La liberté d’informer
Journalistes et lanceurs d’alerte, liberté d’expression et droits de l’Homme… Le combat pour la liberté d’informer est actuel, partout dans le monde et ne cesse d’être menacé. La Maison des journalistes – MDJ – à travers ses nombreuses missions et son journal “l’Oeil de la MDJ” lutte quotidiennement pour que chacun puisse jouir de son droit fondamental : critiquer librement.
Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, la liberté est le premier des quatre droits de l’Homme. Après la définition de la liberté et le rappel de la primauté de la loi (article 4), c’est le refus de la détention arbitraire (article 7), puis la présomption d’innocence (article 9) et l’affirmation du respect des opinions notamment « religieuses » (article 10). De plus, la « libre communication des pensées et des opinions » apparaît comme la première des libertés (article 11), dont les bornes sont définies par la loi.
La « libre communication des pensées et des opinions » est définie aujourd’hui par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par Les Nations Unies en 1948 et ses diverses adaptations dans les lois des pays. Elle est aussi l’objet de réflexions philosophiques, politiques et éthiques quant à la meilleure façon de la pratiquer.
MALI – Après le coup d’État, quelles conséquences pour la liberté de la presse ?
/dans Afrique, Liberté d'informer /par Alexandre GarnierAu mois de juin 2020, un mouvement de contestation au président Ibrahim Boubacar Keïta éclate dans les rues de Bamako. La tension atteint son paroxysme pendant la manifestation du 10 juillet, réprimée dans le sang par le pouvoir. De nombreux journalistes sont pris pour cibles par les forces de l’ordres et agressés par des manifestants.
Dans l’après-midi, le président malien est finalement mis aux arrêts par les militaires putschistes.
Le 18 août, l’armée se soulève à son tour contre le président malien. Au matin, une mutinerie éclate dans une base militaire de Kati à 15 km de Bamako. Olivier Dubois, correspondant de Libération au Mali, tente de couvrir la mutinerie, mais il est frappé et menacé avec une arme par les rebelles. Le quotidien annonce le soir que le journaliste est sain et sauf et ne souffre d’aucune blessure. Dans l’après-midi, le président malien est finalement mis aux arrêts par les militaires putschistes.
Contrairement au précédent coup d’État de 2012, la prise du pouvoir du 19 août a été préparée en amont. Le lendemain, l’armée annonce la création du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) composé des généraux à l’origine du putsch.
Dans leur première déclaration, les généraux reprennent de nombreux éléments qui cristallisent la colère populaire mentionnant notamment le «clientélisme politique», «la santé aux plus offrants», la rupture entre le peuple et ses gouvernants, l’insécurité et le terrorisme.
La Maison de la Presse malienne note cependant que les militaires n’ont pas fait mention de «garantie des libertés fondamentales – dont celles relatives à la presse et à l’expression».
« Les militaires inspirent autant d’espoir que d’inquiétude » / France 24
Aucun contact n’a pour le moment été établi entre le CNSP et les associations de presse, hormis un communiqué commun demandant un allègement du couvre-feu pour les journalistes. L’interdiction de libre circulation instaurée entre 21 heures et 5 heures dans un premier temps, puis de minuit à 5 heures depuis le 21 août gênant le fonctionnement normal des médias.
La démission d’Ibrahim Boubacar Keïta, l’espoir d’une amélioration des conditions
«Depuis que les militaires sont au pouvoir, nous n’avons pas enregistré de cas d’atteinte à la liberté d’expression» reconnaît Boubacar Yalkoué, président du Mouvement de protection de la presse contre les violences.
«La liberté d’information a été pour le moment respectée au Mali. Après le renversement par des militaires d’un pouvoir démocratiquement élu, on ne peut pas dire qu’on ait confiance à 100 %. Nous avons l’espoir qu’ils ne s’en prennent pas à la presse, mais nous émettons malgré tout des réserves pour le moment.»
L’autre menace qui plane sur la presse malienne depuis la pandémie du Covid-19 est la crise économique.
«La presse malienne bénéficie en temps normal de contrats avec les institutions, mais avec la crise sanitaire toutes les activités ont été limitées ce qui s’est répercuté sur les entreprises de presse» pointe Boubacar Yalkoué.
«Il avait été question de mesures de soutien économique, mais nous n’avons rien reçu jusqu’au basculement du pouvoir, et étant donné la situation actuelle il y a peu d’espoir de les obtenir. On se dirige vers des périodes difficiles pour la presse.»
Une situation toujours instable pour la liberté de la presse au Mali
Depuis le précédent coup d’État de 2012, la liberté de la presse au Mali a été mise à mal à de nombreuses reprises. Pendant les mois qui ont suivi le putsch de mars, plusieurs arrestations ont été ordonnées par les autorités militaires.
L’arrivée au pouvoir de Ibrahim Boubacar Keïta en septembre 2013 n’a pas entraîné d’amélioration pérenne du droit de presse au Mali qui prend la 108e place du classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans Frontière en 2020.
Le 29 janvier 2016, Birama Touré journaliste pour l’hebdomadaire d’investigation Le Sphynx était porté disparu. Cette affaire remonterait jusqu’au fils du président, Karim Keïta, et mettrait en cause les services de sécurité de l’État qui aurait retenu le journaliste captif et l’auraient torturé pendant près d’un an et demi.
Plus récemment, les élections présidentielles 2018 ont été marquées par une recrudescence de la censure et de violences contre les journalistes. En mai, le journal Mali Actu était poursuivi et trois de ses journalistes enfermés pendant cinq jours pour la diffusion du communiqué d’une association qui appelait à la démission du ministre de l’Emploi.
Durant les manifestations du mois de juin, la Maison de la Presse du Mali dénonçait les nombreuses attaques de journalistes par les forces de l’ordre. Fin juillet, cinq journalistes de la chaîne TV5 Monde étaient interpellés par des agents en civil à leur arrivée à Bamako. Au moment de l’entre-deux-tours, Radio Renouveau FM, média d’opposition, était sommée de quitter les ondes « jusqu’à nouvel ordre ».
En fin d’année, un haut gradé de l’armée malienne démissionne de la Commission Vérité-Justice-Réconciliation (comité de surveillance des violations des droits humains au Mali) après avoir été mis en cause dans l’agression d’un journaliste. Celui-ci raconte avoir été menacé, frappé et forcé à boire sa propre urines dans les locaux de la commission nationale.
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BÉLARUS – La contestation gagne les rédactions nationales, les journalistes en grève
/dans Europe, Liberté d'informer /par Alexandre GarnierAu moment des élections du 9 août, l’attention internationale s’est de nouveau porté sur la république du Bélarus. Chaque fin de quinquennat d’Alexandre Loukachenko signifie un retour de la contestation à son hégémonie. Il gouverne le pays depuis 1994.
