Guinée, un témoin contre le fils du président Obiang

[Par René DASSIE]

Ex-associé de Teodorin Obiang dans une entreprise de construction, Roberto Berardi a été emprisonné et torturé en Guinée Équatoriale. Officiellement pour « malversations », mais selon lui,  parce qu’il envisageait de témoigner contre Teodorin Obiang,  poursuivi aux États-Unis dans l’affaire des biens mal-acquis. Libéré à la faveur d’une mobilisation internationale, il raconte son calvaire et explique les méthodes de détournement et de blanchiment d’argent utilisées par le clan Obiang au pouvoir en Guinée Équatoriale.

teodorin obiang

Teodorin Obiang (source: lemonde.fr)

 

C’est un rescapé de l’enfer carcéral équato-guinéen. Plusieurs mois après sa libération, Roberto Berardi, homme d’affaires italien, ancien proche de Teodorin Obiang le fils du président équato-guinéen, tente de se reconstruire.

Cet homme de 49 ans, au visage émacié et à l’allure soignée, ne veut pas passer l’éponge sur les  violences qu’il a subies à la prison de Bata où il a été détenu pendant 920 jours, dans des conditions particulièrement difficiles. Il veut faire savoir au monde comment le régime Obiang traite ses prisonniers dont près d’une dizaine seront décédés pendant sa propre détention. Son témoignage est d’autant plus important que le pouvoir équato-guinéen a toujours nié torturer ou assassiner des prisonniers, comme le soutiennent de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme.

Son témoignage vaut autant dans la sordide affaire des biens mal-acquis qui vise la famille présidentielle de la Guinée Équatoriale. Car si l’on savait que Teodorin, fils fantasque et flambeur du président Obiang Nguema brassait anormalement beaucoup d’argent qu’il planquait dans des paradis fiscaux ou blanchissait dans des propriétés immobilières en occident, ses méthodes de collecte des fonds n’étaient pas toujours clairement cernées. Roberto Berardi raconte que les entrepreneurs étrangers que la manne pétrolière attire à Malabo et ses environs sont systématiquement rackettés et servent de prête-noms, parfois à leur insu à Teodorin Obiang, pour faire sortir l’argent du pays.

Ce sont ces atouts qui ont fait de l’entrepreneur italien un allié précieux pour l’opposition équato-guinéenne en Exil, qui depuis plusieurs années tente d’alerter l’opinion internationale sur les dérives du régime de Malabo. Roberto Berardi participe désormais à leurs manifestations publiques, pour cautionner leurs accusations par son propre témoignage.

Lundi 12 octobre, il a ainsi pris part à la conférence de presse organisée à Paris par les dirigeants de la Coalition pour la restauration d’un État démocratique en Guinée Équatoriale (CORED), la principale organisation d’opposition équato-guinéenne en exil.

Victime collatérale de l’affaire dite des biens mal-acquis

Roberto Berardi tel qu’il s’est présenté à Paris, estime être une victime collatérale du volet américain de l’affaire des biens mal-acquis qui ont visé Teodorin Obiang, en France et aux États-Unis.

Pendant plusieurs années, il a été l’associé du Vice-président de la Guinée Equatoriale, dans une entreprise de BTP, dénommée Eloba Construction SA.

Leur partenariat est définitivement rompu le 15 janvier 2013, lorsqu’il est interpellé par les forces de sécurité. Officiellement on l’accuse de « fraude » et  de « vol de biens », en lien avec la gestion d’Eloba Construction SA.

Mais selon lui, il n’a jamais commis ces infractions. Il explique qu’il doit en réalité ses ennuis à son refus de couvrir Teodorin Obiang, poursuivi aux États-Unis pour détournement et blanchiment de fonds. A son insu, celui-ci aurait fabriqué plusieurs faux papiers à la fois au nom d’Eloba Construction et en son nom personnel, pour transférer d’importantes sommes d’argent vers les États-Unis. Ses achats compulsifs de biens luxueux, ses dépenses somptuaires finissent par attirer l’attention des autorités financières américaines.

Selon Roberto Berardi, les enquêtes américaines le visent tout autant que Teodorin Obiang, puisque son nom apparaît dans plusieurs acquisitions. Mais soutient-il, il réussira à prouver la fraude sur son identité, passant du statut de coaccusé à celui de témoin.

C’est dans ce contexte expliquera son avocat, que Teodorin Obiang le fait arrêter, pour l’empêcher de témoigner contre lui devant la justice américaine.

