Le « modèle occidental » s’est-il fissuré pour l’Afrique ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Pour le continent africain, le « modèle occidental » s’est fissuré. A partir de la victoire du Brexit. La sortie de route de la présidentielle aux Etats-Unis et en France, surtout avec l’épisode sur les « affaires » pour cette dernière, ajoute à l’effritement de l’image du parangon. Et à l’interrogation de celui qui l’imitait presque en tout.

Le Brexit interroge la presse africaine
© DR

Il s’agit de l’Occident, ex-colonisateur, et de l’Afrique, ex-colonisée. Ils n’ont pas rompu les liens, après les années des indépendances en 1960. Les rapports de forces restent encore, tels que c’est le plus faible qui se recommande de la bienveillance du plus fort pour apprendre à « vivre moderne ».

De ce fait, l’Occident se devait de lui apporter aide financière, militaire et technique. Et de lui apprendre les règles de la démocratie, selon ses critères, etc. En règle générale, il fut le maître du monde… et, un tant soit peu, le « modèle » que beaucoup de peuples imitèrent. Quant à l’Afrique francophone, elle s’inspirait plus de l’univers sociétal français et belge.

Au point qu’un Malien ou un Sénégalais lambda (ressortissants des ex-colonies françaises) ne pouvaient concevoir l’Europe qu’à travers l’image de la France. Il en était de même pour un Congolais de l’ex-colonie belge, qui ne voyait le Vieux Continent qu’à l’aune de la Belgique. Jusqu’à désigner les Belges du nom affectueux de « banoko » en lingala, traduit « oncles » en français.

Et alors ? Alors, vinrent les temps de déclin gravés dans le destin des empires. Thierry P. Millemann le résume ainsi : « L’Occident a réussi sa stratégie hégémonique, mais il a échoué sur l’harmonisation sociale de la planète » (1). En d’autres termes, c’est la fin de sa suprématie. Thèse longtemps validée par nombre d’observateurs. Or, une fin de règne s’accompagne souvent par des signes de déséquilibre. Certains Africains y décèlent, en l’occurrence, quelques-uns que voici :

Donald Trump
© Politico

– l’élection surprise de Trump, aux Etats-Unis, après le Brexit, a laissé les Africains pantois. Car, le vote – un des pivots de la notion de démocratie libérale -, fait désormais autant partie de l’ordre émotionnel que du choix rationnel. Dans cet Occident dit « cartésien » ! Résultat : l’Amérique est, aujourd’hui, dans l’embarras, secouée par l’amateurisme de son nouveau chef ;

– pendant ce temps, l’Europe occidentale vacille : l’Union européenne (UE) est en butte à l’implosion. En fait, le Brexit a créé un vent d’effet domino subjuguant. Sans emporter la conviction de la majorité, le phénomène, pourtant, a tout d’une épée de Damoclès suspendue sur la tête de l’Union.

En France, en particulier, le jeu de la présidentielle a révélé un visage souvent dissimulé : les « fous du pouvoir ». En l’espèce, incarnés par un François Fillon, pour qui le pouvoir prime sur l’honneur de la parole donnée. Juste, comme c’est le cas en Afrique ! Enfin, l’élection de Macron, à l’instar de celle de Trump, reflète sans conteste la remise en question brutale de l’ancien ordre. En « cassant les codes » ;

Emmanuel Macron
© Eric Dessons/JDD

– l’Occident a peur. Pour preuve : son refuge dans le repli identitaire, par exemple. Partout, on sent de la xénophobie monter d’un cran. Jusqu’à dicter la construction des murs anti-immigrés en Hongrie. Et, probablement, aux Etats-Unis…

Difficile, pour l’Afrique, à débrouiller un tel écheveau ! Néanmoins, une chose est certaine : le « modèle » est écorné.

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(1) Milleman P. Thierry, La face cachée du monde occidental, éd. Osmondes, 2005, 380 p.

 

La présidentielle française à l’heure algérienne

[Par Larbi GRAINE] Les présidentielles françaises sont toujours ardemment suivies en Algérie. Le sort de la diaspora d’origine algérienne, la question de la libre circulation entre les deux pays, sont  les points qui retiennent le plus l’attention des Algériens. Parfois la passion mise dans le suivi des moindres détails inhérents à l’actualité française, a fait dire à certains que les Algériens agissent par compensation de l’absence chez eux de débat d’idées et de véritable compétition politique.

