PORTRAIT. « Nous n’avons rien fait de mal, juste tendu notre micro et allumé la caméra »

Menaces de mort, agressions et intimidations sont devenues le quotidien des acteurs de la presse à travers le monde.

Les journalistes maliens en font la douloureuse expérience depuis plusieurs années, dont Malick Konaté, journaliste pour l’AFP et fondateur de l’agence de communication MAKcom, a dû quitter le Mali et se réfugier à Dakar en septembre, puis en France en janvier 2023. Il relate aujourd’hui pour la Maison des journalistes son histoire. Entretien.

Malick Konaté a plus d’une dizaine d’années d’expériences à son actif, après avoir été sélectionné en 2012 pour intégrer en tant qu’animateur la radio web des Jeunes Francophones du monde. 

Étoile montante à Bamako, il participe la même année à une formation au sein de RFI dans la capitale française.

Grâce à la chaîne privée malienne Wôklôni-TV, le jeune homme suit une formation avec l’école de journalisme de Lille, présente à Bamako. 

C’est en 2015 qu’il se lance dans une carrière de journaliste reporter d’images, fort d’un parcours déjà bien fourni. Très vite, il parvient à se hisser au rang de rédacteur-en-chef pour une chaîne de télévision privée jusqu’en 2018, où il en devient le directeur de la chaîne Africom-TV. 

Il entame alors ses premières productions pour l’AFP, et collabore aujourd’hui avec BFMTV, TF1 ou encore Al-Jazeera.

Prolifique, Malick tient également à partir de 2018 sa propre agence de communication, MAKcom, où une chaîne télévisée diffuse ses programmes depuis cinq ans.

Le trentenaire a toujours couvert des sujets sensibles au Mali et depuis le coup d’Etat de mai 2020, subit de grandes campagnes de dénigrement et de harcèlement sur les réseaux sociaux.

L’année 2022, le début de la fin

En 2022, une dizaine de personnes y étaient employées : ils subissent les vagues de harcèlement mais tiennent la barre, avant la date fatidique du 31 octobre 2022, où les campagnes prennent “des proportions hors-normes.”

BFMTV diffuse en France un documentaire intitulé “Wagner, les mercenaires de Poutine”, provoquant l’ire sur les réseaux sociaux maliens. Malgré ses efforts, le journaliste émérite n’a d’autre choix que de réduire ses effectifs. 

Selon de nombreux anonymes en ligne réclamant sa tête, Malick aurait tourné la séquence sur le charnier de Gossi, un massacre que l’armée française attribue à Wagner.

Malick Konaté n’a jamais tourné cette séquence. Les images du charnier de Gossi ont été tournées par un drone de l’armée française qui les a transmises aux rédactions”, explique BFM dans un article

La chaîne rappelle également que Malick “n’a jamais participé à la rédaction du reportage”, en vain : le journaliste est désormais victime de centaines de menaces en ligne et d’appels à “abattre l’ennemi.”

Accusé de tenter d’espionner et “vendre” le Mali à l’Occident, Malick est depuis victime d’éreintantes campagnes de harcèlement en ligne.Sur les réseaux sociaux, ce sont généralement des faux profils qui m’attaquent et me menacent de mort, mais je ne sais pas qui se cache derrière tout cela”, explique-t-il au téléphone d’un ton mesuré et grave, typique des journalistes radio. Imperturbable, Malick ne tourne guère autour du pot et répond de manière directe à chacune de nos questions.

Le journaliste, pion de conflits géopolitiques

J’ai prouvé qu’il ne s’agissait pas de mes images car je n’étais pas en capacité de les tourner moi-même. Mais les gens pensent que nous mentons, moi et les médias français. Ils cherchaient un alibi pour s’attaquer à la France mais pas de manière frontale, c’est pour cela qu’ils m’ont attaqué moi” détaille-t-il d’une voix neutre. “Nous ne pouvons pas toucher la France, alors nous allons abattre Malick.

Une période sombre pour le journaliste, alors frappé de plein fouet par la dépression et isolé par tous.

J’ai été attaqué à mon bureau par deux personnes cagoulées, et rien n’a été fait malgré ma plainte. Une autre fois, des messages audio ont circulé sur Facebook et WhatsApp, où mon identité était dévoilée et où on appelait à m’abattre.”

Bien que les autorités possèdent les informations personnelles du harceleur, l’enquête piétine.

Je recevais aussi beaucoup d’appels anonymes pour me dire qu’on allait me tuer”, précise-t-il également. En raison de toutes ces atteintes à sa sécurité, Malick quitte le pays le premier septembre 2022.

Je soupçonnais les autorités maliennes de savoir et d’approuver ce qu’il se passait autour de moi. Je me sentais perdu sur place.” Un journaliste abandonné par son propre pays, dont la Constitution garantit pourtant la liberté de la presse.

Mes plaintes n’aboutissaient pas, jusqu’à ce que je saisisse le groupement pour le maintien d’ordre afin de sécuriser mon bureau”, où il recevait des lettres de menaces ainsi que des visites peu amicales. 

L’État-Major a envoyé quatre agents à mon bureau le 1er juillet 2022. À leur arrivée, ils m’ont demandé 60 000 Francs CFA [NDLR : environ 90 euros], puis 50 000 par agent et par mois pour la protection, ce que j’ai accepté. Mais les agents ne sont restés que trois heures avant de retourner au camp, sans m’expliquer pourquoi. Ils ne sont jamais revenus”, le laissant encore plus dans la déroute. Malick comprend qu’il lui faut quitter le pays, et organise son départ. 

Mais même en-dehors du pays, le journaliste continue de subir des pressions. Le 2 novembre 2022, une brigade d’investigation judiciaire de Bamako l’appelle et l’informe que sa présence est requise dans le cadre d’une rencontre avec le commandant de la brigade, sans plus de détails.

Prudent, Malick rétorque qu’il n’est pas au Mali mais passera au bureau lorsqu’il reviendra à Bamako.

Le brigadier m’a rappelé un peu plus tard pour savoir quand je reviendrai, je n’ai pas répondu avec précision. Le soir, notre conversation a été divulguée pendant des lives sur les réseaux sociaux par des cyberactivistes.

