PM390047 : Rencontre avec Taina Tervonen

Taina Tervonen,  journaliste du média en ligne “Les Jours”, a réalisé un travail d’enquête à la recherche du propriétaire du téléphone portable retrouvé dans la mer : PM390047. Une base qui a  permis à la journaliste de  se pencher  sur la question de l’identification des victimes noyées. Nous sommes allés à sa rencontre dans le cadre de son intervention lors de la conférence “Migrobjet” à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales ayant eu lieu les 22 et 23 mai derniers.

L’enquête a commencé en 2015. Deux ans de recherche sur les traces des migrants disparus en Méditerranée, deux ans de rencontres en tout genre, deux ans d’histoires à raconter…

Spécialisée sur la question migratoire, Taina Tervonen va choisir le sujet principal de son enquête suite à l’écriture de plusieurs brèves sur les nombreux naufrages arrivés en 2015. “Suite à ça, je me suis posé une question simple : Pourquoi personne ne cherche à identifier les disparus de la Méditerranée ?”. Il doit bien y avoit quelque chose qui existe lorsqu’un corps est échoué sur une plage. Il doit bien y avoir des médecins légistes” Les recherches l’ont menée en Italie où le projet de récupération des corps de migrants noyés, suite au naufrage d’un bateau contenant 800 personnes, était en cours à la fin 2015. “En cherchant je suis tombée sur Crisitina Cattaleno, la médecin légiste qui pilote le projet.” et suite à de nombreuses heures au téléphone, Taina Tervonen s’est véritablement penchée sur la problématique du naufrage et tout ce qui tourne autour de l’identification des victimes. “Je me suis retrouvée une première fois à Rome pour rencontrer le commissaire en charge des personnes disparues. Je me suis rendue à Catane quand l’épave est arrivée en Sicile”.

L’histoire de ce naufrage est particulièrement inédite car l’Italie a décidé d’aller chercher l’épave et d’identifier les corps. “Ça ne s’était jamais fait de cette manière”. Une opération de récupération ayant coûté 9 millions d’euros à l’Italie. Le travail de recherche des familles qui suit s’avère particulièrement compliqué, comme Taina l’explique. “Il n’y a pas de liste de passagers comme dans un crash d’avion, on peut se baser que sur les témoignages des survivants qui ne connaissent pas forcément les victimes”, les questions législatives entravent également ce travail au niveau du traitement de l’ADN : “Qui a le droit de faire un traitement ADN ? Comment les informations sont traitées ? Qui peut en disposer ? C’est un travail extrêmement long et difficile”. Mais surtout,l’approche des familles des disparus est tout particulièrement complexe, “toutes les familles ne sont pas prêtes à accepter la disparition […] certains parents espèrent encore que leur enfant rentrera un jour” déclare t-elle.

Dans son travail, la journaliste expose l’intervention de la CICR (Comité International de la Croix Rouge) prenant le relais sur les recherches de corps des disparus en mer. Egalement la décision de délocalisation du tri migratoire en dehors de l’Europe. La question se pose alors : comment expliquer ce manque de dévouement de la part de l’Europe ? La réponse de Taina est simple : « Nous sommes dans un contexte politique où les questions migratoires ne sont pas porteuses ». Face à la montée de populisme dans plusieurs pays européens, le désengagement est enclenché. Du point de vue de l’enquêtrice, la réalité est tout autre de ce que les européens pensent de la migration “Ils ne partent pas pour vivre mieux, ils partent pour que ceux qui restent vivent mieux”.

Au fil de ses voyages sur les traces du détenteur du Nokia jaune, dans un premier temps, nombreuses ont été les rencontres. Son enquête l’a amenée à échanger avec les professionnels se chargeant de récupérer les corps. Elle me raconte comment ceux-ci sont désespérés face à l’horreur à laquelle ils sont confrontés. Pourtant habitué à la mort, le médecin légiste rencontré à Lesbos déplorait la situation. “Il était fatigué d’être témoin d’une telle horreur”, ”là il y a quelque chose de particulier, ce sont des morts inutiles”  déplore la journaliste. Aussi, un pompier sicilien rencontré à deux reprises, qui devait sortir les corps en putréfaction sans les montrer à la foule de médias présents, “par respect pour les défunts”. Taina me raconte à quel point les conditions étaient difficiles “Ils avaient des combinaisons complètes et travaillaient dans la cale, de quelques mètres carrés, du bateau pour faire face aux corps en putréfaction”. Comme le pompier lui témoignait “je me sens gardien de leurs mémoires car personne n’est là pour que je puisse raconter les derniers instants du défunt. Au Niger, Taina se rappelle également : “ Les moments les plus difficiles pour moi où j’ai rencontré des gens sur la route. Des gens qui allaient dans un sens pour tenter de passer la frontière, d’autres en revenait après avoir été emprisonnés en Lybie […] ce sont deux terribles réalités dans le même espace” déplore t-elle.