El Boulitik البوليتيك, L’Homme Jaune, 2017 ©Facebook/L’Homme Jaune

Il n’empêche, de part et d’autre de la Méditerranée, il y a une espèce de commune intuition marquée par une affinité géopolitique ayant donné lieu à de multiples correspondances. Par exemple, sitôt que l’attentat terroriste sur les Champs-Elysées connu, on a pu lire sur les réseaux sociaux investis par les Algériens, que cela allait profiter à Marine Le Pen. D’autres pensent que cela est de nature à défavoriser Jean-Luc Mélenchon, lequel est très bien estimé  pour son esprit d’ouverture et sa bonne disposition envers les étrangers. En outre, le feuilleton Fillon n’est pas passé inaperçu. Il a beaucoup amusé. Jamais les Algériens ne se sont sentis aussi proches des Français que dans cette affaire de corruption.

Un journal satirique local a du reste publié un article au titre évocateur : « l’Algérie et la France signent un partenariat pour échanger leurs savoir-faire en matière de corruption ». Que cela soit dit en passant, la démocratie européenne n’est plus aussi idéalisée qu’elle ne l’était dans les années 1970 et 1980. Ce qui donc a dû créer un trait de convergence supplémentaire entre les régimes du Sud et du Nord. Les Algériens ne voteront donc pas pour Fillon. Ils ont quelque sympathie par contre pour Macron qui a su se faire connaitre à l’occasion du voyage qu’il a effectué en Algérie. Son discours aux accents anticolonialistes a séduit les officiels et de nombreuses franges de la population restées sensibles aux thèmes nationalistes.

Entretien d’Emmanuel MACRON pour la chaîne d’information algérienne EchorouknewsTV, le 14 février 2017.

La scène politique française est, en fin de compte généralement appréhendée en termes de xénophobie et de xénophilie. La configuration gauche- droite ne parait pas avoir de sens.  Il va sans dire que le Front national de Marine Le Pen est négativement célèbre. Son image est associée  aux dérives de la société française.  En outre, dans une Algérie où pullulent les nouveaux riches, Mélenchon est apprécié pour ses coups de gueule contre cette catégorie sociale. Si les Algériens pouvaient voter pour le candidat de France insoumise, il battrait certainement des records.

Maroc : Dégradation de l’état de santé d’un activiste détenu dans la prison de Kénitra

[Par Samad AIT AICHA]

Près de trois mois après  son arrestation, l’état de santé de l’activiste, membre du Mouvement 20 février à Casablanca, Rabii Houmazen (29 ans) s’aggrave des suites de la grève de la faim que le prisonnier a tenue durant 10 jours. Le jeune activiste du M20F, version marocaine des révoltes des printemps démocratiques survenues dans les pays arabes, est condamné à dix mois de prison ferme et à une amende de 6200 dirhams (environ 600 euros).

Portrait de l’activiste Rabii HOUMAZEN emprisonné depuis trois mois par les autorités marocaines ©A.MOUKTAFI

Selon un communiqué de sa famille publié sur les réseaux sociaux il y a quelque jours,  l’activiste du Mouvement 20 Février et étudiant Rabii Houmazen a eu des problèmes respiratoires  et a connu une «dégradation de l’état de santé suite à des infections pulmonaires  après une grève de la faim de 10 jours. Pourtant, les autorités ont refusé de le soigner» ajoute le communiqué.

Dès qu’il a eu la possibilité de le faire depuis la prison, Rabii a confirmé avoir «entamé une grève de la faim de dix jours à partir du 23 mars pour protester contre l’injustice, contre l’interdiction de poursuivre mes études en philosophie derrière les barreaux, contre la répression, pour mon identité politique et ma libération immédiate».

Pour le comité de soutien, la lutte pour la fin de son emprisonnement continue. «On va continuer à combattre pour la liberté de l’étudiant marocain Rabii Houmazen qui risque de ne pas pouvoir poursuivre ses études derrière les barreaux, ainsi qu’à défendre son identité politique, à travers plusieurs actions de protestation et de mobilisation qu’on organisera» nous a confirmé Marwa Khouya, coordinatrice du comité.

