Ali al-Muqri : « Au milieu des lycéens je me sens en famille »

[Par Bernadette COLSON]

Jeudi 7 avril 2016, le romancier et journaliste yéménite Ali al-Muqri ne cache pas son plaisir de se trouver devant les lycéens du lycée Albert Einstein de Sainte Geneviève des Bois. « Je suis heureux de vous voir car vous avez l’âge de mes enfants que je n’ai pas vus depuis onze mois, dit-il. Alors, ici, je me sens en famille ».

Le 14 octobre dernier, il était l’invité de l’Institut du monde arabe afin d’y recevoir la mention spéciale du prix de la Littérature arabe pour son livre « Femme interdite ». Des amis lui ont conseillé de rester à Paris. La guerre et l’empêchement d’écrire lui ont fait accepter cet exil, explique-t-il aux jeunes avec qui, durant deux heures, il feuillettera son album de photos de famille, en toute confiance, leur livrant ainsi ce qu’est l’âme d’un écrivain qui défend sa liberté d’expression.

(Source : MDJ)

(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

« La guerre est cruelle ». Le conflit entre les Houthis alliés à l’ancien président Saleh et la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite qui soutient le président Hadi a fait un grand nombre de victimes et jeté des milliers de personnes sur les routes.

Bombardements, tirs d’artillerie à l’aveugle sur les zones civiles, attentats d’Al Qaïda dans la péninsule arabique qui reprend de la vigueur sur ce terreau chaotique, la population du Yémen subit cette violence au quotidien, contrainte à une vie précaire sans eau ni électricité depuis plus d’un an. « Le camp militaire à côté de chez nous, à Sanaa, a été bombardé et nous nous sommes retrouvés à la rue, nous avons déménagé à Ta’izz ». Ali Al Muqri ne parvient plus à écrire.
Or, l’écriture est son « obsession personnelle » depuis l’âge de 18 ans. Son premier roman « Black Taste, black Odour » en 2009 parle des Achdam, minorités noires arabisées victimes du racisme et du dégoût qu’inspirait à la société yéménite leur vie de marginaux.

A travers « Le beau juif » dont il situe l’intrigue au XVIIème siècle, il n’hésite pas à dénoncer l’intolérance religieuse, le conflit des religions et les nombreuses vexations subies par la communauté juive. Celle-ci, extrêmement réduite aujourd’hui, lutte encore pour sa survie alors que sa présence est inscrite dans l’histoire du pays.

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

Le judaïsme a été la première religion monothéiste à pénétrer au Yémen ; ce fut même à la fin du IVème siècle la religion officielle du royaume Himyarite qui gouvernait la région. Avec

« Femme interdite », Ali al-Muqri dénonce une société hypocrite qui enferme les femmes dans une non-existence. Avec de tels sujets, les menaces de représailles se sont accumulées sur l’écrivain. Tous ses livres ont été publiés au Liban par l’éditeur Dar al-Saqui de Beyrouth.
« Le beau juif » et « Femme interdite » ont été traduits en français aux éditions Liana Lévi.
Sa bibliographie reflète une autre obsession d’Ali al-Muqri, celle de la liberté « aussi indispensable que l’air qu’il respire ou que l’eau qui lui donne vie ».

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(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

 

Pour comprendre d’où lui vient cette soif à épancher, peut être faut il remonter le cours de son enfance et en évoquer quelques épisodes. Celui d’un garçon, né en 1966, qui faisait le trajet à pied de son village jusqu’à l’école, à une heure et demie de marche de sa maison, et parfois s’enfuyait pour aller au cinéma car il y avait trop de punitions en classe. Celui encore du gosse ami avec les Achman car il trouvait qu’ils étaient plus libres que lui. Celui enfin de cet enfant qui, parce qu’il était encore tout jeune, pouvait entrer dans la prison des femmes, à côté du restaurant où il travaillait, leur apporter leur nourriture et les observer. « Cette expérience m’a fait réfléchir. Avec ces femmes là, j’ai pris une leçon sur la liberté ».

Depuis, il lutte contre la dictature de la pensée unique ; dans ses ouvrages, il convoque l’histoire qui a fondé son pays comme pour sortir de l’amnésie ceux qui prêchent une culture dominante et enterrent la diversité des êtres humains.