Néanmoins, malgré les récits tous aussi terrifiants les uns que les autres, elle assume son rôle de passeur d’information. “Les choses que je vois, qu’on me confie, je peux les transmettre, c’est important”. Comme un père nigérian en deuil de son enfant, lui a signifié : “vous essayez de mettre de la lumière sur ceux qui sont dans l’ombre”.

“L’affaire de la salle de presse”: l’Elysée réinvente sa communication

En février dernier, la présidence de la République annonçait le changement de lieu de la salle de presse du palais de l’Elysée. Une décision “unilatérale” relayée par Sibeth Ndiaye auprès d’un parterre de journalistes. Les arguments du gouvernement sont nombreux et, s’ils tendent à des améliorations pour le quotidien des journalistes, peuvent aussi apparaître comme une nouvelle forme de communication.

Jusqu’alors, les journalistes avaient accès à une salle de presse donnant sur la cour de l’Elysée, mais simplement en cas d’occasions précises: Conseil des ministres, réceptions… Seules les agences (AFP, AP, Reuters…) y avaient, elles, accès en permanence. La décision d’Emmanuel Macron de bouter hors de la cour présidentielle ces journalistes n’est pas sans rappeler sa relation ambiguë avec les médias.

Locataire depuis 40 ans

Installée à l’intérieur du palais depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, c’est François Mitterrand qui avait par la suite transférée la salle de presse au niveau de la cour, dans un souci de transparence. Impossible à agrandir, cette pièce fait l’objet d’un litige avec le commandant militaire, partageant le mur mitoyen avec les journalistes. L’espace nécessaire doit être d’au moins 70m2 et semble avoir trouvé sa place rue de l’Elysée où son exercice commencera au courant de l’été 2018.

Les arguments de l’Etat

“Augmenter la taille de la pièce” ,“Accréditer plus de journalistes” ,“Créer une salle de réunion dans l’actuelle salle de presse” . Concernant des clarifications sur ces derniers points, l’Elysée n’a pas souhaité répondre. 

Une déclaration d’Emmanuel Macron, relayée par un article du Point, indique que ce déménagement fait partie d’un “projet immobilier global rendu nécessaire par des recommandations de la Cour des Comptes”. Concernant le coût de ce déménagement, l’Elysée, encore une fois, n’a pas désiré apporter plus de précisions. 

Ce qu’il faut comprendre de la communication de l’Elysée

Le gouvernement du “nouveau monde” d’Emmanuel Macron est composé, pour la plupart, de ministres “jeunes” dans la sphère politique. A l’inverse d’une Rachida Dati ou d’un Stéphane Le Foll, rompus à l’exercice de la prise de parole, les nouveaux membres du cabinet ministériel ont encore à apprendre. Il s’agit alors d’éviter la confrontation directe en inventant un rapport cadré, carré, avec des journalistes cadenassés à un lieu précis et des horaires choisis.

Pour le sociologue politique Jacques Le Bohec (professeur à l’Université Lyon 2), l’hypothèse serait que ce soit bien les ministres que ce déménagement avantage “C’est plus par rapport à la communication gouvernementale qu’à sa communication personnelle. Emmanuel Macron est très bien traité par les journalistes.”.

Toujours dans la ligne d’une présidence “jupitérienne”, c’est un énième paradigme que le président Macron instaure par ce changement de lieu. En brisant la traditionnelle image des journalistes interpellant les ministres à leur sortie du Conseil, l’Elysée rompt avec ce lien de proximité.

Le déménagement de la salle de presse de l’Elysée ne fait pas l’unanimité

Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron n’a de cesse de bouleverser les codes médiatiques présidentiels. Nouveau changement rue Saint Honoré: la salle de presse déménagera au courant de l’été. Jusqu’ici habitués à évoluer dans la cour du Palais de l’Elysée, les journalistes accrédités vont voir leur quotidien désormais modifié. Evolution d’une stratégie de communication ou mise à distance dans le rapport de confiance, les avis divergent concernant cette volonté de déménager la salle de presse. 