Depuis l’arrestation de Rabii Houmazen alias “Sakhet”, le 19 février 2017, une levée de boucliers a eu lieu dans toutes les sphères activistes marocaines. En effet, une campagne de solidarité a aussitôt été lancée sur les réseaux sociaux, appelant  la libération immédiate  de “Sakhet”, comme le souligne un communiqué de l’Association Article 19.

Affiche de soutien à Rabii HOUMAZEN, diffusée sur les réseau sociaux par l’association Article 19 @Article 19

«Rabii est incarcéré dans des conditions inhumaines, privé de denrées alimentaires et de produits de base. Tout cela se déroule dans le cadre d’un procès qui, le moins que l’on puisse dire, est loin de répondre à des normes justes et/ou démocratiques», ajoute comité de soutien à Rabii.

Avant même d’annoncer le jugement et de prononcer son emprisonnement, un  rapport rédigé par  le comité de soutien dénonçait «la présidence judiciaire [qui] a refusé de discuter la tenue d’un procès pour expliciter ou rendre nul l’objet de l’arrestation de Rabii Houmazen, dans une atmosphère d’oppression et d’humiliation. De fait, le juge a donc expulsé Rabii Houmazen de la salle de l’audience ainsi que ses amis et famille qui le soutenaient pendant l’audience au tribunal de première instance, et a annoncé la condamnation sans appel du prévenu concerné. Condamnant ainsi Rabii Houmazen à dix mois de prison ferme et au paiement d’une amende de 6200 dirhams, par contumace, sans possibilités de recours».

Après  sa participation à une manifestation contre l’accaparement des terres collectives par la société Al Omrane à Sidi Taybi Rabat – village entre Rabat et Kénitra, où de nombreux citoyens sont sous le joug d’une véritable mafia immobilière qui menace de les expulser de leur maison à tout moment-, Rabii Houmazen a été arrêté à son retour à Kénitra et a découvert qu’il était poursuivi par les autorités pour avoir participé à une précédente manifestation, celle des enseignants stagiaires à Kénitra en date du 15 mars 2016. Le rapport du comité de soutien détaille : « De bonne heure, alors qu’il transportait les banderoles préparées pour la commémoration du Mouvement du 20 Février à Rabat et Casablanca, Rabii a été victime d’un accident ambigu, suivi de son arrestation pure et simple.»

De violents échanges avaient opposé les manifestants professeurs stagiaires aux forces de l’ordre à Kénitra, fin février 2016 ©France24/Youtube :

Sa famille organisera une manifestation le samedi 22 Avril 2017 devant le Parlement, à Rabat, pour exiger sa libération immédiate et la fin des arrestations arbitraires prononcées contre des militants politiques par les autorités marocaines.

 

RDC : Entre les deux camps, à qui la faute ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le train de la transition, pour atteindre le cap des élections prévues fin 2017, est toujours hors des rails. Et pour cause. Plus par la persistance des manœuvres dilatoires entretenues par le camp présidentiel que la réalité des ambitions marquée par les leaders de l’opposition. Au point que la communauté internationale et nombre d’observateurs commencent à y voir déjà un « jeu puéril » de mauvais goût.

Rat-race (Course au pouvoir), Chéri CHERIN, 2007 ©horvath.members.1012.at

En témoigne la nomination, à la hussarde, de Bruno Tshibala, le 8 avril, au poste de Premier ministre. En dehors de l’esprit et de la lettre des accords de la Saint Sylvestre (31 décembre 2016). Ainsi, aussitôt nommé, aussitôt contesté. Nommé, puisque étant radié du Rassemblement (coalition de l’opposition), celui-ci constituait pour le régime en place une nouvelle occasion de « diviser pour régner ». Il en était d’ailleurs ainsi de la nomination, en novembre 2016, de Samy Badibanga – encore un autre exclu de l’opposition.

