Mustafa Kemal Atatürk, un portrait

[Par Khosraw MANI, envoyé spécial du Festival de Cinéma de Douarnenez]

Mustafa Kemal Atatürk

Mustafa Kemal Atatürk

“Il n’y a pas de religion, il y a la nationalité : ma religion, c’est ma turcité.” C’est ainsi que Mustafa Kemal Atatürk, exprime sa passion pour le nationalisme turc.
Fils d’un marchand de bois, Mustafa Kemal Pasha, à partir de 1934 Kemal Atatürk, est le fondateur de la République de Turquie. Après le lancement de la révolution nationaliste en Anatolie contre l’accord de la paix imposé par les principaux alliés, Atatürk, l’ancien officier de la première guerre mondiale, devient une figure importante au sein de la politique moderne du pays. En 1921, Il proclame le gouvernement provisoire à Ankara. Un an après, le sultanat ottoman est aboli et, le 29 octobre 1923, la Turquie devient une république laïque, séparant le pouvoir politique du pouvoir spirituel. Atatürk établit le régime à parti unique qui dure jusqu’en 1945. Il lance un programme révolutionnaire social et politique pour moderniser la Turquie, en proclamant l’émancipation des femmes, l’abolition de toutes les institutions islamiques et l’adoption des lois, coutumes, calendrier et l’alphabet occidentaux.
La laïcisation et la turkification du pays imposées par Atatürk suscitent des réactions de la part des minorités religieuses et culturelles, en particulier de l’opposition de la communauté kurde. En 1924, la rébellion de Sheikh Said, chef de la tariqa Naqhshbandiyya, commence, opposant l’abolition du califat, l’adoption des codes civiles, l’abrogation de polygamie et le mariage civique. La rébellion est étouffée par l’état au nom de la loi faisant référence au maintien de l’ordre public, promulguée le 4 mars 1925.
Atatuk meurt en 1936 dans le palais Dolmabahçe à cause une cirrhose. Depuis sa mort, l’horloge de sa chambre est toujours fixée sur 9h05 du matin.

 

 

Mes vacances avec l’association JRS : fraternité et partage

[Par Rahima NOORI]

L’association JRS (le Service Jésuite des Réfugiés) a démarré ses cours d’été le 28 juin 2016. Elle a organisé des cours de français qui durèrent un mois, et qui nous furent fort utiles et intéressants. Nous avons appris à progresser en français grâce à des méthodes de conversation, mais aussi grâce à de la musique, en jouant sur des instruments et en chantant, en faisant du sport et en profitant de la forêt pour y faire des promenades ou y organiser des jeux.
Quand l’école d’été pris fin l’association JRS organisa deux séjours de vacances, l’un à la Vialle dans le Gard et l’autre à Penboc’h en Bretagne.

 

©Rahima Noori

©Rahima Noori

Penboc’h est un endroit magnifique, les mots me manquent tant cet endroit est beau. Les vacances furent menées de main de maître par Marcela et Cathy. Elles firent en sorte de bien nous intégrer, de nous y laisser aussi la liberté d’exprimer nos sentiments, ; nous y avons appris de nouvelles choses et avons pris part à de multiples jeux.
Etant donné que les réfugiés viennent de différents pays où la situation est très conflictuelle, et rencontrent de nouveaux problèmes en France où ils tentent de survivre pour recevoir des allocations tout en tentant d’obtenir l’accord du gouvernement français pour obtenir un droit de résidence, la plupart d’entre eux sont désespérés. De telles vacances les aident beaucoup. Quand je posai pied en France, je fus très déçue car je ne connaissais personne. Quand une personne arrive dans un nouvel endroit elle a besoin d’une autre personne pour la guider. Le premier mois j’ai beaucoup pleuré tant je me sentais perdue.

© Rahima Noori

© Rahima Noori

Pendant ces vacances j’ai rencontré des personnes incroyables qui m’apportèrent de l’espoir et m’aidèrent à résoudre certains de mes problèmes.  Par exemple Cathy, qui est l’une des organisatrices de JRS : elle m’encourageait toujours à parler pendant les discussions de groupe et m’envoyait beaucoup d’ondes positives. Il y a eu aussi Marcella qui m’a toujours montré qu’elle pouvait partager ma peine, étant mère elle-même, parce que je suis loin de mon fils.
J’ai rencontré aussi Clémence, qui a envoyé mon dossier à une université. Elle a résolu mes problèmes d’études. C’est une très gentille femme. Christine, une femme charmante qui est devenue mon amie. Je reviens sur Cathy encore, c’est  une belle femme avec beaucoup d’amour. Et enfin Pascaline, une femme énergique, quand nous jouions de la musique elle chantait et dansait, et je recevais son énergie.
Nous quittons Penboc’h remplis d’amour.