En prison, Roberto Berardi est régulièrement torturé. Selon l’Action catholique contre la torture et la peine de mort (ACAT), une ONG qui l’a soutenu pendant sa détention, Roberto Berardi subit de nombreuses sévices en prison. « Il a été frappé et torturé d’abord au commissariat de Bata, puis à la prison de Bata. En janvier 2014, il a été maintenu à terre par des gardiens et flagellé. Roberto Berardi est régulièrement enfermé à l’isolement pendant de longues périodes», peut-on lire sur le site de l’organisation.

Dans ces conditions, son état de santé se dégrade rapidement. Lors d’un déplacement à Bruxelles en avril 2014, le président Teodoro Obiang Nguema est interpellé sur son cas. Il promet qu’il le gracierait pour « raison humanitaire ». Ce qu’il ne fera pas. Quatre mois plus tard, Roberto Berardi est condamné à deux ans et quatre mois de prison, à la suite d’un procès expéditif.

Lorsqu’il est libéré le 9 juillet dernier, il a déjà totalement purgé sa peine et a passé près de deux mois supplémentaires en prison.

Dans cette interview réalisée le 12 octobre à Paris, il revient sur son affaire et explique comment Teodorin Obiang organise le pillage des ressources de la Guinée-Equatoriale.

Attentats à Paris

[Par Marie Angélique INGABIRE]

Il est vendredi soir, le 13 novembre. Après une semaine surchargée, je rentre chez moi pour me reposer, le week-end est le seul moment où je m’occupe du ménage, fais des courses, et me repose longuement !

Paris et les attentats du 13 novembre (source: lanouvellerepublique.fr)

Paris et les attentats du 13 novembre (source: lanouvellerepublique.fr)

D’habitude je prends le métro quand je vais ou viens du boulot. Mais ce vendredi, j’ai pris une voiture, et on a emprunté la route passant par le Stade de France. 19h30, l’embouteillage est inévitable suite au match amical France-Allemagne. A cette heure-là, je suis le journal du soir. La radio France Info parle de la conférence qui se prépare sur le réchauffement climatique : la COP 21, qui aura lieu du 30 novembre au 11 décembre 2015 dans la ville du Bourget en France.
« Ce vendredi François Hollande a déclaré que la réussite de cette conférence sera fondée sur deux facteurs : Les résolutions qui seront adoptées et le maintien de la sécurité du peuple français » déclare un journaliste à la radio.
Vers 20 heures, finalement j’arrive chez moi, à 500 mètres du Stade de France, sur le boulevard Marcel Sembat. Enfin… je peux commencer mon week-end, me dis-je ! Malheureusement, ma joie ne durera pas longtemps car peu avant 22 h, des sirènes des voitures de police viennent perturber ma tranquillité. Peu avant, j’avais entendu le bruit d’une explosion mais je me disais que, dans cette banlieue de Paris, Saint Denis, un lieu cosmopolite très « chaud » et « animé», il devait y avoir des fêtes pour le week-end. Donc au départ, j’avais imaginé que ce bruit n’était autre que des feux d’artifice. Mais j’avoue que depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, le bruit des sirènes me rend perplexe. Au même moment, j’entends des hélicoptères survoler notre ciel d’une façon inhabituelle. Je me précipite vers la télé, et change de chaîne : BFMTV annonce des attentats : des fusillades viennent de faire 18 morts, des blessés, et une prise d’otages. Le nombre des victimes augmente jusqu’à 129 morts et plus de 300 blessés. Toutes les chaînes TV et différents sites web ne parlent que de cette tragédie. Pendant tout ce week-end qui tourne au cauchemar, je ne fais que rester devant la télé et appeler les connaissances vivant à Paris pour savoir si elles vont bien.
Dimanche soir, je sors de chez moi et prends le métro. Plusieurs stations sont vides, même dans les gares les plus fréquentées comme Saint Lazare ou Gare du Nord, il n’y a presque personne. Les gens se lancent des regards interrogatifs, personne n’ose parler, tout le monde semble avoir peur.

Vue panoramique de la station de métro « Gare du Nord » à Paris (source: insecula.com)

Vue panoramique de la station de métro « Gare du Nord » à Paris (source: insecula.com)

