Afrique : la justice kényane en point de mire

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

« Un nouveau Kenya est né »

Tel a été le cri de victoire lancé par Raila Odinga, vendredi 1er septembre, après la décision de la Cour suprême du Kenya invalidant le résultat de la présidentielle du 8 août. Celui-ci a obtenu 44,74 % des suffrages, loin du score réalisé par le président sortant, Uhuru Kenyatta, qui en a récolté 54,27 %. Si c’est une première en Afrique, ce cas n’est pas légion non plus à travers le monde.

Uhuru Kenyatta et Raila Odinga

Une première précédée par un autre cas tout aussi exceptionnel, en Gambie, où un des pires dictateurs, Yahya Jammeh, a officiellement perdu les élections. C’était en décembre dernier. Après avoir accepté sa défaite, il s’était rétracté par la suite au point qu’il fallait le résoudre à quitter le pouvoir sous la menace de l’intervention armée de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest).

S’il n’y a pas de similitude entre les deux cas, il y a sans doute à y voir la naissance d’une dynamique qui pousse vers l’éclosion de la démocratie. Plus ou moins entachée en Gambie par l’attitude versatile du dictateur, la situation au Kenya s’est présentée sous le signe de la sagesse. On note que le « vainqueur déchu » a, certes, cédé à la violence verbale, allant jusqu’à traiter les juges de cette instance d’ « escrocs », sans toutefois rejeter la décision judiciaire. Une posture responsable qui a évité de donner lieu à une empoignade sanglante entre les partisans chauffés à blanc des deux camps. Après une campagne folle.

 

Tout peut donc arriver

La prise de position de la justice kényane d’invalider la présidentielle du 8 août a été saluée avec enthousiasme partout en Afrique. Outre le débordement de la presse locale, qui a épuisé tous les termes de louange, pour qualifier la circonstance, les médias africains en ont fait également leur affaire. La plupart d’entre eux ont exprimé l’espoir de voir, enfin, tout le continent emboîter le pas des juges kényans. Tel aussi a été le sentiment de plusieurs observateurs indépendants, à l’instar de Crisis Group, qui estimait que « la démocratie non seulement au Kenya, mais également en Afrique, est en train de mûrir ».

[source : https://afrochild.files.wordpress.com]

De tout côté, le satisfecit est donc total, mais ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Car, derrière cette décision judiciaire se cachent nombre d’interrogations, par rapport à la réalité sur le terrain.

 

Quelques questions sur la nouvelle élection…

Le pays dispose-t-il de moyens financiers nécessaires pour organiser, en soixante jours, deux présidentielles sortables ? Trouvera-t-on une solution qui satisfasse toutes les parties, quant à la restructuration de la Commission électorale indépendante (IEBC) que l’opposition appelle de tous ses vœux, alors que le parti au pouvoir s’y refuse net ? La sagesse observée aujourd’hui de la part des deux candidats sera-t-elle toujours de mise, lors de la proclamation du scrutin remis en jeu ?

Sur un autre plan, quelle serait la place des observateurs internationaux, clairement décrédibilisés par la décision de la Cour suprême, alors qu’ils avaient déclaré « crédible » l’ensemble des opérations du vote ? La question restera longtemps posée…

Enfin, au Kenya, comme c’est le cas partout en Afrique subsaharienne, se pose avec acuité la question ethnique. Les Luo, d’un côté, et les Kikuyu, de l’autre, ne continuent pas moins de se regarder en chiens de faïence. Tout peut donc arriver, lors du second scrutin prévu pour le 11 octobre. En attendant, la Cour suprême constitue le point de mire.

Simon Brochard (SOS Méditerranée) : « Les gens n’ont pas attendu qu’on soit là pour partir »

[Par Hicham MANSOURI]

Cet article a été publié en partenariat avec le journal Kezako du Festival de Douarnenez

Marin à bord de vieux gréements, Simon Brochard s’est installé voilà cinq ans à Douarnenez pour se former à la fabrication des voiles. Une heure du documentaire « Les migrants ne savent pas nager », a suffi pour le convaincre à rejoindre la cause de SOS Méditerranée et s’engager dans le sauvetage humanitaire des migrants en mer Méditerranée. Depuis, il a contribué, à bord de l’Aquarius, au secours d’une douzaine de bateaux près des côtes Libyennes.