On y disait que j’avais fui la justice et le pays, que le chef de la brigade tentait de m’arrêter. Le même jour, ils ont envoyé des militaires habillés en civil chez moi pour m’arrêter. Qui d’autre hormis la brigade pouvait-elle transmettre le contenu de notre échange ? Ils étaient en contact direct avec les cyber activistes.

Une population favorable à la presse et aux journalistes

Avec plus de 120 000 followers sur Facebook et 145 000 sur Twitter, Malick ne perd ni espoir ni foi envers la solidarité du peuple malien envers sa presse.

Je reçois régulièrement des appels et des messages vocaux de soutien, je suis parfois reconnu dans la rue à Paris où on salue mon travail. Je vois également défiler beaucoup de publications Facebook pour me défendre, les organisations de presse me soutiennent”, à l’instar de l’Association de la presse. 

L’engouement populaire nourrit ses ambitions, lui donnant “encore plus envie d’informer. Le métier est risqué mais en vaut la peine. Toutes les personnes interviewées dans ce reportage étaient informées et d’accord, même les intervenants connus au Mali. Nous n’avons rien fait de mal, nous avons juste tendu notre micro et allumé la caméra.

Pour Malick, ses détracteurs “sont des soutiens de la transition”, connus mais peu nombreux. “Ces personnes pensent qu’on doit prêcher dans la même trompette qu’eux, et voudraient que l’on supporte tous la transition.” Mais les journalistes “ne sont pas des soutiens” pour aucun camp politique. 

Nous devons constater les faits et donner l’information à l’opinion”, assène Malick au téléphone.

Ils nous dénigrent pour tout, ils n’ont pas compris et ne savent pas ce qu’est réellement le journalisme. Nous sommes vus comme des ennemis du pays, payés par l’Occident pour faire tomber le Mali. Peut-être sont-ils payés pour soutenir la transition. Après tout, le voleur pense toujours que tout le monde vole comme lui”, conclut le journaliste de l’une de ses célèbres maximes. 

Mais alors, que faire aujourd’hui ? Rien n’arrête Malick, qui poursuit ses investigations depuis la France. Mais il compte un jour “rentrer à Bamako si la situation se stabilise et que l’Etat assure ma protection.”

Il assure qu’il continuera son métier de JRI jusqu’à la fin. “Nous ne sommes ni amis ni ennemis de quelqu’un, nous ne sommes pas des communicants. Nous sommes là pour rapporter les faits, informer l’opinion. Il n’y a pas de démocratie sans la presse, l’une ne peut vivre sans l’autre. Mes concitoyens et le gouvernement malien doivent en prendre conscience.”

Crédits photos : Malick Konate.

Maud Baheng Daizey

À l’Hôtel de ville de Paris, une cérémonie d’accueil des plus symboliques

Ce mercredi 3 mai, la Maison des journalistes a tenu sa cérémonie d’accueil des nouveaux journalistes exilés, dans les salons de l’Hôtel de ville de Paris. Aux côtés de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la mairie de Paris en charge des droits humains, et Arnaud Ngatcha, adjoint chargé des relations internationales, la MDJ a célébré la liberté de la presse avec ses journalistes et de nombreux ténors du monde de la presse : France Média Monde, Reporters sans Frontières, Ouest-France ou encore France Télévisions, beaucoup se sont joints à la célébration pour nous soutenir.

Dans un cadre solennel, au milieu des tableaux et moulures des salons de l’Hôtel de ville, douze journalistes se sont vus offrir une carte de la citoyenneté. Chaque année, la MDJ convie ses nouveaux résidents à l’événement, afin qu’ils reçoivent de la mairie de Paris cette carte, leur permettant d’accéder gratuitement à un large panel d’activités culturelles.

Grâce à elle, nos journalistes peuvent désormais découvrir les coulisses des services publics et rencontrer des élus. Elise Lucet, journaliste d’investigation, nous a fait l’honneur d’être la marraine de la promotion 2023.

Une photo d’Atef Ammari. Elise Lucet en plein discours à l’Hôtel de Ville.

Une solidarité sociale et professionnelle

Dix nationalités ont été représentées : l’Ukraine, la Russie, l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan, Cuba, la Guinée Conakry, la Chine, Haïti et le Bangladesh. Des pays qui traversent actuellement de nombreuses crises, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou environnementales, et qui connaissent tous une mauvaise liberté de la presse.

L’occasion parfaite pour raffermir la solidarité de la Ville de Paris et de la MDJ envers les journalistes accueillis, et leur rappeler qu’ils peuvent jouir d’une véritable solidarité professionnelle et française. “Nous sommes là chaque fois qu’un média ou qu’un journaliste est attaqué, nous nous tenons à leurs côtés”, a par exemple salué Isabelle Parion, représentante du bureau du 15e arrondissement de la Ligue des Droits de l’Homme.

Photo d’Atef Ammari. De gauche à droite : Ihsan Ismail , Geneviève Garrigos, Omaima Al Majarish, Elise Lucet, Arnaud Ngatcha, Ahsan Ahmed, Darline Cothière, Adnan Hassanpour, Samereh Rezaei.

Ouest-France, France Média Monde et France Télévisions marchent aux côtés de la MDJ et des résidents depuis plusieurs années, ne s’arrêtant pas au simple soutien financier d’une chambre. Entre les reportages de Mortaza Behboudi pour France 2 ou encore les stages dans les rédactions de Ouest-France, nos collaborations ont nourri un journalisme objectif, passionné et libre.

Le devoir de solidarité doit se traduire de manière concrète”, a martelé François-Xavier Lefranc, récemment nommé président du directoire Ouest-France. Le journal tient depuis plusieurs années un stage d’immersion pour les journalistes de la MDJ, afin de leur permettre de s’insérer dans le milieu médiatique français.

Ouest-France a toujours parlé de l’actualité internationale, et “les contacts que nous avons avec vos journalistes réfugiés sont extrêmement importants et intéressants, sur une matière que l’on veut suivre en permanence. Ils apportent un regard différent sur l’analyse de l’actualité et les manières de travailler, ce qui est toujours passionnant et très enrichissant” autant pour Ouest-France que pour nos résidents.