Changement de lieu, changement de pratique

Cette décision du gouvernement prendra effet à l’été 2018. Un éloignement géographique moindre qui, pourtant, agite la sphère journalistique. Denis Perrin, journaliste-stagiaire dans les années 1970-1980 au Progrès de Lyon et à Paris Normandie (puis plus longuement dans la presse spécialisée et dédiée aux industries du Tourisme), se souvient: “Quand on voulait une info on allait directement voir les ministres. Il n’y avait aucun problème de sécurité.” Sous Valéry Giscard d’Estaing à partir de 1974, les méthodes se sont détendues et la chape de plomb s’efface au profit d’une proximité entre journalistes et politiques:”Moi qui débutais avec une carte de presse de stagiaire je rentrais comme je voulais, on me croyait sur parole. Il y avait un lien de confiance entre journaliste et politique”. Jusqu’à l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius sous la présidence de François Mitterrand. “Là c’est devenu plus ‘macroniste’ avec une volonté de centraliser le pouvoir. Le développement des technologies n’a pas aidé le contact direct et a créé des écrans entre les gens avec une reprise de l’information dominée par des moyens de communication qui enferment”.

C’est donc la pratique du métier qui s’en trouverait modifiée. Pour l’Association de la presse présidentielle, ce déménagement représente une “entrave” au travail des médias. Sous couvert de confort (bureaux pour travailler, places supplémentaires…), les journalistes s’accordent pour dire qu’il s’agit de minimiser la proximité entre presse et pouvoir.

Et finalement, une fleur faite aux chaînes d’information?

Pour nous, les médias traditionnels, ça ne change pas grand chose. En revanche, c’est bénéfique pour les grandes chaînes d’info en continu qui ont désormais un confort pour les duplex par exemple” témoigne un journaliste politique du Figaro qui s’était, lui aussi, déjà penché sur le sujet.

Le choix du Pouvoir d’exclure physiquement la presse de la cour de l’Elysée n’a, en réalité, qu’une importance relative du point de vue journalistique… Il est néanmoins indéniable que ceci possède un sens politique révélateur d’une volonté de maîtriser la communication officielle… ce qui n’empêchera pas les (bons) journalistes de contourner l’obstacle en se créant des sources complémentaires afin de compenser les effets de cette situation nouvellecontinue Denis Perrin.

Grondement dans les rédactions

Les journalistes sont globalement en désaccord avec ce projet. Si rien n’est encore acté, ils espèrent pouvoir obtenir une marge de négociations et ainsi éviter un “bridage” prochain.

L’évolution, aux dires des journalistes habitués à une place d’agenciers, ne facilite pas l’obtention d’information. Marie-Bénédicte Allaire, journaliste politique longtemps accréditée par l’agence Reuters, raconte. “On avait un rapport privilégié et le fait d’avoir vue sur la cour était important dans le sens où on voyait des choses qu’on aurait laissé échapper autrement. C’est un lien qui va sans doute se perdre. C’était très rudimentaire mais il y avait un deal, un accord d’échange”. 

Les journalistes qui suivent l’Elysée reçoivent une récompense symbolique, “une sorte d’orgueil (…) cette partie qu’ils retirent de leur travail, si on les en éloigne, ils sont dépités et perdent le côtoiement du pouvoir” estime le sociologue Jacques Le Bohec,  (professeur à l’Université Lyon 2). 

De communication en symbole

Il ne faut pas voir de symbole là où il n’y en a pas” assure Benjamin Griveaux, porte-parole de la majorité lors d’un compte-rendu du Conseil des ministres. A ce propos, le sociologue Arnaud Mercier nous explique: “Du point de vue de l’exécutif ce n’est pas symbolique, il s’agit de récupérer des locaux. Mais les journalistes peuvent l’interpréter comme tel car le symbole est justement de l’ordre de l’interprétatif. C’est à ce moment là que l’exécutif doit être vigilant”.

L’éloignement de celui que l’on nomme le 4ème pouvoir interroge cependant. La mise à distance géographique serait-elle liée à une volonté particulière du pouvoir en place? “Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une volonté absolue de mise à distance” poursuit Arnaud Mercier, “Mais ça traduit le fait qu’on considère qu’il n’y a pas besoin d’être aussi proches. Dès lors, sacrifier l’espace presse n’est pas un problème.”