Simon Brochard

Comment tu t’es engagé dans l’humanitaire ?

L’an dernier, j’étais au festival de Douarnenez. J’ai été à la projection du film Les migrants ne savent pas nager, ça a été un choc. On voyait des gens monter dans des bateaux, qui, techniquement, ne peuvent pas traverser la mer.

 

C’est-à-dire ?

Aucune des embarcations que j’ai vues n’aurait pu faire la traversée. Ce sont des « bateaux » qui sont, par définition, en état de détresse. En tant que marin, si quelqu’un est en détresse en mer, on doit le secourir. Ça fait partie de notre ADN.

 

Les mouvements anti-migrants vous accusent de travailler « main dans la main » avec les passeurs…

C’est un mensonge ! La preuve c’est qu’en 2014, donc avant que les ONG interviennent, la marine italienne menait déjà des opérations de sauvetage. Au bout d’un an l’Union européenne a renforcé la surveillance des frontières, mais ça n’a pas fait diminuer les départs de la côte libyenne. Les gens n’ont pas attendus qu’on soit devant pour partir.

 

Quel moment t’a le plus marqué ?

C’est quand j’ai vu 195 personnes entassées sur une planche d’à peine dix mètres de long entourée d’une sorte de chambre à air. Les gens étaient tellement serrés qu’ils ne pouvaient même pas communiquer entre eux. Le moindre mouvement ou la moindre vague peut mettre fin à leur aventure.

Beaucoup de personnes périssent noyées, mais d’autres meurent pendant la traversée à cause de la promiscuité et du mélange d’eau et d’essence qui leur fait perdre conscience. Leur dernier réflexe est souvent de mordre leurs voisins. Les rescapés nous disaient, en nous montrant leurs bras mordus : « On a essayé de les relever mais c’était trop tard…».

 

 

Nouvelle visite sentimentale à la Seine

ou « Je n’ose pas  regarder la vérité face »

Un poème de Nahid SIRAJ

Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN,

(téléchargez la version originale ici)

Sans titre ©Nahid SIRAJ

 

Chère Seine,

 

Je ne connais rien du cerveau droit de Pachebel,

Mais une nuit je me suis senti prêt à quitter Paris,

La cadence du Canon a pris le dessus sur mon esprit

Et mon existence n’a pas su trouver ses racines… mais des larmes.

 

Supporterais-tu à jamais ces pleurs ?

Un « Paillard » arrivera-t-il à donner plus du sens à ma vie ?

Je me souviens de la nuit où tu t’es révélée toi-même

Une sorte de flot se muant en paroles

M’a fait comprendre d’où proviennent les discours.

Tu m’as amené vers cet instant précis où naît le premier mot.

Comme il était profond  ton amour pour moi, Seine !

Néanmoins je désirais alors  me séparer de tout

Pour un voyage désespéré.

Pour cause de cœur brisé

De volonté annihilée ?

Moi, je n’ai plus de certitudes, Seine !

 

Tu te souviens de ma voix effarée

Tentant de trouver le tempo de la vie ?

Oh ! J’ai cherché les sentences

Capables de m’aider à franchir l’espace qui me sépare d’elles !

 

Lors de la plus solitaire et inédite des nuits

Tu as bien convié des légendes suprêmes ?

Et  tel l’altruiste, ont elles bien joué le plus pur des airs pour nous ?

Cela m’a donné des ailes, celles de la mélodie ;  je pourrais voler, je ne pouvais pas, pourquoi ?

 

Existe-t-il quelqu’un qui souhaiterait le savoir,

Sur le grand écran de la pleine Lune

Et montrer le récit de Malick avec la finesse de Lubezki ?

 

Qu’il te soit rendu grâce car j’étais là ;à m’imprégner de «  la meilleure façon de regarder ».