Lundi, le deuil national continue, mais aucun rassemblement ni manifestation ne sont autorisés ; une minute de silence en mémoire des victimes sera observée à midi. Je dois faire une heure de trajet en métro pour aller au boulot. Au départ, je n’en ai pas envie mais comme la plupart des parisiens, « Il ne faut pas céder à la peur. La vie doit continuer, on est dans un pays libre, où règnent EGALITE, LIBERTE, FRATERNITE ». Ainsi commence la semaine. L’état d’urgence a été décrété ; on remarque une présence extraordinaire des policiers, mais cela ne rassure pas beaucoup la population, car d’après les informations dans les médias, certains terroristes sont toujours en fuite.
Notre peur est fondée : mercredi 18 novembre, les habitants de Saint-Denis sont réveillés vers 4h20 par des explosions, le bruit d’une fusillade et des sirènes de police et des pompiers. Sans tarder, tout le monde cherche à savoir ce qui se passe, mais on attendra près de vingt minutes avant que la télé nous en parle : des terroristes se sont retranchés dans un appartement à Saint Denis, et c’est à 400 mètres de chez moi. Les consignes sont claires : personne ne doit sortir. Tout transport public est interrompu, des écoles fermées, les habitants qui sont dans les 200 mètres de cet appartement ne peuvent pas y accéder si au moment de l’assaut ils n’étaient pas à la maison. Le journal est actualisé minute par minute, jusqu’à la fin de l’opération. Mais toujours, nous ne savons pas si nous pouvons sortir, circuler librement. Je choisis de rester cloîtrée chez moi, jusqu’à jeudi matin.
Dans les tramways et les trains, les passagers semblent toujours inquiets. Un simple bruit ou un train qui est retardé suffisent pour remarquer combien ils n’ont pas le cœur tranquille. La COP 21 aura toujours lieu, mais n’a-t-elle pas déjà échoué ? La sécurité de la population de France est-elle assurée avec autant de victimes ? Est-ce que ces attentats – qui ont eu lieu au moment où l’on s’approche des fêtes de fin d’année – ne vont pas perturber l’ambiance qui d’ordinaire caractérise la « Ville lumières » ?

Je ne suis pas un arabe

[Par Mourad HAMMAMI]

Je ne suis pas un arabe !

Mes respects pour les vrais arabes ! Pas question de laisser les « cerveaux » du chaos ériger l’islam en une identité. L’Islam est une religion et ne doit en aucun cas être une identité.

islam

Symboles de l’Islam (source: français.islammessage.com)

Dieu n’est pas arabe !

Dieu n’a pas ordonné d’appliquer un Etat islamique sur Terre !

Dieu n’a pas besoin de défenseurs zélés sournois, hypocrites et violents…

Dieu n’a pas besoin d’avoir des défenseurs zélés et ignorants recrutés parmi la pègre, les repris de justice, les trafiquants, les belliqueux et les sanguinaires.

Dieu a créé la diversité et ses adeptes zélés et hypocrites veulent instaurer le contraire en unifiant le monde en une seule culture, libertaire, violente, fasciste, raciste et dévastatrice.

Je n’accepterai jamais que l’Islam fasse de moi un arabe de fait.

C’est la pus grande arnaque au nom de Dieu et de l’Islam.

Une identité artificielle

Cette violence permanente allant du Maroc jusqu’au fin fond de l’Extrême-Orient s’explique en grande partie par la déperdition identitaire.

C’est sur les décombres des autres civilisations, des autres identités qu’on a greffé une identité artificielle. C’est en écrasant les identités des Berbères, des Kurdes, des Assyriens…que l’on a imposé une autre idéologie, une autre identité et ce par la force et la violence.

Ces peuples depuis l’effacement de leur identité sont comme des organes génétiquement modifiés (OGM). Ils sont dans l’égarement permanent. Cette perte de repères crée des dysfonctionnements et des perturbations psychologiques et sociologiques importantes qui aboutissent à des impasses et à des violences inouïes.

En Iran, qui est pourtant un Etat islamique, l’on enregistre moins de violence et d’égarement. Car tout simplement l’Iran a su comment conserver en partie son identité. On ne peut assimiler l’Islam à une identité… car, dans le sillage de l’Islam exporté, on glisse une culture venue de l’Arabie et de surcroît, une culture rétrograde, figée à 14 siècles en arrière. On ne peut imposer ou inculquer une culture de l’Arabie à des peuples situés à une dizaine de milliers de kms de là.

La Kabylie est connue pour son Islam modéré et équilibré. Car malgré des attaques, cette région a su comment constituer un système de défense pour ne pas céder à l’Islam idéologique, l’Islam dogmatique. Elle accepte l’Islam spirituel, l’Islam tout court.

Pour sauver l’Islam il faudra combattre frontalement l’islamisme

Il est clair que la priorité est à la lutte armée contre ces gens violents et barbares, mais au-delà, si l’on souhaite garantir l’avenir, il faudra bel et bien attaquer le mal dans ses racines. L’une de ses racines est cette dépravation, ce détournement des identités au nom de Dieu et de l’Islam.

Non je ne suis pas un arabe. Je suis musulman et j’assume bien mon islamité. Non jamais je ne considérerai que l’Islam est mon identité. Ni l’Islam ni aucune autre religion ne peuvent constituer une identité. Pour sauver l’Islam il faudra combattre frontalement l’islamisme.