Des journalistes du monde entier ont fait le déplacement pour couvrir ces élections et les protestations qui refont surface. Une présence que les autorités ne voient pas d’un œil accueillant. Rappellons que la Bélarus prend la dernière place européenne au classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans Frontières.
Accréditation officielle et censure officieuse
De nombreux journalistes étrangers se sont vu refuser leurs demandes d’accréditation pour couvrir les élections, et les délais pour les nouvelles demandes sont désormais retardés. «Nous invitons les autorités bélarusiennes à ne pas empêcher les journalistes étrangers de faire leur travail» déclarait le 21 août Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes. «Les procédures d’accréditations ne doivent pas être utilisées pour imposer une forme de censure.»
Entre le 9 août et la nuit du 11 au 12 août, des coupures d’Internet massives ont été observées. Les trafics des trois opérateurs de télécommunication du pays ont chuté quasi-simultanément. L’un de ces fournisseurs d’accès à Internet est possédé par l’État, mais les deux autres sont des opérateurs privés (l’un Bélarussien, l’autre Russe), ce qui laisse supposer qu’un ordre ait été donné pour organiser ces coupures.
À l’intérieur du pays, la couverture de l’élection a été marquée par une importante répression des journalistes nationaux et étrangers. L’association biélorusse des journalistes recense depuis le mois d’août 75 arrestations et détentions de journalistes. L’ONG traduit en langue anglaise les nombreux témoignages de journalistes arrêtés et donne des visages aux descriptions de tabassages, tortures et humiliations qui se déroulent dans les prisons du régime.
Au Bélarus, les observateurs ne sont pas les bienvenues dans les bureaux de vote
Cette année encore, le président Bélarussien a de nouveau bénéficié d’un soutien étonnant dans les urnes (selon les résultats officiels, parmi les 84% de votants, 4 sur 5 ont approuvé un nouveau mandat).
Ce qui réunit les foules sont des soupçons de fraude (les observateurs internationaux n’ont pas été invités à surveiller le scrutin) et surtout la politique répressive de Loukachenko, souvent désigné comme le «dernier dictateur d’Europe» (peine de mort encore pratiquée, actes de torture perpétrés contre les opposants, concentration du pouvoir).
Autre titre moins connu, le Bélarus est le pays avec le plus ancien gouvernement en exil du monde: la Rada de la République démocratique Bélarussienne. Établié en 1917 et contrainte à l’exil deux ans plus tard, mais dont le drapeau est aujourd’hui brandit dans les manifestations.
Une couverture médiatique propagandiste
Dans les médias étatiques, la couverture des événements a été très incomplète. Le 16 août, la première chaîne nationale retransmet un discours de Loukachenko place de l’Indépendance à Minsk dans lequel il rejette l’idée d’un second scrutin.
Quelques heures après au même endroit, une importante procession de plusieurs centaines de milliers manifestants rejoint la place, sous les fenêtres de la Maison du Gouvernement, mais aucun journaliste de la chaîne n’est dépêché pour couvrir la manifestation.
Deux jours plus tard, Bélarus-1 publie un reportage sur un rassemblement en soutien au président qui a rassemblé des milliers de personnes. Les couleurs rouge et verte du drapeau national sont omniprésentes à l’antenne, tandis que les couleurs rouge et blanche des drapeaux de l’opposition n’ont toujours pas droit de cité.
Même constat sur le site de la chaîne internationale Bélarus-24 qui ne fait aucune mention des manifestations qui secouent le pays.
Quand les chaînes d’État évoquent la contestation, c’est pour la marginaliser à un mouvement extrémiste d’émeutiers. Le discours dominant agite également la peur d’une dérive vers une situation ukrainienne et accuse les opposants de menacer l’unité nationale du pays en l’orientant vers la guerre civile.
Mais contrairement aux manifestations de Maïdan en Ukraine, la question russo-européenne est secondaire dans les revendications des manifestants. C’est bien la destitution d’Alexandre Loukachenko et son système qui réunit l’opposition et non des questions d’alignement géopolitique.
Sergei Kozlovich interviewé sur Euronews
En parallèle des manifestations, un autre mouvement de contestation est apparu dans une institution normalement favorable au président Loukachenko.
Sergueï Kozlovitch était présentateur sur les chaînes publiques de télévision. Sa dernière apparition devant les caméras remonte au 10 août, un jour après les élections. Une fois le résultat annoncé, il dépose sa démission ne supportant plus le manque d’indépendance de sa rédaction.
Il confie à Euronews avoir pris part à un discours de propagande en faveur du gouvernement. «Toute l’information n’était pas dédiée à la politique, il y avait d’autres points de vue, mais tout est centré autour de l’opinion gouvernementale que je communiquais. A l’époque, j’étais d’accord avec ça.»
Le lendemain, Evgueni Perline, présentateur sur Bélarus-1, a annoncé sa démission à la fin du journal télévisé.
«Il s’agit de ma dernière émission. Personne n’a influencé ma décision, je l’ai prise seul. Pendant cinq ans, j’ai vanté les mérites de l’armée bélarussienne et le courage de ses forces de sécurité. Jamais, je n’avais imaginé les voir un jour se retourner contre leur peuple.»
Le 12 août, c’est une présentatrice de la chaîne nationale ONT, Olga Bogatyrevichn, qui présentait sa lettre de démission sur les réseaux sociaux, accompagnée du message suivant.
«Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes là !».
Le même jour, Vladimir Bourko, présentateur de l’émission militaire Arsenal, annonce à son tour son départ de Bélarus-1 dans un post Instagram.
«Pendant cinq ans, j’ai incarné implicitement l’image médiatique du ministère biélorusse de la Défense […] Jamais, même dans un cauchemar, je n’aurais pu imaginer que les soldats et le matériel que je présentais pouvaient être employés contre le peuple!»
Lundi 17 août, une grève générale est amorcée par l’opposition. Mais chose rare, des journalistes de médias nationaux rejoignent le mouvement.
Bélarus-1, la chaîne d’information généraliste cesse même d’émettre pendant la journée, affichant un plateau vide, où la lumière est éteinte. Ils étaient plusieurs centaines réunis devant le bâtiment de la télévision nationale.
«Je suis un ancien employé, j’étais responsable du programme Good Morning Belarus» témoigne l’un d’entre eux à la chaîne privée Belsat. «Je suis parti volontairement et j’ai demandé de suspendre le programme. Lorsque nos enfants sont torturés, comment continuer à expliquer à nos téléspectateurs la manière de faire une omelette?»