 

Sans doute as-tu œuvré au mieux à mon bénéfice, Seine !

Mais jusqu’où aller dans le consentement pour implorer la vérité ?

Jamais nous ne vénérons l’utérus du Temps.

Est-ce l’empilement de données abstraites accumulées dans ma tête,

Ou bien des images obsédantes ?

 

Qu’est-ce qui provoque ce séisme d’ordre chimique dans ma tête ?

Le sais-tu ? Je l’ignore, ma Seine !

Néanmoins je suis bien là, ici je dis mon amour –

Et je me sens si médiocre au point de ne pas te posséder

Tellement « académique » au point de ne pas te désirer tel ce trésor que tu es !

 

Note de l’auteur : Nouveau pays, nouvel environnement ; par-dessus tout, nouveau langage. Et, être confronté à des événements inattendus, voire désolants. Ma vie à Paris a commencé de la pire des manières ce qui a fortement influencé mon adaptation sociale. De fait, je suis devenu solitaire. Et cette solitude m’a fait devenir un amoureux de la Seine. J’aime profondément la Seine et elle me le rend bien. Le lien qui nous unit est particulier, tellement spécial qu’il me rappelle parfois le «réalisme magique». Le poème Nouvelle visite sentimentale à la Seine raconte le commencement de ma vie à Paris et les révélations qui ont accompagné mes nuits solitaires sur les berges du fleuve.

 

L’appel de Shiyar Khaleal, porte-parole de “Détenus d’abord” : “Les syriens méritent un futur libre de toute tyrannie”

13173116_1204431332902910_4281646736751400093_o[Par Shiyar KHALEAL]

Je me considère chanceux d’avoir survécu à l’épreuve de l’emprisonnement dans un des centres de détention de Bachar el-Assad. Depuis le début de la révolution Syrienne, en mars 2011, des centaines de milliers de personnes innocentes ont été arrêtées et retenues illégalement pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels j’ai été accusé : la recherche de la liberté, de la démocratie et d’un gouvernement qui puisse rendre des comptes à son peuple. La vaste majorité de ceux qui ont été arrêtés n’ont pas survécu à leur détention et ne sont en conséquent pas capables de rapporter toutes les horreurs qu’ils ont vues et expérimentées. Et pour chaque personne tuée lors d’une incarcération, des milliers d’autres languissent dans une captivité où elles passent par la famine, la torture, et trop souvent par la violence sexuelle. L’ancien chef procureur de la Cour spéciale de Sierra Leone, Desmond Lorenz de Silva, a comparé la torture à l’intérieur des prisons d’Assad à « du meurtre à échelle industrielle »

Tandis que l’attention du monde se porte sur l’issue de l’élection des Etats-Unis, le 16 novembre j’ai voyagé à Bruxelles avec une délégation d’avocats défenseurs des droits humains des Syriens, ainsi que des anciens détenus pour rencontrer des diplomates européens d’expérience. Notre message est clair : appeler l’Europe à devenir un véritable partenaire moral du peuple Syrien et paver la route pour une nouvelle approche compréhensive de la Syrie. C’est aujourd’hui encore plus important étant donné le résultat des élections américaines. Notre délégation à Bruxelles porte la responsabilité d’être la porte-parole de tous ceux qui ont péri en détention. Ces personnes sont toutes une sorte de rappel constant de pourquoi nous, Syriens, sommes tout d’abord venus dans les rues, et pourquoi notre révolution perdure.

Les efforts pour assurer la libération des détenus sauveront des vies et aideront à débloquer certains efforts pour atteindre une solution politique. Le peuple syrien a demandé à de nombreuses reprises de libérer ces détenus dans l’optique de reconstruire une certaine confiance. Accomplir des progrès sur le dossier des détenus demeure un moyen de recommencer des négociations significatives pour une transition politique.