Les journalistes et dessinateurs, “fantassins de la démocratie”

Mais tous n’ont pas la chance d’effectuer un stage, de trouver directement du travail après son exil ou d’échapper purement et simplement à la censure. Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, se rendait régulièrement en Afghanistan pour dénoncer le régime des Talibans. Depuis le 7 janvier 2023, il est enfermé dans une prison à Kaboul et est accusé d’espionnage, ayant été arrêté en plein milieu d’un tournage.

Geneviève Garrigos, élue conseillère de Paris, a tenu à rappeler que le franco-afghan, ancien résident de la MDJ, devait être libéré au plus vite. La Mairie de Paris a donc réaffirmé son appui envers sa personne et pour la presse indépendante.

Nous savons combien, dans le cadre actuel, il est important que nous soyons mobilisés pour défendre la liberté de la presse. […] J’ai une pensée toute particulière pour les journalistes emprisonnés, en particulier Mortaza Behboudi, dont nous demandons la libération immédiate avec la Ville de Paris, car le journalisme n’est pas un crime.”

Une photo d’Atef Ammari.

Pour Barbara Moyersoen, déléguée générale de l’association Cartooning For Peace, la mobilisation doit également s’étendre à tous les acteurs de la presse. En effet, “les dessinateurs de presse, à l’instar des journalistes d’investigation et photographes, sont parfois les premières cibles” des censure et répression de la liberté d’expression.

Les dessins de presse vont dénoncer les travers du pouvoir ou de la société à travers l’humour et la satire, ce que les autoritarismes détestent le plus. Ce sont les premiers fantassins de la démocratie”, a-t-elle affirmé. Leur emprisonnement et les répressions qu’ils subissent témoignent de l’état général de la liberté de la presse dans un pays ou un domaine, ce pourquoi leur protection demeure si cruciale pour le monde de la presse et la Maison des journalistes.

Maud Baheng Daizey

Élections présidentielles turques 2023 : La propagande est de mise

Depuis la tentative de coup d’État ratée contre Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, les journalistes sont muselés, bâillonnés en Turquie. Ce dimanche 14 mai 2023 se déroulaient les élections présidentielles turques, opposant principalement le président actuel Recep Tayyip Erdogan à Kemal Kiliçdaroglu. Erdogan est en tête, mais un second tour se profile. Depuis 20 ans, c’est la première fois qu’un candidat de l’opposition a de sérieuses chances de remporter les élections face au président Erdogan, arrivé au pouvoir en 2003. Mais les médias sont utilisés à des fins de propagande pour qu’Erdogan conserve son titre.

Par Andréa Petitjean

La liberté de la presse s’est considérablement dégradée en Turquie ces dernières années. Si elle est un pays signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, la Turquie est le quatrième pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde. La Turquie occupe la 165è place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières (RSF).

Entre expulsions, poursuites judiciaires, enquêtes pénales, manœuvres d’intimidation et de harcèlement, ou encore suppressions de cartes de presse, les journalistes doivent redoubler de prudence. Depuis l’élection du président Recep Tayyip Erdogan en 2014, 200 journalistes ont été jugés pour offense au chef de l’Etat et 73 ont été condamnés. 90 % des médias sont sous le contrôle du gouvernement. 16 chaînes de télévision ont été supprimées du satellite Türksat. 180 organes de presse ont fermé. Plus de 120 journalistes sont maintenus en détention. En Turquie, le président Erdogan utilise Internet comme outil de censure et de propagande.

Une campagne présidentielle marquée par la propagande

Ce 14 mai 2023 ont eu lieu les élections présidentielles et législatives turques. Alors que 90% des bulletins avaient été dépouillés dimanche soir, le chef de l’Etat recueillait 49,86% des voix contre 44,38% pour Kemal Kiliçdaroglu. La Turquie se dirige donc vers un second tour. Mais cette campagne présidentielle aura été marquée par la propagande mise en place par le gouvernement d’Erdogan, qui n’a cessé de stigmatiser et criminaliser l’alliance d’opposition.

Ceux qui ne votent pas pour lui sont soupçonnés d’appartenir à des groupes putschistes ou terroristes. La télévision publique s’est transformée en véritable organe de propagande au service du gouvernement. Erdogan a 60 fois plus de temps de parole sur la télévision publique que son rival. D’ailleurs, les chaînes publiques avaient refusé de diffuser le premier spot de campagne de Kemal Kiliçdaroglu, contraint de s’adresser quotidiennement au peuple à travers des vidéos publiées sur son compte Twitter.

Les médias et les journalistes, premières cibles du gouvernement d’Erdogan

Asli Erdogan, militante et écrivaine turque, par la photographe Carole Parodi.

En février 2020, l’affaire de la journaliste, militante et écrivaine turque Asli Erdogan avait fait grand bruit sur la scène internationale. Elle avait déjà été accusée d’appartenir à un groupe terroriste en 2016, année au cours de laquelle elle avait passé cent trente-six jours en prison. En 2020, les autorités turques l’avaient de nouveau accusée de propagande pro-kurde, d’« appartenance à un groupe terroriste », et de mettre en péril la stabilité du pays suite à sa collaboration avec un journal prokurde, risquant jusqu’à 9 ans de prison. Son procès avait repris après trois ans de suspension et de reports, avant que la journaliste ne soit finalement acquittée, une fois encore.

En août 2021, plusieurs chaînes de télévision avait été condamnées par le Conseil supérieur de la radio-télévision de Turquie (RTUK), dont la chaîne Fox TV (l’un des principaux réseaux de télévision en clair diffusant en Turquie). La chaîne a été sanctionnée après que l’un de ses journalistes ai qualifié de « cauchemar » les violents incendies qui ont récemment ravagé 35 provinces du pays.

En février 2023, à la suite du séisme meurtrier qui a frappé la Turquie, faisant plus de 50 000 morts, l’Etat d’urgence avait été déclaré, imposant de nouvelles restrictions à la presse. Plusieurs journalistes avaient été interpellés à la suite d’articles critiquant la gestion du désastre. Guillaume Perrier, journaliste du « Point » envoyé en Turquie pour couvrir le séisme, a été expulsé du sol turc après son arrestation a l’aéroport d’Istanbul.