Puéril ! Puisque la manœuvre est cousue de fil blanc ! L’Union européenne, la France et la Belgique ont ouvertement parlé de « manœuvres politiques dangereuses », avec à la clé des menaces. L’Eglise Catholique n’a pas été en reste. Par le biais du cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, celui-ci a comparé la classe politique de son pays à Judas Iscariote. Quant à la nouvelle administration des Etats-Unis, qualifiée, à tort, d’indifférente face à la politique africaine, elle s’est montrée plutôt plus musclée. Nikki Aley, sa représente à l’Onu, a accusé crûment le régime de Kinshasa d’être « corrompu ».

Suffisant pour démontrer que le chemin emprunté par le président Kabila et sa cour mène inexorablement à la catastrophe. Laquelle mettra toute la région de l’Afrique centrale à feu et à sang.

« Kabila voudrait succéder à Kabila »

Quels sont les signes tangibles que laisse apparaître le régime de Kinshasa sur cette responsabilité prévisible ? L’opposition n’aura-t-elle pas sa part à assumer ?

La problématique est simple, car l’opposition, en tant que partie plaignante, ne peut constituer en aucun cas un obstacle à sa propre démarche, qu’elle croit liée à la défense d’une cause juste. A moins de réfléchir à rebours pour voir autrement les choses.

Manifestation de l’opposition à Joseph Kabila le 31 juillet 2016, à Kinshasa.                       ©Eduardo SOTERAS/AFP

Après seize ans de pouvoir détenu par le président Kabila, dont l’exercice de deux mandats de cinq ans chacun (émaillés par ailleurs d’élections floues), et en vertu de la Constitution qui l’interdit de briguer un troisième mandat, c’est l’opposition qui s’est, du coup, placé du « côté du bon droit ». Se serait-elle résolue, du jour au lendemain, à ne plus atteindre son objectif ? Que nenni.

Si l’opposition n’est pas un obstacle, selon la force de l’argumentation qui précède, la faute incomberait donc à l’autre partie, qui cherche visiblement à se maintenir au pouvoir. Contre vents et marées.

On y voit, d’abord, son souci à recourir à la notion de « consensus ». Or, on ne peut s’appuyer sur cette notion que lorsqu’il y a un différend entre protagonistes. En tout état de cause, il n’y en a pas un, en l’espèce, si ce n’est le fait qui relève de la Constitution obligeant le président Kabila à céder le pouvoir et à organiser, pour ce faire, des élections dans le délai prescrit par les accords de la Saint Sylvestre. Il s’agit là, dans les deux cas, « de la Loi et de sa force ». Face auxquelles on ne peut faire de la résistance.

Et puis, que vaut la notion de consensus, sinon « un bon moyen de chantage sentimental exercé sur les opposants », comme le souligne le dictionnaire Vocabulaire politique (Presses universitaires de France) ?

Chantage ? C’est-ce que le camp présidentiel a tenté d’utiliser, subrepticement, aussi bien lors du dialogue emmené par Edem Kodjo, médiateur désigné par l’Union africaine (février – novembre 2016), que des pourparlers organisés sous les auspices des évêques catholiques (décembre 2016 – mars 2017).

On y voit, ensuite, comme signe incontestable de torpillage ou d’attentisme suspect, le silence du pouvoir sur le nom de l’éventuel dauphin du président Kabila. Si élections il y aura, fin 2017 ou un peu plus tard, quelle est la personne qui y portera les couleurs du parti du président sortant ? Silence radio, qui ne signifie rien de moins que « Kabila voudrait succéder à Kabila ». C’est aussi clair que de l’eau de roche.

Syndrome de Peter Pan

Sans titre n°4, Moridja KITENGE, 2015 @moridjakitenge.com

La conclusion, après cette démonstration, coule de source. Le pouvoir de Kinshasa est responsable de

cette impasse politique. « Responsable et coupable », à l’inverse de la fameuse formule de Mme Dufoix : « Responsable mais pas coupable ».

Quant à l’opposition, son fardeau est léger. Si des ambitions s’y expriment, cela va soi. Rares, en effet, sont des cas où dans un groupement politique les gens détestent de sortir du lot pour occuper la place de leader. Mais si ces ambitions sont exploitées par le camp adverse pour diviser, on est plus dans le schéma classique de faire de la politique. Dans ce cas, on verse proprement dans le machiavélisme, faisant de la partie qui « subit », c’est-à-dire l’opposition, une victime. Celle-ci est donc « non coupable ».