Entretien avec Elyse Ngabire, grande reporter politique burundaise : « On ne choisit pas d’être réfugié »

[Par Lisa Viola ROSSI]

elysengabire

Depuis septembre 2015, Elyse Ngabire est réfugiée en France, à la Maison des journalistes. Journaliste burundaise du Groupe de presse Iwacu, en charge des questions politiques, elle était également la coordinatrice des émissions réalisées avec les quatre anciens Chefs d’Etat burundais. Jusqu’à septembre 2015, quand neuf agents ont tenté de l’arrêter à son domicile.

AssisesTours2016-6Vendredi, 28 août 2015. Elyse Ngabire avait signé un article intitulé « Fini le dialogue ! » qui critiquait la non tenue des promesses par le président Pierre Nkurunziza, à sa prestation de serment pour un troisième mandat contesté. La journaliste enquêtait au même temps sur les origines du premier vice-président de la République qui commençaient à produire des polémiques dans l’opinion burundaise. Le pouvoir ne les a pas tolérées, et il a engagé des poursuites policières. De peur d’être emprisonnée comme cela a été le cas en 2010 ou d’être tuée, la plume d’Iwacu a décidé de quitter le pays pour sa sécurité.

Aujourd’hui, Elyse Ngabire est inscrite à l’Université Paris 1, Master 2 Recherche, Société en Développement. Du coup, elle continue d’exercer son métier de journaliste. Elle collabore avec L’œil de l’exilé , le journal de la MDJ. Elle est aussi correspondante du Groupe de presse Iwacu en France et en Europe. Interview.

Comment et quand as-tu découvert ta vocation de journaliste ?
C’est lorsque j’ai terminé mon bac que je me suis rendue compte que je voulais devenir journaliste. Nous sommes en 1996. Malheureusement, dans mon pays, il n’y avait pas d’école de journalisme et je me suis contentée de faire la Faculté Médecine pendant deux ans.
Mais l’idée de devenir journaliste ne m’a pas quittée et j’ai décidé en 2000 d’abandonner la Médecine. En 2001, je me suis inscrite à l’Université Lumière de Bujumbura, Faculté des Sciences de la Communication. Il ne s’agissait pas non plus d’études de journalisme mais de quelque chose de semblable qui m’en rapprochait un peu et me permettait de postuler pour ce métier. J’ai terminé en 2006 et j’ai été recrutée deux ans plus tard au Groupe de presse Iwacu comme journaliste en charge des questions politiques.

Comment est née ta passion envers la res publica ? Est-ce que ta lutte pour la démocratie est née à un moment précis ?

Melchior Ndadaye (source : rfi.fr)

Melchior Ndadaye (source : rfi.fr)

Oui. En 1993, j’avais exactement 17 ans et le Burundi organisait les premières élections démocratiques depuis son indépendance le 1er juillet 1962. Mes parents et quelques membres de ma famille étaient pour le changement et ils ont voté pour le président Melchior Ndadaye. Toutefois, trois mois après sa victoire, le président Ndadaye est tué ainsi que ses proches collaborateurs par une clique de militaires qui n’avaient rien compris de la démocratie et de la volonté populaire.
Même si je n’avais pas l’âge requis pour voter (18 ans), je suivais tout de même les campagnes électorales. Depuis cette époque, la politique est ma préoccupation et je me sentais très engagée à l’idée de défendre la liberté d’expression, qui est l’un des piliers de la démocratie.

Est-ce qu’il y a un sujet auquel tu es particulièrement liée, un objet qui a un sens spécial pour toi ?
Le statut de la liberté. C’est un symbole fort pour moi. J’estime que la liberté constitue le pilier si bien dans le métier de journalisme que dans d’autres secteurs de la vie. Il est la pierre angulaire de la démocratie.

Est-ce que tu te souviens d’une interview ou d’une rencontre qui t’a particulièrement marquée ?
Durant mes huit ans de métier, j’ai réalisé plusieurs interviews qui m’ont marquée personnellement et j’en garde trois en mémoire. La première, c’est avec Mgr Simon Ntamwana, archevêque de Gitega. Une large opinion estimait qu’il soutenait le pouvoir du Cndd-Fdd mais à la suite de son interview, tout le monde était étonné de constater qu’il regrettait de sa gestion du pouvoir.
La deuxième interview, c’était avec le président de la Commission Terre et Autres Biens (CNTB) Mgr Sérapion Bambonanire, un homme très controversé et très contesté dans l’opinion nationale.  Quand je l’ai rencontré, il a révélé la décision du gouvernement de rendre aux Hutu les terres qui leurs avaient été prises lors du massacre de 1972. Bambonanire ignorait que cette opération devait passer sous silence. Cette interview a provoqué un scandale dans la classe politique, en le forçant à rétracter ses propres mots.
Troisième interview, c’est avec le député Manassé Nzobonimpa, un ancien militant du Cndd-Fdd et ancien compagnon de lutte de Nkurunziza. Je l’ai rencontré à l’extérieur du pays où il s’était réfugié suite à une mésentente entre lui et le président Nkurunziza. Mon interview a été également un scoop.