Le président Lukashenko face aux grévistes d’une usine nationale de tracteurs à Minsk le 17 août. «Démissionne» entonnent les grévistes à la fin du discours.
Un discours médiatique toujours à la botte de Loukachenko
Si des tensions apparaissent parmi les rédactions nationales, aucun haut responsable ne s’est encore opposé ouvertement au gouvernement. Ivan Eysmant, directeur général de la chaîne, a refusé de parler publiquement avec les grévistes. Cependant, il a expliqué à l’intérieur du bâtiment à un journaliste que s’ils souhaitaient continuer à travailler pour la télévision nationale, ils devraient en respecter les conditions et la ligne éditoriale sans négociation.
Le 19 août, une ex-directrice des chaînes nationales évoque dans une interview à Tut.by l’arrivée de journalistes russes dans les rédactions publiques pour remplacer le nombre important de grévistes.
Tadeusz Giczann chercheur spécialisé sur l’étude des pays slaves et d’Europe de l’Est à l’University College de Londres relève sur Twitter certaines incohérences qui apparaissent sur les chaînes nationales.
«La télévision d’État bélarussienne nomme maintenant le pays Белоруссия (Biélorussie). Seuls les Russes [et Français] utilisent ce terme, les bélarussiens le trouvent offensant et lui préfère Беларусь (Bélarus). C’est ce qui se passe quand on remplace la plupart des journalistes et techniciens locaux par des mercenaires russes.»
De même, comme l’a noté le journaliste Franak Viačorka, Bélarus-1 semble désormais utiliser les retransmissions en direct de l’agence de presse Ruptly, filière de la chaîne russe Russia Today, plutôt que d’envoyer des journalistes couvrir les événements. Deux jours plus tard, l’agence de presse nationale BelTA confirme l’information à travers une déclaration du président Loukachenko.
«S’ils [les grévistes] souhaitent se mettre en grève, j’ai indiqué aux directeurs de ne pas les retenir. Il y a un grand nombre de personnes au chômage et suffisamment de spécialistes disponibles sur le marché, y compris dans des pays voisins.»
Le 21 août, la censure d’État s’est accentuée sur de nombreux médias en ligne comme le relève l’Association bélarussienne des journalistes.
72 sites Internet ont été bloqués dans le pays, dont celui de Radio Free Europe, Belsat TV, le centre de défense des droits humains Viasna, ainsi que des services de VPN permettant de contourner la censure. Une autre vague de blocage avait déjà touché le 8 août le site web de l’Association bélarussienne des journalistes ou encore celui de Tut.By, journal web indépendant le plus populaire au Bélarus.
La censure Internet n’est pas nouvelle au Bélarus, le site web de Charter 97, média d’actualité défenseur des droits humains est bloqué depuis des années et était auparavant régulièrement la cible d’attaques par déni de service (DDoS), une technique dont il est difficile d’identifier les auteurs et qui visait également des médias avec une ligne éditoriale moins orientée comme Tut.by en 2014 et en 2020 ou Onliner.by (actualité numérique) en 2019.
Journalistes bélarussiens assassinés ces 20 dernières années
Aleh Byabenin, co-fondateur du média indépendant Charter 97. Au cours du printemps 2010 plusieurs journalistes de Charter 97 ont été ciblés par plusieurs perquisitions. Le 3 septembre, Aleh Byabenin est retrouvé pendu sans qu’aucune note ne soit laissé. L’enquête officielle avance la thèse d’un suicide, une conclusion rejetée par la famille et amis du journaliste.
Dzmitry Zavadski, journaliste pour la télévision nationale et caméra-man personnel d’Alexandre Lukashenko entre 1994 et 1997. Alors qu’il réalise un documentaire sur le conflit tchétchène, il disparaît le 7 juillet 2000 à l’aéroport international de Minsk. Son corps n’a jamais été retrouvé.
Pavel Sheremet, journaliste proche de Dzmitry Zavadski travaillant en Ukraine. Ils étaient emprisonnés tous deux en 1997 lors d’un reportage à la frontière entre le Bélarus et la Lituanie. Le 20 juillet 2016 à 2 heure du matin à Kiev, deux individus glissent un paquet sous sa voiture. 5 heures plus tard, quand Pavel se rend au centre-ville pour une émission de radio, sa voiture explose.
Veronika Cherkasova, journaliste d’investigation travaillant pour plusieurs journaux d’opposition. En pleine guerre d’Irak, elle enquêtait sur des réseaux financiers d’une banque bélarusienne qui aurait faciliter des ventes d’armes vers l’Irak de Saddam Hussein. Le 20 octobre 2004, elle est poignardée à vingt reprises à son appartement à Minsk. Le tueur n’est pas retrouvé et les autorités suspectent son fils de 15 ans et son beau-père du meurtre sans reconnaître le motif politique de son assassinat.
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IRAN – Massoumeh Raouf: «Le régime n’a plus aucune base populaire»
/dans Liberté d'informer, Moyen et Proche Orient /par Eliott AUBERTDans votre livre «un petit prince au pays des mollahs», vous rendez hommage à votre frère, exécuté lors des massacres de 1988. Pouvez-vous nous raconter comment un tel événement a pu se produire une dizaine d’années seulement après la révolution de 1979?
Durant plusieurs décennies, le Chah a régné en Iran. Les révolutions de 1979 l’ont détrôné. Rouhollah Khomeini est arrivé au pouvoir cette année-là et jouissait d’un grand soutien populaire.
Cependant, son discours a changé lorsqu’il a pris la tête de l’Iran et qu’il a établi une République théocratique islamique. Il a imposé sa parole et sa pensée à tout le pays. Il ne fallait en aucun cas le critiquer sous peine de subir de lourdes répercussions.
Après la révolution, 120 000 jeunes ont été exécutés, dont 30 000 opposants politiques, tués en 1988 sous les ordres du Guide Suprême Khomeini. Mon frère Ahmad Raouf Basharidoust a subi le même sort.
D’un autre côté, l’Organisation des Moudjahidines du peuple avait une vision beaucoup plus moderne et progressiste vis-à-vis de l’islam.
Nous avons rejoint ce mouvement avec mon petit frère Ahmad. Nous étions des fervents défenseurs du parti. Nous voulions changer le cours de l’histoire. Mais, les choses ne se sont vraiment pas passé comme prévu.
Khomeini a commencé à réprimer toute forme d’opposition qu’il ne supportait pas. Il justifiait ses actes en prônant l’argument de l’islam et la charia.
Après la guerre Iran-Irak, toute la population s’attendait à une ouverture du régime. Ce ne fut pas le cas.