Plus incisif, Jacques Le Bohec imagine une absence de contre-pouvoir. “Les hommes politiques se sentent de plus en plus protégés d’une sanction de l’opinion publique et pensent qu’ils ont de moins en moins de compte à rendre. Ils se passent donc d’une forme traditionnelle de surveillance de la presse”.

Pour citer à nouveau Denis Perrin, “ce n’est pas parce que l’on est enfermé dans une salle de presse que l’on sait ce qui se passe à l’Elysée”. 

Journée mondiale de la liberté de la presse : 25 ans de lutte

Chaque année depuis 1993, le 3 mai a été proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Depuis 25 ans, il s’agit de sensibiliser la population à l’importance des principes fondamentaux de la liberté de la presse. Le droit de vérité, la liberté d’expression et la déontologie du journalisme sont rappelés aux gouvernements du monde. Aujourd’hui encore, nombreux sont les journalistes ne pouvant exercer leur métier correctement. Ils sont harcelés, emprisonnés ou même tués dans l’exercice de leur fonction. Le bilan de ces 25 dernières années reste peu réjouissant.

 

France : Les lois liberticides s’imposent peu à peu. Dans l’Hexagone, les lignes éditoriales et la situation économique des médias sont de plus en plus menacées. Le fait que le paysage médiatique soit sous la coupe de grands groupes industriels joue beaucoup sur ces conflits. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de l’Elysée, il semblerait que les médias soient de plus en plus écartés du paysage français. On peut notamment citer la nouvelle loi sur le secret des affaires qui stigmatise le journalisme d’investigation. Edouard Perrin, journaliste à Première Ligne annonce que cette loi entrave cette liberté fondamentale de la presse, car les journalistes ne peuvent, avec ce texte, relater une quelconque information secrète à l’entreprise. Celle-ci serait donc verrouillée et les affaires telles que LuxLeaks ou les Panama Papers ne pourraient plus être accessible aux citoyens. L’idéal serait, comme il le souligne “de rendre cette loi effective entre entreprises afin d’éviter tout contentieux entre les secrets marchands propres aux entreprises”.

 

Turquie : La plus grande prison de journalistes du monde. 151, c’est le nombre de journalistes incarcérés depuis des mois et même de longues années pour certains. Erdogan détient dans ses geôles les journalistes turcs s’étant opposés à son régime totalitaire. Depuis la tentative de coup d’Etat en juillet 2016, c’est plus de 160 organes de presse fermés.
Marie Jégo, correspondante du journal Le Monde à Istanbul explique que le monde des médias turc a été anéanti: 
“Actuellement ce qu’il reste peut se compter sur les doigts de la main.” raconte t-elle. L’argument de l’Etat turc donne bien le ton “ce sont des terroristes et non des journalistes”. Car oui, la centaine de professionnels des médias sont derrière les barreaux pour “propagande terroriste”. Marie Jégo ajoute: “les accusations n’ont aucun fondements, les dossiers sont vides”. L’état d’urgence en vigueur depuis juillet 2016 représente le prétexte parfait pour le régime qui peut alors instaurer des décrets qu’il est impossible de contester. La loi 6352 du 5 juillet 2012, prévoyant la suspension de toute poursuite et condamnations pour “délits de presse et d’opinion”, peut alors être ignorée. Sans une forte pression internationale, “Il n’est pas possible d’espérer” déplore Mme Jégo.

 

Enchaînement de drames en Europe. Dans le monde, une tendance s’est développée au cours des dernières années : la haine du journalisme et les attaques contre les membres de la profession, notamment au sein des pays des 28. Dernièrement, encore nombre de journalistes se sont fait tués pour avoir tenté de révéler une vérité dérangeante. Daphné Galizia, tuée dans l’explosion de sa voiture à Malte. Jan Kuciak et sa compagne, tués par balle en Slovaquie. Pauline Adès-Mével, responsable du bureau Europe/Balkans de RSF, explique ce phénomène déclarant que “les journalistes qui sont des vecteurs d’information souffrent d’un déficit de crédit car les leaders s’en prennent à eux”. On peut voir l’exemple de l’ancien Premier ministre Slovaque, Robert Fico, qui vilipende les journalistes mais aussi en France avec les propos de Laurent Wauquiez ou le comportement de Mélenchon à l’égard de la presse. Mme Adès-Mével ajoute que “la population est inspirée par les gouvernements” et tel un cercle vicieux, le résultat reste le même.