Est-ce que tu as une personnalité de référence, un exemple à suivre ?
Oui, deux personnalités : Nelson Mandela et Gandhi. Ils ont beaucoup lutté pour la non- violence, contre la discrimination et pour la liberté.

Elyse Ngabire montre l’édition du 28 août 2015 du journal Iwacu (source : leprogres.fr)

Elyse Ngabire montre l’édition du 28 août 2015 du journal Iwacu (source : leprogres.fr)

Est-ce qu’il y a un reportage ou un projet que tu es particulièrement fière d’avoir réalisé ?
Pendant deux ans, j’ai travaillé sur un projet intitulé « Si Ma Mémoire Est Bonne » qui abordait les enjeux et le contexte sociopolitique du Burundi en les analysant au travers de l’histoire récente et lointaine du pays.
A l’issue du projet, le journal Iwacu pour lequel je travaille et auquel je reste très attachée a sorti un livre de 149 pages. Les articles ont eu un grand succès. Ils ont été très appréciés et d’une richesse inouïe.
En outre, en 2014, j’ai coordonné un cycle d’émissions avec quatre anciens chefs d’Etat burundais. C’était la première fois qu’ils témoignaient sur leur gestion du pouvoir, leurs réussites et leurs échecs. Ce cycle a connu un très grand succès d’audience dans la conjoncture électorale burundaise.

Est-ce que tu peux donner une définition à ton sentiment de l’exil ?
Il est difficile de le définir car ça me fait vraiment très mal quand je réalise que je n’ai pas le droit de vivre dans mon pays.
J’ai l’impression d’avoir tout perdu : mon pays surtout. Je suis repartie à zéro. Or, dans mon pays, j’envisageais d’entreprendre plusieurs projets professionnels et privés, ce qui n’est pas le cas dans ma situation actuelle.

Comment tu te sens maintenant ?
Ça me fait très mal au cœur parfois quand j’y pense. La mort dans l’âme, je n’ai pas le choix parce que je me dis qu’au moins je suis en sécurité en France. J’ai pu sauver ma vie, c’est ça qui est essentiel.

Est-ce que l’exil t’a changée ? En quel sens ?
Oui, il m’a changée à la fois de manière positive et négative. En France et la MDJ, j’ai rencontré des journalistes qui viennent de presque partout dans le monde. Et nous avons tous un dénominateur commun : nous avons été poursuivis, persécutés, nous avons laissé nos familles derrière nous, etc… parce que nous avons dénoncé les abus de pouvoirs dictatoriaux dans nos différents pays. Cela m’a permis de comprendre que les journalistes prennent des risques au nom de la liberté et du respect des principes démocratiques. Ça c’est le côté positif.
Toutefois, je regrette que nous ne soyons pas soutenus par nos confrères ou consœurs journalistes français. J’aurais souhaité qu’ils nous aident à intégrer notre métier. C’est dommage que des journalistes exilés soient obligés de changer de métier parce que c’est difficile de trouver une place dans les médias français. Il est vrai que la langue constitue un handicap pour certains journalistes exilés mais c’est également compliqué celles et ceux qui parlons le français. Et c’est l’avenir de tout un métier qui est en danger.

Est-ce que tu penses que l’exil c’est plus compliqué pour une femme que pour un homme?
C’est plus compliqué pour une femme surtout quand elle n’est pas avec sa famille. On n’a pas le cœur tranquille. Chaque fois, on se dit qu’il peut lui arriver quelque chose de mal. Et dans le contexte où la procédure de réunification familiale prend beaucoup de temps, vous comprenez pourquoi une femme doit s’inquiéter.

AssisesTours2016-5-1024x768

L’intervention d’Elyse Ngabire aux Assises du journalisme de Tours 2016

Comment t’es-tu sentie et te sens-tu en France en tant que journaliste réfugiée ?
Je me sens plus ou moins en sécurité. Malgré les derniers attentats, je reste persuadée que je ne suis pas ciblée personnellement. La sécurité c’est quelque chose de très important pour moi compte tenu du contexte de violence dans lequel se trouve mon pays depuis le 26 avril dernier à la suite de la décision du président Nkurunziza et de son parti de briguer le troisième mandat contre l’Accord d’Arusha et la Constitution burundaise.
En tant que journaliste réfugiée, je déplore l’absence de soutien des professionnels des médias français. Nous sommes un peu laissés à nous-mêmes et le risque d’abandonner ce métier est grand pour certains confrères et consœurs réfugiés.

