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CENTRAFRIQUE – Comment la Russie influence les médias ?

Un article co-écrit par Eliott AUBERT et Alexandre GARNIER pour l’Oeil MDJ.

Officiellement présente en République Centrafricaine, officieusement omniprésente dans les médias, la Russie développe un nouveau réseau en Centrafrique depuis trois ans. Moscou met en place des campagnes médiatiques agressives en faveur de ses intérêts dans le pays. Enquêter sur ces nouveaux réseaux expose les journalistes à des menaces, voir des assassinats.

Fin août, dans les rues de Bangui, capitale de la République CentrAfricaine -RCA-, des tracts sont distribués aux passants. Sur la couverture: une poignée de main fière entre le président centrafricain Faustin Archange Touadéra et son homologue russe, Vladimir Poutine.


«La Fédération de Russie est aux origines de la paix en République centrafricaine» affirme le tract.


En arrière-plan, des photos de la parade militaire célèbrent le 60ème anniversaire de l’indépendance du pays. Cet hebdomadaire public, la Feuille Volante du Président rapporte et vante l’actualité politique du chef de l’État. L’édition du 27 août 2020 met en exergue l’étroite collaboration entre la RCA et la Russie. Les deux premières pages sont consacrées aux discours «de son excellence professeur Faustin Archange Touadera». La dernière est dédiée à la coopération entre le Kremlin et Bangui: «La Fédération de Russie est aux origines de la paix en République centrafricaine» affirme le tract, «et la coopération continue de plus belle !»

Dans les 29 dernières éditions disponibles sur le site de la présidence centrafricaine, 19 mentionnent la coopération russo-centrafricaine.

Un nouveau partenariat militaire: la Russie en RCA

Depuis 2017, la Russie s’engage massivement dans de nombreux projets en RCA: formation des forces armées centrafricaines (FACA), médiation avec les groupes rebelles (accord de Khartoum du 6 février 2020), exploitation des ressources, financement de médias.

Depuis le départ en octobre 2016 des troupes françaises de l’opération Sangaris, la Russie exploite le vide laissé. Jusqu’alors, des militaires français formaient l’armée régulière à l’aide d'armes factices en raison de l’embargo international sur les ventes d’armes instauré en 2013. Bien que la coopération russe est largement mise en évidence dans les médias centrafricains, les instructeurs de la mission de formation de l'Union européenne en République centrafricaine restent les principaux formateurs des FACA.

La naissance de la coopération militaire russo-centrafricaine débute en octobre 2017. Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra se rend à Sotchi pour rencontrer le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov. Il lui demande notamment une aide militaire. Deux mois plus tard, Moscou obtient de l’ONU une dérogation à l’embargo. S'ensuit une série de livraisons d’armes (pistolets, fusils d’assaut, lance-roquettes).

La Russie déploie également 235 formateurs militaires avec l’accord de l’ONU. Puis, en août 2018, la Russie et la RCA signent un accord de coopération renforcée. En septembre 2020, il entraîne l’ouverture d’un bureau du ministère russe de la Défense à Bangui et devrait permettre l’implantation d’une base militaire russe sur son territoire. «Les quelques dizaines de soldats français qui étaient restés après la fin de l’opération Sangaris n’étaient pas là pour soutenir le régime, ils protégeaient la communauté française et les accès à Bangui» indique Christian Bader, ambassadeur français à Bangui de 2016 à 2018 qui a accepté de répondre aux questions de l'Oeil de la MDJ. «Or le régime de Touadéra a une peur bleue d’un coup d’État.»

 

Saturation de l’espace médiatique : la presse russophile inonde les kiosques à journaux

«La Russie surfe sur le sentiment anti-français pour s’implanter en RCA. Tous les maux du pays sont attribués à la France» estime Saber Jendoubi, journaliste indépendant basé en République centrafricaine entre 2016 et 2019 et auteur de la publication «Panorama de la presse centrafricaine. Entre pauvreté et politique d’influence» pour l’Institut français des relations internationales qui a accepté de répondre à nos questions.


«Il est courant que des journalistes acceptent d’écrire des papiers pro-russes contre de l’argent. Peu importe ce qu’ils écrivent, ils veulent manger.»


Aux yeux de la population centrafricaine, l’absence de passé colonial de la Russie procure une plus forte légitimité à son intervention. Arrivé début 2018 en RCA, Valery Zacharov, ancien responsable des renseignements russes, est nommé par Touadéra au poste de conseiller de la présidence en matière de sécurité nationale.

Mais en parallèle, son cabinet s’assure de la diffusion massive d’articles de promotion des initiatives du Kremlin. «C’est toute une équipe. Zacharov a fait venir des personnes qui l’accompagnent dans la propagande et la communication politique», pointe Vincent Mambachaka, président de l’association Espace Linga Tere composée de médias communautaires centrafricains. Il nous répond ainsi. 

«Je dirige un lieu culturel important dans le pays. J’ai été approché par un Centrafricain. Il m’a dit qu’il connaissait des personnes qui souhaitent collaborer avec moi. Les russes me proposaient de l’argent pour travailler avec eux et m’ont demandé s’ils pouvaient utiliser ma radio.» «Il est courant que des journalistes acceptent d’écrire des papiers pro-russes contre de l’argent. Peu importe ce qu’ils écrivent, ils veulent manger.»

Sous la houlette de Zakharov, il est proposé aux journalistes de percevoir 20.000 FCFA (30 euros) pour couvrir un événement organisé par la Russie ou pour réaliser un article critique vis-à-vis de la France. Vincent Mambachaka nous confirme l’utilisation massive de cette méthode.

«Ça saute aux yeux, quand je lis un papier je suis capable de dire si la personne est payée. Ce n’est pas du journalisme. En dehors de 2 ou 3 journaux, le reste c’est de la manipulation russe. Ces journaux sont à la merci de tout ce qui peut leur permettre de survivre.»

