de sentiments d’avoir trahi cette identité qui nous emprisonne et qui fait de nous des « soldats »; des soldats qui défendent uniquement l’héritage de nos ancêtres biologiques sans celui construit par nous-même…”

             

Maha Hassan 

Écrivaine d’origine kurde syrienne. Parmi ses ouvrages : “Bonjour la guerre”, “Cordon ombilical” et “Métro d’Alep” (traduit en italien). Visiter son blog 

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L’Oeil de la MDJ se dote d’une nouvelle stratégie

L’œil de la Maison des journalistes est en train de se moderniser. Après l’arrivée de Christophe Joly, notre rédacteur en chef, et Hicham Mansouri, le chargé d’édition, c’est le moment pour une nouvelle stratégie de développement. Présentée le 20 janvier dernier, la nouvelle stratégie réaffirme la place des journalistes résidents et des partenariats éditoriaux.

En présence d’une quinzaine de journalistes résidents (anciens et actuels), c’est Darline Cothière, directrice de la MDJ (également directrice de publication de L’œil), qui a donné le coup d’envoi de ce nouveau départ, résumé en trois grands axes: plus de partenariats, plus de visibilité et plus de reconnaissance des journalistes de la Maison des journalistes.

Le chargé d’édition a ensuite développé les principales nouveautés qui seront apportées au journal. Il y a d’abord la place qui sera donnée à la chronique avec les plumes d’anciens résidents à l’instar de Larbi Graïne, Sakher Edris, Shiyar Khaleal et Ghys Fortune. Ensuite, toujours du côté contenu, le format vidéo sera renforcé. Afin de dépasser l’obstacle de la langue, les journalistes pourront – grâce aux partenariats avec des universités et des écoles de traduction – écrire également en arabe et en anglais (en plus du français). Enfin, des partenariats éditoriaux qui seront entrepris pour permettre aux journalistes et au journal de gagner en visibilité.

© Davy Goma Louzolo

Plus largement, cette nouvelle feuille de route réaffirme la place des journalistes réfugiés dans ce projet, en mettant leur reconnaissance dans le paysage médiatique français au cœur de ses priorités et en offrant un accompagnement personnalisé dans le processus d’intégration professionnelle des journalistes résidents (formations, stages et mise en réseau).

À la fin de cette rencontre, réduite en nombre pour cause des mesures sanitaires liées au Covid 19, un temps d’échange avec les journalistes présents a permis l’émergence de nouvelles idées pratiques qui ont été rapidement intégrées au projet. Il s’agit notamment d’une série de formations qui seront dispensées par des anciens résidents de la Maison des journalistes.

À rappeler que L’œil de la Maison des journalistes est une plateforme numérique dédiée à la liberté de la presse et d’expression. Répertorié par le ministère de la Culture et la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) parmi les médias en ligne reconnus[1], le journal permet aux journalistes résidents (demandeurs d’asile et réfugiés) de continuer à informer sur ce qui se passe dans leur pays et à donner un regard original sur l’actualité française[2].

[1] Numéro CPPAP : 0523 Z 93080

[2] Le journal reste également ouvert aux contributeurs externes.

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