 

Journalisme collaboratif – Forbidden Stories : le journalisme continue. Depuis 10 ans, comme l’annonce RSF sur son site Internet, plus de 700 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction. Mais, ceux-ci ont trouvé la parade face à ce dramatique constat. Au fil des années, des consortium de journalistes se sont formés à travers le monde. La Fédération Internationale des Journalistes, qui compte plus de 600 000 adhérents dans 140 pays est l’organisation de journalistes mondiale la plus vaste à ce jour. Avec l’arrivée d’Internet, les journalistes s’organisent bien mieux, s’associent avec plus d’aisance mais surtout, dérangent les organismes ciblés par leurs enquêtes.  Le 31 octobre dernier, en réaction à la mort de Daphne Guzilia, le projet Forbidden Stories a été lancé. Inédit dans le monde du journalisme, ce projet a été salué par la profession. Comme Laurent Richard, fondateur de Freedom Voice Network, l’explique, il s’agit de “Poursuivre et publier le travail des journalistes menacés, tués ou emprisonnés dans le monde”. Une réponse solidaire aux ennemis de la liberté de parole. Les journalistes restent encore aujourd’hui, trop peu protégés par les lois et l’impunité des crimes dont les journalistes sont victimes est encore bien trop récurrente.

Être journaliste au Moyen-Orient

Ce 3 mai, à l’issue de la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’Institut des Cultures d’Islam a proposé une table ronde en compagnie de trois figures du journalisme. Chacun s’est confronté à l’extrême difficulté d’être un journaliste au Proche et Moyen-Orient. Tous ont été contraints de choisir l’exil pour survivre mais aussi dans le but de pouvoir exercer leur métier en toute liberté.

 

Dans un cadre intimiste, face à une quarantaine de personnes, Rajeha Al Tameemi,  Halgurd Samad et Wareth Furaiji se sont exprimés afin de relater comment l’exercice de leur métier de journaliste a failli leur coûter la vie. Comment la condition du journalisme en Irak et en Syrie est critique. Chacun s’est révélé, a raconté la vérité glaçante dans le récit de leurs vies.

Haya lève le voile sur Raqqa

Dans un premier lieu, suite à l’avant-propos du maître de conférence, Alberic de Gouville, rédacteur en chef de France 24 et vice-président de la Maison des Journalistes, le documentaire Haya, rebelle de Raqqa, a été projeté. Un documentaire de 23 minutes qui suit Haya, une syrienne ayant eu l’audace de filmer clandestinement la ville de Raqqa alors sous l’oppression de l’organisation de l’Etat Islamique.

Comme le déclare Alberic de Gouville le mot “héroïne” n’est peut-être pas le plus approprié. Pourtant, cette jeune femme a risqué sa vie en s’équipant d’une caméra miniature dissimulée dans une simple petite pochette noire pour filmer une ville plongée dans la terreur. A travers des images particulièrement fortes, Haya dénonce ce que l’E.I. inflige à Raqqa et ses habitants. Elle fréquente leur monde et délivre des messages saisissants. On peut notamment y voir une jeune française portant le niquab et parlant au téléphone avec un membre de sa famille “Pas la peine de pleurer ou d’avoir peur” “Tout ce que tu vois à la télé, c’est faux”.

 

On peut également la voir en compagnie d’autres syriens, protester devant une église. Le visage découvert, unis face aux membres de Daech, rodant autour, ils scandent “Liberté pour toujours, malgré toi Assad !”.

 

Suite à cela, Haya a été repérée par les membres de l’organisation terroriste et a fuit dès les premières menaces de morts reçues. Après un arrêt en Turquie, elle rejoint Paris où sa nouvelle vie de réfugiée reste complexe dans un pays où elle ne connaît ni la langue, ni les codes. Néanmoins, Haya en est certaine, ce n’est que temporaire. “Je n’ai même pas défait ma valise. Je suis prête à rentrer n’importe quand.

Trois histoires, un seul but

Rajeha Al Temeemi est la première à s’exprimer. Elle parle un français excellent mais souhaite s’exprimer en arabe car comme elle le déclare “c’est là que les idées viennent le mieux”. Son mari s’occupe de la traduction. Rajeha est journaliste à Monte Carlo Doualiya. Elle a quitté l’Irak, son pays d’origine, en 2006 pour la Syrie avant d’arriver en France après les meurtres de son ami et son frère ainsi que les menaces reçues à son encontre et celle de sa famille. Là-bas, en Irak, elle exerçait sous le régime totalitaire de Sadam Hussein et nous rappelle qu’il n’existe aucun journal indépendant. L’Etat irakien ne possédait que de 2 chaînes de télévision ainsi que 4 journaux, tous strictement contrôlés. La liberté de parole y est inexistante, c’est le gouvernement qui dicte les sujets à traiter. “Jamais de politique” souligne la journaliste. Mais cette dernière ne se confrontait pas seulement au problème de sa profession. Sa condition de femme la mettait en grande difficulté, également. Agressions et harcèlements en tout genre, étaient les maîtres mots pour une femme journaliste en Irak.