Le Potentiel Centrafricain se méfie des ambitions du président Macron / Capture d’écran du média “Le Potentiel Centrafricain”

En Centrafrique, les journalistes ne perçoivent pas de salaire fixe et il n’existe pas de revenu minimum légal. «Ils exercent leur métier dans une situation très précaire, ils crèvent la dalle» nous souligne Saber Jendoubi. «Il est courant que des journalistes acceptent d’écrire des papiers pro-russes contre de l’argent. Peu importe ce qu’ils écrivent, ils veulent manger.»

Cette stratégie, également pratiquée par la France et la Chine (à moindre échelle), permet à Moscou d’impacter significativement la ligne éditoriale des journaux locaux. Des médias, se revendiquant du panafricanisme et de l’anticolonialisme, affichent une complaisance certaine vis-à-vis de la présence russe: Centrafric Matin, l’Expansion, le Potentiel centrafricain, l’Occident, Radio Révolution Panafricaine.

Les campagnes anti-françaises en République Centrafricaine dépendent bien souvent des relations franco-russe du moment. Dès 2018, une opération médiatique agressive vis-à-vis de la France a été organisée, mais lors des négociations entre les deux pays au sujet de la Libye, l’influence médiatique russe s’est adoucie.


“On vit en Centrafrique avec 1 dollar par jour. Dans ce pays, la liberté de la presse est donc facilement achetable à moindre coût. La Russie s’est emparée de la situation pour saturer l’espace médiatique.”


Début janvier 2020, le refus de la France de supprimer l’embargo lors du vote à l’ONU a provoqué une forte réaction des médias sous influence russe.

Centrafric Matin, la Russie et la France / Extraits de unes du journal

Il demeure aujourd’hui difficile de connaître précisément l’implication financière russe au sein des différents canaux informatifs. Néanmoins, la création de certains d’entre eux comme le Potentiel centrafricain ou La feuille volante du président corrobore avec la campagne pro-russe dans le paysage médiatique lancée en 2018 – qui succède à leur arrivée en RCA.

Quand les russes sont arrivés, ils ont mis le paquet. On vit en Centrafrique avec 1 dollar par jour. Dans ce pays, la liberté de la presse est donc facilement achetable à moindre coût. La Russie s’est emparée de la situation pour saturer l’espace médiatique. Elle est venue inonder le marché de son message et de ses idées” atteste Saber Jendoubi à notre journaliste.

Radio Lengo Songo : les diamants centrafricains financent le discours pro-russe

Le taux d’alphabétisation en RCA ne dépassait pas les 38% de la population en 2018 (50 % pour les hommes mais seulement 25% pour les femmes). Dans ce contexte, la presse écrite est réservée à la classe aisée et décisionnaire. Les tirages de la plupart des titres ne dépassent les 500 exemplaires et restent concentrés dans la capitale.

Pour le reste de la population, la radio représente le premier média d’information. Le 9 novembre 2018, la station de radio Lengo Songo voit le jour. Le directeur de la rédaction, Fred Krock, ancien rédacteur en chef du quotidien national l’Hirondelle, annonce durant la première conférence de presse: «Lengo Songo n’a nullement la prétention de vouloir révolutionner le monde médiatique en Centrafrique, mais plutôt de contribuer dans la mesure du possible à la consolidation du rôle avant-gardiste que les médias sont appelés à jouer pour le relèvement de ce pays et pour le bien de son peuple

La radio vise notamment à promouvoir la «cohésion sociale et le renouveau dans le pays». Une importante campagne publicitaire débute pour accompagner ce lancement. Des affiches publicitaires aux couleurs du drapeau national centrafricain célèbrent l’ouverture de la nouvelle station de radio Lengo Songo «construire la solidarité».

À l’origine de ce slogan, une société minière russe Lobaye Invest. Sur les affiches publicitaires, le nom de l’entreprise est associé ouvertement avec la radio. Le financement de cette station permet à Lobaye Invest de s’acheter une image positive auprès de la population. Les louanges des initiatives russes constituent en réalité une grande part de sa ligne éditoriale.

Cette implantation économique et médiatique russe se développe en parallèle des partenariats militaires à partir de septembre 2017. Plusieurs rencontres se succèdent entre le président Touadéra et des hommes d’affaires proche du président Poutine. Le 6 novembre 2017, l’homme d’affaire russe Evgueni Khodotov, ancien directeur général de M-Finance enregistre en RCA Lobaye Invest, dont M-Finance détient la totalité du capital.

Lobaye Invest débute l’exploitation et la recherche de diamants et d’or dans sept différents sites de RCA au mois d’août 2018 selon des documents obtenus par CNN.

Exploitation minière en RCA : des diamants et des armes


Après le coup d’État en Centrafrique de 2013, une guerre civile éclate entre les milices Anti-balaka et Seleka. L’exploitation minière dont l’État perd le contrôle est utilisée pour financer le conflit.

En raison du chaos, le forum de négociation international du processus de Kimberley met en place la même année un embargo sur l’exportation de diamants de République Centrafricaine.

En 2015, plusieurs régions sont libérées de l’embargo. Lorsque la Russie prend la présidence du processus de Kimberley en janvier 2020, elle affiche une volonté d’assouplir les restrictions pour développer sa coopération économique avec le gouvernement centrafricain.

Bien que les importantes ressources minières de la RCA ne représentent pas un intérêt économique suffisent pour Moscou (7 % du PIB de la RCA en 2007, avant la guerre civile), elles permettent à l’échelle locale de compenser les investissements russes. Surtout, ce partenariat permet à la Russie de prendre un rôle stratégique dans la région (en 2016, le secteur minier ne représentait plus que 0,2 % du PIB centrafricain).