En attendant, c’est l’impasse. Et le peuple congolais continue de trinquer. Contrairement à ce qu’écrit François Soudan, le directeur de la rédaction de Jeune Afrique (n° 2935-2936, du 9 au 22 avril 2017), à propos de la classe politique congolaise : « En termes de psychologie, le phénomène porte un nom : le syndrome de Stockholm, l’amour du prisonnier pour son geôlier », je parlerai, pour ma part, du syndrome de Peter Pan. Ce mal qui fait qu’un adulte se prenne toujours pour un enfant et se comporte comme tel. Voici l’image minable que donne la classe politique congolaise !

RDC : Après les tempêtes, un tsunami annoncé

[Par Jean-Jules LEMA LANDU] 

Tempête et naufrage semblent donner la parfaite image du navire qui s’appelle Congo et qui, depuis 1960, date de son indépendance, vogue à travers les tempêtes. Si le navire ne s’est pas totalement disloqué, pendant ce temps, il a néanmoins subi de graves dommages. Un changement de cap s’impose, en vue d’éviter un tsunami annoncé.

Kiripi KATEMBO, Jupiter, 2012 ©Galerie MAGNIN-A

François Soudan, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique, a autrement exprimé cette image dans le bimensuel La Revue n° 70, mars-avril : « Ce qui me surprend toujours dans ce maelström, c’est que malgré les rébellions, les sécessions […], malgré les quatre cents langues parlées et la myriade de cultures, la République Démocratique du Congo a survécu ».

La résilience du peuple congolais est un « fait de l’histoire », inexplicable, comme ce fut le cas de Numance, une petite ville antique (Espagne) qui résista durant vingt ans, au IIe siècle avant notre ère, face à la puissante armée de conquête romaine. A terme, Numance finit par tomber, tout comme la résilience des Congolais a commencé par lâcher prise devant l’innommable.

République Démocratique du Congo @Encyclopédie Larousse

L’innommable, c’est ce néant dans un pays où l’ État n’existe plus, au point que les populations, dans la région d’Ituri (nord-est), ont commencé à se nourrir des « beignets faits d’argile et de racines de bambous », pour survivre. Et où, un « chef de l’Etat », Kabila, et sa cour s’agrippent au pouvoir, qui n’en est plus un, depuis décembre dernier, selon la Constitution. Pour défendre l’illégalité, ils usent à outrance de l’épée contre le peuple, au cas où celui-ci ose lever le petit doigt. L’ONU parle de massacres.

C’est là la cruelle genèse ! Ému, le pape François a poussé les évêques congolais à s’en mêler. Après l’échec essuyé, en octobre, par la facilitation initiée par l’Union africaine. C’est la première fois que l’Église Catholique s’immisce, à ce niveau, dans les affaires politiques du pays.

Le pape François a reçu ce lundi 26 septembre 2016 le président congolais, Joseph KABILA au Vatican. © REUTERS/Andrew MEDICHINI/POOL

Qu’en est-il donc et où en est-on ? Depuis décembre, les évêques, après avoir réussi à mettre autour de la table opposition et gouvernement, ont pu obtenir du président Kabila son renoncement à rempiler pour un troisième mandat « illégal ». Restait à former un gouvernement d’union nationale et à fixer le calendrier de la présidentielle pour décembre prochain. Si, globalement, un accord a été signé, le 31 décembre, par les partis engagés au dialogue, son application bute, surtout, sur le second point.

On en était là. Jusqu’au décès de Tshisekedi survenu à Bruxelles, le 1er février.

Étienne TSHISEKEDI en juin 2016, à Bruxelles ©AFP / Thierry ROGE

La disparition de cette figure emblématique de l’opposition, qui a surtout permis de fédérer cette plate-forme pour la cause, risque de tout remettre en question. D’autant que ce bloc a déjà commencé à se fissurer pour le poste de Premier ministre, qui devrait de droit revenir à ses membres, selon l’accord de décembre.

Si à chaque fois, le pouvoir lève un nouveau lièvre, d’une part, l’opposition reste divisée quant à la personne à désigner pour ce maroquin de prestige, d’autre part.