A bon entendeur, salut.

Je suis Sarah la syrienne, je cherche mon cadavre

[Par Rana ZEID]

Version originale publiée sur Souriahouria.com le 3 août 2015.

Traduit de l’anglais au français par Yassin Jarmouni.
Révision de l’arabe au français par Lina Zafer Hadid.

Je suis Sarah la Syrienne, je cherche mon cadavre dans une fosse commune

Illustration de Rania Moudaress

Illustration de Rania Moudaress

Je suis Sarah Jamil. Je ne suis pas Tina Modotti et je ne sais rien non plus sur la Révolution.

Le 22 avril 2011, le jour du vendredi saint ; j’ai vu des personnes habillées en gris. Leurs yeux avaient l’air de loups apprivoisés privés de leur volonté pendant des décennies. Leurs applaudissements étaient plutôt des gémissements qui résonnaient dans les montagnes : « Liberté … liberté » Le régime syrien était terrifié. La force collective des masses est sa bête noire. La toute-puissance est essentiellement la peur de la force du peuple. Cependant le jugement de conviction est une alternative mentale à la frustration amère qu’avaient les manifestants.

J’étais habituée à passer mes journées, seule chez moi pas loin de l’entrée Est d’al- Ghawta, dans un village de Damas. L’entrée était décorée avec des photos d’Assad. Un jour, j’ai même imaginé qu’il devait y avoir une statue à l’entrée d’une ville proche, Assad apparaissait nu, « son membre » caché par une écharpe de pierre, alors qu’un agent nain intelligent entourait sa jambe dans une incarnation de la personne qui se considère comme le démon du pays.

Leurs voix résonnaient comme le feraient de grandes quantités d’eau déversées dans les quartiers résidentiels ruraux après une longue absence. Elles ont submergé le silence de Damas, et l’ont averti lui et son mouvement maladroit, de la présence de la sécurité et de l’intelligence de la place des Abbasides ainsi que de la prolifération de snipers sur les toits. La zone résidentielle de Damas est à la fois fragile et séquentielle. Comme une couche d’oignons, on ne trouve rien après l’avoir enlevée à part des grosses larmes. Je pensais que c’était une mobilisation temporaire causée par les villageois que je voyais quotidiennement, prenant leur place dans un micro bus, s’entassant dans le couloir minuscule ou sur les sièges pour rentrer chez eux sous un volcan de malédiction. Leurs habits étaient couverts de poussière alors que leurs cœurs chantaient et brillaient dans l’obscurité de la nuit.

Je fus prise par une crise de larmes quand les manifestants sont passés à côté de moi. Ce jour-là les gens venaient de zones rurales différentes mais leur destination commune était la place des Abbasides, qui se trouve dans le centre de la capitale, Damas. Quand j’étais petite, un jour, je fus propulsée à Lailat al Qadr pour aller prier dans la mosquée. J’avais beaucoup pleuré quand j’avais vu le Sheikh al Bouti en larmes à la mosquée al-Iman dans le quartier d’al-Mazra’a. Je pensais qu’il était triste à cause de ma misère alors j’ai pleuré pendant longtemps mais en vain.

Pendant que je le regardais, je pleurais comme s’il s’agissait d’un processus de purification de mon âme devant Allah pour les péchés du Diable opérant. Soudain poussée par un manifestant, l’idée me vint de rejoindre la révolution syrienne à la place des Omeyades. Il m’a dit qu’on serait des millions à protester. Je m’étais laissée porter par l’émotion et j’avais commencé à prendre des photos et à les envoyer de façon anonyme pour qu’elles soient publiées.

La route entre la municipalité de Damas et la campagne m’avait fatiguée, moi qui ne connaissais rien sur la révolution mise à part les têtes des rebelles. Le lendemain, le chauffeur de taxi qui avait bloqué toutes les portes de la voiture m’avait dit : on a enlevé leurs corps avec des bulldozers. Vous savez que moi aussi j’ai participé? Je lui avait répondu « C’est un devoir, on doit détruire les cerveaux, si vous pensez à ça, déposez moi aussi ».

Ils avaient tué des centaines de manifestants dans le massacre d’al Zablatani et j’avais traversé le massacre, des rues de meurtres en direction de la ville.

Pendant le siège de la campagne on ne pouvait pas respirer. Le vide des routes froissait les têtes des manifestants comme des ballons. Traverser une rue était comme être pris dans une machine du temps. Est-ce que j’étais un être vivant ou un mort? On pouvait se le demander.