Les chaînes Halk TV, Tele 1 et Fox TV ont été condamnées à des amendes et à des suspensions pendant cinq jours de de leurs programmes quotidiens suite à leurs commentaires sur le manque de réaction du gouvernement dans la gestion des dégâts provoqués par le séisme.

Le réseau social Twitter avait quant à lui été suspendu pendant quelques jours afin de limiter les critiques négatives à l’encontre du gouvernement.

En octobre 2022, nouveau coup de grâce pour la liberté de la presse en Turquie. Le président Erdogan a fait voter une loi qui condamne jusqu’à trois ans de prison toute personne diffusant des informations « trompeuses » et portant atteinte à « l’unité de l’Etat », ou « divulguant des secrets d’Etat ». L’article 15 prévoit l’annulation de la carte de presse pour les journalistes qui agiront « contre les règles morales de la presse ». La loi exige également la levée de l’anonymat d’un internaute en cas de poursuites. Les fournisseurs d’accès à Internet ou les plates-formes sociales seront sanctionnés s’ils refusent de livrer à la justice le nom de leurs utilisateurs. 

RSF a adressé 15 recommandations aux candidats aux élections turques, visant à protéger le droit à l’information, la liberté de la presse et prévenir les abus relatifs aux arrestations et emprisonnements de journalistes.

Dans un communiqué, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a quant à lui exigé la libération immédiate de tous les journalistes emprisonnés en Turquie et la fin des poursuites contre les journalistes couvrant les questions kurdes.

Au Burkina Faso, le gouvernement tenterait-il de faire taire les médias français ? 

Entre campagnes de désinformation et propagande politique, la liberté de la presse s’est considérablement dégradée au Burkina Faso. Les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè. Après la suspension de France 24 et de Radio France Internationale (RFI) un peu plus tôt dans l’année, les correspondantes Agnès Faivre (« Libération ») et Sophie Douce (« Le Monde ») ont récemment été expulsées du Burkina Faso le 1er avril 2023. Agnès Faivre a accepté de répondre à nos questions.

Par Andréa Petitjean

La bande sahélienne menace de devenir « la plus grande zone de non-information de l’Afrique » selon Reporters sans frontières (RSF). Les pays du Sahel sont cités comme des « terrains à risque » pour les journalistes, et plus particulièrement le Burkina Faso, le Mali, et le Tchad. Les dangers y sont nombreux pour les professionnels des médias, notamment en raison de la présence de djihadistes dont les attaques sont de plus en plus fréquentes depuis 2015d’affrontements intercommunautaires sanglants, et de juntes militaires, particulièrement violentes. Les journalistes ne sont plus en sécurité et l’accès à l’information est limité.

Chef d’État du Burkina Faso depuis 2022 à la suite d’un double coup d’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré ne cesse d’accentuer la pression sur les médias. Selon le classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières (RSF), le Burkina Faso occupe la 58è place sur 180, alors qu’il était en 41è position au classement de 2022. Selon RSF : « Que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Tchad, à peine sont-elles au pouvoir que les nouvelles autorités cherchent à contrôler les médias au travers de mesures d’interdiction ou de restriction, voire d’attaques ou d’arrestations arbitraires».

Les médias publics sont particulièrement vulnérables au moment des putschs. Les militaires cherchent à prendre le contrôle de la télévision et de la radio nationales afin d’annoncer leur prise de pouvoir et de refaçonner le paysage médiatique du pays. Le journalisme et la liberté de la presse sont menacés, au profit de la propagande.

RFI et France 24 couvrent de près l’actualité africaine et sont deux médias très suivis au Burkina Faso (ou du moins, l’étaient). Jusqu’à présent, un tiers de la population et plus de 60% des cadres et dirigeants suivaient France 24 chaque semaine au Burkina Faso. Mais les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè, en témoignent les récents événements :

En décembre 2022, le gouvernement burkinabé a décidé d’interdire à Radio France Internationale (RFI) d’émettre. Le 27 mars 2023, c’est au tour de France 24 de recevoir l’interdiction d’être diffusée. Le gouvernement lui reproche d’avoir diffusé une interview du Chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Mais ce n’est pas tout. Le 1er avril 2023, Sophie Douce et Agnès Faivre, correspondantes pour les médias « Le Monde » et « Libération », ont été expulsées du Burkina Faso. Agnès Faivre a perdu son accréditation après que Libération a publié le 27 mars les conclusions d’une enquête qui a fortement déplu aux autorités. La journaliste, de retour en France, a accepté de nous répondre en interview:

Quels sont les risques encourus lorsqu’on est journaliste au Burkina Faso ?

Il y a une menace sécuritaire dans le pays qui est confronté depuis 2015 à une insurrection djihadiste qui s’est considérablement intensifiée à partir de 2018-2019. Ça se dégrade très vite, 12 régions sur 13 sont plus ou moins intensément touchées par des incidents imputés aux groupes armés terroristes. Il est risqué de se déplacer, d’aller sur le terrain. Très peu de journalistes peuvent se déplacer, certains burkinabè le font mais ils sont très rares. Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, la liberté de la presse et d’opinion ont été progressivement entravées. D’autres risques sont apparus pour les journalistes, avec une multiplication de menaces, pressions, intimidations.

Comment le gouvernement tente-t-il de censurer/contrôler les médias et de faire pression sur les journalistes?

Il y a des pressions directes et assumées des autorités, des rappels à l’ordre fréquents. Des journalistes ont été convoqués au Service de la Sûreté, un service de renseignements, au Conseil supérieur de la communication pour des recadrages, d’autres encore sont poursuivis pour diffamation ou sommés de révéler leurs sources. Lorsqu’un journaliste ne suit pas la propagande du régime, il se fait attaquer sur les réseaux sociaux, voire est accusé d'”apatride”. Il y a enfin des appels à la haine véhiculés sur Whatsapp appelant au meurtre de certains journalistes, ou encore à incendier les locaux de Omega Médias, un groupe audiovisuel au ton très libre.

Quelle est la situation actuelle entre les médias et le gouvernement ? Comment définiriez-vous les relations journalistes-gouvernement au Burkina Faso ?