Après la révolution, 120 000 jeunes ont été exécutés, dont 30 000 opposants politiques, tués en 1988 sous les ordres du Guide Suprême Khomeini. Mon frère Ahmad Raouf Basharidoust a subi le même sort.
Massoumeh RAOUF portant la photo de son frère assassiné en 1988 par le régime iranien.
Rouhollah Khomeini meurt un an après ces événements. Le mode de gouvernance du régime s’est-il modifié depuis 1988?
Il n’y a eu aucune évolution du régime des mollahs. Le principe reste le même: le guide suprême dirige le pays et les institutions… Officiellement, des élections au suffrage universel ont lieu pour élire le Président et les députés du Majlis [Parlement monocamérale].
Les femmes ne détiennent aucun droit. Il suffit d’enlever son hijab pour être envoyée en prison. Aucun média d’opposition et indépendant ne couvre l’actualité dans le pays.
En réalité les élections ne sont que des pièces de théâtre puisque le Conseil des Gardiens les contrôle fermement. Il est composé de six clercs désignés par le guide suprême et six juristes nommés par le chef de la justice. Ce conseil vérifie et valide la candidature des personnes qui se présentent.
Nos libertés et nos droits continuent d’être bafoués année après année. Le régime ne supporte aucune liberté individuelle. Les femmes ne détiennent aucun droit. Il suffit d’enlever son hijab pour être envoyée en prison. Aucun média d’opposition et indépendant ne couvre l’actualité dans le pays. Les articles de presse ne doivent pas contrarier le régime, sinon une vague de censure risque de se produire.
Un journaliste a par exemple consacré un article pour commémorer les 10 ans du grand massacre de 1988. C’était son dernier article en Iran.
De gigantesques manifestations se sont déroulées dès novembre 2019. Quelle est la portée de leurs revendications?
Des millions d’Iraniens sont descendus dans les rues pour manifester leur mécontentement face à ce régime inchangé depuis plusieurs décennies. Quarante ans auparavant, les citoyens croyaient au régime iranien. Mais ils ont subi tant d’abus et crimes qu’aujourd’hui ils n’acceptent plus cette situation et souhaitent renverser ce régime.
Le gouvernement [iranien] a recommencé à exécuter les opposants politiques comme il l’a fait en 1988.
Dans ce contexte, le gouvernement a recommencé à exécuter les opposants politiques comme il l’a fait en 1988. Ils ont tout d’abord étouffé les manifestations, durant lesquelles près de 1500 personnes ont péri et 12 000 ont été arrêtées – le régime décompte quant à lui 300 morts. Récemment, des prisonniers politiques emprisonnés lors des manifestations sont également liquidés.
Malgré la forte répression, le régime n’arrive plus à contrôler et censurer la population. Je crois sincèrement que le mouvement enclenché en novembre 2019 a beaucoup de chance de le renverser. La population continue de se rebeller malgré cette répression. Ils ne peuvent plus nous tromper avec leurs slogans d’antan.
Aujourd’hui le désir populaire est de renverser le régime. Il tombera, c’est inévitable. Je ne sais pas quand cela se déroulera mais il faut garder la flamme de l’espoir. Si on perd cette flamme, c’est fini pour nous.
Le régime trompait les gens en opposant les deux factions pour donner une illusion démocratique aux élections – les modérés et les conservateurs. Nous étions totalement au courant de cette tromperie. En novembre 2019, les manifestants iraniens scandaient «nous ne voulons ni modéré, ni conservateur». Le régime n’a d’ailleurs plus aucune base populaire.
Ils ont tenté d’afficher le contraire lors des manifestations en l’honneur du général Gassem Soleimani – numéro deux et bras armé du guide Suprême. Ils ont en réalité fermé tous les commerces et administrations et ont obligé les gens à participé à cette mise en scène. Je crois que c’est la fin de l’histoire des mollahs.
Au sein de ce pays privé de liberté, comment s’organise l’opposition au régime des mollahs?
L’opposition s’ordonne à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Dans un contexte de privation total de liberté, le Conseil national de la résistance iranienne est fondé en 1981 à l’initiative de Massoud Radjavi – dirigeant de la Résistance iranienne. Il regroupe différents partis politiques du pays: Organisation des moudjahidines du peuple iranien, Kurdes, Marxistes…
Je siège au sein du CNRI, composé de 540 membres. Nous avons adopté un programme pour préparer le pays à l’après-régime des Mollahs. Le CNRI dirigera l’Iran pendant six mois. Il organisera des élections libres sous l’égide de l’ONU et instaura la démocratie.
Le peuple iranien doit pouvoir exprimer librement ses choix. Aujourd’hui le désir populaire est de renverser le régime. Il tombera, c’est inévitable. Je ne sais pas quand cela se déroulera mais il faut garder la flamme de l’espoir. Si on perd cette flamme, c’est fini pour nous.
Dans la préface de votre livre, Ingrid Betancourt écrit que vous aviez «besoin de nous ramener [votre] frère vivant». Pouvez-vous nous en dire plus sur la volonté d’engagement de ce jeune frère ?
Pour moi Ahmad est toujours vivant. Il vit chaque instant à mes côtés. Je ne pouvais pas raconter son histoire autrement.
Dans mon livre, c’est Ahmad qui raconte son histoire. Personnellement en tant que sœur c’est douloureux de parler des atrocités qu’il a subi. Pire, c’est voir l’indifférence de monde devant ce régime sanguinaire.
Ahmad est un exemple de la génération de la révolution qui a été écrasée par les mollahs. Elle a grandi si vite et si brillamment. Cette même génération qui a dit «non» à Khomeini et à ses bourreaux malgré les terribles conditions de détention. Une génération avec un rêve de liberté et de démocratie pour l’Iran.
Après la révolution plus de 120.000 jeunes ont été exécutés par le régime des mollahs dont 30.000 en 1988 ont été exécuté en quelque mois. La majorité était membre ou sympathisant actif des Moudjahidine du peuple d’Iran, l’opposition démocratique aux mollahs.
Un dernier mot?
La lutte pour la liberté en Iran continu. En 1988, Khomeini, ce criminel impitoyable, a cherché à éliminer la résistance pour préserver son pouvoir. En vain ! Car la Résistance Iranien a survécu à tous les problèmes et obstacles et le mouvement pour la justice prend de l’ampleur en Iran et ne lâchera pas les mollahs.
Les générations qui sont nées après mon frère Ahmad sont aujourd’hui en quête de vérité et de justice pour les victimes du «plus grand crime commis sous la République islamique» comme l’a dit le 15 août 1988 l’ayatollah Montazeri, alors successeur de Khomeini.