Si l’embargo est levé, cela permettrait à Lobaye Invest d’augmenter ses rentes. L’entreprise possède d’ors et déjà plusieurs concessions en zone sous embargo. La RCA recherche également une stabilité au sein de ses frontières pour développer le secteur du diamant et de l’or. Lors d’un entretien au New York Times, Albert Yaloke Mokpeme, le porte parole du président Touadéra affirme qu’«avec l’aide de la Russie, nous allons être capable de sécuriser nos mines de diamants.»

En échange de cette aide militaire, la Russie par le biais de Lobaye Invest reçoit des concessions de mines.

Des journalistes enquêtant sur les réseaux russes assassinés

Le 28 juillet 2018, trois journalistes russes expérimentés, Alexandre Rasstorgouïev, Orhan Djemal et Kirill Radtchenko arrivent à Bangui. Ils ont pour projet d’enquêter sur les intérêts de la Russie en RCA et la présence d’une société militaire privée nommée Wagner.

Selon un ancien responsable du gouvernement cité anonymement par le New York Times, des mercenaires russes se chargeraient de la sécurisation des mines en centrafrique, dont celle de Lobaye Invest.

Trois jours après l’arrivée, l’équipe se rend dans le nord de Bangui avec leur chauffeur centrafricain. Vers 21h45, alors qu’ils sont à 23 km de Sibut, la voiture est arrêtée par un groupe de neufs hommes armés. Les passagers sont sortis de force puis mitraillés.

Les trois journalistes sont assassinés, seul le chauffeur survit à l’attaque.

Deux ans après, l’enquête qui n’a identifiée aucun suspect est toujours au point mort.


Un an et demi après les faits, l’enquête de Moscou est catégorique: le mobile est crapuleux et les journalistes ont ignoré les risques. Mais l’enquête russe semble passer sous silence de nombreux éléments troublants.


Dans une interview pour la chaîne qatari Al Jazeera en avril 2019, Valery Zacharov revient sur l’affaire. Il déclare ne pas comprendre pourquoi ces journalistes sont allés dans cette région.

«On leur a déconseillé de se rendre dans cette zone, ils ont été arrêtés à un checkpoint. Malgré, les avertissements, ils y sont allés. C’était une mort stupide. Je pense qu’ils n’avaient pas à aller là-bas

Quatre jours après l’assassinat des journalistes russes, une «cérémonie» est organisée par les autorités russes. Dans un hangar de fret de l’aéroport de Bangui, sur quelques palettes de bois, un drapeau russe est déposé sur les cercueils des trois reporters. Capture d’écran RFI

Derrière le journaliste qui interroge Valery Zacharov, des militaires centrafricains s’entraînent au combat. Les formateurs sont masqués et d’origine russe. «Des réservistes sélectionnés par le ministère de la Défense russe», affirme le conseiller, qui assure ne pas avoir connaissance d’éléments attestant de la présence en Centrafrique d’une «société militaire privée russe».

Un an et demi après les faits, l’enquête de Moscou est catégorique: le mobile est crapuleux et les journalistes ont ignoré les risques selon un article de Russia Today France. Mais l’enquête russe semble passer sous silence de nombreux éléments troublants.

Après le drame, le média Investigation Control Centre, pour lequel les trois journalistes assassinés travaillaient met un terme à ses activités. Cependant, le milliardaire et dissident politique Mikhaïl Khodorkovski propriétaire du média, décide de financer une contre-enquête.

En octobre 2019, le site Dossier Center qui recherche les liens des cercles d’oligarques proches de Poutine, publie le résultat de son investigation en Centrafrique. Dossier Center suspecte que le voyage en centrafrique n’ait été qu’un piège. Le journaliste qui a mis les reporters assassinés sur la piste centrafricaine, Kirill Romanovsky, travaille pour la Federal News Agency, agence de presse appartenant au même groupe que M-Finance et sa filiale Lobaye Invest.

Une heure et demi avant la première dépêche de l’AFP, le lendemain du massacre, son historique de recherche piraté révèle les mots clés « Russes à Bangui » et « Trois Russes tués ».

Romanovsky a redirigé les journalistes russes vers un fixeur centrafricain nommé «Martin», un prétendu officier néerlandais de la MINUSCA (Mission de l’ONU en Centrafrique depuis 2014). Celui-ci n’a pas pu être identifié. Les journalistes pensaient le rencontrer à Bambari, où ils se rendaient en voiture, mais les données mobiles des échanges via WhatsApp indiquent que celui-ci se trouvait en réalité dans la capitale. Son numéro de téléphone était enregistré à un faux nom et n’a été utilisé que trois fois au cours du mois de juillet.

Reconstitution réalisée par Dossier Center du meurtre des trois journalistes selon l’examen médico-médical et des images prises après le meurtre, le 30 juillet 2018.

Le chauffeur qui accompagnait l’équipe de journalistes, est également suspecté d’avoir espionné pour le compte d’un gendarme centrafricain, Emmanuel Kotofio proche des forces russes en RCA.

Ce dernier était en contact constant (plus de 108 appels entre juillet et août 2018) avec un numéro local enregistré sous une fausse identité étasunienne. Les enquêteurs de Dossier Center sont parvenus à identifier cette personne comme étant Alexandre Sotov, instructeur en espionnage, en recrutement et en renseignement pour M-Finance.

Cinq mois après les meurtres, le service de sécurité d’Ukraine (SBU), en charge du contre-espionnage, identifiait 37 membres de la société militaire privée russe Wagner présents sur le territoire centrafricain fin juillet.

Dans cette liste apparaissaient notamment les noms de Valery Zacharov sous le matricule M-5658 et d’Alexandre Sotov sous le matricule M-5661.

Dossier Center a relevé entre juillet et août 2018, 167 messages et appels téléphoniques entre les deux hommes. La liste SBU révèle qu’un nombre conséquent de ces hommes sont originaires de la ville de Saint-Pétersbourg. Aucun document écrit n’atteste explicitement de la présence du groupe Wagner, de l’achat de journalistes, ou de la chaîne hiérarchique officieuse russe en RCA. Mais l’accumulation de témoignages et corrélations depuis deux ans et demi conduit à un même nom: Evgeni Prigogine.