C’est presque un dialogue de sourds. Les journalistes burkinabè essaient de négocier une plus grande liberté d’expression, des moyens de couvrir ce conflit, un meilleur accès aux sources officielles, qui s’est considérablement réduit depuis septembre 2022. Mais les journalistes burkinabè sont diabolisés, ils ont une faible marge de manoeuvre.

Pour quelles raisons avez-vous été renvoyée du Burkina Faso ?

C’est à la suite d’une enquête parue dans Libération le 27 mars. On a reçu une vidéo dans laquelle un homme filmait sept enfants et adolescents étendus au sol, visiblement morts, les mains ligotées, les yeux bandés. À un moment donné, l‘un d’eux soulève une pierre pour la faire tomber sur le visage d’un enfant prétextant qu’il respirait encore. C’était une vidéo très cruelle dans laquelle apparaissaient des hommes habillés en “demi saison”, en treillis et t-shirts. On a enquêté sur ces exécutions extra judiciaires et on a pu identifier que des éléments de  l’armée régulière étaient présents, et que ça s’était produit dans une caserne à Ouahigouya, une ville du nord du Burkina. Peu après l’attaque d’une base de VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) des rafles de dizaines de personnes avaient été organisées dans certains quartiers de Ouahigouya, avec le soutien de l’armée. L’enquête a fortement déplu aux autorités.

Comment avez-vous su que vous étiez expulsée du territoire ?

L’enquête est parue le lundi et le vendredi, j’ai été convoquée à la Sûreté, le service de renseignements. L’entretien a duré 1h30. Le soir, l’agent qui m’avait interrogée s’est présenté à mon domicile pour me signifier, sur le pas de la porte, que j’étais expulsée et que j’avais 24h pour quitter le territoire mais il n’a pas donné de motif ni de document. Dans la nuit, les campagnes de désinformation me ciblant et ciblant Sophie Douce ont commencé. Le jour où j’ai été convoquée à la Sûreté, ils ont également convoqué ma consoeur Sophie Douce (“Le Monde”). On n’a vraiment pas compris pourquoi elle s’est retrouvée associée à ça, “Le monde” n’avait pas enquêté sur cette vidéo.

Les médias français comme RFI et France 24 ont été interdits de diffusion au cours des derniers mois. Ensuite, vous et Sophie Douce avez été expulsées du territoire, alors que vous travaillez respectivement pour Libération et pour Le Monde. Selon vous, la présence des médias français pose-t-elle problème au Burkina Faso ?

RFI et France 24, ce sont eux qui sont ciblés en premier, ils sont accusés d’être impérialistes. Nous (Libération) en presse écrite, on n’avait pas été trop touchés, on pensait être un peu plus épargnés. Mais il y a toute une propagande, un discours anti-impérialiste, il y a toute une logique complotiste qui veut voir la main de la France derrière certains drames qui se déroulent au Burkina Faso. C’est une tendance qui s’est renforcée. Les médias français tant critiqués sont perçus comme complices de cet impérialisme. On est dans la ligne de mire de ce régime là.

Les correspondantes Agnès Faivre (« Libération ») et Sophie Douce (« Le Monde »)

À la suite de la suspension de RFI, France 24, et de l’expulsion des correspondantes de Libération et du Monde, l’ONG Amnesty international a appelé les autorités du Burkina Faso à « cesser les attaques et menaces contre la liberté de la presse et la liberté d’expression » le 7 avril dernier.

Si les médias français ne semblent plus être les bienvenus au Burkina Faso, la présence des forces militaires françaises était elle aussi source de fortes tensions.

En janvier 2023, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Ouagadougou contre la présence française et réclamaient, entre autres, le départ de l’ambassadeur de France, ainsi que la fermeture de la base de l’armée française à Kamboinsin, où sont stationnées 400 forces spéciales. Finalement, le 19 février 2023, le gouvernement burkinabè annonçait le retrait total des soldats français à Ouagadougou, après 15 ans de mission dans le pays. Lorsqu’il était arrivé au pouvoir à l’automne 2022, Ibrahim Traoré avait laissé 30 jours à la France pour retirer ses troupes, soit jusqu’au 25 février 2023.

En Afghanistan, les talibans répandent encore et toujours la peur auprès des journalistes

Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021 en Afghanistan, la liberté de la presse est quasi inexistante. Les médias sont sous l’étroite surveillance et le contrôle permanent de la milice talibane. Entre censure médiatique, persécutions, emprisonnements, tortures et assassinats de journalistes, le gouvernement a mis en place un véritable règne de la terreur qui traque les journalistes et les professionnels des médias pour les réduire au silence. Retour sur l’état de la liberté de la presse en Afghanistan deux ans après le retour au pouvoir des talibans

Le 15 août 2021, les talibans prenaient le contrôle de l’Afghanistan. Apparu pour la première fois en 1994, le mouvement taliban prône un retour à l’islam pur (proche de celui existant au temps du prophète), et s’appuie sur une interprétation extrémiste de la loi divine aussi appelée la charia.

Le 27 septembre 1996, les talibans s’emparent de Kaboul et prennent le contrôle du pays pour la première fois, où ils font régner la peur et imposent des lois strictes. Le théâtre, la musique, le sport et la télévision sont interdits. Les femmes sont privées d’éducation et n’ont plus le droit de travailler. Les exécutions publiques font partie du quotidien.

Mais les attentats du 11 septembre 2001 réveillent la colère des Etats-Unis, marquant le début de la guerre d’Afghanistan. Le 13 novembre 2001, les soldats américains, aidés par l’Alliance du Nord, libèrent Kaboul, la capitale afghane. Le régime taliban s’écroule après cinq ans de terreur.

Le 1er mai 2021, les Etats-Unis annoncent officiellement le retrait de leurs derniers soldats présents sur le sol afghan, et les talibans ne tardent pas à s’emparer du pouvoir pour la deuxième fois. 

À leur retour au pouvoir en août 2021, ils avaient pour objectif de séduire les médias et de faire oublier le souvenir de leur premier régime (1996-2001). Ils se sont ainsi montrés souriant, posant pour des selfies, mangeant des glaces, répondant à une interview télévisée avec une femme journaliste, ou encore faisant des tours d’autos tamponneuses et de manège dans un parc d’attractions à Kaboul.

