Un concert pour la Maison des journalistes : François Morel en poète résistant

[Par Larbi GRAÏNE]

Dans la bonhomie d’une salle archicomble du théâtre de la Madeleine à Paris, François Morel a donné en cette soirée du 23 juin son mirifique spectacle « Le soir, des lions… » au profit de la Maison des journalistes (MDJ). Décliné sous forme d’un concert théâtralisé ou d’un théâtre musicalisé, c’est selon, le spectacle, haut en couleurs et en décibels, a vu la participation exceptionnelle de Juliette qui en est, en fait, la metteur en scène.

François Morel et Juliette, lors de la soirée dédiée à la MDJ. Crédit photo Jean François Deroubaix

François Morel et Juliette, lors de la soirée dédiée à la MDJ.
Crédit photo Jean François Deroubaix

En plus d’avoir eu la réplique à cette dernière, Morel, a évolué aux côtés de Lisa Cat-Berro (au saxophone), Muriel Gastebois, (à la batterie) et d’ Antoine Sahler (au piano). La musique est d’Antoine Sahler et de Reinhardt Wagner. Très complice, le public fin connaisseur n’a pas lésiné sur les chaudes ovations, à tel point que les comédiens s’étaient sentis gênés de terminer leur show dans les délais impartis. Il a fallu donc une rallonge pour dompter tous les caprices, ce à quoi les artistes s’y sont volontiers pliés. La scène très « symbolisante » rassemble juste l’essentiel d’un intérieur : un mur, les différents instruments de musique, un banc en bois, un nounours et un poste TSF. François Morel, c’est une certaine idée de la culture, ici française, s’entend. La référence à Apollinaire et à son symbolisme y est outrageusement affirmé. C’est même la transposition des poèmes apolliniens sur l’espace scénique. Il y a des allusions à la modernité et son compagnonnage bigarré formé d’éléments hétéroclites qui peuvent remonter, pour certains, jusqu’à l’âge classique. Comme dans Alcools où la machine à vapeur fait irruption dans un vers ciselé à l’ancienne, Morel évoque à l’ère du numérique, « La fille du GPS ». Il dressera un portait incisif, de cette femme-objet. Et François Morel de chanter « Elle est mon guide, elle est ma nourrice/Ma cicérone et mon mentor/Elle est mon gourou, mon inspiratrice/Ma muse à moi, mon sémaphore/ Et de marteler « La fille du GPS/Est une vraie maîtresse ». Les paroles sont presque des télégrammes, lancés sur une rythmique saccadée…

Objets fétiches
L’univers de Morel est hanté par les objets fétiches, qui sont tellement ressemblants à l’être humain qu’ils en deviennent l’incarnation. Le comédien raille les mœurs bourgeoises en même temps qu’il décrit l’atmosphère fantasque dans laquelle les gestes quotidiens ont été entraînés à l’automatisme dans une relation de maître à esclave. L’ambiguïté du poème morelien tient à l’érotisation de la relation avec le GPS « Je l’imagine au lit/Conduisant mes caresses/Palliant ma gaucherie/Avec délicatesse/J´entends sa voix terrible/Au milieu des ébats/M´enjoignant, inflexible/D´aller au nirvana ». Dans la même veine, Juliette raconte l’histoire de « la robe noire » suspendue dans un placard à coté d’un « costard ». Du reste le récital ou le récit se moque de lui-même. Morel se joue de tout, même de la mise en scène, en laquelle il paraît avoir de bonnes raisons de douter. Au vu de sa pratique du soupçon, le spectateur en vient à avoir l’impression qu’il risque de sortir du récit, c’est-à-dire de délirer ! Morel, tout en fixant le public, fronce parfois les sourcils, on voit ses joues tressaillir, son front s’assombrir, avant de se diluer dans un large sourire. Tout se mêle le grotesque, l’absurde, le comique, le tragique dans une tentative de déconstruction des apparences, le tout dans un décor de salle de music-hall. « Le soir, des lions… », est construit sur un oxymore par omission, comme on dira un mensonge par omission, le soir les hommes sont des lions mais le matin, ils sont des cons (c’est son explication), allusion à un quotidien amer. Sur les SDF il aura une pensée « Il était un petit homme/ Pirouette cacahuète/ Il était un petit homme/ Qui avait un’ drôle de maison/Sa maison est un carton/ Pirouette cacahuète/ Sa maison est un carton/Au-dessus d’un’ bouche d’aération » et plus loin « C’est à cause du baromètre/ Pirouette cacahuète/ C’est à cause du baromètre/ Qu’il est mort un soir de tempête/On l’a mis jusqu’à perpette/ Pirouette cacahuète/ On l’a mis jusqu’à perpette/ Dans une éternelle couchette/Ce qui fait qu’il a moins froid/ Pirouette cacahuète/ Ce qui fait qu’il a moins froid/ Dans son joli cercueil en bois ». Au delà de la mort et de la résurrection, ce fut un concert plaisant, sensationnel, une soirée vibratoire, rythmée par un dialogue entre les mots et la musique, d’où l’on sort totalement grisés.