Comment tu te vois dans 5 ans ?
Je souhaite ardemment continuer mon métier de journaliste et être un reporter spécialiste des questions en rapport avec le Burundi et pourquoi pas ailleurs dans le monde. Mon désir, c’est également celui d’aider des Burundais qui veulent écrire mais qui ne savent pas où commencer de réaliser leur rêve.

Quel est le message que tu considères le plus important à passer à l’opinion publique internationale ?
Des situations conflictuelles contraignent souvent des populations en général et des journalistes en particulier à quitter leurs domiciles et s’installer ailleurs. Le cas des journalistes réfugiés est très particulier. Les organisations des professionnels des médias sont appelés à agir vite pour que l’intégration professionnelle suive le chaleureaux accueil qui nous est reservé à la Maison des journalistes.
Aux citoyens des pays qui accueillent des réfugiés, je leur exhorte de traiter ces derniers avec humanisme car on ne choisit pas d’être réfugié.

 

« Ecrire, ce n’est pas un bon boulot » : Moneim Rahma, une plume exilée du Soudan

[Par Lisa Viola ROSSI]

Pour lire la version en arabe traduite par Samih Elsheikh, cliquez ici

« Je me sens très très triste. Ecrire des poèmes, ce n’est pas un bon boulot. Parce que c’est une source de douleur, ça m’affecte et ça me rappelle nos souffrances ». Abdelmoneim Mohamed Ahmed Rahmallah est un poète, écrivain, activiste originaire d’El-Damer, ville de la région du Nile au Soudan du Nord, exilé à Paris depuis mai 2015. Actuel résident de la Maison des journalistes, il se trouvait à La Haye aux Pays-Bas juste une semaine après les attentats à Charlie Hebdo, le 15 janvier 2015, afin de retirer le prix Pen International pour la liberté d’expression. «Tout au long de mes études, mes talents de poète se sont révélés. J’ai gagné, lorsque j’étais lycéen, le prix national de poésie. Pourtant, j’ai dû faire des études de Commerce, parce que ma famille était pauvre et que je ne pouvais pas me dédier aux Arts comme j’aurais voulu».

???????????????????????????????

Moneim Rahma

Moneim Rahma ne pouvait pas pourtant s’éloigner de sa passion, le journalisme. En 1986, une fois diplômé de l’Université du Caire, branche de Khartoum, d’une Maitrise en Commerce, il trouvait un emploi au journal Al Adwa comme comptable. De là il commençait à écrire des articles et avant d’être enfin reconnu en tant que journaliste. « Au même moment, – se souvient-il – j’entamais des activités de militant, lors de forums, de soirées poétiques et de manifestations culturelles, contre le projet arabo-islamique mené par  le Front National Islamique (FNI)».

Le 30 juin 1989, le FNI s’empare du pouvoir par un coup d’état militaire. Il dissout tous les partis politiques, les organisations de la société civile et les associations culturelles. Il suspend finalement la publication des journaux. « Les ennuis et surveillances de mes activités ont commencé à ce moment-là, m’empêchant de participer aux activités culturelles ». A cette époque, il est témoin de vastes arrestations d’intellectuels, d’écrivains et poètes hostiles aux putschistes.  Et le phénomène des « Maisons fantômes » a vu le jour. En 1991, son domicile est mis sous surveillance rapprochée. Craignant d’être arrêté et transféré dans une maison fantôme, Moneim Rahma s’enfuit à Asmara, avec l’aide d’amis du Front populaire de la libération d’Erythrée.

C’est après trois ans passés en Erythrée qu’il découvre le caractère répressif du régime. « J’ai ainsi commencé à émettre des critiques quant à ces pratiques, ce qui a mis ma vie en danger, en m’obligeant à fuir vers l’Ethiopie voisine ».

A Addis-Abeba, le journaliste-activiste travaille au service presse du Bureau du Golfe. Il y écrivait des articles sur la situation au Soudan, la guerre d’épuration ethnique et les répressions. Il utilisait le pseudonyme d’Amara Mohamed Saleh, en raison d’une forte présence d’agents de la sûreté soudanaise en Ethiopie. Trois ans après, en 1997, il rejoignait le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (MPLS). « J’avais refusé tout enrôlement et entraînement militaire. J’ai insisté sur le fait que je tenais à ma liberté en ma qualité d’écrivain et poète » précise-t-il.