 

A la droite de Rajeha, Halgurd Samad prend ensuite le relais. Journaliste irakien de la région du Kurdistan, il raconte par des statistiques terrifiantes l’état du journalisme par chez lui : 231 journalistes tués durant ses années d’activités là bas. 139 violations de la loi du gouvernement sur les journalistes. Autrement dit, Halgurd s’est également confronté aux menaces, aux intimidations pour avoir tenté de faire son travail. Il est journaliste au magazine kurde indépendant Lvn de 2005 à 2010, média traitant de politique, de culture et société, et grand ennemi du gouvernement en vigueur. Il évoque les meurtres des journalistes, écrivains et poètes ayant eu l’audace de penser et d’écrire en faveur d’une liberté étrangère aux mesures répressives du gouvernement. Dans cette vague meurtrière, un ami très proche de Halgurd est retrouvé mort après avoir disparu quelques jours plus tôt. Le journaliste décide de s’exiler après 5 ans de menaces. Il s’arrête en Turquie pour y attendre son visa français puis arrive dans l’Hexagone. A Paris, il s’arrête à la Maison des Journalistes où il y reste un peu moins d’un an. Pour Halgurd, c’est un refuge, où il peut continuer à exercer son métier en sécurité.

 

Wareth Kwaish est le troisième à prendre la parole. Dans un anglais parfait, on le sent loquace, il a des choses à dire. Mais il choisit la voie de l’image pour raconter son histoire. “Je fais des films pour montrer au monde ce que les irakiens ont à dire. Chacun a des histoires à raconter”. La diffusion de son court-métrage Once they were here (“Une fois ici-bas”) sélectionné au Festival de Cannes de 2015, en est la preuve édifiante. Filmé clandestinement à l’Iphone, le réalisateur raconte comment les irakiens sont les victimes de l’ostracisme du gouvernement. En quelques minutes, on assiste aux tentatives des habitants de contester le régime et tenter de toucher ce rêve de liberté bien trop difficile à atteindre. “On le jure devant Dieu, on t’aime Irak”.

Avec fierté, il raconte comment il a pu habilement conserver les images en vidant sa batterie afin que les autorités ne puissent contrôler son téléphone portable. Mais Wareth, au même titre que ses confrères et consoeurs à ses côtés, a dû fuir. “Je me suis enfui car mes films vont me tuer” raconte t-il. Arrivé en France en 2015 et hébergé à la Maison des Journalistes, il a dû recommencer une nouvelle vie, loin de son pays et de sa famille.

Tous relatent des histoires différentes mais pourtant tragiquement similaires. Tous sont liés par ce besoin d’exprimer leur liberté de parole dans des pays où ils étaient bâillonnés. Mais tous partagent cette même conviction “la liberté est grande et de droit mais ne rentre jamais en conflit avec celle de l’autre”, un rêve devenu maintenant réalité pour Rajeha, Halgurd et Wareth.

25ème journée pour la liberté de la presse: une réalité inquiétante

Le jeudi 3 mai 2018, l’UNESCO célèbre la 25e édition de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse. Cette journée a pour but d’informer la population concernant les atteintes portées à la liberté de la presse, de sensibiliser les citoyens aux initiatives en faveur de cette liberté, mais elle sert également d’indice de mesure. Un tel événement permet en effet d’établir un “baromètre” concernant l’état des droits du métier de journaliste.

Proclamée le 3 mai 1993 par l’Assemblée Générale des Nations-Unies, cette journée est à l’origine une réponse à l’appel de journalistes africains qui, en 1991, établissaient la Déclaration de Windhoek sur l’indépendance et le pluralisme des médias.

Réunis pour la liberté de la presse sur le parvis de la démocratie

“Les célébrations porteront sur les questions des médias et de la transparence du processus politique, de l’indépendance du système judiciaire et de ses connaissances en matière de médias, et de la responsabilité des institutions de l’État vis-à-vis du public. La journée sera aussi l’occasion d’examiner les défis actuels de la liberté de la presse en ligne.” Indique le site de l’O.N.U.