Salle comble au Théâtre de la Madeleine pour le très beau spectacle de François Morel, le 23 juin 2014. Merci à tous ceux qui se sont mobilisés et déplacés à l’occasion de ce bel évènement, nos partenaires, nos amis, les résidents… Quelques images des échanges qui ont suivis par le photographe Jean-François Deroubaix. (Darline Cothière, Directrice de la Maison des journalistes)

Faut-il sanctionner les policiers de la « soirée négro » ?

[Par René DASSIE]

Une des photos publié sur Facebook par un des policiers

Une des photos publiées sur Facebook par un des policiers

Cinq policiers du Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne organisent en début du mois une fête déguisée entre collègues. La soirée a été baptisée « negro ». Ils ont tous le visage peint en noir, arborent des dreadlocks ou des coupes afro. L’un d’entre eux publie des photos de la soirée sur son profil Facebook. Ces clichés montrent l’un des participants en boubou, mimant un singe qui gesticule près des bananes, mais aussi le groupe tout entier esquissant un sourire, de manière à bien faire ressortir le contraste entre leurs dents blanches, et l’obscurité de leurs visages noircis. Les accoutrements sont directement issus de l’imagerie coloniale.

Informé par une collègue des policiers qui n’était pas de la partie et qui se dit outrée par leur attitude, l’animateur Claudy Siar, ancien délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer et producteur sur RFI, republie sur son compte Facebook des captures d’écran de la soirée, pour alerter l’opinion. En une semaine, les clichés ont largement circulé sur les réseaux sociaux.
Alors qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est ouverte, un des policiers mis en cause tente de minimiser les faits, arguant qu’ils « voulaient juste s’amuser » entre amis et « faire une soirée négro ». Une explication qui ne convainc guère.

On connait le principe des soirées déguisées : par le jeu des maquillages et des tenues vestimentaires, les participants tentent de se mettre dans la peau d’un personnage, ou d’incarner une idole. Et parfois, avec succès. L’allure, la tenue vestimentaire étant depuis longtemps imprimées dans la mémoire collective, certains réussissent à bluffer leur monde. Les faux Mickael Jackson, Marilyn Monroe, Elvis Presley, etc. cela n’ont jamais choqué personne, bien au contraire. Des sites comme cmonanniversaire.com (http://www.cmonanniversaire.com/soiree-thematique.aspx) proposent même des idées originales pour réaliser ce type de délires.

Cependant, la soirée des policiers du Kremlin-Bicêtre ne rentre pas dans cette catégorie de distractions. Il s’agit bien d’un dérapage raciste, comme le relève Sihame Assbague et Franco Lollia du Collectif stop le contrôle au faciès, dans une tribune publiée vendredi dans le plus du Nouvelobs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1214087-des-policiers-font-une-soiree-negro-ni-marrant-ni-anodin-il-s-agit-bien-de-racisme.html). « Ce n’est ni marrant ni anodin de se grimer en noir et de mimer un singe », analyse les auteurs.