La justice et la paix en Syrie apporteront aussi plus de sécurité en Europe. La crise des migrants et la montée des attaques terroristes montre que l’Europe n’est pas isolée de la crise en Syrie. Cependant, ni le terrorisme ni la crise des migrants ne seront résolus sans réelle responsabilité de la Syrie. Sans des pas concrets pour s’occuper de la culture de l’impunité en Syrie, il y a un risque sérieux de voir le peuple syrien perde espoir en des principes tels que ceux des droits humains internationaux et la loi humanitaire. Un tel environnement ne fera qu’attiser le conflit.

C’est donc dans l’intérêt de l’Europe de s’assurer des conséquences des violations de ces droits humains et de mener des nouveaux efforts pour libérer tous les Syriens détenus sans aucuns droits. Il y a des pas concrets que l’Union Européenne peut faire pour garantir la justice et la responsabilité du peuple Syrien. Par exemple l’Union Européenne et ses Etats membres devraient mener un effort dans l’Europe et dans l’assemblée générale des Nations Unies pour que soient mis en place des dispositifs d’aide et de contrôle internationaux, tels que le Comité International de la Croix Rouge, pour avoir un accès immédiat à toutes les installations de détention syriennes, incluant des installations secrètes contrôlées par des milices étrangères. Comme l’horrible portrait de César le dépeint, certaines des formes les plus sévères de « justice » d’Assad sont distribuées avec une régularité intimidante dans ces installations mêmes, avec des détenus systématiquement sujets au viol, à la torture, à la famine, à la suffocation, et à des blessures par balle.

Tandis que la responsable des affaires étrangères de l’Union Européenne Federica Mogherini intensifie son engagement régional, nous l’appelons à pousser le régime – ainsi qu’à ses maîtres à Moscou et Téhéran – à suspendre tous les ordres d’exécution dans les centres de détention. Les auteurs de kidnapping, de torture et d’exécution de personnes innocentes doivent être tenus pour responsables. Cette responsabilité n’aidera pas seulement la volonté des victimes d’obtenir justice, mais elle empêchera d’autres crimes d’être commis dans le futur, sur le court terme et aussi dans l’optique d’apaiser la violence actuelle.

L’Europe a une longue et vénérable histoire en ce qui concerne son soutien aux efforts mis en place pour accomplir une justice qui fasse transition pour les victimes de crimes de guerre. Elle sert d’hôte à la Cour Criminelle Internationale, la Cour Internationale de Justice, ainsi qu’à d’autre tribunaux mis en place pour assurer la justice envers des victimes de crimes de guerre. Il est temps pour l’Europe de montrer ces mêmes qualités de leader dans sa recherche active pour protéger et apporter de la justice à tous les Syriens. Ceci doit être un message univoque de la part des dirigeants européens au président fraîchement élu Trump.

Les Syriens méritent un futur où ils puissent vivre en sécurité, libres de toute tyrannie et de la peur de bombes lancées à tort et à travers. Mais tant que des centaines de milliers de Syriens sont détenus illégalement, aucun Syrien n’est libre. C’est pourquoi nous avons besoin de l’Europe pour se mettre debout et assurer le fait que ceux qui sont responsables des abus et des tortures à l’intérieur des prisons Syriennes seront traduits en justice. Une responsabilité et une justice de transition sont des éléments essentiels pour garantir une Syrie libre pour tous les Syriens.

 

Traduction par Johanna Galis.

 

 

RD Congo : bienvenue à l’usine à gaz !

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Les drames congolais ? C’est cyclique. La clef de voûte de celui qui a commencé à se tisser, à travers la présidentielle brouillée de 2011, vient d’être posée, le jeudi 17 novembre. Il s’agit de la nomination d’un nouveau Premier ministre, en la personne de Samy Badibanga, selon les termes d’un « Dialogue politique » bâtard. Un forum initié par l’Union africaine, vite rejeté par les principaux partis d’opposition, mais auquel a participé une poignée de « dissidents ».

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Samy Badibanga ( au centre), lors de la cérémonie d’ouverture du dialogue national, à Kinshasa, le 1er septembre 2016 ( crédits photos: Junior.D.Kannah AFP)

Le fond du problème : la tenue de la présidentielle, prévue en ce mois de novembre, et par conséquent, le départ du pouvoir du président Kabila, dont le deuxième et dernier mandat s’achève le 19 décembre, en vertu de la Constitution ou report de cette échéance, avec pour conséquence, le maintien du président en exercice. Il s’agissait, en résumé, du respect ou non de la Constitution.