L’impasse est donc à la porte. A moins que les hommes de l’Eglise n’arrivent à conjurer le pire, en étouffant aussi bien les ambitions des opposants que la mauvaise foi du pouvoir. Sinon, le Congo, cette fois, fera face à un tsunami… annoncé. Et au naufrage inévitable. Car la résilience du peuple, mise à l’épreuve, depuis des décennies, se sera transformée, à l’occasion, en un choc tectonique. Conduisant à la guerre civile et à la « balkanisation ».

 

 

 

 

 

 

 

Le Maroc et les Sahraouis : nouvelles tensions ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le 28ème sommet de l’Organisation africaine (UA), fin janvier 2017, à Addis Abeba, en Ethiopie, n’a pas abordé dans sa totalité le triptyque qu’on attendait de voir posé sur la table de débats : formulation de premiers principes sur la réorganisation de l’institution (souhaitée au sommet de Kigali, en 2016), retour au bercail du Maroc et prise des décisions concrètes sur le statut du Sahara occidental.

Le drapeau du Front Polisario porté par un sahraoui, près de la frontière marocaine, en février 2017
© AFP

Seule la question liée à l’admission du Maroc au sein de l’institution a été examinée jusqu’au bout. Désormais, le Maroc a retrouvé sa place au sein de l’institution, par consensus, après s’en être éloigné, il y a trente-trois ans, en 1984. Le satisfecit du roi Mohamed VI à cet effet peut se résumer par cet aphorisme : « Il est bon de rentrer chez soi ».

Est-ce le sentiment partagé par tout le monde ? Pas si sûr. S’il vrai que le Maroc, avec son importance démographique de près de 34 millions d’habitants et ses potentialités économiques incontestables, pèse lourd dans la « balance africaine », la question du Sahara occidental ne constitue pas moins pour lui une épine dans le pied.

De fait, ce problème continue de diviser le continent : d’un côté, les partisans pour l’autodétermination de ce territoire, à l’exemple de l’Algérie et de l’Afrique du Sud ; de l’autre, les « amis » du Maroc, à l’exemple de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, qui soutiennent la thèse de l’annexion.

Le Sahara occidental, objet du conflit
© liberation.fr

Mais, pourquoi le Sahara occidental ? Quels en sont les enjeux ? Tout commence, en 1975, quand l’Espagne procède à la décolonisation de ce territoire désertique, large de 226 000 kilomètres carrés (200 000 habitants, appelés Sahraouis), situé au sud du Maroc. Très riche en phosphates. Le royaume chérifien en revendique tout de suite la propriété, alors que les Sahraouis l’entendent dans le sens d’une entité à part, promise à son indépendance totale. La palabre est de taille. En 1976, un an après un dialogue infructueux entre les protagonistes, les Sahraouis autoproclament l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Non sans privilégier l’option militaire, à travers le Polisario, leur bras politique et armé.

Depuis, c’est l’enlisement. Comme solution, l’ONU a proposé, en 1991, l’organisation d’un référendum que le Maroc considéra inapproprié. Du roi Hassan II à son fils, Mohamed VI, la position n’a pas évolué. Or, avec le retour du Maroc au sein de la grande famille africaine, par ailleurs appelé de tous ses vœux par le jeune roi, l’opinion pensait que les temps étaient mûrs pour l’amorce d’une solution pacifique sur cette question. Il n’en a rien été. Plus que jamais, le continent est resté divisé, tandis que se multiplient, à ce sujet, des questions sans réponse. La plus pertinente étant celle de savoir si l’UA ne va-t-elle pas devenir un champs clos de luttes pernicieuses entre Rabat et la RASD, membre effectif de l’organisation, depuis 1982 ? Atmosphère qui risque de déborder et de constituer un cas de casus belli entre le Maroc et l’Algérie. Cette dernière est, on le sait, le tuteur assumé du Front Polisario.

L’autre volet, lié à la réorganisation de l’institution, a été passé à la trappe. Ce sujet n’intéresse guère la plupart des chefs d’Etat, qui veulent que l’UA demeure à jamais un « syndicat d’amis », pour leur ego. Cas de conscience pour le président guinéen, Alpha Condé – le pragmatique -, et nouveau président en exercice de l’institution !