Car la comparaison entre le Noir et le singe renvoie à un vieux poncif raciste qui malheureusement résiste au temps. Elle trouve sa source dans le racialisme scientifique du 19e siècle. De nombreux anthropologues de cette époque assimilent volontiers le Noir au chaînon manquant dans l’évolution des espèces, entre l’homme et les primates. On sait les conséquences d’une telle déshumanisation : les Africains sont régulièrement photographiés en présence d’animaux, souvent des singes. On les exhibe dans des foires coloniales, qui attirent des millions de visiteurs. On connait l’histoire de la Vénus Hottentote, de son vrai nom Sawtche, arrachée à sa terre natale, l’Afrique Australe, pour être exposée comme une bête exotique dans des foires des capitales européennes, avant d’être prostituée puis reléguée au rang d’objet d’étude scientifique. Apres sa mort, son corps sera disséqué, dans l’optique de prouver « l’infériorité de certaines races ». Ce n’est qu’en 2002 après près d’une décennie de refus arguant qu’elle fait partie du patrimoine inaliénable de l’État et de la science, que la France consent à restituer sa dépouille à l’Afrique du Sud qui souhaitait lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Les victimes de cet obscurantisme criminel d’inspiration pseudoscientifique se comptent par milliers.

On pensait eu égard aux progrès de la science qui a définitivement établi qu’il n’existe qu’une seule race humaine en dépit des variations morphologiques, qu’une telle déshumanisation serait oubliée.
Malheureusement, les mauvaises habitudes ont la peau dure. Les footballeurs noirs, qui évoluent comme professionnels sur les stades occidentaux depuis la fin des années 70 sont régulièrement la cible des franges les plus radicales des supporters qui leur jettent des bananes et poussent des cris de singes. Le gardien franco-camerounais Joseph-Antoine Bell, le défenseur ivoirien Marc-André Zoro, et très récemment Daniel Alves, défenseur du FC Barcelone en ont fait les frais.

En fin d’année dernière, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui défendait la loi sur le mariage pour tous a été accueillie à Angers dans le Maine et Loire par des enfants visiblement manipulés par leurs parents, qui lui tendaient des bananes et la traitaient de guenon.

Le dérapage raciste des policiers du Kremlin-Bicêtre, qui intervient dans un contexte de délitement du lien social et d’une montée exponentielle des extrémismes xénophobes ne saurait donc être considéré comme un fait anodin. Il est d’autant plus grave qu’il émane de personnes dépositaires de l’autorité publique. Comment pourraient-ils faire leur travail en toute objectivité et impartialité si d’avance ils considèrent une partie de la population, comme des sauvages ?

«Si les policiers à qui incombe la lutte contre le racisme sont plus occupés à se moquer des Noirs qu’à les défendre, en effet, cela pourrait expliquer pourquoi les choses n’avancent guère dans ce domaine», dénonce Louis-Georges Tin, le président du Collectif des associations noires de France (Cran), cité par Le Figaro.

C’est donc à juste titre que le Collectif stop le contrôle au faciès demande des sanctions.

Journalistes réfugiés, le combat continuel : « Il faudrait une politique d’écoute »

À l’occasion de la Journée Mondiale du Réfugié 2014, René Dassié, journaliste d’origine camerounaise réfugié en France depuis 2004 (cliquez ici pour écouter son historie – audio), fait le point sur la situation de la liberté de la presse au Cameroun ainsi que sur la condition des professionnels de l’information en exil en France.

Propos recueillis par Lisa Viola Rossi (lisaviola.rossi @ maisondesjournalistes . org )

atangana

René Dassié et Michel Thierry Atangana (1er mars 2014)

Après dix ans d’exil en France, vous ne pouvez toujours rentrer au Cameroun. Pourquoi ?

Aujourd’hui on peut publier dans un journal sans condition, mais après la publication on peut être soumis à des pressions de toutes sortes, à l’heure qu’il est beaucoup de journalistes camerounais continuent à être persécutés. Dernièrement, il y a 2 ans, l’un d’entre eux est décédé en prison […] Il y a également une pression économique sur les médias. Ils ne  reçoivent pas la publicité des entreprises : elles ont peur de recevoir des redressements fiscaux de la part de l’Etat […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Est-ce que vous pouvez continuer vos activités professionnelles et militantes ici en France en tant que journaliste réfugié ? 