En 2001, Moneim Rahma a été transféré à Nairobi, au Kenya, pour travailler à la radio « Soudan Radio Service », spécialisée dans l’éducation. « Cette radio, financée par des institutions américaines, s’intéressait à l’éducation civile. Elle était émise en neuf langues, j’étais le responsable du service arabophone ». Il démissionna en 2005, après la signature de l’accord de paix global (CPA). Il retourna donc à Kurmuk dans la province du Nil Bleu au Soudan après sa libération par l’armée populaire (MPLS/A) pour y travailler comme responsable de la communication dans l’administration civile mise en place par l’armée populaire. Un an après, à Juba, il fondait l’organisation « Soudan de la Culture et des Arts » qui s’intéressait à toutes les cultures soudanaises et œuvrait, grâce à du théâtre itinérant, à la diffusion de la culture de paix entre les différentes ethnies, religions et traditions.

Après le théâtre, Moneim Rahma s’intéressa au cinéma. En 2009, il fondait, avec un groupe de cinéastes, l’association « Groupe du Cinéma Soudanais », et grâce au soutien du ministère de la Santé, il produisit quelques courts-métrages éducatifs sur la santé des enfants.

نهر النيل

Le Nil Bleu

En 2010, l’écrivain décide de participer à la gestion de la campagne électorale du candidat du MPLS, Malik Agar, pour le poste de Gouverneur de la Wilaya du Nil Bleu. « J’étais chargé du volet média de la campagne. Malik Agar a gagné les élections malgré les tentatives de fraudes du parti du Congrès National (NCP). J’ai été nommé Conseiller en information au sein du gouvernement élu ». En février 2011, Moneim Rahma fondait la revue El Zarqaa, la voix du gouvernement de la Wilaya, « une première dans l’histoire de la région », précise-t-il.

Le 1er septembre 2011, un attentat au vice-gouverneur de la région pousse Malik Agar à réunir en urgence le conseil des ministres. Les forces du gouvernement central qui avaient planifié tout cela, ont immédiatement été déployées et l’état d’urgence a été décrété sur ordre personnel du Président El Bashir qui limoge Malik Agar.

Le lendemain, des combats se sont déclenchés dans la ville de Al Damazine, entre l’armée populaire et l’armée régulière. « J’ai essayé de m’enfuir, à pied, en direction de la ville de Al Kurmuk, après avoir laissé ma voiture à Al Damazine. A 15 km au Sud de la ville, j’ai été arrêté par l’armée régulière. A partir de ce moment-là, j’ai été torturé, une partie de ma moustache a été coupé et l’autre partie a été brûlée avec un briquet…. J’ai été jeté dans un véhicule militaire et isolé dans un vieil entrepôt. Ils m’ont battu, les interrogatoires se succédaient. Ils m’ont cassé le genou droit parce que j’avais une rubrique dans la revue d’El Zarqaa, intitulée « Coup de bâton sur le genou ». J’ai perdu 10 dents. Ces tortures se sont poursuivies pendant des semaines et des mois ». Une commission militaire a été créée à l’intérieur de la prison : « J’ai été accusé d’avoir planifié un coup d’état, d’avoir travaillé pour le compte de l’étranger, d’avoir appelé à un état laïc et combattu l’islam et l’arabisme ». La commission a rendu son jugement à la peine capitale, le 23 novembre. Un autre jugement à la peine capitale a été rendu à son encontre et à 17 autres membres du mouvement populaire. Suite à la campagne locale, régionale et internationale en faveur de sa libération, le 18 août 2012 Moneim Rahma est mis en résidence surveillée à l’île de Touti. Il ne peut exercer aucune activité, sous menace de sa sécurité et celle de sa famille. Les jugements à la peine capitale ne sont pas annulés.

C’est à partir de ce moment qu’il  commence à planifier sa fuite vers l’Ethiopie, en mars 2013. « Sous l’égide de l’Union Africaine et sa protection, j’ai pris part auprès de la délégation du mouvement populaire Nord (MPLS/Nord), aux négociations de paix avec le gouvernement soudanais  à Addis-Ababa. Depuis le début de l’année 2014, beaucoup de changements ont vu le jour dans l’attitude des pays de la région. Un front tripartie entre l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudant s’est créé autour du barrage de la Renaissance en Ethiopie, accompagné des accords sur la sécurité, ce qui a transformé la capitale éthiopienne en foyer pour les activités de la sûreté soudanaise. Les autorités éthiopiennes ont même commencé à menacer certains membres du mouvement de les remettre aux autorités soudanaises et demandant aux autres de quitter leur territoire. Ce qui m’a poussé à anticiper sur une telle décision le 1er mai 2015 ».