(Source : MDJ)

(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

Aux lycéens qui lui font face ce jeudi 7 avril, il n’hésite pas à dire que ses enfants lui manquent et qu’il est toujours inquiet d’apprendre des mauvaises nouvelles. « Celui-là avec ses cheveux longs, dit-il en désignant un jeune assis en face de lui, il m’évoque mon fils qui s’était laissé pousser les cheveux mais a été contraint de les couper. C’est un souvenir qui fait mal ». Non sans fierté, il nous présente la photo de sa fille, prise lors d’une manifestation de rue du « printemps arabe » en 2011, elle arbore à la ceinture la janbiya, le poignard traditionnel réservé aux hommes. On se dit que la graine de la liberté a bien été semée.

A la Maison des journalistes où il est réfugié, Ali al-Muqri se sent aussi « en famille » et il a recommencé à écrire. Un livre sur un dictateur, un autre sur Rimbaud à Aden, et puis peut être évoquera-t-il un jour ce petit garçon de la prison des femmes.

 

 

Renvoyé Spécial à Créteil : « L’Afghanistan, mon paradis perdu…»

[Par Bernadette COLSON]

Le bi- place posé à une aile d’avion de l’entrée principale du lycée est là pour nous rappeler la présence sur le site d’un club aéronautique et l’implication du lycée Edouard Branly de Créteil dans les projets scientifiques. Ce mardi 22 mars, on peut aussi y voir l’envol de la curiosité de lycéens de Seconde, piqués au vif du jeu des questions/réponses, grâce à la profondeur dramatique de la parole de Khosraw  Mani, journaliste et écrivain afghan, renvoyé spécial de la Maison des journalistes .

©Lisa Viola Rossi

©Lisa Viola Rossi

Pour présenter « son pays », Khosraw  invoque un passé plus lointain, celui qui a laissé  des vestiges des civilisations persanes, il évoque Hérat « la ville la plus artistique », avec une école datant du XVème siècle à l’origine des plus beaux chefs d’œuvre de la miniature persane, et puis Balkh d’où est originaire le poète Roumi (1207-1273) mystique persan qui a influencé le soufisme, et encore Kandahar, « berceau du bouddhisme ». Son prochain roman, en anglais, a pour toile de fond une fresque  historique sur sa ville natale, Kaboul, depuis la première guerre anglo-afghane de 1839 jusqu’à l’arrivée des Talibans en 1992.

Le présent de l’Afghanistan pour Khosraw, c’est « une histoire pénible » dont il s’excuse devant son auditoire, dans un français très châtié. A 29 ans,  il a toujours connu son pays en guerre.

« J’étais enfant quand les Talibans étaient au pouvoir, la musique était interdite, la barbe pour les hommes et la mosquée étaient obligatoires. J’ai porté un turban. Je m’en souviens, j’ai vécu ça. Une seule personne, le commandant Massoud a lutté contre les Talibans. En septembre 2001, il a été tué par deux faux journalistes tunisiens, juste avant les attentats contre le World Trade Center. Ben Laden n’a pas été livré aux Américains car c’était contraire à la culture d’hospitalité  de mon pays. J’étais lycéen comme vous, poursuit-il, à la chute des Talibans en 2001, une république islamique s’est mise en place, l’espoir est revenu. Mais en 2005, les Talibans ont resurgi, maintenant ils sont partout. Sous les Talibans, la vie est interdite, on n’a pas le droit d’être vivant ni joyeux. Aujourd’hui la violence est présente au quotidien, celle des attaques des insurgés contre les forces afghanes, celle des attentats des terroristes de l’état islamique. J’ai survécu à deux attentats suicide où quatre de mes amis sont morts. »

©Lisa Viola Rossi

©Lisa Viola Rossi

En 2008, étudiant en droit et sciences politiques, sa passion est déjà le journalisme et l’écriture, il s’exprime dans un petit journal révolutionnaire qui donne la parole aux étudiants. Deux ans plus tard, il travaille pour la radio Free Europe sur des reportages sur la vie sociale et l’histoire des intellectuels.

La situation de la presse est alors en train de changer. La liberté d’expression qui s’était développée après 2001 est prise dans une spirale descendante avec la multiplication des intimidations, menaces et agressions contre les journalistes, « les journalistes libres », ceux qui traitent des questions sensibles comme le droit des femmes, la corruption, les extrémismes, les chefs de guerre. Ces atteintes à  la liberté de la presse émanent aussi bien de membres du gouvernement que des insurgés. Elles croissent d’autant plus qu’il n’y a pas de réponse judiciaire à ces exactions.