Je suis diplômé de Sciences Po Paris, mais malgré cela je n’arrive pas à trouver du travail. Les entreprises de presse quand je leur présente mon CV ne comprennent  pas ce qu’est le statut de réfugié politique […]. Le journalisme est la seule chose que je sais faire : donc si la situation se poursuit comme cela, peut-être que j’envisagerais de quitter la France pour aller dans un Pays où les étrangers diplômés sont mieux accueillis. […] Récemment en enquêtant sur le cas de Michel Thierry Atangana, j’ai constaté qu’au Cameroun il y a beaucoup de prisonniers politiques. J’ai donc mis en place avec des amis un comité de libération de ces prisonniers. […] Ce combat, c’est une façon aussi pour montrer notre reconnaissance au Pays qui nous a vu grandir. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Si vous aviez la chance de rencontrer un chef d’État ou un membre du gouvernement français et / ou européen, quel sujet concernant la condition des reporters réfugiés aimeriez aborder avec lui ?

Les journalistes réfugiés sont des personnes qui ont beaucoup d’expérience, de savoirs et de savoirs-faire, ils peuvent aussi apporter du sang neuf dans l’Etat qui les a accueilli : tout ce qu’ils ont appris ailleurs, ils peuvent s’en servir ici. […]. Il faudrait une véritable politique d’écoute et ensuite d’insertion.  Il faudrait nous donner la chance de montrer notre reconnaissance aux Etats qui nous accueillent. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

René Dassié reporter au Messager, Cameroun, avec David Sasson ancien ambassadeur d’Israël à Yaoundé

 

20 juin 2014 : La blue note d’Achou pour la Journée mondiale des réfugiés

Blue note (Visuel papier découpé)

– Adjim Achou DANNGAR –

Pour la Journée Mondiale des Réfugiés, 20 juin 2014.

Blue note par Adjim DANNGAR

 

France-Rwanda : relations en dents de scie

[Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais]

Le 7 avril de chaque année, date-anniversaire du génocide rwandais, en 1994, le « Kwibuka » (se souvenir, en français) prend les dimensions d’une grande journée historique, où se mêlent sentiments de douleur et volonté de renforcer le processus de catharsis. Lors du 20e anniversaire cette année, le président Kagamé en a profité pour désigner les « complices » de cette tragédie. Parmi les coupables : la France, la Belgique et la communauté internationale.

Le 7 avril 2014, journée officielle de commémoration de Kwibuka20 (se souvenir), au stade Amahoro, où a eu lieu le discours du président Paul Kagame.  [Photo tirée par Pscholastiquemukasonga.net]

Le 7 avril 2014, journée officielle de commémoration de Kwibuka20 (se souvenir), au stade Amahoro, où a eu lieu le discours du président Paul Kagame.
[Photo tirée par Pscholastiquemukasonga.net]


Ce n’est pas la première fois – c’est devenu une rengaine – que la France est pointée du doigt par le Rwanda pour sa collaboration, supposée, avec les génocidaires hutus. Depuis, les relations entre Kigali et Paris se sont brouillées, connaissant des moments de répit et d’autres de tensions extrêmes, jusqu’à dicter, en 2006, la rupture des relations diplomatiques.
Qu’en est-il au juste ? Depuis vingt ans, selon les circonstances, on assiste toujours au même scénario : le Rwanda accuse, la France nie en bloc. De part et d’autre, on s’est même employé à démontrer la « vérité », à travers les commissions d’enquête parlementaire. Apparemment, rien n’y a fait. L’opacité sur des faits majeurs du dossier est restée intacte, tel que l’assassinat du président hutu Habyarimana, dans l’avion détruit par un missile, la veille du génocide, sous le ciel de Kigali. On considère cet acte, auquel on associe aussi la main de la France, comme l’élément déclencheur du génocide.