La voiture dans laquelle je voyageais a été atteinte par le tir d’un snipper. La rue était la même que je parcourais quand je rentrais chez moi sans ressources il y a des années. Là un sniper avait tiré mais je n’étais pas morte, seulement une voiture a été touchée. On a pris des allées sur les côtés où des fantômes huaient et rigolaient. J’avais entendu le son d’objets, matériaux et corps percés par des balles. J’avais commencé à palper mon dos avec ma main. J’avais fait une courte crise de panique, je pensais que la balle avait traversé mon corps, je voyais du sang et des blessures. J’avais commencé à jouer le rôle, le rôle de voir comment mon esprit pourrait émerger de mon corps. C’était important que je maîtrise l’acte de décéder pour ne pas me tromper devant eux et avoir l’air d’une martyre stupide.

L’armée arabe syrienne a pris ses positions de combat comme le fait l’armée Israélienne, prête à faire feu et se cacher en attendant, effrayée par les manifestants désarmés. J’avais vu des soldats assis blottis sous les ponts, comme des embryons du diable. Après le jour du vendredi saint, la campagne de Damas, d’Homs … de toute la Syrie s’est transformée en une vaste plaine où les voleurs et bandits traînaient, comme ce fut le cas en Russie de Tchekhov.

À Homs, un soldat se cachait derrière une barricade de sacs remplis de sable. À un feu de circulation, il avait l’air de tirer sur n’importe quelle personne qui le regardait comme s’il voulait montrer qu’il était un démon ou qu’il voulait le devenir .
Je tremblais comme une personne qui savait bien qu’il fera face à sa décapitation à un moment donné. Mais l’enquêteur stupide, m’avait déclaré non coupable. Le parti Baath syrien ne fournit jamais d’outils informatiques à son personnel de sécurité, mais leur donne des bâtons, des balles, des bandes adhésives et des ongles.

L’officier de sécurité m’a dit : « Je ne veux pas porter une arme. Ils m’ont forcée. J’ai peur des manifestants »
Le capitaine : « Qui sont-ils ? »
Moi : « Les manifestants. Ceux qui crient : Liberté, liberté, liberté »
Le capitaine : « Qu’est-ce qu’ils criaient encore ? »
Moi : « Ils ne criaient pas. Ils portaient des pancartes claires écrites à la main qui disaient : Maher al-Assad ne touche pas à mon peuple »
Le capitaine : «Vous êtes folle ? »
Moi : « Non, décidément non, Colonel »
Le capitaine, avec un certain plaisir: « Je suis un capitaine, je ne suis pas un colonel »
Moi : « J’espère que vous deviendrez un jour Général, Monsieur. Je crois que son excellence Dr. Bachar al-Assad a annulé les lois d’urgence. Pourquoi suis-je ici ? »
Le capitaine : « Vous êtes en train d’halluciner. Qui est ce Bachar al Assad ? »
Moi : « Bachar, le diable, celui qui terrifie les plantes de cactus dans les bosquets d’al Mazza »
Le capitaine : «On est tous Bachar »
J’ai été relâchée parce que mon mari appartient à une minorité.

Une heure après ma libération, je me suis sentie sous l’impact de la torture psychologique dont les cicatrices m’ont accompagnée pendant les trois années suivantes. Mon passeport avait une photo personnelle sans caractéristique. Une photo qui ne me ressemblait pas. Le miroir montrait une loupe qui mangeait sa propre main. J’étais un cadavre avec une odeur neutre.

Si j’avais su que le monde était un monde d’assassins, j’aurais crié « Revenez camarades, mangez mon corps, mais ne partez pas. La révolution n’est pas ici! Elle est juste dans les quartiers pauvres de Damas. Seulement les affamés sont mangés par le monstre ».

Un journaliste avait enquêté sur moi. Je savais qu’il était en contact direct avec l’office de Buthaine Sha’ban, alors j’avais menti sur ma vraie opinion politique, dès lors que la plupart des médias étrangers en Syrie sont surveillés par un personnel qui coopèrait avec la sécurité. Il m’avait dit: Tais toi! Le téléphone était décroché pendant notre conversation. Je ne lui avais pas demandé quelle branche de la sécurité était en ligne. Je lui avait juste chuchoté «Ils ont raccroché depuis longtemps. Ne vous inquiétez pas, notre discours n’est pas équivoque ».