Si l’événement principal, conjointement organisé par la République du Ghana, se déroule à Accra (Ghana), c’est aussi l’occasion d’un rassemblement à Paris. A l’appel du SNJ, CGT et CFDT Journalistes, une journée de solidarité s’installe sur le parvis de l’Hôtel de Ville.

Un rassemblement solidaire

Animées par Dominique Pradalié du SNJ, les prises de parole se succèdent. “La liberté de la presse ne se négocie pas” souligne Anthony Bellanger. Les différentes organisations laissent alors la place à des journalistes réfugiés du monde entier: algériens, syriens, turcs… Ce sont ces derniers qui appuient l’horreur qui sévit actuellement dans leur pays, aux portes de l’Europe. “La plus grande prison de journalistes du monde” regrette Beraat, journaliste réfugié.

A la faveur de cette date, les Nations Unies ont choisi le thème “Médias, Justice et état de droit: les contrepoids du pouvoir”. Des enjeux de discussions enflammées, un mois après l’adoption de la loi Secret des Affaires par l’Assemblée Nationale.

Fabrice Arfi, représentant le collectif “Informer n’est pas un délit”, revient notamment sur cette loi qui menace directement le travail journalistique: “Le risque contenu c’est celui d’assujettir la liberté d’informer à un droit commercial. Tous ceux qui décident de faire du monde de l’entreprise leur zone de travail vont devoir se retrouver devant un magistrat qui va décider si l’intérêt commercial est atteint et ce, malgré l’intérêt public. Nous demandons seulement de limiter l’application du secret des affaires aux relations commerciales concurrentielles.”

Cette journée est, enfin, l’occasion de rendre hommage aux journalistes ayant perdu la vie dans l’exercice de leur profession: Shai Marai, Daphné Caruana Galizia, Jan Kuciak… C’est Laurent Richard qui s’exprime alors sur le projet significatif de Forbidden Stories. Un site qui sauvegarde l’information et le travail des journalistes et permet de ne jamais laisser mourir le message de ces derniers. “Si les meurtres se multiplient, c’est qu’ils se font dans l’impunité” conclue Dominique Pradalié.

Des journalistes réunis en mémoire de leurs confrères emprisonnés dans le monde, des citoyens rassemblés pour la liberté d’expression et, finalement, des êtres humains prenant la parole pour ceux que l’on a fait taire.

Média traditionnel VS Média streaming
Légionnaires & Réfugiés

28 Avril 2018. Je suis sur Facebook. Nonchalant, je regarde des contenus média fournis par l’algorithme. Soudain, je croise deux vidéos d’informations qui me poussent une fois de plus à poser cette question : “Quel type de monde ? Quel type d’humanité peut vivre ensemble ?”

L’une des deux, c’est la vidéo du média public (dans le sens étatique donc financé par l’Etat français) France 24, média connu, mondialisé et traditionnel. L’autre média est nouveau et sa ligne éditoriale est dédiée aux réseaux sociaux : Brut.

Ces deux vidéos reportages ont un point commun, elles traitent de la France et des étrangers.

Un reportage sans critique, est-ce de la propagande ?

Le reportage de France 24 s’appelle “La légion étrangère, l’exception française”. La légion étrangère, ce sont des gens qui ne sont pas du tout français. Ils ont d’autres nationalités. Mais ils font la guerre au nom de la France. Ils sont super équipés et bien rémunérés par les impôts français. Dans le reportage, j’ai appris que la légion étrangère existe depuis le XIXème siècle. Or, je ne le savais pas ça. C’est pour cette raison que lorsque j’ai appris l’existence de cette armée, j’ai été choqué: des italiens, des américains, des belges, des marocains, des algériens… N’importe quelle nationalité peut participer à l’armée d’un Etat nation ?

Mais quelles sont les motivations de ces légionnaires ? Dans le reportage de France 24, cette question n’est pas assez posée. Cependant, quelques légionnaires disent que c’est contre le terrorisme ou bien même pour certains de ces soldats “étrangers”, c’est un rêve d’enfance. Bien sûr : chacun ses rêves ! Et on sait très bien que ces soldats étrangers sont payés à fin de tuer s’il est nécessaire, selon leurs mesures et selon les ordres. Donc ça veut dire qu’ils tuent car c’est leur métier.