Paul Kagamé [Photo tirée par yfcrwanda.com]

Paul Kagamé [Photo tirée par yfcrwanda.com]

Dans le livre « La nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle », de Jean-Pierre Gouteux, paru en 2002, l’auteur enfonce le clou : «  Ainsi, les enfants des écoles apprendront que Mitterrand est le président sous le règne duquel la République française a soutenu un Etat génocidaire ».
Toutes ces affirmations (sans preuves) appellent au moins trois questions essentielles : les militaires français étaient-ils présents au Rwanda avant et pendant le génocide ? Comment ont-ils participé au génocide ? Les relations entre le Rwanda et la France finiront-elles par s’apaiser ?
Les militaires français étaient présents à Kigali, dans le cadre de vieux accords de coopération signés, en 1962, entre le premier président rwandais Kayibanda et le général de Gaulle. Ils étaient là à la demande du président Habyarimana pour former l’armée rwandaise, en lutte contre le FPR (Front Populaire Rwandais), aujourd’hui au pouvoir à Kigali. Arrivés au Rwanda alors que le génocide était déjà en cours, les militaires de l’opération « Turquoise » pouvaient-ils opérer au grand jour ? Sur tout cela, le doute plane. Quant aux relations, en dents de scie, entre la France et le Rwanda, les derniers développements du dossier laissent penser que l’on est encore loin de la lune de miel entre les deux protagonistes.
Au fait, quand le président Kagamé, qui a renoncé à apprendre le français, assena dans la langue de Molière, le 7 avril, cette formule : « les faits sont têtus », ce n’était pas pour amuser la galerie. C’était plutôt une façon de dire, avec force, que la France fut complice du génocide rwandais.

«Nous aurons toujours Paris»

[Par Jesús ZÚŇIGA, journaliste cubain]

Traduit de l’espagnol au français par Marta Alvarez Izquierdo
Article original en espagnol Zuniga_es

Marine Le Pen, leader du Front National, lors de la victoire aux européennes

La leader du Front National, Marine Le Pen, vue comme nouvelle Jeanne D’Arc, lors de la victoire aux européennes (frontnational27.com)

C’est confirmé. En France, les élections européennes ont été un véritable séisme politique. Il ne s’agit pas d’une vague bleue ou rose, mais plutôt d’un véritable tsunami bleu Marine qui, ce dimanche, est passé au dessus des principaux partis politiques traditionnels de la Vème République en France, et du Président François Hollande en particulier qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, a déçu presque tout le monde.

Avec 24,85% des voix selon les chiffres définitifs du Ministère de l’intérieur français, la victoire du Front National (le parti d’extrême droite) lors des élections européennes qui viennent d’avoir lieu fait du FN le premier parti politique de France ainsi que le grand vainqueur de ces élections à dimension européenne.

Même si la victoire du parti d’extrême droite de Marine Le Pen n’est pas une surprise puisque différents sondages d’opinion publique l’avaient anticipée depuis plusieurs semaines, son ampleur est surprenante et devient un avertissement, encore un pour François Hollande dont la gestion du pays n’est approuvée que par 11% des français. Il est aujourd’hui le Président le plus impopulaire de la Vème République, conséquence de ses médiocres démarches économiques (malgré ses promesses), mais aussi dû à un taux de chômage élevé pour les standards nationaux : 10,2%. Le déclin du mode de vie français et l’avancée de l’extrême droite, allant jusqu’à se placer en première force politique pour la première fois dans l’histoire, ce n’est pas une mince affaire.

La France est un des six pays fondateurs de l’Union Européenne. Il s’agit de la quatrième puissance économique du G-8 après les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, ou de la cinquième si l’on tient compte de la Chine. Avec 68 millions d’habitants, elle représente seulement 1% de la population de la planète, mais elle détient 3,1% du PIB mondial. Il s’agit du troisième pays récepteur d’investissements étrangers, le deuxième fournisseur de services, le deuxième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires, la quatrième puissance commerciale (quatrième exportateur et cinquième importateur), et elle occupe la cinquième place en ce qui concerne la production industrielle. C’est, de plus, la première destination touristique du monde. Et pourtant, la crise économique, politique et culturelle que subit le pays a poussé ses habitants à « s’asseoir sur le divan » : les français voient comment leur fameuse qualité de vie s’évanouit, une véritable histoire de succès social difficilement comparable. Dans une société dans laquelle on conçoit le débat public comme un des « beaux arts », la désaffection politique s’enracine.