En 2012, deux motards agressent Khosraw quand il rentre chez lui. « La première chose que j’ai sentie c’est un coup derrière ma tête, raconte-t-il, la seule chose que j’ai faite a été de crier, des gens sont venus à mon aide, les agresseurs se sont enfuis ; une semaine avant cet incident, un ami avait été tué. Ma mère m’a dit : tu ne peux plus travailler là, je ne veux pas perdre mon fils ! »

En 2012, toujours pris par la passion du journalisme, il travaille pour la presse écrite, il est responsable d’un journal littéraire. En 2015, il écrit un article sur le site de la BBC à propos d’une jeune fille lynchée à Kaboul, le 19 mars, car elle osait s’adresser à un mollah. Dans cet article, il y dénonce « la religion comme identité alors qu’elle doit rester une affaire privée » et « le gouvernement corrompu qui a permis aux extrémistes d’être actifs dans la capitale ». En juin 2015, il publie un roman dans lequel il critique les modèles culturels et sociaux de l’Islam politique. «J’ai fui après cela, précise-t-il. Je suis arrivé le 31 août à Paris ».

Il ne rentrera pas dans son pays tant que la situation sera dangereuse pour les journalistes. Huit d’entre eux sont morts dans un attentat en janvier dernier. « J’ai envie de vivre », répond-il à Amar qui l’interroge.

« L’Afghanistan est miné par une guerre religieuse et ethnique, explique-t-il.  Nous avons subi  l’introduction de l’idéologie communiste dans notre pays dominé par le système féodal puis celle du fondamentalisme religieux. Mais nous sommes aussi responsables, nous les Afghans, de cette situation,  nous sommes le problème, nous devons trouver des solutions ».

Khosraw a du mal à imaginer aujourd’hui son pays en paix, mais pourtant, tient-il à préciser « sans la guerre, l’Afghanistan, c’est mon paradis, mon paradis perdu ».

©Lisa Viola Rossi

©Lisa Viola Rossi

Il a choisi la France comme terre d’exil, parce qu’il est écrivain et que Paris est le seul lieu où il « se sente calme et où il est toujours occupé ». Il a vécu les attentats du 13 novembre avec « sang-froid ». « Pour cette raison, dit-il,  j’ai eu peur de moi-même, ce n’est pas normal de ne pas craindre les attentats ». Dans son envie de vivre, il y a aussi la volonté de cet intellectuel afghan de retrouver des émotions « humaines ».

Devenir citoyen, devenir acteur, se former, tel est l’intitulé du projet d’établissement du lycée Edouard Branly de Créteil. On peut y ajouter …se mettre dans la peau d’un journaliste. Les élèves de Seconde encadrés par Sophie Hervas, professeure

documentaliste, et Clothilde Immel, professeure d’histoire-géographie ont bien joué leur rôle d’intervieweur. Dans le cadre de leur projet d’éducation aux médias (PEM), ils ont eu, pour l’instant, trois heures de cours sur les écrits journalistiques. Dans les jours qui viennent, ils devront choisir entre la brève, le reportage ou l’interview pour rendre compte sur le blog du lycée de leur rencontre de deux heures avec Khosraw Mani. Ils n’ont pas eu le temps de prendre des notes mais leur attention a été soutenue et leurs questions bien réfléchies.  Mais surtout les réponses de Khosraw  parlent au cœur et ne peuvent s’effacer facilement.

 

Homayoun Sakhi, maître de lute Afghan au Théâtre des Abbesses

[Par Mortaza BEHBOUDI]

​Le samedi 13 février dernier, le maître afghan ​Homayoun Sakhi, virtuose du rubab, ​et son musicien ont donné un concert de musique traditionnelle Afghane au Théâtre des Abbesses. Cette musique originale a attiré un grand nombre de curieux, ravis de découvrir de nouvelles mélodies.

Le rubab est dérivé d’un autre lute, le sarod, que l’on peut trouver dans différentes musiques classiques du nord de l’Inde depuis plusieurs siècles. Cet instrument intimement lié à la personnalité d’Homayoun Sakhi, qui en parcourant le monde, contribue à propager la notoriété du lute Afghan.