Le 17 octobre, le « Dialogue politique » a tranché : report de la présidentielle et maintien à ses fonctions du président Kabila, jusqu’en avril 2018, situation qui devait être accompagnée par une sorte de gouvernement de transition, sous la conduite d’un Premier ministre, issu de l’opposition. Or, depuis 2011, Samy Badibanga est en rupture de ban avec la direction de l’UDPES, son parti et formation principale de l’opposition congolaise.  De ce fait, Il ne représente que lui-même.

D’où l’impasse, ou plutôt le début d’un énième drame sanglant. Alors que, dès le départ, l’ONU, les Etats-Unis, la France, l’Eglise Catholique, et plusieurs voix ayant autorité à travers le monde prônaient le respect de la Constitution, tout en appelant à la responsabilité du président Kabila. Rien n’y a fait. Si bien qu’on en est arrivé, aujourd’hui, à ce point de non-retour qui ne peut présager autre chose qu’un bain de sang.

Le règne des « rois fainéants »

Comment s’est construite cette usine à gaz ? La réponse se trouve dans l’histoire même postcoloniale du pays : c’est un pays de crises cycliques. Au point qu’au cours des années 1960, date de l’indépendance, le substantif « congolisation » fut forgé pour désigner toute situation de grand désordre au monde.

Depuis, le ciel congolais n’a guère connu d’éclaircies. Les rébellions de toutes les couleurs, la dictature de Mobutu pendant 33 ans et l’arrivée de la dynastie Kabila au pouvoir (père, puis fils), depuis 1997, ont laissé ( et continuent à le faire) des stigmates de la médiocrité.

C’est dans cette logique qu’il convient de placer les convulsions qui ébranlent, actuellement, la sphère politique congolaise. Avec, en prime, l’appui du règne d’un président de la République, comparable à celui des « rois fainéants » au VIIe siècle, dont le pouvoir n’était qu’apparent.

Telle est la caractéristique principale des deux mandats du président Kabila, hissé au fauteuil présidentiel, à l’assassinat de son père Laurent Kabila, en 2001. A l’opposé d’un Mobutu, ancien journaliste, qui fut au fait des rudiments des relations internationales. Et qui, par conséquent, avait une certaine vision des choses, qui lui permettait d’initier des décisions personnelles à prendre.

Les dés sont jetés

Quant à l’autre, c’est sa cour qui « pense » et règle tous les moindres détails sur la direction du pays. Son silence que la presse qualifie de « légendaire » n’a d’égal que son incapacité, elle aussi légendaire, à cogiter et à s’exprimer. Tout repose sur sa cour qui, progressivement, s’est solidement structurée, jusqu’à se donner la dénomination flamboyante de « G 6 », un groupe composé de six personnes aux pouvoirs illimités.

Certes, celle-ci comprend d’éminents intellectuels, comme Alexis Thambwe Mwamba, mais malheureusement, tous au caractère politique erratique. Sans idéal, sinon celui de s’enrichir sur le dos du peuple. D’où la succession des montages machiavéliques, visant à maintenir indéfiniment au pouvoir le « roi fainéant », sans la présence duquel ils seront éjectés, avec leurs affidés, hors des circuits pécuniaires.

La nomination de ce premier ministre, à l’analyse, ne constitue qu’un marchepied pour atteindre l’objectif final, à savoir l’amendement de la Constitution dans le but d’accorder deux mandats supplémentaires au président Kabila, comme ce fut le cas au Rwanda. Mais la RD Congo n’est pas le Rwanda. Et, dès lors, il faut dire que les dés sont déjà jetés pour une nouvelle crise, longue et sanglante.

 

 

 

 

Trump s’occupera-t-il de l’Afrique ?