En France, de la même façon que dans le reste de l’Europe, les populismes recueillent les fruits du mécontentement, du chômage grimpant, et des conséquences d’une effrayante crise économique qui a laissé derrière elle beaucoup de victimes et provoquée le divorce entre les hommes politiques et les citoyens.

Marine Le Pen, probablement la politicienne avec le plus d’habileté pour percevoir les ressentis de la rue, a pris le relais du FN en 2011, et a depuis constamment recyclé le discours populiste d’extrême droite du parti, en arrivant même à le rendre acceptable pour l’extrême gauche, en plagiant même certains fameux intellectuels anti-globalisations qui ne partagent pas les thèses du Front National. Résultat : Essor incontrôlable du FN et effondrement du Parti socialiste (13,98% des voix).

Non seulement elle est un des leaders politiques les plus appréciés par ses compatriotes, mais en plus, Marine Le Pen et le FN détiennent en ce moment 14 mairies et 71 départements en France. « Il y a six ans, on pensait qu’on était mort » déclarait-elle sur BFMTV le dimanche 25 mai. On estime que 38% de ses électeurs appartiennent à la classe ouvrière, et même si cela semble incroyable, ils sont en train de gagner des sympathisants parmi les français issus de l’immigration, surtout des jeunes, d’après les résultats que le parti a eu à Marseille et dans le nord. Et ceci est dangereux car la recette économique et sociale de Marine Le Pen pour « sauver » la France est de freiner l’immigration, mettre en place le protectionnisme et abandonner l’euro et l’Union Européenne.
En pensant à 2017, le véritable objectif de madame Le Pen, certains pensent déjà qu’une répétition de l’épisode de 2002 afin d’empêcher la victoire du FN ne serait pas insensée, même si sa performance lors des élections du dimanche 25 mai n’a provoquée aucune réaction collective en France.

Si la classe politique européenne et française ne réagit pas, même si la droite conservatrice et la gauche social-démocrate sont toujours majoritaires à Bruxelles, Marine le Pen démentira Bogart dans « Casablanca » : « Nous aurons toujours Paris ». Et si cela se produit, comme il dit à Bergman : « On le regrettera, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais bientôt, et pour toujours. ».

En fin de comptes, la France a toujours été un laboratoire de l’avenir. Pour le bien et pour le mal.

Journalistes exilés, un plus à la presse française : Interview à Darline Cothière

[Par Benson SERIKPA]

Ils sont plus de 270 journalistes exilés à être hébergés, accompagnés et soutenus par la Maison des journalistes (MDJ) depuis sa création en 2002. Darline Cothière, directrice de cette institution nous a accordé cet entretien à la faveur de la participation de la MDJ à la deuxième édition de l’opération « Paris aime ses kiosques ». Elle évoque la mission de la MDJ et revient sur le chemin parcouru par elle et son équipe en trois ans de fonction, tout en annonçant les perspectives. Mais, point d’orgue de son intervention, l’importante contribution apportée par les journalistes de la MDJ aux médias français dans le traitement de l’information au plan international.

Darline Cothière, directrice de La Maison des journalistes

Darline Cothière, directrice de La Maison des journalistes
© Photo Jean-François Deroubaix

Quel bilan faites-vous de cette première participation de la MDJ à la deuxième édition de l’opération « Paris aime ses kiosques » qui s’est tenue il y a quelques jours au bord de la Seine ?

“Il est vrai que l’opération « Paris aime ses kiosques » a pour objectif de mettre en avant les différents kiosques de la capitale française. En prenant part pour la première fois à la deuxième édition de cette manifestation, il s’agissait pour la MDJ de mettre en avant le travail des journalistes exilés, des journalistes qui prennent d’énormes risques pour nous tenir au courant des événements qui se déroulent dans leur pays d’origine. C’est grâce au travail de ces femmes et hommes de bonne volonté confrontés à des régimes totalitaires et liberticides que nous parviennent les informations nécessaires à mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. Ces journalistes nous servent en quelque sorte à prendre la température du monde. Nous pouvons dire que notre participation a eu un impact positif au vu des réactions du public présent à notre kiosque situé Place du Colonel Fabien habillé pour l’occasion aux couleurs de la MDJ”.