Je vous assure que, le peuple iranien et sa Résistance ne connaitront pas de répit tant que les responsables du massacre des prisonniers politiques ne seront pas jugés. Nous continuerons à défendre la mémoire et les valeurs pour lesquelles Ahmad et ces milliers de héros ont donné leur vie.
L’organisation des moudjahidines du peuple iranien
L’organisation des moudjahidines du peuple iranien est un mouvement de résistance au Chah puis au régime des Mollahs. Allié de taille de Khomeini durant la révolution islamique, lors de son accession au pouvoir, le Guide Suprême réprime puis contraint à l’exil l’OMPI. Il représente le principal parti d’opposition et se caractérise de musulman progressiste.
L’OMPI croit en la lutte armée. Elle a été placée pendant quelques années sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et par le Conseil de l’Union européenne avant d’être retirée. Le 11 mai 2011, le juge français Marc Trévidic rend «une ordonnance de non-lieu des chefs de l’OMPI de tous les faits terroristes.»
Devenue effective en France et en Europe, l’ordonnance considère l’OMPI comme une organisation de résistance et non terroriste.
«Le régime s’en est pris violemment aux vastes rassemblements de l’OMPI, qui en retour a mené des actes de violence mortelle contre les mollahs au pouvoir», explique dans un rapport d’évaluation indépendant, l’ambassadeur Lincoln Bloomfield Jr en 2011.
Le régime des mollahs a souvent cherché à associer l’OMPI à des actions hautement préjudiciables à son image, tout particulièrement en Iran, en Europe et aux États-Unis. Par exemple, ils ont mis sur le dos de l’OMPI l’attentat du 28 juin 1981 durant lesquel 74 membres du Parti de la République islamique ont été tués. L’OMPI dément avoir orchestré cet acte.
«Ceci ne signifie pas que toutes ces assertions potentiellement préjudiciables à l’OMPI soient fausses, mais [ce document] vise seulement à signaler que le gouvernement iranien, à plusieurs reprises, a dévoilé son jeu, livrant ces informations sans citer de sources aux média étrangers» note Lincoln Bloomfield Jr.
Il notifie également ce qui suit :
Avant 2002, des unités de résistance des moudjahiddines du peuple d’Iran ont par exemple tué Assadollah Lajevardi, procureur des tribunaux de la révolution islamique de Téhéran, surnommé « Le Boucher » de la sinistre prison d’Evine.
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/dans Droits de l'Homme, Liberté d'informer, Moyen et Proche Orient, Tribune Libre /par Massoumeh RAOUFLa plupart des victimes étaient membres ou sympathisants de l’Organisation Moudjahidines du Peuple d’Iran, le principal mouvement d’opposition contre la dictature islamiste.
Que s’est-il passé en juillet 1988 en Iran?
Dans les derniers jours de juillet 1988, un massacre a été orchestré par le régime clérical contre les prisonniers politiques détenus dans les prisons iraniennes. Le bain de sang a été lancé sur la base d’un décret non daté (fatwa) avec le cachet et la signature de Khomeiny, guide suprême et fondateur de la République islamique.
Ils ne doivent pas “hésiter” à procéder aux exécutions.
En 236 mots, il a signé la condamnation à mort de tous les prisonniers soutenant l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK). “Ceux qui sont dans les prisons à travers le pays et qui se restent inébranlables dans leur soutien aux Monafeqin [OMPI] font la guerre à Dieu et sont condamnés à l’exécution“, a déclaré Khomeiny dans son décret.
Khomeiny a chargé ce qui allait devenir les “commissions de la mort” à Téhéran, et dans les capitales provinciales, toutes composées de trois membres, de déterminer quels prisonniers restaient inébranlables dans leurs convictions.
La fatwa de Khomeiny était en soi un verdict pour tous les militants de l’OMPI –l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran– en prison, et le rôle de la commission était de décider qui entrait dans cette catégorie.
Khomeiny a exigé que “ceux qui prennent les décisions ne doivent faire preuve d’aucune pitié“, et doivent être remplis de “colère et de haine“. Ils ne doivent pas “hésiter” à procéder aux exécutions.
Les commissions de la mort
Dans un bref interrogatoire de quelques minutes, les commissions de la mort ont d’abord demandé à chaque prisonnier d’indiquer son appartenance politique. S’il mentionnait le nom “Moudjahidine” (OMPI), leur sort était scellé et les questions s’arrêtaient, mais si le prisonnier utilisait le terme “Monafeq“, qui signifie “hypocrite“, terme péjoratif utilisé par Khomeiny pour les Moudjahidine du peuple, il ou elle retournait en cellule.
Ces interrogatoires expéditifs ont déterminé la décision de savoir si le prisonnier restait fidèle aux Moudjahidine du peuple et s’il allait être exécuté. Tous ces loyalistes déclarés ont été exécutés. Mené à la hâte à partir de juillet 1988, ce processus a essentiellement anéanti les prisonniers affiliés à l’OMPI.
Des rapports et des preuves attestent que les meurtres se sont poursuivis jusqu’aux premiers mois de 1989. Parmi les dernières victimes se trouvaient des prisonniers dont le sort n’avait pas été déterminé, mais qui ont été exécutés sur les ordres de Khomeiny par les commissions de la mort.
Ce massacre a été condamné comme un crime contre l’humanité par des défenseurs des droits humains et des ONG dans le monde entier. C’est l’un des événements les plus importants qui marquent le régime des mollahs. Il a eu un effet durable et profond sur la situation interne du régime et sur les relations entre le pouvoir et la société iranienne.
Mais pourquoi cela s’est-il produit ? De nombreux témoignages de ceux qui étaient en prison en 1987 et 1988 ne laissent aucun doute sur le fait que le massacre avait été planifié bien avant.
Lors d’une discussion (dont l’enregistrement audio a été rendu public en été 2016) avec quatre des responsables du massacre, on entend l’ayatollah Hossein-Ali Montazeri, alors successeur désigné de Khomeiny, déclarer: “Monsieur Ahmad (le fils de Khomeiny) disait il y a trois ou quatre ans qu’il faudrait pendre tous les Moudjahidine, y compris ceux qui [se contentent de] lire leur journal ou leurs communiqués.“
Trois caractéristiques principales du massacre – sa nature préméditée, un ordre concret du dirigeant du régime qui a également créé une hiérarchie d’élite pour sa mise en œuvre, et l’accent mis sur l’éradication de l’OMPI, la principale opposition- établissent la nature politique de cet événement et le différencient d’un acte de vengeance ou de rage aveugle.