(Source : AFP)

Homayoun Sakhi (Source : AFP)

Homayoun Sakhi, est un des meilleure joueur de rubab de sa génération, un virtuose brillant. Lorsqu’il joue, il dégage un vrai charisme musical, une aura spéciale. Durant les nombreuses années de conflits que l’Afghanistan a traversé, la musique a été sévèrement contrôlée, censurée et réprimée, avant d’être finalement complètement bannie par les Talibans. C’est donc une chance d’avoir parmi nous des musiciens capables de jouer encore si bien de cet instrument typique.

Le style du rubab classique auquel Homayoun a dévoué toute sa carrière, n’a pas seulement réussi à survivre à toutes ses années, mais a aussi atteint de nouveaux niveaux de créativité. Une harmonie de sons colorés où l’on ressent le mélange des traditions pachtounes, tadjiks, hazaras ou encore baloutches.

 

 

Le beau Juif de Ali Al-Muqri: un hymne à l’amour et à la laïcité, entre passé et présent

[Par Lisa Viola ROSSI]

« Et puis l’an mille cinquante-quatre du calendrier musulman est arrivé… C’est cette année-là, après que le vent du siècle m’ait bousculé et que la mort m’ait envahi, que j’ai décidé de narrer la chronique de Fatima, depuis le jour où je l’ai rencontrée jusqu’au moment où j’ai enfin fait corps avec mon rêve – union qui devait donner naissance à deux jumeaux : l’espoir et la tragédie ». Ainsi commence Le beau Juif de Ali Al-Muqri (Liana Levi, 2011), sélectionné en 2011 pour le Prix International du roman arabe. Écrivain et journaliste yéménite, Ali Al-Muqri est aujourd’hui en exil dans la Maison des Journalistes de Paris pour s’échapper à la guerre et aux fatwas des fondamentalistes islamiques qui criaient au scandale la veille de sa publication.

alialmuqriParce que Le beau Juif raconte une histoire d’amour interdite. Une histoire qui fleurit en 1644 au Yémen, à Rayda, ville à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale, entre Fatima, jeune et instruite musulmane, fille du Mufti du lieu, et Salem, le beau juif fils analphabète de l’artisan du marché citoyen.
« Là, nous nous sommes installés face à face, et elle a commencé à écrire au tableau : « Sîn … … alif…. lâm… mîm… Salem ». J’ai aimé mon nom tel qu’elle l’articulait de ses lèvres, comme si grâce à elle, je découvrais pour la première fois que j’avais un prénom et une place dans l’existence ».
Le beau Juif est l’histoire de deux amants forcés de reconnaître l’évidence de leurs propres sentiments (sentiments qui dérangent, à craindre, abhorrés par l’entourage familial et social), grâce aux lectures des classiques de la littérature arabe:
« Nous avons passé deux jours sans nous parler, jusqu’à ce que je l’aie terminé ma lecture (du Collier de la colombe, ndr), et découvert ce qu’elle avait en tête en me donnant ce livre : vraisemblablement un passage de quatre lignes et demies, qu’elle tenait absolument à ce que je lise. Elle ne l’a pas dit explicitement, ni même par allusion, mais je l’ai compris par moi-même. Je l’ai considéré comme le premier secret entre nous, un secret que je n’ai jamais divulgué par la suite, jusqu’à aujourd’hui. Ce livre et les autres que je l’avais lus auparavant m’avaient transformé en un être diffèrent ou, plus exactement, en un être doué de sensibilité ».
Le beau Juif est l’histoire d’un amour qui doit faire face au refus, sans possibilité d’appel, de leurs communautés respectives, musulmane d’une coté, juive de l’autre côté, qui se rassemble dans le partage de l’à priori: « Les agissements de Fatima semblaient avoir allumé un véritable incendie. Et pourtant elle n’avait rien fait, si ce n’est m’apprendre à lire et à écrire ». Un amour impossible, sans issue, qui ne trouvera pas la paix, même après la disparition de ses protagonistes, Fatima et Salem.