Evgeni Prigogine est un milliardaire russe proche de Vladimir Poutine. Surnommé par les médias le «cuisinier de Poutine» pour ses activités de restauration auprès de l’armée russe et du locataire du Kremlin, l’oligarque est également soupçonné par les États-Unis de manipulation lors des élections de novembre 2016.

La diplomatie Française l’accuse quant à elle de contrôler M-Invest, le groupe Wagner et d’être «étroitement lié à la mafia de Saint- Pétersbourg».

Trois pistes au moins associent M-Finance, société détentrice de Lobaye Invest à l’oligarque russe Evgueny Prigogine



Trois mois avant l’assassinat des trois reporters, un autre journaliste russe enquêtant sur la présence du groupe Wagner dans le Donbass ukrainien, perdait la vie dans des circonstances troubles.

Le 12 avril 2019, Maxime Borodine du média Novy Dien, faisait une chute mortelle du 4e étage de son immeuble. L’appartement était fermé à clef quand les inspecteurs sont entrés dans l’appartement.

Les autorités privilégient la thèse du suicide.

Pourtant, Viatcheslav Bachkov, collègue du journaliste, recevait la veille un appel alarmant du journaliste qui lui décrivait une personne armée et masquée sur son balcon et plusieurs autres sur son palier !

Le groupe Wagner a fait son apparition courant 2014 auprès de milices pro-russes dans l’est de l’Ukraine. Depuis cette société militaire privée (SMP) est intervenue dans de nombreux conflits à travers le monde: en Syrie dès l’année suivante, en Libye, au Soudan, au Venezuela, au Mozambique, au Mali, et récemment lors des élections au Bélarus qui ont causé des soulèvements dans le pays et la grève des journalistes.

Dmitri Outkine, néo-nazi revendiqué et ancien officier des services de renseignement militaires russes est le commandant des unités Wagner (dont le nom serait une référence au compositeur favori du troisième Reich). Officiellement, aucun lien n’apparaît entre l’État russe, l’État centrafricain et Wagner.

Les SMP n’ont d’ailleurs pas d’existence légale en Russie et les médias russes ont longtemps nié leur existence même, qualifié «d’invention» visant à «compromettre la Russie».

Le déni de Moscou s’est cependant heurté en 2018 à la colère des premiers concernés, les mercenaires. Après la mort de 200 Wagner dans un bombardement américain à Der ez-Zor en Syrie, plusieurs SMP déplorent dans une lettre publique que l’État russe refuse de reconnaître leur existence et de leur octroyer le statut de vétéran, notamment aux blessés de guerre.

Ces mercenaires, payés de deux à six fois plus que les réservistes, ont l’avantage pour les États de représenter une force militaire engageable avec plus de liberté qu’une armée régulière comme le décrit Ilyasse Rassouli dans son mémoire de fin d’étude.

«Les SMP peuvent être utilisées pour prendre en charge des missions que ne peuvent pas effectuer les forces armées nationales quand elles sont jugées trop polémiques ou illégitimes. (…) Un État n’a pas besoin d’un aval parlementaire pour engager une SMP sur un théâtre d’opération. Ainsi, leur utilisation évite parfois des délais très longs liés aux processus administratif et bureaucratique.»

Sewa Security Services aux côtés du président Touadéra – Capture d’écran Twitter

En Centrafrique, plusieurs mercenaires des SMP russes opéreraient en collaboration avec l’État centrafricains, notamment Wagner, Patriot ou encore Sewa Security Service qui se charge de la sécurité de la présidence.

Cette dernière pourrait même être une branche officieuse de Wagner, qui s’était déjà renommé Evro Polis dans ses contrats avec le dirigeant syrien en 2017. En novembre 2017, Outkine est nommé directeur général de l’entreprise Concord Management & Consulting de Evgueny Prigogine. Ce dernier nie officiellement tout lien avec la SMP, alors même que les deux hommes entretenaient déjà des relations proches avant cette promotion.

Dans une note de mai 2018 adressée à la diplomatie française, l’ancien ambassadeur en Centrafrique, Christian Bader, alerte sur la stratégie russe «militaro-sécuritaire, économique et politique» qui se déploie dans le pays.

L’ambassadeur avertit également sur la «très active campagne de dénigrement et de désinformation dirigée contre la France» et les «actions d’agit prop» financés par Lobaye Invest.

«Mon premier courrier sur la présence russe datait du 8 novembre 2017», précise Christian Bader, «mais le message n’est pas passé. Des gens pensaient que ça n’avait aucune importance. Il a fallu attendre mars pour une réaction de la diplomatie française.»

La note évoque notamment la présence de mercenaires du groupe Wagner entrés, pour certains, dans le pays avec des passeports falsifiés.

«On voyait passer les passeports, on savait que le groupe Wagner était présent. On retrouvait des mercenaires russes à Bangui qui étaient autrefois passés par des théâtres d’opération en Ukraine ou autres.»

À l’approche de l’élection présidentielle prévue le 27 décembre 2020 (qui pourrait être repoussée en raison de la pandémie), l’emprise médiatique et politique russe en RCA questionne.

«L’impact de cette présence peut être désastreux pour l’élection», insiste Vincent Mambachaka auprès de notre journaliste.

La Russie devrait soutenir le président sortant Faustin Archange Touadéra malgré une «insatisfaction causée par l’impopularité du personnage», note Thierry Simbi, activiste de la société civil et blogueur.

Saber Jendoubi estime que l’implantation russe en RCA est «une réussite». Selon lui, au niveau politique et médiatique, la Russie fait et fera «la pluie et le beau temps à Bangui.»

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MALI – Après le coup d’État, quelles conséquences pour la liberté de la presse ?