Je suis Sarah Jamil. Mes cheveux châtains sont lâchés au vent. « Vas y! N’y va pas ! Va mourir! Moi, qui ne savais rien sur la révolution. Mon fin t-shirt d’été avait été tiré par l’un des hommes de la sécurité au point de contrôle de la route principale entre Homs et la campagne de Damas d’un côté et la ville de Damas de l’autre. Là-bas, près de la piscine Tropicana ou devant le panorama de la guerre de libération d’octobre ; musée des victoires contre l’ennemi brutal, le régime syrien a battu ceux qui ont survécu au massacre de Ghawta de l’est et la plupart ont été arrêtés. Mes cheveux volaient. Ils me saluaient. Ils voulaient que je prenne plus de photos. Salut les rebelles de Saqba, ‘Ain turma, Kfur Batna, Harasta et Doma … je suis votre sœur Sarah, tuée par le geôlier et envoyée à la ville des prostituées. Je garde mes craintes à chaque point de contrôle . Je suis Sarah Jamil ; mon corps est une proie pour les corbeaux. Est-ce que vous y retournerez après la mort ? »

J’avais entendu des voix me dire : « Hé Sarah, n’aie pas peur ! Fais semblant d’avoir peur de nous, et le chemin vers la mort se passera ». J’avais l’habitude de frémir et de défendre que j’étais contre toi. La Dochka se trouvait juste devant moi pendant que de longues files de tanks creusaient la terre. Avant ça j’avais marché avec un grand sac sur les épaules pour essayer d’échapper au siège . Le sniper me regardait avec son arme dans ses mains, il pouvait me transformer très vite en filet pour chasser des papillons. J’avais salué les soldats, les tueurs, comme un traitre confident. Ensuite la quatrième brigade m’arrêta à la barrière. J’avais mal partout. Je lui dis que les groupes armés allaient brûler ce pays, alors il devait me laisser partir pour échapper à l’humiliation et à la détention. Finalement il me laissa partir pour Damas.

Je pensais à l’amour. Mais maintenant je suis un corps avec des grandes contusions, un corps qui est bombardé à chaque fois que je suis triste et qui se noie dans les moments de joie.

Je suis Sarah la frustrée, Sarah l’affamée, Sarah la morte. Avez-vous trouvé mon corps parmi les corps de la cimetière commune ? Moi-même je le cherche depuis ce jour. Je veux l’embrasser, le serrer dans mes bras et ensuite l’enterrer. S’il vous plait, ne me saluez plus, car je crois toujours que le régime de Bachar al-Assad peut me surveiller. Je suis dans un état constant de trouble psychologique. Je n’ai pas quitté ma maison depuis deux ans maintenant. Enterrez mon corps perdu à la campagne.

J’étais arrivée au centre de Damas. Tout était normal. Les visages civilisés de la ville ne pouvaient plus rien supporter. J’étais fâchée contre moi-même et aussi contre ces visages qui pourraient me dire une phrase : « vous n’avez pas le luxe de la détention ». Quelle malédiction a pu atteindre la langue de mon interlocuteu ! J’avais répondu . « Parlons de cette nuit, très obscure, que Modigliani a passé avec Anna Akhmatova ».

 

France – Allemagne (2-0) : la victoire du deuil

[Par Emile Zola NDE TCHOUSSI]

Le succès des Bleus, deux zéro, sur la nationalmannschaft, finalement anecdotique, a été obtenu dans un contexte d’horreur à Paris. Retour sur une soirée de vendredi 13 novembre maudite.

(source : lemonde.fr)

(source : lemonde.fr)

A la fin de la partie vendredi soir, le journaliste Keyvan Naraghi de l’Agence France Presse (AFP), assis à mes côtés en tribune de presse au Stade de France a, dans une voix teintée d’émotion, résumé cette soirée dramatique : « Même sans deux de ses leaders techniques, Karim Benzema et Mathieu Valbuena, l’animation offensive des Bleus a bien fonctionné. Mais avec ces multiples attentats sur Paris et cette sortie difficile du stade, on ne retiendra de ce match que le nombre de morts de cette triste journée … »

Comment en est-on arrivé là ? Pourrait-on se poser la question ? Vers la 17ème minute de jeu, pendant que Français et Allemands se neutralisaient sur une pelouse du Stade de France, très vite transformée en champ de patates, une forte détonation a retenti, puis une deuxième trois minutes plus tard.

Des clameurs se font entendre dans le public. Les spectateurs pensent alors qu’il s’agit d’un simple gros pétard. Le match continue sans encombre. Les Allemands sont légèrement dominateurs. Mais sur deux nettes occasions, Mario Gomez et Thomas Müller, vont se montrer maladroits face au portier français, Hugo Lloris. Poussés par leurs nombreux supporters, les Bleus ouvrent le score pendant les arrêts de jeu de la première mi-temps. Anthony Martial ayant donné le tournis à un défenseur allemand sur la ligne, avant de servir idéalement Olivier Giroud. Le stade de France exulte.