Cette perspective politique nous ouvre les yeux sur la relation entre cet événement et les crises qui coïncident. L’événement le plus important a été le cessez-le-feu dans la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak, que Khomeiny a été contraint d’accepter après de lourdes défaites et de nombreuses menaces de renversement.
Il avait proclamé que les combats continueraient jusqu’à la destruction de la dernière pierre de la dernière maison de la capitale, ou jusqu’à ce que Karbala (où est enterré le troisième Imam chiite et petit-fils du Prophète de l’islam) et Jérusalem aient été «libérés». La guerre a fait un million de morts iraniens et au moins mille milliards de dollars de dégâts à l’époque.
Outre son ampleur, l’importance politique du massacre soulève des questions quant au silence honteux qui l’a entouré, en particulier en Occident.
L’objectif premier du régime dans cette guerre était de justifier la répression en Iran et de faire taire les protestations publiques et les revendications pour les libertés recherchées depuis la révolution antimonarchique de 1979.
De plus, la mort de Khomeiny était de plus en plus considérée comme imminente ; il avait 86 ans et était très malade. Sa succession était devenue le sujet d’une dangereuse lutte pour le pouvoir au sein du régime. La décision de Khomeiny de massacrer la quasi-totalité des prisonniers politiques visait à éliminer cette force populaire, endurante, capable de jouer un rôle majeur dans un soulèvement pour enclencher un changement fondamental après le cessez-le-feu et sa mort imminente.
Cette décision a également ouvert la voie à la destitution de son successeur désigné Hossein Ali Montazeri, qui s’était révélé décevant pour Khomeiny, et a créé des conditions favorables à l’autonomisation de l’un de ses plus proches alliés, Ali Khamenei (l’actuel guide suprême).
La peur suscitée par l’assassinat des Moudjahidine du peuple dans les prisons a essentiellement écarté les obstacles internes et externes du régime à la nomination de Khamenei comme guide suprême. Par conséquent, la composition post-Khomeiny du régime sous la direction de Khamenei est en partie le résultat du bain de sang de 1988.
La stratégie d’oblitération
Outre son ampleur, l’importance politique du massacre soulève des questions quant au silence honteux qui l’a entouré, en particulier en Occident. Cela s’explique sans doute par les mesures politiques et sécuritaires prises par le régime pour cacher le massacre.
Tous les contacts des prisonniers avec le monde extérieur ont été rompus pendant le carnage. Il y avait, et il y a toujours, une interdiction de publier les noms des personnes exécutées. Enfin, l’emplacement des fosses communes des victimes a été gardé secret, tant pour dissimuler ce terrible crime que pour empêcher toute forme de rassemblement des proches ou de transformation des tombes en symboles autour desquels un mouvement de protestation aurait pu prendre forme.
En fait, ils ont poursuivi la politique d’ «oblitération des victimes sans laisser de traces», de manière à faire croire que les victimes n’ont jamais existé.
La stratégie d’«oblitération» a réussi à restreindre l’accès de la population et de la Résistance à une grande partie des preuves, mais elle n’a pas réussi à mettre un terme à la recherche et à la publication incessantes d’informations relatives à ce massacre. Quelques semaines après le début de la tuerie, le dirigeant de la Résistance iranienne, Massoud Radjavi, a envoyé plusieurs télégrammes aux Nations Unies pour leur demander d’agir afin de faire cesser ces massacres. De nombreuses listes de victimes ont alors été remises à l’ONU.
Simultanément, les partisans de l’OMPI en Europe et aux États-Unis ont lancé des grèves de la faim et des veillées pour alerter sur le massacre. Leurs activités ont fourni des informations en nombre suffisant aux gouvernements, aux parlements, à la presse et aux organisations de défense des droits de humains en Occident.
Mais rien n’a été dit, et encore moins fait, par l’ONU ou les gouvernements occidentaux pour mettre en place des mesures de dissuasion politiques ou juridiques. On peut facilement faire la comparaison avec le tollé mondial soulevé par les Etats et la presse contre la fatwa de mort lancée par Khomeiny contre Salman Rushdie, auteur du roman «Les Versets sataniques».
Le massacre des prisonniers politiques en Iran est le plus important du genre après la Seconde Guerre mondiale. Le silence qui l’a entouré s’inscrit dans le cadre de la politique de complaisance adoptée par les gouvernements occidentaux avec la théocratie en Iran. Après la fin de la guerre Iran-Irak, les gouvernements américains et européens ont adopté la théorie sans fondement selon laquelle l’Iran sous les mollahs adopterait une voie de modération.
Qui sont les responsables du massacre de 1988 en Iran, l’exemple d’Ibrahim Raissi
Les dirigeants “de la ligne dure” et des “réformistes” ont soit participé directement au massacre de 1988, soit y ont coopéré directement, soit l’ont approuvé. En fait, au fil du temps, les responsables du massacre ont gravi les échelons de la hiérarchie politique.
L’un des exemples les plus odieux est celui d’Ibrahim Raissi, l’un des membres de la commission de la mort à Téhéran.
En 2015, Khamenei l’a nommé gardien de la Fondation Astan-e Qods Razavi, une institution pesant plusieurs milliards de dollars qui administre la tombe de l’Imam Reza à Machad. Cette nomination l’a promu aux plus hauts échelons de la théocratie et en a fait l’un des cinq religieux les plus importants exerçant des fonctions politiques.
Un an plus tard, encore une fois sur les ordres de Khamenei et avec le soutien total du Corps des gardiens de la révolution (pasdaran), Raissi a été catapulté candidat à la présidence. L’indignation publique lui a barré la route à la présidence, mais il a néanmoins conservé ses fonctions de gardien de la Fondation Astan-e Qods Razavi et de membre du conseil de direction de l’Assemblée des experts. Au moment de la publication de cette version en français, il a été nommé à la tête du système judiciaire.
D’autres membres des commissions de la mort continuent d’occuper des postes clés dans le système judiciaire et d’autres institutions du régime. Alireza Avaei, actuel ministre de la Justice du Président Rohani, était membre de la commission de la mort de la province du Khouzistan dans le sud-ouest. Avant lui, Mostafa Pour-Mohammadi avait occupé ce poste pendant quatre ans dans le premier gouvernement Rohani ; il avait lui aussi siégé à la commission de la mort de Téhéran.
En 2016 et 2017, les questions sur le massacre de 1988 ont refait surface à la suite de l’indignation croissante du public face à la candidature de Raissi, et un vaste Mouvement pour la Justice s’est levé . De nombreux responsables et leurs complices ont oublié leurs démentis précédents et se sont mis à défendre ouvertement leur rôle dans la tuerie.