Aucune déclaration n’a encore été faite pour garantir les droits de presse depuis l’arrivée des militaires au pouvoir. Les journalistes maliens espèrent malgré tout une amélioration de leurs conditions de travail.

Au mois de juin 2020, un mouvement de contestation au président Ibrahim Boubacar Keïta éclate dans les rues de Bamako. La tension atteint son paroxysme pendant la manifestation du 10 juillet, réprimée dans le sang par le pouvoir. De nombreux journalistes sont pris pour cibles par les forces de l’ordres et agressés par des manifestants.


Dans l’après-midi, le président malien est finalement mis aux arrêts par les militaires putschistes.


Le 18 août, l’armée se soulève à son tour contre le président malien. Au matin, une mutinerie éclate dans une base militaire de Kati à 15 km de Bamako. Olivier Dubois, correspondant de Libération au Mali, tente de couvrir la mutinerie, mais il est frappé et menacé avec une arme par les rebelles. Le quotidien annonce le soir que le journaliste est sain et sauf et ne souffre d’aucune blessure. Dans l’après-midi, le président malien est finalement mis aux arrêts par les militaires putschistes.

Contrairement au précédent coup d’État de 2012, la prise du pouvoir du 19 août a été préparée en amont. Le lendemain, l’armée annonce la création du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) composé des généraux à l’origine du putsch.

Dans leur première déclaration, les généraux reprennent de nombreux éléments qui cristallisent la colère populaire mentionnant notamment le «clientélisme politique», «la santé aux plus offrants», la rupture entre le peuple et ses gouvernants, l’insécurité et le terrorisme.

La Maison de la Presse malienne note cependant que les militaires n’ont pas fait mention de «garantie des libertés fondamentales – dont celles relatives à la presse et à l’expression».

« Les militaires inspirent autant d’espoir que d’inquiétude » / France 24

Aucun contact n’a pour le moment été établi entre le CNSP et les associations de presse, hormis un communiqué commun demandant un allègement du couvre-feu pour les journalistes. L’interdiction de libre circulation instaurée entre 21 heures et 5 heures dans un premier temps, puis de minuit à 5 heures depuis le 21 août gênant le fonctionnement normal des médias.

La démission d’Ibrahim Boubacar Keïta, l’espoir d’une amélioration des conditions

«Depuis que les militaires sont au pouvoir, nous n’avons pas enregistré de cas d’atteinte à la liberté d’expression» reconnaît Boubacar Yalkoué, président du Mouvement de protection de la presse contre les violences.

«La liberté d’information a été pour le moment respectée au Mali. Après le renversement par des militaires d’un pouvoir démocratiquement élu, on ne peut pas dire qu’on ait confiance à 100 %. Nous avons l’espoir qu’ils ne s’en prennent pas à la presse, mais nous émettons malgré tout des réserves pour le moment.»

L’autre menace qui plane sur la presse malienne depuis la pandémie du Covid-19 est la crise économique.

«La presse malienne bénéficie en temps normal de contrats avec les institutions, mais avec la crise sanitaire toutes les activités ont été limitées ce qui s’est répercuté sur les entreprises de presse» pointe Boubacar Yalkoué.

«Il avait été question de mesures de soutien économique, mais nous n’avons rien reçu jusqu’au basculement du pouvoir, et étant donné la situation actuelle il y a peu d’espoir de les obtenir. On se dirige vers des périodes difficiles pour la presse.»

Une situation toujours instable pour la liberté de la presse au Mali


Depuis le précédent coup d’État de 2012, la liberté de la presse au Mali a été mise à mal à de nombreuses reprises. Pendant les mois qui ont suivi le putsch de mars, plusieurs arrestations ont été ordonnées par les autorités militaires.

L’arrivée au pouvoir de Ibrahim Boubacar Keïta en septembre 2013 n’a pas entraîné d’amélioration pérenne du droit de presse au Mali qui prend la 108e place du classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans Frontière en 2020.

Le 29 janvier 2016, Birama Touré journaliste pour l’hebdomadaire d’investigation Le Sphynx était porté disparu. Cette affaire remonterait jusqu’au fils du président, Karim Keïta, et mettrait en cause les services de sécurité de l’État qui aurait retenu le journaliste captif et l’auraient torturé pendant près d’un an et demi.

Plus récemment, les élections présidentielles 2018 ont été marquées par une recrudescence de la censure et de violences contre les journalistes. En mai, le journal Mali Actu était poursuivi et trois de ses journalistes enfermés pendant cinq jours pour la diffusion du communiqué d’une association qui appelait à la démission du ministre de l’Emploi.

Durant les manifestations du mois de juin, la Maison de la Presse du Mali dénonçait les nombreuses attaques de journalistes par les forces de l’ordre. Fin juillet, cinq journalistes de la chaîne TV5 Monde étaient interpellés par des agents en civil à leur arrivée à Bamako. Au moment de l’entre-deux-tours, Radio Renouveau FM, média d’opposition, était sommée de quitter les ondes « jusqu’à nouvel ordre ».

En fin d’année, un haut gradé de l’armée malienne démissionne de la Commission Vérité-Justice-Réconciliation (comité de surveillance des violations des droits humains au Mali) après avoir été mis en cause dans l’agression d’un journaliste. Celui-ci raconte avoir été menacé, frappé et forcé à boire sa propre urines dans les locaux de la commission nationale.

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BÉLARUS – La contestation gagne les rédactions nationales, les journalistes en grève

La contestation se déroulant actuellement au Bélarus relance le débat de la liberté de la presse. La couverture inégale des élections par les médias publiques ont poussé de nombreux journalistes à quitter leur poste et parfois même à rejoindre le mouvement d’opposition au président Loukachenko.

Au moment des élections du 9 août, l’attention internationale s’est de nouveau porté sur la république du Bélarus. Chaque fin de quinquennat d’Alexandre Loukachenko signifie un retour de la contestation à son hégémonie. Il gouverne le pays depuis 1994.