A Paris, Moneim Rahma continue d’écrire, tous les jours, de l’aube au coucher du soleil, dans sa chambre à la Maison des journalistes. « J’écris mon deuxième roman et au même temps je me dédie à la rédaction d’un scénario d’un film», fait-il savoir, et ajoute : « Je suis en train de lutter tenacement pour m’intégrer : je participe au fait à l’organisation de concerts et à la production radio. Si je peux accéder à Internet et à l’écriture, si je peux rester en contact avec d’autres personnes, ça ira très bien. Beaucoup de demandeurs d’asile n’ont même pas un toit ni un adresse avant de commencer leurs démarches… » Toutefois le journaliste n’attend que sa famille, restée au Soudan, puisse le rejoindre. Et les démarches sont chronophages, malgré la bienveillance des dispositifs français. « J’aime le peuple français qui est très accueillant et plein d’humanité. Je respecte son gouvernement qui est le seul qui a accueilli les négociations de paix au Soudan en supportant les partis d’opposition… ». La passion politique lui fait briller les yeux, ses actes sont au fait bien liés à sa pensée : « Aime tes parents et joins l’Humanité » est le slogan de l’écrivain.

 

 

Ofpra, Pascal Brice : « Je ne connais qu’une réponse : l’accueil, l’humanité et la rigueur »

[Par Lisa Viola ROSSI]

Lors qu’on pense que le voyage est presque terminé, parce que le destin devient vie nouvelle il reste une étape à franchir : la reconnaissance du statut de réfugié. En a parlé Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dimanche 19 juin 2016 à TEDx ChampsÉlyséesSalon EXILS « Destins d’ici », qui a eu lieu à la Bibliothèque François-Mitterand, à la veille de la journée mondiale des réfugiés.

pascal briceOn les appelle souvent « migrants », ou bien « sans papiers » : ils sont les « demandeurs d’asile » attendant d’être reconnus en tant que « réfugiés » par l’Ofpra, l’établissement public administratif en charge de l’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, puis de la Convention de New York de 1954.

« Bonjour, je suis l’officier de protection qui va inscrire votre demande d’asile. Rien de ce que vous direz sur vos craintes dans votre pays d’origine ne sortira de cette pièce ». Brice a pris la parole sur la scène de TEDx en récitant la première phrase que les officiers de l’Ofpra prononcent lors qu’ils reçoivent, le plus souvent en région parisienne, plus de 200 hommes et femmes chaque jour, pour un entretien pour qu’ils puissent statuer sur leurs demandes d’asile.  «Ils ont été en 2015 80 000 accueillis à l’Ofpra. – précise Brice – Pour nous ces demandeurs d’asile ne sont pas des chiffres mais des visages, des histoires, des récits de souffrance, jetés sur les chemins de l’exil depuis l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, le Soudan, Érythrée et d’autres pays encore». L’accueil des réfugiés, c’est selon le directeur de l’Ofpra « un privilège redoutable et noble, que nous partageons d’ailleurs avec les associations, les travailleurs sociaux dans les centres d’hébergement, avec les élus, avec les citoyens de ce pays qui accompagnent les demandeurs d’asile tout au long de leurs parcours. Mais l’Ofpra – considère son représentant – a une mission d’exclusivité, qui est de statuer sur les demandes d’asile ». Le mot d’ordre des officiers de l’Ofpra est « de tout faire pour ne jamais passer à côté d’un besoin de protection. Mais lorsque une demande d’asile à l’issue d’une instruction à laquelle chaque demandeur d’asile a droit, ne relève pas du droit d’asile, notre responsabilité est de rejeter cette demande ».

(source : gouvernement.fr)

(source : gouvernement.fr)

Ces décisions de l’Ofpra sont des décisions humaines, mais bien en droit, souligne Brice : «Ce sont des hommes et des femmes qui les prennent mais ce sont des décisions en droit. Nous appliquons tant que nous le pouvons la convention de Genève afin de reconnaître à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants, le statut de réfugié lors que leur engagement politique, leurs croyances religieuses, leurs appartenances ethniques, leurs appartenance sexuelles parfois, conduisent à ne plus pouvoir imaginer le retour dans leurs pays, où ils subissent ces persécutions ».

Lorsque la protection de Genève ne s’applique pas l’Ofpra peut appliquer parfois la protection subsidiaire, toujours au nom du droit d’asile et de l’indépendance de l’Ofpra. « Les décisions sont prises exclusivement en fonction de considérations d’asile et en aucun cas de considérations diplomatiques ni de politiques migratoires. Je sens monter la tentation, face à l’ampleur des drames, d’aller au-delà du droit d’asile, mais cette tentation – réfléchit Brice – serait pernicieuse et délétère. Elle installerait une confusion où le droit d’asile serait la victime  ».

Pascal Brice

Le directeur de l’Ofpra parle de évolution du droit d’asile au sein de son Office, « dans le sens de la bienveillance et de la rigueur, parce que lors que le droit d’asile s’impose, il doit s’imposer indépendamment toute d’autre forme de considération ».