Le beau Juif est aussi un hommage au plaisir de l’apprentissage et de la lecture. « Après avoir pris des cours chez le mufti pendant plus de deux ans, je me suis arrêté. Je continuais cependant à expliquer à Fatima certaines phrases qu’elle avait lues en hébreu dans le Talmud et n’avait pas réussi à comprendre. […] Cette année-là, j’ai entamé une phase nouvelle qu’on aurait pu appeler “la lecture pour le plaisir ».
Entre références et citations littéraires, Le beau Juif, est une invitation au recueillement sur le sens profond de la vie, de la tolérance, de la coexistence pacifique de tous les êtres vivants:
« Quand je repensais à Fatima, j’éprouvais un sentiment d’apaisement, je me remémorais un récit qu’elle m’avait rapporté au sujet de Muhieddine ibn ‘Arabi – le « cheikh al-akbar », comme elle l’appelait. « Sa devise était : ‘Si tu ne veux plus ressentir l’effroi, abstiens-toi d’effrayer les autres. Ainsi tu ne craindras plus rien puisque toi-même tu ne seras plus craint ! »

Ali Al MuqriAli Al-Muqri célèbre la passion pour la culture, pour l’art et pour littérature, véhicules de paix, de liberté et d’espoir pour l’humanité. “Ce que je lui ai appris, s’est-elle justifiée, ce ne sont que des rudiments de langue arabe, pour qu’il puisse lire et écrire. Je sais bien qu’il est juif, vous avez votre religion et nous avons la nôtre, pas de problème. Nous sommes tous les descendants d’Adam, et Adam est issu de la tourbe qui nous est commune à tous. Mais une langue, ce n’est pas que de la religion, c’est aussi de l’histoire, de la poésie, des sciences. Tenez, parole d’honneur, nous avons sur les étagères de notre maison des livres qui, lus par des Musulmans, leur feraient aimer les Juifs, et lus par des Juifs, leur feraient aimer les Musulmans ».

L’auteur donne espace à l’imagination du lecteur, en lui offrant des strophes de la poésie du Moyen-Orient, et partage avec lui, comme un testament, quelques-unes des étapes de l’histoire la plus dramatique et significative, oubliée, des Juifs yéménites.
Grâce à un dispositif narratif réussi, Al-Muqri accomplit un saut temporel de plus de trente ans, ce qui nous amène directement à la cour de l’imam al-Mutawakkil Ismail. Nous y trouvons Salem, à la veille de son 60e anniversaire, qui raconte comment « le temps a filé comme un rêve ». Salem, le beau Juif converti à l’islam après la mort de sa bien-aimée Fatima, et qui, après avoir passé sa vie dans l’armée de l’Imam pour en enregistrer les victoires sur les ennemis de la religion et de l’Etat, nous annonce sa décision d’écrire un texte sur la condition des Juifs yéménites, “Chronique des Juifs yéménites”.

L’histoire d’amour se transforme en un texte de dénonciation historique, plutôt que politique, de certains des épisodes les plus dramatiques et oubliés l’histoire du Yémen. Épisodes qui ont eu lieu dans la seconde moitié du XVIIe siècle et qui ont pour toujours déchiré le tissu social du pays: la dure répression ordonnée par l’Imam al-Mahdi, culminant avec l’expulsion massive des Juifs, leur exil à Mawza en 1679, et la destruction de toutes les synagogues dans le pays. Les Juifs ont été, en fait, considéré comme coupables de la violation des lois sur la protection leur accordée par l’Etat islamique, en raison d’un mouvement messianique qui comprenait la venue du Rédempteur, le renversement de la puissance et de l’entrée à Jérusalem, la Terre Promise, qui prendrait les libéré enfin de leurs oppresseurs.

Par conséquent, le roman Ali Al-Muqri a le mérite d’avoir eu le courage de porter la plume sur des problèmes qui mènent à la réflexion ou bien à une lecture nouvelle et plus complexe de la réalité actuelle.
En fin de compte, Le beau Juif est un hymne à l’amour et à la laïcité, en autres termes à l’urgence de défendre et de promouvoir ces valeurs aujourd’hui, plus que jamais: aujourd’hui, dans un contexte qui s’est par ailleurs maintenu tragiquement identique dans un créneau de quatre siècles.

 

 

 

Avec “Une Fois Ici-bas” Wareth Kwaish met en lumière les envies de liberté des jeunes Irakiens

[Par Louis ROYER]

Wareth Kwaish, réalisateur irakien, a présenté mardi 9 février 2016, à la Maison des Journalistes, son court métrage de 12 minutes filmé intégralement à l’iPhone, “Une Fois Ici-bas” devant une vingtaine de collègues et de militants. 