Des journalistes du monde entier ont fait le déplacement pour couvrir ces élections et les protestations qui refont surface. Une présence que les autorités ne voient pas d’un œil accueillant. Rappellons que la Bélarus prend la dernière place européenne au classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans Frontières.

Accréditation officielle et censure officieuse

De nombreux journalistes étrangers se sont vu refuser leurs demandes d’accréditation pour couvrir les élections, et les délais pour les nouvelles demandes sont désormais retardés. «Nous invitons les autorités bélarusiennes à ne pas empêcher les journalistes étrangers de faire leur travail» déclarait le 21 août Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes. «Les procédures d’accréditations ne doivent pas être utilisées pour imposer une forme de censure.»

Entre le 9 août et la nuit du 11 au 12 août, des coupures d’Internet massives ont été observées. Les trafics des trois opérateurs de télécommunication du pays ont chuté quasi-simultanément. L’un de ces fournisseurs d’accès à Internet est possédé par l’État, mais les deux autres sont des opérateurs privés (l’un Bélarussien, l’autre Russe), ce qui laisse supposer qu’un ordre ait été donné pour organiser ces coupures.

À l’intérieur du pays, la couverture de l’élection a été marquée par une importante répression des journalistes nationaux et étrangers. L’association biélorusse des journalistes recense depuis le mois d’août 75 arrestations et détentions de journalistes. L’ONG traduit en langue anglaise les nombreux témoignages de journalistes arrêtés et donne des visages aux descriptions de tabassages, tortures et humiliations qui se déroulent dans les prisons du régime.

Au Bélarus, les observateurs ne sont pas les bienvenues dans les bureaux de vote


Cette année encore, le président Bélarussien a de nouveau bénéficié d’un soutien étonnant dans les urnes (selon les résultats officiels, parmi les 84% de votants, 4 sur 5 ont approuvé un nouveau mandat).

Ce qui réunit les foules sont des soupçons de fraude (les observateurs internationaux n’ont pas été invités à surveiller le scrutin) et surtout la politique répressive de Loukachenko, souvent désigné comme le «dernier dictateur d’Europe» (peine de mort encore pratiquée, actes de torture perpétrés contre les opposants, concentration du pouvoir).

Autre titre moins connu, le Bélarus est le pays avec le plus ancien gouvernement en exil du monde: la Rada de la République démocratique Bélarussienne. Établié en 1917 et contrainte à l’exil deux ans plus tard, mais dont le drapeau est aujourd’hui brandit dans les manifestations.

Une couverture médiatique propagandiste

Dans les médias étatiques, la couverture des événements a été très incomplète. Le 16 août, la première chaîne nationale retransmet un discours de Loukachenko place de l’Indépendance à Minsk dans lequel il rejette l’idée d’un second scrutin.

Quelques heures après au même endroit, une importante procession de plusieurs centaines de milliers manifestants rejoint la place, sous les fenêtres de la Maison du Gouvernement, mais aucun journaliste de la chaîne n’est dépêché pour couvrir la manifestation.

Deux jours plus tard, Bélarus-1 publie un reportage sur un rassemblement en soutien au président qui a rassemblé des milliers de personnes. Les couleurs rouge et verte du drapeau national sont omniprésentes à l’antenne, tandis que les couleurs rouge et blanche des drapeaux de l’opposition n’ont toujours pas droit de cité.

Même constat sur le site de la chaîne internationale Bélarus-24 qui ne fait aucune mention des manifestations qui secouent le pays. 

Quand les chaînes d’État évoquent la contestation, c’est pour la marginaliser à un mouvement extrémiste d’émeutiers. Le discours dominant agite également la peur d’une dérive vers une situation ukrainienne et accuse les opposants de menacer l’unité nationale du pays en l’orientant vers la guerre civile.

Mais contrairement aux manifestations de Maïdan en Ukraine, la question russo-européenne est secondaire dans les revendications des manifestants. C’est bien la destitution d’Alexandre Loukachenko et son système qui réunit l’opposition et non des questions d’alignement géopolitique.

Sergei Kozlovich interviewé sur Euronews


En parallèle des manifestations, un autre mouvement de contestation est apparu dans une institution normalement favorable au président Loukachenko.

Sergueï Kozlovitch était présentateur sur les chaînes publiques de télévision. Sa dernière apparition devant les caméras remonte au 10 août, un jour après les élections. Une fois le résultat annoncé, il dépose sa démission ne supportant plus le manque d’indépendance de sa rédaction.

Il confie à Euronews avoir pris part à un discours de propagande en faveur du gouvernement. «Toute l’information n’était pas dédiée à la politique, il y avait d’autres points de vue, mais tout est centré autour de l’opinion gouvernementale que je communiquais. A l’époque, j’étais d’accord avec ça.»

Le lendemain, Evgueni Perline, présentateur sur Bélarus-1, a annoncé sa démission à la fin du journal télévisé.

«Il s’agit de ma dernière émission. Personne n’a influencé ma décision, je l’ai prise seul. Pendant cinq ans, j’ai vanté les mérites de l’armée bélarussienne et le courage de ses forces de sécurité. Jamais, je n’avais imaginé les voir un jour se retourner contre leur peuple.»

Le 12 août, c’est une présentatrice de la chaîne nationale ONT, Olga Bogatyrevichn, qui présentait sa lettre de démission sur les réseaux sociaux, accompagnée du message suivant.

«Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes là !».

Le même jour, Vladimir Bourko, présentateur de l’émission militaire Arsenal, annonce à son tour son départ de Bélarus-1 dans un post Instagram.

«Pendant cinq ans, j’ai incarné implicitement l’image médiatique du ministère biélorusse de la Défense […] Jamais, même dans un cauchemar, je n’aurais pu imaginer que les soldats et le matériel que je présentais pouvaient être employés contre le peuple!»