À ce sujet, comment les journalistes exilés sont-ils admis à la MDJ?

“Avant toute chose, il faut préciser que la MDJ n’intervient pas directement dans les pays où le droit d’informer n’est pas respecté : nous faisons uniquement l’accueil en France. Nous sommes d’ailleurs la seule structure du genre qui existe dans le monde. Pour être accueilli et soutenu par l’association, il faut que la personne justifie dans un premier temps de sa situation professionnelle. Il faut qu’elle soit journaliste et ait été sévèrement réprimée. (Ce n’est pas du genre : “Je suis journaliste de passage en France et si je restais…” Non, ce n’est pas du tout la philosophie de l’institution).Malgré tout, l’admission à la MDJ n’est pas systématique. On traite les dossiers au cas par cas, en fonction de l’urgence dans laquelle se trouve le journaliste et de son degré d’engagement dans la presse qui lui a ou non valu des persécutions et des menaces dans son pays d’origine. Sont donc reçus les journalistes seuls, célibataires, et non les familles car la structure n’est pas appropriée pour ce genre de public. Il est arrivé que des journalistes répondant à ces critères d’admission n’aient pas pu être hébergés, dans quel cas nous pouvons au minimum leur offrir de collaborer avec nous. En effet, la MDJ n’est pas uniquement un centre d’hébergement : c’est aussi un cadre où les journalistes exilés peuvent se retrouver et où ils peuvent continuer à publier des articles via notre journal en ligne « L’œil de l’exilé » (www.loeildelexile.org)”.

À quel type de soutien ces journalistes ont-ils droit une fois admis à la MDJ?

“Dans un premier temps, nous leur offrons une assistance administrative pour les aider à constituer de façon adéquate leur dossier de demande d’asile auprès de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).. Le statut de réfugié est reconnu aux journalistes que nous accueillons dans 98% à 99% des cas, parce qu’il est évident qu’ils subissaient des persécutions dans leur pays. Nous offrons également une assistance psychologique pour ceux qui en ont besoin, que l’exil a fragilisé. (Il y a des personnes qui ont subi des traumatismes psychologiques assez importants). Nous travaillons donc pour cela avec un psychologue bilingue (français/anglais). Nous recevons également l’aide d’un travailleur social qui reçoit les journalistes quotidiennement et les accompagne dans toutes leurs démarches administratives. Enfin, nous leur fournissons un soutien plus professionnel, en leur permettant via notre site internet de continuer à faire leur travail”.

Arrive-t-il à la MDJ d’accueillir des journalistes d’une même origine dont les opinions sont divergentes?

“La MDJ étant apolitique, nous recevons parfois des journalistes exilés venant d’un même pays et de sensibilité politique différente. Nous accueillons les journalistes exilés quelle que soit leur sensibilité politique. Quel que soit le régime politique qu’il a soutenu, tout journaliste menacé dans l’exercice de ses fonctions est le bienvenu à la MDJ. Ce qui importe pour nous, c’est de recevoir un professionnel de la presse qui est pourchassé ou persécuté dans son pays parce qu’il a mis la plume dans la plaie, pour emprunter l’expression d’Albert Londres. Ce n’est donc pas tant la couleur politique du journaliste qui nous intéresse que son travail et son engagement”.

Avez-vous déjà vécu des cas où certains de vos « pensionnaires » continuaient à être menacés?

“Oui, il y a environ cinq ans. Une journaliste soudanaise nous avait rapporté avoir été suivie jusqu’à la MDJ par un groupe proche des autorités de son pays. (Mais, pas plus que ça. Hormis ce cas, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas connu de persécution majeure ici sur nos journalistes exilés). C’est le seul cas du genre, même si nous ne sommes pas à l’abri de telles situations. C’est pour cela que nous ne faisons pas de politique, que nous ne prenons pas parti  : nous cherchons à nous protéger et à protéger les journalistes exilés”.

La rencontre de Kabir Hamayun, un journaliste bangladais, avec les élèves du lycée Honoré Romane à Embrun (13 mars 2013).