Fusillades à Paris

Pendant la pause, informé des multiples fusillades en plein Paris, le président François Hollande, qui assistait à la rencontre, est exfiltré du Stade de France. Un hélicoptère survole pendant longtemps le stade. Dans les travées, l’affaire du « chantage à la sextape » qui alimentait les commentaires avant le début de la partie, est désormais relayée au second plan. En tribune de presse, c’est l’agitation : les journalistes, grâce à la WiFi du stade, sont informés des drames qui se déroulent au Bataclan et ailleurs.
L’on appendra plus tard, que le préfet de police, a vite identifié les deux explosions comme étant des actes terroristes. Il est alors demandé à Philippe Tournon, le responsable de la communication des Bleus, et à Didier Deschamps, le sélectionneur, de ne pas informer les joueurs qui sont encore au vestiaire. Il est décidé, dans un souci de sécurité publique, de poursuivre le match.
Lors du deuxième acte, Thomas Müller trouve le poteau, à la 77 ème minute. La France, qui a une meilleure maîtrise de la partie, double la mise à la 86 ème minute, pendant qu’un hélicoptère survole le stade. André Pierre Gignac qui venait de faire son entrée, à la place d’ Olivier Giroud, a, à la suite d’un joli mouvement orchestré côté gauche par Evra et Matuidi, marqué d’un coup de tête puissant. C’est ainsi que les Bleus ont battu, sous haute tension, le champion du monde en titre en match amical vendredi dernier.

Coli suspect

A la fin de la partie, le speaker du Stade de France explique qu’il y a eu un «incident» à l’extérieur et annonce la fermeture de la sortie Est ainsi que l’accès au parking. De la tribune de presse, nous constatons que les chaînes diffusent, sans cesse, les images de la prise d’otages du Bataclan. Les joueurs regagnent les vestiaires mais s’arrêtent dans le tunnel… Une télévision diffuse les images en direct des attentats. Les Bleus sont tourmentés. Les conférences de presse des sélectionneurs sont annulées.
Plusieurs appels au calme sont lancés et les supporters quittent lentement le stade, mains en l’air ou sur la tête, passant au milieu d’un double cordon de sécurité. Les policiers, nerveux, ont tous le doigt sur la gâchette. Arrivés à la station « Plaine-Stade de France», vers 23h30, sur la ligne du Rer B, des centaines de supporters, certains drapeau bleu-blanc-rouge en main, font demi-tour pour une autre raison. Les agents de sécurité de SNCF annoncent « un coli suspect » à la gare du Nord. Tous les transports publics sont à l’arrêt. Ce mouvement de foule fait refluer une partie des spectateurs à l’intérieur du stade, la pelouse et les alentours du stade deviennent alors le lieu d’attente pour des centaines d’entre eux.
Au petit matin de samedi 14 novembre, Paris est une ville en deuil. La gare du Nord, habituellement très bondée, est quasi déserte. Vers 6h, sur la ligne 4, le conducteur « pour des raisons de sécurité » est contraint de sauter la station Strasbourg Saint-Denis. L’on appendra de sources sûres, selon un dernier bilan, que les multiples attentats de Paris est de 129 morts et 352 blessés dont 99 se trouvent dans « une urgence absolue »; que les Bleus «choqués» ont été évacués du stade à 2h55 en direction de Clairefontaine; que les Allemands, également «offusqués» ont passé la nuit dans les vestiaires et ont regagné l’aéroport directement au petit matin. Enfin, le match amical Angleterre-France, ce mardi à Wembley, longtemps incertain, est maintenu.

Mon combat continue : le témoignage de l’Azerbaïdjanais Agil Khalil

[Par Yvette MUREKASABE]

“Je voulais que justice soit rendue, que les autorités de mon pays reconnaissent leur responsabilité pour tout le mal qu’ils m’ont fait, mais mon combat est loin d’être fini”, me confie Agil Khalil, en ce moment. Il me fixe droit dans les yeux mais son regard est surtout tourné vers son pays. Il repense sûrement à tout ce qu’il a enduré ainsi qu’au calvaire que peuvent vivre ses confrères qui sont encore là-bas.

3“Le régime dictatorial qui m’a contraint à l’exil est toujours là. Je sais que rien n’a changé et je me battrai jusqu’à la fin contre ce système corrompu” ajoute-t-il.

Journaliste d’investigation pour le principal quotidien de l’opposition “Liberté”, il s’exile en France après des années de lutte et de persécutions par les autorités de son pays. Une fois sur place, il porte plainte contre cet Etat à la cour européenne de justice (CEDH) en 2008. Six ans après, le 29 octobre, le verdict est rendu: son gouvernement est reconnu coupable des actes de tortures morales et physiques dont il a été victime.