Alors qu’ils avaient déclaré vouloir faire partie de la communauté internationale, évoqué un « gouvernement inclusif », et promis que « les droits des minorités et de tous les citoyens seront garantis par le système à venir », le gouvernement mène une politique de répression médiatique qui ne laisse aucune chance de survie à la liberté de la presse

Les autorités multiplient les menaces envers les médias, qu’elles considèrent comme des « ennemis » du régime en vigueur. Interdictions de travailler, arrestations, emprisonnements, tortures, et assassinats de journalistes se succèdent en Afghanistan.

Lorsqu’ils accèdent au pouvoir en 2021, les talibans établissent 11 règles à respecter pour les journalistes. Parmi elles, on retrouve l’interdiction de diffuser des sujets contraires à l’islam et celle de critiquer le gouvernement, de près ou de loin.

Être journaliste en Afghanistan, un métier de tous les dangers

En Afghanistan, les journalistes risquant des accusations « d’immoralité ou de conduite contraire aux valeurs de la société ». De nombreux journalistes sont traqués par la milice talibane et sont forcés de se cacher ou de prendre la fuite.

Certains journalistes afghans formulent des demandes d’asile ou de visa, mais ces requêtes peuvent être des procédures longues et incertaines. Des centaines d’entre eux ont fui l’Afghanistan et se sont rendus en Iran et au Pakistan dans l’espoir d’y obtenir un visa pour un pays sûr, comme la France. 

En ce qui concerne les journalistes étrangers, il est difficile de se rendre en Afghanistan, notamment en raison de la difficulté à obtenir un visa.

L’ambassade de France en Afghanistan étant fermée, « le respect des droits fondamentaux et la sécurité des personnes ne sont pas assurés » en cas d’arrestation ou de détention, comme l’indique le site internet du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. 

Selon les derniers chiffres datant de 2022, plus de 60 % des journalistes ont perdu leur emploi. Près de 40 % des médias afghans ont disparu. La presse écrite est entièrement contrôlée par le gouvernement et c’est environ la moitié des radios qui ont cessé leurs activités.

Les journalistes femmes ont quasiment disparu du paysage médiatique afghan: plus de 80 % d’entre elles n’ont plus de travail. Dans 15 des 34 provinces du pays, il n’y a plus aucune femme journaliste en activité.

L’Afghanistan occupe la 156e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 2022. Le pays était passé de la 150e place (en 2012) à la 122e place (en 2021). 

Dès les premières semaines qui ont suivi leur prise de pouvoir, les autorités se sont attaquées aux journalistes. L’assassinat de Dawa Khan Menapal, ex-journaliste et ancien porte-parole adjoint du président afghan Ashraf Ghani, marqua le début d’une longue série d’assassinats et de violences envers les journalistes.

Dawa Khan Menapal, figure emblématique des médias à Kaboul, n’hésitait pas à critiquer le gouvernement à travers les réseaux sociaux. Il a été assassiné par la milice talibane lors de la prière du vendredi, le 6 août 2021. Quelques jours avant lui, Fazal Mohammad, un policier qui publiait des vidéos humoristiques sur internet, a également été tué par les talibans suite à ses commentaires en ligne.

En septembre 2021, les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi ont été tabassés par les autorités. Les deux hommes couvraient une manifestation de femmes pour défendre leurs droits à travailler et étudier à Kaboul. Ils ont été arrêtés puis violemment frappés à coups de bâtons, de câbles, et de tuyaux

Les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi tabassés et frappés avec des câbles par les talibans le 8 septembre 2021. WAKIL KOHSAR VIA GETTY IMAGES

Le 1er décembre 2022, les talibans avaient annoncé avoir interdit deux grands médias présents dans le pays, The Voice of America et Radio Azadi, la branche afghane de Radio Free Europe/Radio Liberty. Leurs sites internet respectifs avaient été suspendus. 

Depuis le 1er janvier 2023, deux journalistes ont été tués en Afghanistan, et cinq ont été emprisonnés.

Le 14 février 2023, les autorités ont organisé une descente dans les locaux de la chaîne de télévision afghane, Tamadon TV, où le personnel a été violemment agressé.

Reporters sans frontières (RSF) a réagi et leur a demandé de libérer les journalistes et de respecter la liberté d’informer. Ce n’est pas la première fois que les talibans ciblent les chaînes de télévision ou de radio.

En effet, le 12 février 2023, la seule radio pour femmes qui diffusait des programmes éducatifs destinés aux filles, Radio Sahar, a elle aussi reçu l’interdiction d’émettre.

Le 11 mars 2023, une explosion à la bombe a tué un agent de sécurité et fait huit blessés dont cinq journalistes afghans lors d’une cérémonie en l’honneur de la  « Journée nationale des journalistes » à Mazar-I-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan. 

Entre 2022 et 2023, plusieurs journalistes ont été arrêtés sur le sol afghan: Mohammad Yaar Majroh, reporter de ToloNews, l’une des principales chaînes de télévision du pays, Khairullah Parhar, de la chaîne de radio et télévision Enikass, ou encore Mortaza Behboudi, reporter franco-afghan dont l’arrestation a été largement médiatisée.


Le 7 janvier dernier, Mortaza Behboudi, âgé de 29 ans, a ainsi été interpellé par une patrouille de combattants avant d’être accusé d’espionnage, puis placé en détention. Sa femme, Reporters sans frontières (RSF) et de nombreux médias français tels que France 2, Mediapart, Libération, Arte, ou encore Radio France (pour lesquels il a travaillé) se sont mobilisés et réclament toujours sa libération de prison à ce jour.

La Maison des Journalistes se tient également aux côtés de Mortaza Behboudi.

Sous les talibans, les journalistes vivent dans la peur, un quotidien synonyme de censure et de persécutions. Certains se cachent, d’autres tentent de trouver refuge ailleurs. Force est de constater que la répression médiatique n’est pas prête de s’arrêter au vu des récents événements.

Volodymyr Zelensky réclame la création d’un tribunal spécial pour la guerre en Ukraine

Note de la Maison des journalistes : les articles de la tribune libre ne reflètent pas la pensée de l’organisme. Les propos n’engagent que leur auteur. La tribune libre permet aux journalistes du monde entier de pouvoir exprimer librement leur point de vue, dans le respect des lois françaises. Ici, l’auteur a préféré garder son anonymat par souci de sécurité.