[par Jean-Jules LEMA LANDU]

Comme partout ailleurs, l’Afrique a suivi assidûment le déroulement de la présidentielle américaine. Dans l’imaginaire collectif, l’Amérique, parée de sa grandeur économique et militaire, est perçue comme une sorte de puissance tutélaire universelle.

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Donald Trump élu 45ème président des Etats-Unis. (crédits photos: Mary Schwalm / AFP )

La Chine, la Russie, l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni, chacun a eu son mot. L’idée générale qui s’en dégage se résume à l’interrogation, tant Donald Trump, le nouveau locataire de la Maison Blanche, est un inconnu. Considéré, surtout, comme quelqu’un aux sorties à l’emporte-pièce.

Cela prouve que les Etats-Unis tiennent le manche de plusieurs leviers sur la marche du monde.

Quelle est la place du continent africain, en termes de profits économiques, politiques ou géostratégiques, sur cette plate-forme régissant les relations internationales ?

L’Afrique, en réalité, y est absente. Entre les Etats-Unis et l’ensemble des 54 Etats africains, spécifiquement, les échanges y sont exsangues. Entre 2000 et 2010, les exportations non pétrolières de l’Afrique furent chiffrées à 53,8 milliards de dollars contre 20, 3 milliards de dollars, dans le sens inverse, pour les Etats-Unis. La moyenne, de part et d’autre, est insignifiante !

En 2014, à l’instar de la Chine qui, en matière de financement en faveur de l’Afrique, tient le haut du pavé, l’Amérique a initié le sommet « Etats-Unis – Afrique ». Une sorte d’opération de charme, au cours de laquelle le président Obama a engagé son pays à verser 33 milliards de dollars, à titre d’investissements publics et privés. Deux ans après, la corbeille est encore quasi vide.

Libérer la démocratie

Côté politique, les Etats-Unis (comme le reste des autres puissances occidentales) n’ont jamais véritablement soutenu le continent, dans sa quête pour l’émergence de la démocratie. Les souvenirs liés aux années soixante, début des indépendances africaines, sont amers. Pour empêcher le continent de basculer dans l’escarcelle du communisme, Washington a exercé l’effet de criquet au développement de celui-ci, en favorisant des conflits internes.

En dépit de tout, l’Afrique n’avait cessé de regarder à ce « puissant maître », qui a fait de la démocratie le socle de sa vie. De la Maison Blanche – tout comme de l’Elysée ou de 10 Down Street -, on s’attendait de voir venir, un jour, la planche de salut. C’est ainsi qu’à l’élection de Mitterrand, en 1981, ou à celle de Clinton, en 1992 – supposés « progressistes » -, l’Afrique centrale a dansé de joie. Espoir trahi !

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Pierre Nkurunziza, président burundais, sable le champagne pour saluer l’élection du 45e président des Etats-Unis, Donald Trump. ( crédits photos : afrique-sur7.fr)

Désabusée, l’Afrique ne vibre plus pour les présidentielles, en Occident. Désormais, elle les regarde, assise au balcon. D’où l’étonnement de certains analystes, face à la joie qu’ont exprimée les présidents Pierre Nkurunziza du Burundi et Joseph Kabila de la RD Congo. Ils sont allés jusqu’à sabler le champagne, en l’honneur de l’« ami Donald ».

Or, le nouvel élu américain reste encore une énigme pour l’Afrique qu’il ne connaît, probablement, que de manière vague. Que cette hypothèse venait à se vérifier ou non, aurait-il à cœur le sort du continent, lui qui privilégie à outrance la notion de l’ « american way of live » ? Le doute est permis. Tout au moins, s’attèlera-t-il à considérer le continent, comme ses prédécesseurs, sous l’angle des intérêts géostratégiques et commerciaux, à travers l’installation des bases militaires et l’importation de matières premières nécessaires à la croissance américaine ?

Que les dirigeants africains quittent leurs illusions ! Le départ d’Obama, leur contradicteur obstiné, et l’arrivée à la Maison Blanche de Trump n’arrangeront en rien leurs ennuis. Car, c’est avec leurs peuples respectifs qu’ils ont affaire. Et, l’affaire est simple : libérer la démocratie.