74 formes de tortures insupportables [ont été détaillées]
Pour analyser cette répression, un livre très documenté a été publié par le Mouvement pour la Justice, en 2018 «Crime against humanity» Crime contre l’humanité. Ce livre révèle également des preuves irréfutables de la nature immuable du régime. Il contient aussi les noms de plus de 5000 Moudjahidine du peuple massacrés ; les détails de 35 commissions de la mort et l’emplacement des fosses communes dans 36 villes.
Parmi les responsables de cette tuerie, figurait Khamenei, qui n’a montré aucun signe de regret. Bien au contraire, ces aveux publics n’ont fait que souligner le rôle essentiel que le massacre a joué dans la composition du pouvoir en place et les rapports de force. Il faut espérer que ce livre marquera un pas de plus vers la dénonciation de cette atrocité, dont le guide suprême du régime doit être tenu responsable, bien que, jusqu’à présent, il a échappé à toute responsabilité. Il faut forcer son régime à rendre publiques toutes les informations pertinentes, en particulier le nombre de personnes exécutées, leur nom et leur identité.
L’expérience du Mouvement pour la Justice Ce livre – Crime contre l’humanité – met en lumière une petite partie d’une vérité beaucoup plus large: la pugnacité d’une génération, dont la plupart avaient été les principaux instigateurs des soulèvements et des manifestations ayant conduit au renversement du chah en 1979. Ils sont devenus par la suite le cœur et l’âme du mouvement qui s’opposait à la tyrannie et au fondamentalisme de Khomeiny, refusant de sacrifier leurs libertés au régime des mollahs.
Au cours de leurs sept années dans les prisons notoires de Khomeiny, ils ont surmonté au moins 74 formes de tortures insupportables tout en conservant leur humanité. Comme l’a dit Joseph Kessel, ils étaient l’essence même de la rébellion, la chair et le sang du soulèvement.
Leur persévérance fait partie de la dignité et de l’humanité de notre monde et de la conscience inquiète de l’humanité. C’est le joyau dont le monde d’aujourd’hui a grandement besoin. Ces dernières années, des groupes d’anciens prisonniers politiques, de défenseurs des droits humains, d’experts et de chercheurs ont déployé des efforts précieux pour faire la lumière sur les parts d’ombre de cette tragédie.
Tout en exprimant notre gratitude et notre respect pour tous ces efforts, nous espérons que ces révélations permettront de traduire en justice chacun des responsables de ce carnage.
Au moment de la publication de ce recueil, l’étude se poursuit sur d’autres martyrs dont les noms et les informations nécessitent un examen plus approfondi, ainsi que des efforts supplémentaires pour obtenir de nouveaux noms, en particulier dans les prisons d’où aucune information n’a encore émergé sur les crimes qui s’y sont déroulés.
L’augmentation significative des informations sur les prisonniers massacrés, obtenues au cours de l’année écoulée est le résultat d’efforts généralisés du Mouvement pour la Justice, tant en Iran qu’à l’étranger. Les efforts du Mouvement pour la Justice ont réussi à attirer davantage l’attention en Iran et au sein de la communauté internationale sur la nécessité de mener une enquête internationale sur les meurtres de 1988, afin de traduire en justice les responsables du régime.
L’expérience du Mouvement pour la Justice a démontré que même si de nombreuses années se sont écoulées depuis le massacre, celui-ci n’appartient pas au passé. Cette expérience est fortement liée à la quête de liberté du peuple iranien et se situe au cœur de la résistance pour renverser la tyrannie religieuse dans le but d’instaurer la démocratie, les droits humains et la liberté pour tous les Iraniens.
Publié par le Mouvement pour la Justice en 2018, ce livre révèle des preuves irréfutables de la nature immuable du régime.
Il contient aussi les noms de plus de 5000 Moudjahidine du peuple massacrés ; les détails de 35 commissions de la mort et l’emplacement des fosses communes dans 36 villes.
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Bangladesh – La liberté d’expression captive du gouvernement
/dans Asie du Sud et Océanie, Liberté d'informer, Liberté de la presse /par Eliott AUBERTShariful Chowdhury, Shelu Akand, Mostafizur Rahman Suman, la liste d’attaques à l’encontre des journalistes s’amplifie chaque mois. En juin 2020, cinq ONG de défense de la liberté de l’information ont interpellé la Première ministre, Sheikh Hasina à ce sujet.
Fondée en 1994, et membre de la fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), l’organisation Odhikar se charge de protéger les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels bangladais. Elle publie chaque année depuis 2003 un rapport d’activité dans lequel est abordé le thème de la liberté de la presse.
Dans ses deux derniers dossiers, durant la période de janvier à juin, Odhikar a décompté au Bangladesh 39 journalistes blessés au cours de l’exercice de leur métier, 18 agressés, 12 attaqués, 7 menacés, 1 arrêtés et 42 poursuivis en justice. Un total qui atteint déjà 119 actes à l’encontre des journalistes locaux en seulement 6 mois.
Plus généralement, en 2018 et 2019 – depuis l’investiture pour un troisième mandat consécutif de la Première ministre, Sheikh Hasina – 126 et 104 agissements contre les journalistes et médias ont été respectivement recensées par Odhikar.
Les illustrations décrites par la suite représentent et incarnent un aperçu du quotidien vécu par les journalistes exerçant leur métier au Bangladesh.
«La gravité et la recrudescence des violences perpétrées contre des journalistes qui faisaient simplement leur travail atteint un niveau inadmissible»
En termes d’exemple, au cours du scrutin municipal du 1er février 2020 dans les districts nord et sud de Dacca, une dizaine de journalistes qui couvraient l’événement ont été pris d’assaut par des militants de la Ligue Awani (AL) – parti du gouvernement au pouvoir.
Après avoir eu écho d’irrégularités dans le bureau de vote de l’école Nikunja Jan-e-Alam, le correspondant spécial de l’agence Press Bangla (PBA), Zisad Ikbal s’y est rendu pour enquêter. Lorsqu’il tente d’entrer dans le centre pour obtenir des informations, il est attrapé et roué de coups par des militants de l’AL.
Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters Sans Frontières interpelle les autorités locales.
«La gravité et la recrudescence des violences perpétrées contre des journalistes qui faisaient simplement leur travail atteint un niveau inadmissible. Nous appelons l’inspecteur général de la police, Javed Patwary, à tout mettre en œuvre pour que les auteurs de ces attaques systématiques soient traduits en justice. Surtout, compte tenu des liens des assaillants avec le parti au pouvoir, le secrétaire général de la Ligue Awani, Obaidul Quader, doit prendre des mesures immédiates pour exclure de ses rangs les militants qui refusent le rôle d’une presse libre dans le jeu démocratique.»