Pour le président ukrainien, “le mot d’ordre est justice.” La semaine dernière, l’Ukraine s’est rappelée un triste événement, qui aujourd’hui est connu par le monde entier par le nom de la ville où il a eu lieu : Bucha. Une petite ville ukrainienne où les Russes ont commis des actes inhumains de torture et de meurtres sur les civils. 

Un an plus tôt, les forces armées d’Ukraine avaient libéré Bucha des troupes russes, et s’étaient horrifiées des scènes qui avaient défilé sous leurs yeux.

Dans la ville et selon les sources officielles ukrainiennes, au moins 458 habitants avaient été tués, beaucoup ayant même été torturés avant leur mort. 

Au printemps dernier, des photographies et vidéos prouvant l’existence de crimes de guerre perpétrés par les Russes ont circulé sur Internet. Le monde avait été glacé par la cruauté et l’insensibilité avec laquelle les citoyens de la ville ont été massacrés.

L’armée russe avait abattu un cycliste se baladant dans le village et exécuté un groupe de civils faits prisonniers dans l’arrière-cour de la maison d’un des condamnés. 

Beaucoup de corps ont été retrouvés avec leurs mains attachées dans le dos. Les cadavres abandonnés baignaient dans des mares de sang à même la rue. L’objectif de ces meurtres n’a pas encore été déterminé, et de nombreuses questions sont restées en suspens, tandis que le choc ne s’est pas dissipé. 

Un soutien international en demi-teinte 

Il semblait qu’après les massacres de Bucha, la communauté internationale avait changé d’attitude concernant l’invasion russe de l’Ukraine. Mais le soutien du pays attaqué par l’agresseur est resté au même niveau.

Au début du printemps, l’armée ukrainienne a même été confrontée à une pénurie critique de munitions, qui ne peut être reconstituée rapidement en raison du taux de production insuffisant des pays européens de l’OTAN et des failles de la logistique. 

Les armes les plus demandées, dont le Commandant en Chef des Forces Armées Valery Zaluzhny et le président Zelensky ont longtemps parlé, n’ont été fournies par aucun des pays supportant l’Ukraine. 

À cause de cela, les hostilités perdurant depuis plus d’un an ont pris de plus en plus de vies humaines. La supériorité militaire de l’agresseur était toujours notable dans plusieurs domaines. 

De plus, beaucoup se sont entêtés à désigner l’agression militaire russe comme un « conflit », sans séparer la victime de l’assaillant et les plaçant sur un pied d’égalité. 

Au sommet dédié au terrible anniversaire de Bucha, le président Zelensky a annoncé le besoin de la création d’un tribunal spécial. Il a souligné que la cause du soi-disant « conflit » était l’action criminelle de l’instigateur :

« Le monde a besoin d’un mécanisme efficace pour punir ceux qui se rendent coupables du crime principal d’agression – le crime qui ouvre la porte à tous les maux d’une telle guerre. C’est en rendant des comptes que l’on apprend aux agresseurs à vivre en paix. Ils doivent être tenus responsables non seulement devant l’histoire, mais aussi devant le tribunal pour tout ce qu’ils ont fait », a-t-il exposé.

Évaluer l’agression criminelle commise par la Fédération de Russie est une chose que la Cour pénale internationale aurait dû faire depuis longtemps. 

Mais jusqu’à présent, la seule chose à laquelle la Cour s’est risquée a été de déclarer Vladimir Poutine prétendument responsable du crime de guerre que constitue la déportation d’enfants des régions occupées de l’Ukraine.

Bien évidemment qu’apporter le criminel de guerre qu’est Vladimir Poutine sur la liste internationale des personnes recherchées était une étape primordiale. 

Mais l’enlèvement et la déportation d’enfants ne représentent qu’une petite partie des crimes commis par la Russie sur le sol ukrainien. Le reste des horreurs perpétrées par les Russes n’ont toujours pas fait l’objet d’une évaluation juridique et se poursuivent chaque jour. 

Un tribunal spécial pour juger les crimes russes ?

L’évolution de l’attitude du président français Emmanuel Macron envers l’agression russe a également été considérée comme insuffisante. En juin 2022, sa phrase « Il ne faut pas humilier la Russie » avait fait le tour du monde et était devenue célèbre. En février 2023, il avait admis qu’il « voulait la défaite de la Russie en Ukraine. » 

Mais avec une certaine réserve néanmoins : « Je ne pense pas, comme certains, qu’il faut défaire la Russie totalement, l’attaquer sur son sol. Ces observateurs veulent avant tout écraser la Russie. Cela n’a jamais été la position de la France et cela ne le sera jamais. »

La prudence du président français fut accompagnée de promesses, tout autant prudentes, de livraisons de tanks et d’avions en Ukraine : pour l’instant, rien n’a été livré au-delà des promesses, les AMX-10RCs envoyés à l’Ukraine pouvant difficilement être considérés comme des chars d’assaut à part entière. 

Mais Emmanuel Macron ne peut plus demander à ce qu’on n’humilie pas la Russie, car la Cour Pénale Internationale a déjà franchi la ligne rouge le 17 mars dernier, en émettant un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine.

A la fin des événements consacrés au triste anniversaire de Bucha, Volodymyr Zelensky avait déclaré qu’il était crucial que les Ukrainiens obtiennent justice : « le mot-clé est justice », a-t-il martelé.

Le président ukrainien avait exprimé sa foi et confiance envers un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre russes, et que son pays participerait activement à sa création.

Les Ukrainiens ont déjà prouvé au monde qu’ils étaient capables de s’opposer seuls aux forces supérieures de l’agresseur, et il ne fait donc aucun doute qu’ils seront également en mesure d’obtenir la justice souhaitée par leurs propres moyens.

Toutefois, la rapidité avec laquelle cela se produira dépendra également de la détermination des alliés de l’Ukraine.

Et il est possible que le nouveau procès de Nuremberg pour les criminels de guerre russes se tienne un jour dans une petite ville ukrainienne — Bucha.

Fedir Vasylenko

France : faire de l’éducation aux médias « une vraie politique publique »

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance. En Europe comme en France, acteurs de la presse, du monde associatif et éducatif se mobilisent pour redonner le goût de l’information au public.