(Source : MDJ)

(Source : MDJ)

L’Irak, malgré la chute de Saddam Hussein il y a 13 ans, est toujours en proie à l’instabilité. Désormais déchargée de la présence américaine mais avec un gouvernement peu ouvert à la démocratie ou à la liberté de parole. S’ajoute à cela la présence de Daesh qui contrôle une part Nord-Ouest du pays. 

Dans cette situation tendue, les manifestations et les appels à une transition démocratique sont souvent muselés et réprimandés par les autorités. Pour parler de ces problèmes, en 2014, Wareth Kwaish, a sorti son iPhone, et il filme en caméra cachée les heurts entre manifestants et la police. Il donne également la parole à des jeunes, désabusés et qui souhaitent que leur pays sorte du marasme. Un court-métrage fort, sélectionné au Festival de Cannes en 2015 et  au Festival International du Film des Droits de l’Homme, qui se tiendra du 5 au 19 avril 2016, dans la catégorie « Séance courts-métrages : les figures de la jeunesse ».

(Source : Wareth Kwaish)

(Source : Wareth Kwaish)

(Source MDJ)

(Source MDJ)

« C’était important pour moi de faire ce film, raconte Wareth Kwaish, même si je n’avais pas beaucoup de moyens, il fallait que je laisse le peuple témoigner. Même moi, pendant longtemps j’ai eu peur de m’exprimer, et j’ai enfin réussi à me libérer, à briser les entraves qui me bloquaient intérieurement en réalisant ce documentaire. Je pense que l’on n’a pas besoin de caméra à 10 000 euros pour réaliser un bon film, il faut juste avoir les bonnes idées et une cause ».

Exilé du paradis, l’écriture devient un refuge et un combat

[Par Lisa Viola ROSSI]

« Un voyage d’un endroit à l’autre, en tant qu’exilé d’abord, en tant que fugitif ensuite, plus tard comme simple observateur ». C’est le voyage d’ « Exilé du paradis », de Jacobo Machover (Lemieux éditeur, 2015) universitaire, écrivain et journaliste cubain né à La Havane en 1954 et exilé en France depuis plus de cinquante ans. L’auteur nous emmène dans le conte de sa vie de dissident, tissée à la fois au périple de sa famille, juive, persécutée par le nazisme, à l’Histoire de son peuple, des cubains, oppressés et exilés, comme lui. Un voyage sans retour où le témoignage autobiographique devient le cœur de ce que Machover lui-même appelle une « littérature d’urgence ».

Une littérature d’urgence, lieu de refuge et appel à la justice. L’écriture, explique l’auteur, « devient un refuge, un endroit situé loin de l’île et, le plus souvent, des grandes maisons d’édition, pour chuchoter, insinuer, ce qu’il leur [aux exilés cubains ndr] est impossible de crier sur la place publique, en espérant qu’un jour ces paroles parviendront à leur public naturel, celui qui pourra peut-être les faire entièrement siennes, et qui leur rendra un minimum de considération et de justice ».

 Une histoire personnelle qui se reflète et s’enlace à l’Histoire commune. Exilé du paradis est structuré en deux parties : la première, est intitulée  « La fuite, l’initiation », et la deuxième, « Les nôtres, in memoriam ». La narration commence dans l’automne 1963. « L’enfant (moi) vient d’arriver à Paris, à la gare de l’Est, après un long voyage et d’inconcevables détours. J’ai traversé un pan de l’Histoire sans m’en rendre compte, entouré de mes parents, Isaac et Rebecca, et de mon frère ainé, Daniel. Pourtant, je suis seul au monde, sans personne à qui me confier, sans aucun endroit auquel me raccrocher. » A partir de là, l’autobiographie de Jacobo Machover se déroule mêlant l’Histoire aux péripéties d’un jeune inquiète, par ailleurs déserteur de l’armée française et passionné par les femmes et par la vie. Le conte se poursuit en illustrant par images éparses le périple familial de l’auteur et coule finalement, dans la deuxième partie du livre, dans un véritable portrait de l’exil. « L’exil est un territoire étrange, sans véritable centre autre que la mémoire », nous dit l’auteur. La mémoire, qui devient le moteur de l’action littéraire de Machover, est dans ce livre cultivée et gravée. Son but, comme l’explicite l’auteur lui-même, est de « conquérir la liberté, celle de mon île, ou, tout du moins, de perpétuer la mémoire de ceux qui en avaient été expulsé : les exilés, comme moi-même ». Puis que les exilés de l’« île maudite », précise l’écrivain, ne sont pas tout à fait comme les autres : « eux [d’autres exilés, d’ailleurs ndr], ils étaient perçus comme des héros qui avaient combattu les dictatures, pas comme nous, les Cubains, qui avions fui la révolution. Inutile d’expliquer quoi que ce soit. Nous, nous n’étions pas légitimes ».