Les instructions de l’Ofpra partent de la possibilité de laisser à chacun d’exprimer les raisons pour lesquelles il ne pourra pas rentrer dans son pays, d’abord dans un récit écrit qu’il doit adresser à l’Ofpra dans le dossier de demande d’asile, et puis lors de cet entretien avec l’officier de protection. « Ces craintes sont si difficiles à verbaliser – avoue Brice – parce que nous sommes dans l’indicible. Nous devons accompagner l’expression de ce récit, car c’est sur la base de l’expression de ces craintes en cas de retour dans le pays d’origine que l’officier de protection va commencer une minutieuse instruction, qui va le conduire à échanger avec ses collègues, avec des référents spécialisés, avec les juristes de l’Ofpra, avec les chercheurs qui établissent une analyse indépendante de la situation du pays d’origine ». Ça sera à la confluence de cette instruction qui sera prise la décision de l’Ofpra.

Pendant ce temps, c’est l’attente. «A la dureté de l’exil s’ajoute la cruauté de l’attente administrative. Il nous revient – avoue Brice – de conseiller l’inconseillable. Ce temps-là de l’instruction, il est vital pour ces hommes, ces femmes, ces familles. A cela, je ne connais qu’une réponse : l’accueil, l’humanité et la rigueur ».

Les délais de l’instruction sont encore trop longs, malgré les efforts de l’Ofpra qui les a réduit depuis plusieurs mois et elle continue à les réduire : « Nous le devons à ces hommes et à ces femmes, à ces familles » affirme Brice. Pour cela les effectifs de l’Ofpra ont augmenté de 50% : ils y a 620 employés, aujourd’hui. « Nous nous sommes réorganisés en profondeur parce que l’Ofpra change, protège plus. Nous protégeons 26% de demandeurs d’asile, là où il y a trois ans ils étaient 9% à être protégés, 35% avec les juges ». L’Ofpra oeuvre d’ailleurs sur le terrain à Calais ainsi qu’à Grande-Synthe et dans d’autres régions françaises, ainsi qu’au Liban, en Jordanie, en Turquie, pour «protéger et réinstaller en France». Malgré cette action quotidienne, Brice souligne : «Partout la frustration reste trop souvent présente face à ceux qui n’arriveront jamais, face à ceux qui attendent trop longtemps, dans notre pays, encore un accueil et une décision face à ceux dont nous devons rejeter la demande. Mais ce qui nous porte – termine le directeur de l’Ofpra – et ce qui va continuer à nous porter, c’est la mission de protection, car c’est notre mission et c’est le titre que nous portons ».

 

 

PORTRAIT : Homam Fayad ou le rêve d’étudier en France

[Par Mortaza BEHBOUDI]

Étudiant syrien ayant dû fuir son pays en guerre, Homam Fayad a décidé de poursuivre ses études universitaires à Paris. Multipliant les efforts, il espère intégrer et valider un master qu’il a dû abandonner. Lire la suite

Le docteur Muyembe Tamfum, un héros tapi dans l’ombre

[Par Léon KHAROMON]

 Le prix Christophe Mérieux que vient de lui décerner l’Institut de France permet au monde de découvrir ce chercheur qui consacre sa vie dans la lutte contre Ebola depuis 1976.

Le Docteur Muyembe Tanfum, virologue congolais venu à Paris pour recevoir le prix Christophe Mérieux. (Photo Mathieu Alexandre © AFP)

Le 26 mai 2015, en France, le Docteur Jean-Jacques Muyembe, directeur à l’Institut national de recherches biomédicales de Kinshasa a reçu le prix Christophe Mérieux pour ses recherches sur le virus Ebola. La Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux reconnaît au professeur Muyembe d’avoir contribué à la découverte de cette fièvre hémorragique et d’avoir été le premier chercheur à se rendre sur le site de la toute première épidémie, à Yambuku en RDC en 1976.

Quelques années plus tard en 1995, lors de la deuxième épidémie qui va toucher la ville de Kikwit, au sud-ouest de la RDC, le professeur Muyembe et son équipe ne se font pas prier pour sauver une population en détresse. Depuis lors il a commencé par décrire les manifestations cliniques de la maladie à partir d’observations faites ainsi que les complications tardives, les aspects épidémiologiques, virologiques et thérapeutiques. A l’issue de cette deuxième épidémie, il élabora un ensemble de techniques et une méthodologie efficace pour riposter contre toute nouvelle épidémie, devenant ainsi une référence absolue dans la lutte contre Ebola. C’est pourquoi lorsque l’épidémie qui vient de frapper l’Afrique de l’Ouest pour la première fois se déclare, le médecin congolais, par le biais des autorités de son pays, propose son intervention aux pays concernés (fin décembre 2013). La maladie s’est déclarée en Guinée où le gouvernement, pris au dépourvu, ne peut que constater les dégâts et compter les morts. Très vite, elle se propage en Sierra Leone et au Liberia. Ici, la présidente Sirleaf Johson va lancer un cri de détresse à la communauté internationale pour sauver son pays qui selon ses propres mots « risquait d’être rayé de la carte du monde » à cause d’un taux de mortalité très élevé au début de l’épidémie, si des mesures urgentes n’étaient pas prises.