En France, l’éducation aux médias (EMI), bien qu’assez récente, se cristallise dans l’espace éducatif. Des associations et des programmes sont mis en place, alors que les campagnes de désinformation massive en ligne prolifèrent en Europe. Comment les citoyens français se protègent-ils de telles menaces ?

Des actions françaises entièrement dédiées à l’EMI

Lors de la création d’Entre les lignes en 2010, Olivier Guillemain voit clair dans sa mission. « Nous avions l’idée avec ma cofondatrice [Sandra Laffont, NDLR] de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les médias car nous étions passionnés par notre métier et nous voulions transmettre ce goût de l’information. »

A ce moment, un climat de méfiance envers les médias s’installe durablement en France, malgré une bonne situation de la liberté de la presse.

Un paradoxe « toujours valable aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de médias et nous n’avons jamais eu autant de mal à nous informer. »

Pour l’association, il est primordial que les jeunes possèdent « les outils pour faire le tri et développer un esprit critique. Nous voulions aussi sensibiliser sur le pluralisme des médias en France, nos ateliers permettent de découvrir de nouveaux médias. Nous avons choisi de nous focaliser sur les jeunes pour leur donner les bons réflexes dès le début de leur vie citoyenne », explique avec engouement Olivier Guillemain.

Des collégiens devenus journalistes

Si « Entre les lignes » bataille seule les premières années pour mener sa mission à bien, l’année 2015 signe un tournant pour l’association.

« En 2010, l’EMI n’était pas du tout un thème porteur, nous étions très peu d’acteurs. Nous ne bénéficions pas de financement public, mais nous avons assisté à un vrai point de bascule avec les attentats de 2015 et Charlie Hebdo. »

Après les attentats, des campagnes de désinformation se sont mises à pulluler sur les réseaux, poussant les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’éducation aux médias.

« Nous avons alors reçu des financements publics ainsi que le soutien de l’Éducation nationale, du ministère de la Culture et de la DILCRAH. Vint ensuite le financement par les fondations privées. »

« Aujourd’hui nous comptons 240 bénévoles dans nos équipes, pour 430 interventions en 2022 dans 44 départements. Nous souhaitons que l’EMI devienne une vraie politique publique, car le public adulte en a besoin aussi. Nous avons prêché dans le désert pendant longtemps les premières années, aujourd’hui nous remarquons une volonté solide de la part de tous les acteurs de l’EMI », constate Olivier Guillemain, plein d’entrain et d’espoir pour la jeunesse française.

Renvoyé Spécial

Loin d’être étrangère dans le domaine, la Maison des journalistes est un acteur important de l’éducation aux médias. Elle entretient depuis 2006 un partenariat avec le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le ministère de l’Éducation nationale.

Ce partenariat productif permet aux journalistes de la MDJ de rencontrer des lycéens pour discuter de leur parcours et de leur métier, en France métropolitaine comme en Outre-mer.

Plus de 10 000 élèves ont ainsi pu entendre le récit de ces journalistes et échanger avec eux. La MDJ et le CLEMI comptabilisent plus de 100 interventions conjointes avec des journalistes syriens, tchadiens, afghans, soudanais, irakiens, marocains ou encore yéménites.

Tous viennent exprimer devant les élèves la difficulté d’exercer leur métier dans leur pays d’origine. D’une richesse exceptionnelle, ces rencontres offrent aux élèves un contact direct avec l’actualité, un témoignage qui permet d’incarner des concepts souvent abstraits, une prise de conscience de l’importance de la liberté d’expression et de la pluralité dans les médias.

Inviter à la discussion pour permettre la critique

« Nous proposons cinq ateliers différents de deux heures chacun », relate le directeur de l’association. L’atelier rencontrant le plus de succès demeure « démêler le vrai du faux sur Internet », mais il assure non sans humour « se battre pour faire vivre les autres thèmes aussi. »

« Les jeunes apprécient cette approche où nous partons des usages du public en s’interrogeant sur leur quotidien. Le journaliste partage son expérience et vice-versa. Des collégiens ayant participé à des ateliers il y a quelques années sont même devenus journalistes aujourd’hui ! » Signe que l’éducation aux médias est un enseignement contemporain incontournable.

Si les premières années étaient consacrées aux élèves de collège et lycées, l’action de l’association s’est élargie aux élèves de primaire. « C’est au collège et au lycée que les usages numériques sont les plus développés », explique l’ancien journaliste.

« Aujourd’hui cet usage se fait de plus en plus tôt, les enfants de 10 ans sont sur les réseaux malgré l’interdiction pour les moins de 13 ans. Il faut les protéger aussi. Nous ne parlons pas de fake news avec eux mais de rumeurs, nous créons du contenu sur-mesure pour les plus jeunes. »

« Nous partons des usages des gens en face de nous : nous nous adaptons en fonction du primaire, collège, lycée… Selon leurs pratiques et usages. Nous ne les jugeons ni ne les culpabilisons sur leurs pratiques, car il y a des bonnes sources d’infos sur les réseaux sociaux – il faut simplement pouvoir les identifier. »

Et de rappeler que les parents ont un rôle à jouer. « Nous les encourageons à discuter avec leurs enfants, en leur expliquant comment bien s’informer. Certaines interventions peuvent déclencher des discussions avec les enseignants et les parents, qui ne savent pas vraiment ce que font leurs enfants en ligne. Les parents constituent un public qu’on n’oublie pas, nous organisons des ateliers avec les adultes en médiathèque ou des centres sociaux pour les sensibiliser. »

L’association est fière des « retours très encourageants » des enseignants et de certains parents, et cherche à étendre son dispositif au niveau national. Elle a mis en place un laboratoire d’EMI en 2020, englobant 12 écoles primaires dans huit départements métropolitains et en Guadeloupe.

Une initiative des plus bienvenues en France, où le gouvernement ne se penche que depuis quelques années sur la question. Qu’il s’agisse d’une collaboration internationale ou de mesures gouvernementales, l’Etat français semble être en décalage avec ses concitoyens sur l’éducation aux médias : aucun programme institutionnel n’a encore été mis en place, malgré l’urgence de la situation.

Maud Baheng Daizey