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Всем привет. Меня зовут Владимир Бурко. Я ведущий мероприятий и до недавнего времени ведущий военной программы «Арсенал» на канале "Беларусь 1".Начну с главного:я больше не ведущий этого телепроекта, ушёл сам, не без приключений, но ушёл 16.07. - 5 лет я негласно был медийным лицом министерства обороны республики Беларусь - 5 лет я вёл программу над созданием которой трудилась большая команда потрясающих людей, каждого из которых я обниму при встрече и надеюсь они мне ответят взаимностью - 5 лет я с очень серьёзным лицом рассказывал о том, что наша армия сама доблестная и сильная, военная техника самая современная, а весь высший офицерский состав–пример для подражания... - 5 лет я читал новости,которые добровольно-принудительно утром в воскресенье смотрел весь личный состав вооруженных сил - 5 лет–это больше 3 поколений призывников,служивших 1.5 года во всех видах и родах войск К чему я это всё… Я никогда бы,даже в самом страшном сне,не подумал, что солдаты и техника,о которых я рассказывал,могут быть применены против своего народа…Против мирного населения страны, против женщин и не дай Бог детей. Я хочу обратиться к военным: солдатам и офицерам. Вы ждёте приказа. Вы прекрасно осознаёте каким будет этот приказ и скорее всего понимаете какими будут последствия для белорусов, которые просто хотели справедливости,а получат от вас пулю… Одумайтесь пока не поздно… Донесите совету безопасности и своему руководству,что ваши методы и методы смежных структур являются варварскими и антигуманными. Среди верхушки министерства обороны много разных людей. Мне кажется,как и во всех структурах,есть лизоблюды и карьеристы, но есть и настоящие офицеры, которые прошли войны, видели лицо смерти и таких офицеров большинство.Я прошу Вас принять верное решение,решение, которым мы, беларусы будем гордиться, потому что пока только нарастает ненависть от того, что мы видим… И в конце.Никто не хочет войны.Все акции проходят и будут проходить мирно.Люди хотят справедливости,люди просят их не обманывать,люди просят свободы.За последний пункт отвечаете именно вы, так что всё получится.Мы рядом и всегда поможем. #нетвойне#ведущийвладимирбурко #мызачестныеновости

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Lundi 17 août, une grève générale est amorcée par l’opposition. Mais chose rare, des journalistes de médias nationaux rejoignent le mouvement.

Bélarus-1, la chaîne d’information généraliste cesse même d’émettre pendant la journée, affichant un plateau vide, où la lumière est éteinte. Ils étaient plusieurs centaines réunis devant le bâtiment de la télévision nationale.

«Je suis un ancien employé, j’étais responsable du programme Good Morning Belarus» témoigne l’un d’entre eux à la chaîne privée Belsat. «Je suis parti volontairement et j’ai demandé de suspendre le programme. Lorsque nos enfants sont torturés, comment continuer à expliquer à nos téléspectateurs la manière de faire une omelette?»

Le président Lukashenko face aux grévistes d’une usine nationale de tracteurs à Minsk le 17 août. «Démissionne» entonnent les grévistes à la fin du discours.

Un discours médiatique toujours à la botte de Loukachenko

Si des tensions apparaissent parmi les rédactions nationales, aucun haut responsable ne s’est encore opposé ouvertement au gouvernement. Ivan Eysmant, directeur général de la chaîne, a refusé de parler publiquement avec les grévistes. Cependant, il a expliqué à l’intérieur du bâtiment à un journaliste que s’ils souhaitaient continuer à travailler pour la télévision nationale, ils devraient en respecter les conditions et la ligne éditoriale sans négociation.

Le 19 août, une ex-directrice des chaînes nationales évoque dans une interview à Tut.by l’arrivée de journalistes russes dans les rédactions publiques pour remplacer le nombre important de grévistes.

Tadeusz Giczann chercheur spécialisé sur l’étude des pays slaves et d’Europe de l’Est à l’University College de Londres relève sur Twitter certaines incohérences qui apparaissent sur les chaînes nationales.

«La télévision d’État bélarussienne nomme maintenant le pays Белоруссия (Biélorussie). Seuls les Russes [et Français] utilisent ce terme, les bélarussiens le trouvent offensant et lui préfère Беларусь (Bélarus). C’est ce qui se passe quand on remplace la plupart des journalistes et techniciens locaux par des mercenaires russes.»

De même, comme l’a noté le journaliste Franak Viačorka, Bélarus-1 semble désormais utiliser les retransmissions en direct de l’agence de presse Ruptly, filière de la chaîne russe Russia Today, plutôt que d’envoyer des journalistes couvrir les événements. Deux jours plus tard, l’agence de presse nationale BelTA confirme l’information à travers une déclaration du président Loukachenko.

«S’ils [les grévistes] souhaitent se mettre en grève, j’ai indiqué aux directeurs de ne pas les retenir. Il y a un grand nombre de personnes au chômage et suffisamment de spécialistes disponibles sur le marché, y compris dans des pays voisins.»

Le 21 août, la censure d’État s’est accentuée sur de nombreux médias en ligne comme le relève l’Association bélarussienne des journalistes.

72 sites Internet ont été bloqués dans le pays, dont celui de Radio Free Europe, Belsat TV, le centre de défense des droits humains Viasna, ainsi que des services de VPN permettant de contourner la censure. Une autre vague de blocage avait déjà touché le 8 août le site web de l’Association bélarussienne des journalistes ou encore celui de Tut.By, journal web indépendant le plus populaire au Bélarus.

La censure Internet n’est pas nouvelle au Bélarus, le site web de Charter 97, média d’actualité défenseur des droits humains est bloqué depuis des années et était auparavant régulièrement la cible d’attaques par déni de service (DDoS), une technique dont il est difficile d’identifier les auteurs et qui visait également des médias avec une ligne éditoriale moins orientée comme Tut.by en 2014 et en 2020 ou Onliner.by (actualité numérique) en 2019.