Dans un premier temps, l’Organisation mondiale de la santé va rester sourde à ce cri de détresse. Quelques ONG internationales, dont Médecins Sans Frontières se rendent dans les pays touchés pour combattre l’épidémie. Sur place, ces ONG seront confrontées au manque de structures sanitaires adéquates, à la méfiance des populations et à leur forte mobilité, alors qu’une riposte efficace contre la maladie nécessite la mise en quarantaine de la population et du territoire touchés. Comme des vases communicants, les populations de trois pays concernés se contaminaient réciproquement à cause de la porosité de leurs frontières respectives. Mais ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls la virulence de l’épidémie et le fort taux de mortalité constaté en Afrique de l’ouest. En novembre 2014, on comptait déjà plus 7.000 morts dans les trois pays évoqués ici.

Riposte défaillante

Dans un rapport publié le 11 mai dernier, un groupe d’experts indépendants mandaté par l’ONU a dénoncé « le retard et les défaillances de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans la gestion de “l’épidémie sans précédent” d’Ebola ». Il a fallu attendre plus de 8 mois pour que l’Organisation Mondiale de la Santé décrète une « urgence de santé publique mondiale » et demande une « réponse internationale coordonnée ». A ce moment là, on comptait déjà plus d’un millier de morts en Afrique de l’Ouest et des villes entières prises de panique, tandis que d’autres se trouvaient au bord du soulèvement, protestant vigoureusement contre des mesures de quarantaine qui risquaient de les tuer de…famine. Ce qui aurait été d’une absurdité totale. C’est pourquoi dans ce rapport, le groupe d’experts indépendants souligne qu’il y a eu « de graves lacunes dans les contacts avec les communautés locales au cours des premiers mois de l’épidémie.”

Les experts avancent une « mauvaise compréhension du contexte de cette épidémie différente des autres, des informations peu fiables du terrain, des négociations difficiles avec les pays concernés, ainsi que des lacunes dans la stratégie de communication de l’OMS ». On peut se demander à ce stade, pourquoi l’OMS et même certaines ONG qui étaient sur place avaient longtemps hésité avant d’accepter l’intervention du professeur Jean-Jacques Muyembe et de son équipe. Est-ce par négligence coupable ou par condescendance, pour ne pas dire par mépris de services proposés par un « médecin du Sud » ? On ne le saura jamais. Pourtant, dès leur arrivée en Guinée, ce médecin, formé à la faculté de médecine de Kinshasa et son équipe ont appliqué une riposte axée sur 4 points.

Maladie « socioculturelle »

Ce quatre points sont les suivants : la reconnaissance de la maladie grâce à une définition simple et adaptée au contexte rural ; la rupture de la chaîne de transmission du virus dans la communauté en isolant le malade dans un centre de traitement ; le suivi des contacts pendant 21 jours et la mise en place des mesures d’hygiène nécessaires pour les enterrements et la sensibilisation des communautés.

Dans une interview accordée à RFI, le professeur Muyembe Tamfum insiste sur la nécessité de sensibiliser les populations concernées avant même de monter des centres de traitement. Selon lui, « Ebola est une maladie socioculturelle ». Les équipes médicales qui se sont ruées en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia n’ont pas tenu compte de certaines mœurs africaines, concernant notamment l’organisation du deuil. Elles étaient certes de bonne foi, mais n’avaient pas impliqué dès le départ les populations concernées dans la lutte contre cette épidémie.

C’est pour reconnaître l’apport exceptionnel du Docteur Muyembe et de son équipe que l’Institut de France lui accorde le prix Christophe et Rodolphe Mérieux. Doté d’une enveloppe de 500.000 euros, ce prix lui permettra de renforcer les équipements de son plateau de travail à l’INRB Kinshasa afin de poursuivre ses recherches. « Nous allons continuer de récolter des échantillons sur les chauves-souris et de les analyser pour vraiment chercher à mettre la main sur ce problème qui reste l’énigme scientifique d’Ebola », dit-il. En entendant, le médecin congolais expérimente une sérothérapie. (Ndlr : un traitement à base du sang d’une personne convalescente). Testée sur 8 malades, cette thérapie en a permis la guérison de 7 d’entre eux…un espoir !