Cette violence à l’encontre des journalistes s’est ancrée dans leur quotidien. Témoigner, enquêter et investiguer à propos de dirigeants politiques ou de corruption, riment avec menace, agression et risque pour sa propre vie.
Shelu Akand, journalistes pour le quotidien Palli Kantho Protidin, et correspondant du magazine Bangla Bazar Patrika à Jamalpur – nord du Bangladesh – enquêtait au sujet des activités d’Hasanuzzaman Khan, conseiller municipal, et de son fils Rakib, dirigeant local du Bangladesh Chhatra League à Jamalpur – branche étudiante de la ligue Awani.
Il devait également témoigner des brutalités orchestrées par ces deux personnages – notamment le passage à tabac de son confrère Mustafa Monju. Shelu Akand a été de nombreuses fois menacées par la famille Khan. Sans protection, il frôle la mort le 18 décembre 2019 après avoir été tabassé par une dizaine d’individus. Le frère du journaliste a déposé une plainte et Rakib Khan a été arrêté jeudi par la police.
Plus récemment, au 1er avril 2020, un groupe dirigé par l’un des leaders du syndicat Aushkandi Union Parishad Chairman de Nabiganj et de la ligue Awani, Muhibur Rahman Harun, ont attaqué le correspondant du quotidien Pratidiner Sangbad, Shah Sultan Ahmed. Ce dernier avait alors mis en exergue des irrégularités dans la distribution de riz adressée par le gouvernement et destinée aux personnes précaires. Il affirmait que chacun des nécessiteux auraient dû recevoir 10 kg de riz, mais Muhibur Rahman Harun en aurait donné simplement 5 kg.
Un arsenal législatif taillé sur mesure
La répression de la liberté de la presse s’appuie donc sur deux piliers. Outre l’indulgence de l’Etat central et son consentement tacite, les lois en vigueur offrent un contrôle total et légal des médias locaux.
Les condamnations des dissidents du pouvoir se basent sur les lois pénales. Le gouvernement bangladais possède notamment dans son arsenal législatif la «Digital Security Act», loi de 2018 sur la sécurité numérique [DSA].
Cette dernière place en permanence sous pression les journalistes et asphyxie les libertés de la presse et d’expression. Venue remplacer et abroger une majeure partie de la loi sur les informations et les technologies de 2006, en particulier l’article 57 tant décrié, la DSA étend et renforce en réalité la répression.
L’article 21 de cette loi prévoit une peine de 10 ans de prison pour quiconque s’aviserait d’organiser «toute propagande ou campagne contre la cognition de la guerre de libération, le père de la nation, l’hymne national ou le drapeau national.» En cas de récidive, l’individu risque une réclusion à perpétuité.
La cognition de la guerre de libération est définie dans la loi comme: «Les grands idéaux qui ont inspiré notre brave public à se consacrer à la lutte de libération nationale et nos courageux martyrs à déposer leur vie pour la cause de la libération, les idéaux du nationalisme, du socialisme, de la démocratie et laïcité.»
Cette définition large de sens, semble amplifier le champ d’action de cet article afin de permettre au gouvernement d’étouffer les critiques au nom de l’intégrité de la nation.
Une situation semblable pour l’article 25. Certains mots utilisés ne sont pas définis dans la loi et constituent un danger pour la liberté d’expression. Une information à caractère «offensant» pourrait être condamnable, bien que ce terme soit totalement subjectif. «Ternir l’image de la nation» est également utilisé, et pourrait donc permettre de poursuivre quiconque s’aviserait de critiquer le mode de gouvernance du parti au pouvoir.
Une analyse beaucoup plus approfondie est disponible sur le site d’Article 19, une association britannique œuvrant pour la promotion de la liberté d’expression et d’information.
En vertu de ces articles et de cette loi, le caricaturiste Ahmed Kabir Kishore a été arrêté pour avoir «diffusé sur Facebook des rumeurs et de la désinformation sur la situation du coronavirus», et «insulté l’image du père de la nation, l’hymne national ou drapeau national.»
Le caricaturiste avait alors publié une série de caricatures de personnages politiques bangladais intitulée «La vie au temps du corona».
Il mettait en cause des dirigeants du parti au pouvoir et les accusait de corruption dans le secteur de la santé. Il a été arrêté entre le 4 et le 6 mai par des agents du Bataillon d’action rapide (BAR).
«Journalistes, blogueurs et caricaturistes n’ont rien à faire derrière les barreaux pour avoir émis des opinions alternatives sur la façon dont les autorités gèrent la crise du coronavirus», s’indigne Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF.
Comme Ahmed Kabir Kishore en 2019, 42 personnes ont été arrêtées en vertu de cette loi pour avoir publié sous différentes formes des critiques du gouvernement, ou des personnalités éminentes de l’Awani League. Une pratique qui s’est accrue lors de la récente pandémie du Covid-19. Entre janvier et juin 2020, 96 personnes ont été arrêtées.
Il en résulte directement une auto-censure de plus en plus forte au sein des rédactions pour se protéger. D’autant plus que selon l’article 36 de loi de 2018 sur la sécurité numérique.
«Dans le cas d’une société qui commet une infraction à la présente loi, tous ces propriétaires, directeurs généraux, administrateurs, gérant, secrétaire, actionnaire ou tout autre dirigeant ou employé ou représentant de l’entreprise ayant un lien direct avec l’infraction sera considéré comme le contrevenant à moins qu’il ne puisse prouver l’infraction a eu lieu à son insu ou si il a pris toutes les mesures possibles pour arrêter la commission l’infraction.»
«En tant que responsable-éditorial, je me sens triste de devoir abandonner un papier qui a pris plusieurs jours de travail de la part d’un journaliste. Mais je prends cette décision pour l’unique raison de devoir protéger le journaliste car je sais qu’il y a des risques à le publier», avoue Matiur Rahman Chowdhury, responsable-éditorial du quotidien Manab Zamin au journal The Indian Papers en décembre 2018.
Le Bangladesh a pourtant ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. L’article 19-2 de ladite loi affirme que “toute personnes à droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.” L’ayant signé en 2000, le Bangladesh s’est légalement engagé à respecter ce droit fondamental.
L’article 39 de la constitution du Bangladesh garantit de même les libertés d’expression, de pensée et de conscience.
Une situation d’autant plus contradictoire alors que Sheikh Hasina affirmait le 19 décembre 2018, après la ratification de la loi sur la sécurité numérique: «Le gouvernement croit fermement à la liberté de la presse. Personne ne peut dire qu’on n’a jamais réduit quiconque au silence […] nous n’avons jamais fait ça, et nous ne le ferons toujours pas.»
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