Dans le reportage de France 24, il y a eu plusieurs fois des répétitions sur un point commun : La France leur a donné une deuxième chance. La chance de recommencer. Mais il n’y a pas la réponse à la question: “Qu’est-ce qu’ils ont vécu ? Qu’est-ce qu’ils ont fait avant cette carrière militaire ?” Et les légionnaires ne répondent pas à ce type de question. C’est même le droit des légionnaires de ne pas en parler.

Au XIXème siècle, il y avait des empires, des colonisations, des esclavages… C’était un autre monde. Mais aujourd’hui, a-t-on besoin d’une armée comme celle-là ? Avant de répondre à cette question, est-ce que cette armée est vraiment légitime ? Avec quels droits ? Cette armée internationale sous drapeau français peut-elle faire des opérations à l’étranger ? Par exemple, est-ce que cette armée ressemble à l’ONU (je sais que même l’ONU n’a pas ce type d’armée) ou une organisation similaire ? La France qui fait une opération à l’étranger avec des armées étrangères est-elle un pays impérialiste ?

Malheureusement le reportage de France 24 ne pose pas ce type de question. Pourtant, cette question me semble naturelle, voir instinctive ! Je vais être clair : ce reportage ne contient aucune critique. Bravo ! De manière surprenante, ce reportage est digne de la Turquie d’Erdogan (dédicace à la chaîne public TRT), c’est une propagande de l’Etat.


Deuxième reportage, aussi sur les étrangers par un média web : Brut.

Mais cette fois, ces étrangers sont venus en France. Ils ne sont pas envoyés dans d’autres pays par la France comme la légion. En général, ces étrangers sont exilés car ils ont fuit des guerres ! A l’inverse des légionnaires qui sont allés vers les guerres. Voilà, ces étrangers sont juste des réfugiés, des réfugiés qui sont venus à Paris.

Dans la vidéo, que je trouve un peu amateur au niveau des images, Brut nous apprend que 2000 réfugiés sont installés dans les tentes à Porte de la Villette, au nord de capitale. Et cela dure depuis 5 semaines, ces gens-là sont dans la rue; dans ce camp.

Le reporteur de Brut commence avec une question assez directe à Anne Hidalgo, la Maire de Paris: “Qui est le responsable de cette situation ?” La réponse d’Anne Hidalgo est claire: «c’est l’État.» Anne Hidalgo souligne qu’en tant que maire, elle ne peut pas se contenter de regarder ou de plaindre ces êtres humains, elle doit proposer des solutions. Pour éviter ce campement de rues, les responsables de l’Etat et les maires doivent se rencontrer au tour d’une table pour trouver une solution plus efficace.

Avant de regarder ce reportage, quand j’ai vu ce campement de mes propres yeux, j’ai toujours cru que les réfugiés amenaient eux-mêmes leurs tentes. Et l’Etat, la mairie, la police… se content de laisser tranquille ces pauvres humains car il n’y a pas de logement. Mais grâce à ce reportage, j’ai appris que les autorités françaises proposent le camp de rue comme solution parce que ça se voit qu’ils n’arrivent pas à mettre en place au tour d’une table les responsables politiques. Responsables ? Le mot est-il exact ?

Anne Hidalgo, dans le reportage donne quelques chiffres. Elle dit qu’en Ile-de-France, il y a 700 places d’hébergement et à Paris, il y a 4 points d’accueil de jour à Paris. Dans la capitale d’un pays qui envoie les légionnaires étrangers au Mali ou ailleurs, il y a juste 4 points d’accueil de jour pour les réfugiés !

Après avoir vu cette situation, je pense qu’à côté de l’égalité, la liberté et la fraternité, il faut ajouter un peu d’humanité ! Accueillir les gens dans la rue qui ont droit de demander un refuge (selon les lois internationales). Ces humains issus de pays où il y a des guerres civiles et aucune sécurité alors que les «responsables» n’ont toujours pas de solution… Car je ne demande pas que la France accepte tous les réfugiés, je demande qu’elle accueille avec dignité ceux qui sont en France, comme ces 2000 personnes à la Porte de la Villette.

3 mai 2018, jour de la liberté de la Presse dans le monde, personnellement, je veux dire merci à Brut pour son approche critiqué envers l’État. Et je vous laisse regarder ces deux vidéos, ces deux reportages, ces deux approches journalistiques qui me font à la fois craindre et espérer pour la liberté d’informer en démocratie.