“Je ne suis pas satisfait et mon combat est loin d’être fini. Les vingt-huit mille euros de dédommagements qui me seront versés par le gouvernement Azerbidjanais ne peuvent en aucun cas me laver de toutes les humilliations et de toutes les peines que j’ai endurées; je ne dépenserai aucun centime”. Il rajoute ensuite avec compassion: “Je les donnerai aux prisonniers politiques de mon pays, qui croupissent dans la misère. Le reste sera pour mes confrères Azéris et pour les organisations qui m’ont accueilli et soutenu en France, principalement la Maison des journalistes de Paris”.

Agil garde espoir qu’une nouvelle ère viendra et qu’il pourrait repartir dans son pays. Il reste optimiste qu’un jour l’Azerbaïdjan deviendra un Etat de droit et que tous les citoyens azerbjadaïnais pourront jouir de la liberté d’expression et les journalistes pourront exercer leurs métiers en toute liberté.

Le secret du roman : Hommage à la MDJ

[Par Maha HASSAN]

Est-ce le hasard si la Maison des journalistes est la dernière adresse que j’ai vue avant de quitter Paris ? Ou est-ce un hasard objectif, comme l’appelait André Breton, comme en un roman qui me pousse à écrire ce qui suit avant de quitter Paris ?

(Auteur : @ENPC)

(Auteur : @ENPC)

Quand je suis arrivée à Paris pour la première fois, j’ai eu la chance d’être logée à la MDJ au bout de quatre mois de mon séjour parisien.
Quand je suis arrivée, également pour la première fois dans le quinzième arrondissement et que je suis descendue au métro Javel, j’ai presque poussé un cri de surprise en regardant le Pont Mirabeau.
En Syrie, sans connaître ce pont, sauf par le poème d’Apollinaire, mon premier roman commence par la chanson que mon héros écoutait : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine… ».
J’ai publié mon premier roman, L’infini, en 1995, et me retrouve dix ans après à côté du Pont Mirabeau.
Et voilà, dix ans encore après mon arrivée à la MDJ, je prépare mon départ de Paris. Le secret du roman me pousse encore une fois vers la Maison des journalistes, comme s’il me fallait dire au revoir au Pont Mirabeau où coule la Seine.
Un ami romancier et journaliste qui a quitté son pays en fuyant la guerre et les menaces des djihadistes arrive à Paris une semaine avant mon départ.
J’ai contacté Darline, la directrice de la Maison, pour prendre un rendez-vous pour cet ami ; Darline me donne aussitôt une date, serrée, un jour juste avant mon départ.
Je vais avec mon ami pour le présenter à la MDJ et chercher son soutien. On passe devant le Pont Mirabeau comme si je le faisais il y a dix ans, comme si ces dix ans ne s’étaient pas écoulés.
Depuis la Syrie en 1995, à Paris en 2005 puis en 2015, le Pont Mirabeau m’accompagne.
Ce n’est donc pas le hasard qui me ramenait à la MDJ un jour avant de quitter Paris, mais le roman. Le roman qui a créé un lien secret entre le Pont Mirabeau, mon roman et le roman de mon ami, pour lequel je suis allée à la MDJ.

(source : http://les-balades-de-yaya.over-blog.com/)

(source : http://les-balades-de-yaya.over-blog.com/)

Aujourd’hui, une semaine est passée… Je suis dans mon nouvel exil, mon deuxième exil. Mon ami vient de m’appeler pour m’annoncer que Frédéric (qui travaille à la MDJ) lui avait trouvé une chambre pour demain. Il pourra ainsi commencer son nouveau chemin à Paris, celui que j’ai moi-même terminé.
Mon ami dont je ne veux pas dévoiler le nom, va mettre à son tour, les pieds sur le chemin de son premier exil, alors que moi, en même temps, je m’engage dans mon second exil.
Entre ces exils, entre Paris et la Bretagne, la seule différence, la grande différence est que je sens naturellement que je suis chez moi à Morlaix, où le sentiment d’exil se confond avec la sensation d’être chez moi. J’en suis à penser que le secret du roman c’est vivre toujours en exil, même si on vivait dans son pays natal. L’écriture même est un acte d’exil. On se déplace entre réalité et fiction.
Finalement, la sécurité de l’exil français est indispensable pour les journalistes et écrivains- journalistes pour vivre leur exil intime, l’exil intérieur. Sans la sécurité de l’exil extérieur nous ne pouvons pas écrire et nous déplacer dans le grand terrain de l’exil choisi.
La Maison des journalistes est un grand pas pour trouver cette sécurité recherchée et pour y vivre tranquillement notre exil.