 

 

L’Afrique divise-t-elle l’opinion en France ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique, en septembre dernier, le Premier ministre, Manuel Valls, a pris à contre-pied l’ancien président, Nicolas Sarkozy, déclarant : « J’ai la conviction qu’une part de l’avenir de l’Europe et donc de la France se joue en Afrique, et que ce siècle sera celui des Africains. » Il l’a redit, récemment, en Côte d’Ivoire, lors de sa tournée africaine.

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Le premier Ministre Manuel Valls aux côtés de Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire et Kablan Duncan, premier ministre ivoirien, lors de sa tournée en Afrique de l’Ouest le 30 octobre 2016 (crédits phots: Ben Alain, africaposts)

Tel ne fut pas l’avis, il y a quelques années, de l’ancien chef de l’Etat : « Économiquement, la France n’a pas besoin d’Afrique. », affirmait-il. En réalité, ces propos renvoyaient, subtilement, à l’image d’une « Afrique de clichés » : misérabiliste.

Le professeur Bernard Debré, ancien ministre de la Coopération, quant à lui, se pose plutôt en farouche défenseur. En 2010, il a plaidé le cas du continent, dans le même hebdomadaire, en évoquant le tâtonnement. « L’Afrique est en marche », voulait-il dire, autrement.

Car, à l’analyse, on s’aperçoit, aujourd’hui, que tous les grands pays du monde couvent des yeux l’Afrique et s’en approchent, à travers des rencontres bilatérales pour « sceller l’amitié » avec elle. Depuis peu, l’Allemagne et d’autres, qui manquaient à l’appel, se bousculent au portillon. Le premier enjeu de cet engouement, à l’évidence, revêt un caractère économique. Cette attitude globale confirme la « conviction » de Valls ainsi que l’opinion exprimée par beaucoup d’observateurs.

Mais, sont aussi nombreux ceux qui épousent un point de vue différent. Tout en s’invitant au débat. Parmi eux, quelques Africains comme la Zambienne Dambissa Moyo et le Malien Moussa Konaté. Leur thèse rejoint celle développée par plusieurs auteurs « afro-pessimistes », dont le journaliste polonais Kapuscinski et le célèbre écrivain britannique Naipaul. L’un affirmait que « l’Afrique n’existe que par la géographie », l’autre parlait de « la malédiction des tropiques ». Économiste de formation, la Zambienne pense, dans « L’Aide fatale », que l’Afrique est condamnée à rester pauvre, à cause de sa propension à vivre de l’aide, tandis que Konaté, dans « L’Afrique noire est-elle maudite ? », emboîte le pas à Naipaul. Et se désespère.

Quid de cette Afrique qui divise tant les opinions ?

L’Afrique dont il est question, aujourd’hui, est située sur un autre versant. Lumineux. Où, en dépit de tout, elle a pris conscience de son existence et revendique son identité. Il s’agit d’un continent doté de richesses naturelles fabuleuses dont le coltan, minerai, qui, pour l’heure, fait le bonheur de la technologie de pointe. Sans oublier sa masse démographique : en 2050, un quart de la population mondiale sera africaine, soit 1,9 milliards de personnes (en majorité jeunes). La mondialisation, en partie, doit passer par là.

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Logo du Forum franco-africain qui s’est tenu le 6 février 2015 à Bercy ( crédits photos: economie.gouv.fr)

Comment, dans cette optique, ne pas associer l’Afrique aux exploits du futur ? Et envisager la coopération tous azimuts avec elle ? Reste à l’accompagner dans son réveil comme le préconisent Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg, dans « Quand l’Afrique s’éveille… ». Mais par qui ? Bernard Debré suggérait, en 2010 : « La France a encore un rôle à jouer en Afrique. »

Avis qui n’est pas resté sans écho, car en février 2015, à l’issue de Forum franco-africain, à Paris, la France s’est engagée à « accompagner » le continent dans son développement. « L’Afrique est pleine d’avenir et la France pleine de projets », a-t-on entendu dire. A quand les noces ?