Gambie : chassez le dictateur, il revient au galop

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Il n’y a pas à s’y méprendre. L’acceptation, par le président gambien sortant Yahya Jammet, de la victoire de l’opposant Adam Barrow, le 1er décembre, était une vaste mascarade. Car, plus d’une semaine après cette déclaration publique, vendredi 9 décembre, l’ex-dictateur s’est rétracté. Remettant en question, sans preuves, le résultat d’un scrutin unanimement approuvé par la communauté internationale. De ce fait, il exigeait la tenue d’un nouveau vote.

Le président sortant Yahya Jammet Crédits photo : Jérome DELAY / AP

Le président sortant Yahya Jammet
Crédits photo : Jérome DELAY / AP

La nouvelle est tombée comme un couperet parmi tous les démocrates, surtout africains. Car, à travers ce geste, ces derniers commençaient à percevoir à travers les nuages, l’aube d’une nouvelle mentalité politique, en Afrique. Et, partant, l’amorce d’un continent outragé par les méfaits de la dictature vers des horizons qui célèbrent la bonne gouvernance.

Certes, si cet espoir était légitime, il était néanmoins empreint de naïveté, puisqu’il n’avait pas pris en compte la vraie nature d’un dictateur. En fait, qui est Yahya Jammet, sinon un dictateur de la pire essence : illuminé, fantasque, kafkaïen… et, par conséquent, impénitent ? Emportés par l’enthousiasme, les démocrates avaient-ils oublié qu’un dictateur, depuis César, se prend toujours pour un « roi de droit divin » ?

Allez donc dire à Yahya Jammet que le pouvoir lui est ôté… et attendez sa réaction ! A défaut d’une réponse brutale, allant jusqu’au bain de sang, il a usé de la sournoiserie à laquelle nous venons d’assister, consistant à faire endormir, un temps, pour mieux prendre l’autre camp à revers. Et, sur le plan psychologique, il a largement gagné. Car, son revirement fut tel que tout le monde a été pris de court, y compris le peuple gambien lui-même, qui avait déjà la tête aux étoiles.

Cette manœuvre propre à l’art de guerre est efficace dans d’autres domaines. Son but est de « gagner » par effet de surprise. Yahya Jammet a oublié, à son tour, que les temps ont changé, et qu’un tel scénario n’avait pas la moindre chance de réussir. De fait, à un tournemain, sa déclaration avait fait une levée de boucliers, à tous les niveaux. L’ONU, l’UA (Union africaine), les Etats-Unis… ont appelé l’ex-dictateur à respecter la volonté du peuple gambien.

Adama Barrow, le président élu, pendant la campagne présidentielle le 29 novembre 2016. Crédits photo : Jérome DELAY/AP/SIPA

Adama Barrow, le président élu, pendant la campagne présidentielle le 29 novembre 2016.
Crédits photo : Jérome DELAY/AP/SIPA

Dans ce chapitre, parmi les quelques réactions enregistrées, en Afrique, la voix du Sénégal a été la plus audible. La Gambie étant au Sénégal comme le Lesotho est à l’Afrique de Sud, c’est-à-dire une « enclave », le pays de Senghor craint, avec raison, que les retombées de cette situation ne l’affectent, au plus haut point. Il a donc prévenu : « Nous envisagerons toutes les options, y compris celle ayant trait à l’usage de la force pour rétablir l’ordre en Gambie ».

Cette menace aura-t-elle suffisamment de poids pour convaincre Yahya Jammet de quitter le pouvoir ? Difficile d’imaginer, pour le moment, une réponse qui vaille. Si un grand nombre d’analystes se perdent en conjectures, un scénario est de plus en plus envisagé, à savoir la possibilité de « négocier un exil honorable » avec l’ex- dictateur. Exil qu’il aurait déjà préparé avec soin, quelque part dans les Emirats arabes unis, dit-on.

La question est dans tous les esprits. Mais beaucoup d’observateurs étaient ceux qui pensaient que l’ex-président fanfaron, un volcan, ne s’éteindra pas sans provoquer un dernier séisme. La dictature n’est-elle pas une seconde nature ? Alors, « chassez le naturel… ».