La douleur d’un exil, le véritable, sans adjectifs : « On ne peut pas rajouter d’adjectifs à cette douleur, à cette calamité ». L’exil, « sans aucun espoir de retour », dont le goût Machover a « appris à aimer » grâce à l’écriture et l’engagement. « J’ai résolu de suivre la voie qui m’était dictée, depuis toujours, je crois, par cette Histoire délirante, mais unique, presque incroyable, inexplicable en tous cas : écrire, pour ne pas sombrer, dans le désespoir, l’abandon, l’indifférence, la drogue, l’alcool. Mais je n’avais plus pour moi le territoire magique et initiatique de mon île, à partir duquel j’aurais pu construire un univers. Il me fallait récupérer, du moins l’espace d’un instant, le monde de l’enfance perdue».

Un combat pour la délivrance des cubains. Page après page, la narration de Machover nous accompagne à dévoiler la cohérence d’un parcours erratique ayant pour but le combat pour une légitimité des dissidents cubains, pour lesquels l’auteur se bat sans cesse, depuis toujours : « Pendant près de vingt-cinq ans, je les [les dissidents anticastristes cherchant une protection à l’étranger ndr] ai écoutés répéter les mêmes récits. Ils m’entretenaient d’un univers abstrait auquel seuls les élus ont accès. Je suis allé les chercher aux quatre coins du monde, loin du pays qui les a vus naitre, le plus souvent dans la capitale de notre exil, une copie presque conforme de l’île maudite, mais plus ordonnée, trop impersonnelle. Je n’ai pas compté le temps, ni le mien ni le leur ».

D’un exilé, des exilés. Survivre, pour vivre. Combien de temps encore ? « La vie en exil n’est pas la mort. C’est autre chose, en équilibre non seulement entre deux géographies, mais aussi entre deux temps. Ceux qui ont échappé au malheur sont pris d’une frénésie de vivre […] ils étaient capables de tout affronter pour fuir, mais ils se sont retrouvés désarmés face aux tracas de la vie quotidienne dans un environnement non pas hostile, plutôt indifférente. Je les vois encore […] Jesús, qu’il a fallu faire sortir de l’île où il avait de fortes chances d’aller croupir pour de longues années en prison, du fait qu’il tentait simplement d’écrire, de décrire, la réalité de ce qu’il vivait dans des articles que pratiquement personne ne pouvait lire sur place : il était journaliste indépendant, c’est-à-dire sans entraves, non reconnu, non officiel. Il a du partir en avion, laissant sa femme et sa fille, en pleurant sans cesse leur absence, sans espoir de les revoir avant longtemps. Combien de temps ? »

Burundi: Deux journalistes étrangers arrêtés

[Par Yvette MUREKASABE]

Dans la soirée de ce jeudi, 27 janvier 2016 à Nyakabiga et Jabe, deux quartiers contestataires de Bujumbura, capitale burundaise. Jean-Philippe Rémy, journaliste français du quotidien « Le Monde » et Phil Moore, journaliste photographe britannique, sont arrêtés ainsi que 15 jeunes.

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Phil Moore et Jean-Philippe Rémy

Selon Moise Nkurunziza, un des porte-parole de la police, les deux journalistes étaient en compagnie des malfaiteurs en détention des armes à savoir un mortier, une kalachnikov et des pistolets.
Jérôme Fenoglio, directeur du journal « Le monde » demande la libération immédiate des deux journalistes qui étaient rentrés au Burundi légalement sur présentation de leurs accréditations : « Ils étaient en exercice de leur métier et les autorités burundaises n’ont aucune raison de leur priver la liberté. »
Quant à Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, il appelle les autorités burundaises à procéder à leur libération sans condition. » Et de souligner que des démarches diplomatiques sont en cours.
Du côté de Reporters sans Frontières, c’est l’indignation totale : « Nous condamnons énergiquement cette atteinte à la liberté d’information et exigeons leur mise en liberté. »

Au moment où on publie cet article, nous apprenons que les deux journalistes viennent d’être libérés.