La rencontre de Kabir Hamayun, un journaliste bangladais, avec les élèves du lycée Honoré Romane à Embrun (13 mars 2013).

Les soutiens financiers de la MDJ ne peuvent-ils pas influencer le fonctionnement de cette structure?

“Jusqu’ici, nous avons réussi à fédérer tous les soutiens. Je ne veux pas dire que c’est un choix stratégique, ce serait par trop cynique ; le projet en lui-même est fédérateur. Nous recevons des soutiens financiers des médias français toutes tendances confondues, presse écrite, radio, télé… Les activités de la MDJ rallient tous ces acteurs. D’ailleurs, nous avons donné à chacune de nos chambres le nom d’un média de la presse française. Nous bénéficions aussi de l’aide de la mairie de Paris, qui nous loue les locaux que nous occupons à un prix dérisoire. L’Union européenne nous soutient également financièrement. Nous avons également à nos côtés la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Presstalis… Depuis mon arrivée à la tête de cette institution en 2011, j’essaie par ailleurs de développer d’autres partenariats avec des organismes européens et internationaux. Le café de la presse de Turin, le Comité de Protection des journalistes, par exemple, viennent de nous rejoindre. L’idée serait de fédérer toutes ces institutions et organisations autour de nos différentes activités et missions”.

Lors de la fête annuelle de la MDJ du jeudi 24 avril dernier à Paris, vous avez annoncé quelques innovations dans le cadre des différentes missions et activités de la MDJ. Quelle est la particularité de ces innovations?

“Un des programmes que nous avons mis en place à la MDJ s’appelle « Renvoyé spécial ». Il s’agit de rencontres organisées entre lycéens et journalistes exilés, qui se déroulent partout en France. Pour la rentrée scolaire prochaine, nous comptons lancer un nouveau programme à l’étranger baptisé « Presse 19 », qui se déroulera dans plusieurs villes européennes. L’objectif est de faire découvrir aux jeunes d’autres pratiques journalistiques, d’autres réalités socio-économiques et culturelles”.

Quelle est la valeur ajoutée des journalistes que vous accueillez ?

“Les journalistes que nous accueillons sont une source d’informations incontournable pour les journalistes français. Ils connaissent très bien la région du monde dont ils sont originaires, ont les bons contacts et détiennent souvent des informations inédites. A la MDJ, il est facile de se rendre compte du décalage qui peut exister entre les informations publiées dans la presse française et celles que détiennent les journalistes exilés. Cela ne remet pas en cause le travail des journalistes français, il est bien normal qu’ils ne saisissent pas forcément certains aspects ou nuances relatifs aux sujets qu’ils traitent, qu’ils ne traduisent donc pas dans leurs articles. C’est en cela que le travail de décryptage de l’information effectué par les journalistes de la MDJ quand ils sont sollicités par les médias français est précieux. On peut alors apprécier leurs compétences et leur expertise dans le traitement de l’actualité internationale”.

Les journalistes de la MDJ arrivent-ils à s’intégrer dans le secteur des médias français le temps de leur exil?

“Il est très difficile pour les journalistes de la MDJ d‘intégrer le milieu des médias français, qui est très compliqué. Les journalistes que nous accueillons sont des professionnels confirmés dans leur pays respectif, ils ont pu occuper de hautes responsabilités dans leur rédaction ou organe de presse avant de se retrouver en exil, mais ils n’ont pas la pratique du métier en France ni la culture médiatique française, nous dit-on. Autant d’arguments qui font que l’intégration des journalistes que nous recevons à la MDJ est très difficile. C’est pour pallier cette situation que nous leur demandons de redéfinir leur projet professionnel en vue d’une reconversion, tout en les invitant à garder leur activité journalistique à travers notre journal « L’œil de l’exilé ». Qu’ils viennent de la presse écrite, de la radio, de la télé ou de la web presse, tous peuvent publier sur notre site internet, nous faisons de la place à tout le monde. Nous envisageons désormais de faire participerons journalistes exilés à des ateliers de formation professionnelle, de sorte qu’ils puissent également enrichir leur pratique journalistique”.