Journalistes bélarussiens assassinés ces 20 dernières années


Aleh Byabenin, co-fondateur du média indépendant Charter 97. Au cours du printemps 2010 plusieurs journalistes de Charter 97 ont été ciblés par plusieurs perquisitions. Le 3 septembre, Aleh Byabenin est retrouvé pendu sans qu’aucune note ne soit laissé. L’enquête officielle avance la thèse d’un suicide, une conclusion rejetée par la famille et amis du journaliste.


Dzmitry Zavadski, journaliste pour la télévision nationale et caméra-man personnel d’Alexandre Lukashenko entre 1994 et 1997. Alors qu’il réalise un documentaire sur le conflit tchétchène, il disparaît le 7 juillet 2000 à l’aéroport international de Minsk. Son corps n’a jamais été retrouvé.


Pavel Sheremet, journaliste proche de Dzmitry Zavadski travaillant en Ukraine. Ils étaient emprisonnés tous deux en 1997 lors d’un reportage à la frontière entre le Bélarus et la Lituanie. Le 20 juillet 2016 à 2 heure du matin à Kiev, deux individus glissent un paquet sous sa voiture. 5 heures plus tard, quand Pavel se rend au centre-ville pour une émission de radio, sa voiture explose.


Veronika Cherkasova, journaliste d’investigation travaillant pour plusieurs journaux d’opposition. En pleine guerre d’Irak, elle enquêtait sur des réseaux financiers d’une banque bélarusienne qui aurait faciliter des ventes d’armes vers l’Irak de Saddam Hussein. Le 20 octobre 2004, elle est poignardée à vingt reprises à son appartement à Minsk. Le tueur n’est pas retrouvé et les autorités suspectent son fils de 15 ans et son beau-père du meurtre sans reconnaître le motif politique de son assassinat.

D’autres articles

France – Police et journalisme: “Je fais semblant de m’éxécuter mais j’ai continué de filmer”

L’après-midi du mercredi 10 juin, je me rends à la Banque Postale pour compléter un dossier personnel, notamment obtenir un RIB. Accompagné d’un confrère journaliste, Adam, nous nous sommes rendus à la Poste la plus proche de notre logement, la Maison des journalistes.
Plusieurs personnes sont dans la file d’attente, j’attends mon tour. A l’accueil, le chargé de clientèle m’explique les démarches à suivre. Je dois utiliser une machine pour compléter mon dossier.
 
A cet instant, une dame assise par terre attire mon attention. Elle crie beaucoup, ses affaires sont éparpillées ça et là, et deux hommes avec un brassard mentionné «sécurité» l’entourent. La dame continue de crier. Soudain, trois policiers rentrent dans le bureau de Poste et s’approchent d’elle.

Copyright Mamadou Bhoye Bah

Par reflexe journalistique et en tant que journaliste ayant défendu la liberté d’informer en Guinée Conakry, je me dois de témoigner de cette scène. Pour ce faire, je filme avec mon téléphone.

Au bout de quelques minutes, l’un des policiers s’aperçoit que je filme. Pourtant, j’avais discrètement placé l’écran contre ma poitrine, la camera du téléphone filmant les policiers et la dame.

Le policier m’a fait signe de baisser mon appareil. Je fais semblant de m’exécuter mais j’ai pu continuer à filmer. Pendant ce temps-là, après moult tractations, les policiers ont gentiment demandé à la dame de se lever et de les suivre.

J’avais alors fini de récupérer mes papiers, je me décide donc à les suivre, intrigué de savoir comment la police française allait gérée le cas de cette dame. Quand je suis sorti, la dame était encore devant la banque. Ses cris attirent l’attention des passants. Ils sont maintenant cinq policiers à l’entourer.

Je change de trottoir et je continue mes prises de vue. Au début je me cache derrière une voiture, mais plus la scène dure, plus je suis attiré par le fait de filmer et de comprendre ce qui se passe, ce qui me pousse à aller juste en face d’eux. Je n’avais guère le choix si je voulais filmer correctement car ils changeaient régulièrement leur positionnement face à la dame.

En me rapprochant de la scène, je me sais dans mon bon droit. Les policiers savent que je les filme. La dame est finalement libre de partir et les policiers s’en vont.

Suite à cela, je quitte les lieux, mais au premier rond-point que je traverse, une voiture noire s’arrête brusquement à ma hauteur. Le bruit et le fait qu’elle se soit approché par derrière, m’a effrayé. J’ai à peine le temps de lire la mention «Police».

La vitre est déjà baissée, je reconnais les policiers qui se sont occupés de la dame. Celui qui conduit m’interpelle sur un ton très agressif:

«Bonjour monsieur, vous êtes journaliste ? Avez-vous votre carte ?
– Oui, je suis journaliste.
– Vous avez le droit de filmer les flics quand ils travaillent !?
– Quoi ?
– Vous allez arrêter de faire le con là ! C’est pour du buzz que vous filmez!»

Le policier situé à côté au siège avant, prend le relais, toujours aussi agressif et méprisant: «Monsieur si vous voulez régler ce problème, allez voir la dame! Ok?»

Je n’ai pas le temps de répondre, ni de comprendre les enjeux et les droits que j’ai dans cette situation. Pour être franc, j’étais effrayé.


«Un oiseau né dans un marché, n’a pas peur des cris!»

Je viens d’un pays où la police vous menace et vous enferme pour avoir pratiqué librement le métier de journaliste. Je continue ici dans les limites des droits accordés par le pays qui m’accueille. Je reste sans mot, triste et un peu déçu, que la police puisse ainsi intimider un journaliste sur ce ton, dans le pays des droits de l’homme. Ils ne m’ont pas donné le temps de répondre, ni le temps de comprendre.

Je ne pense pas avoir empêché leur travail ni mal fait le mien, au contraire, un journaliste est là pour témoigner.

Ce type de pression a été relayée par plusieurs journalistes lors de différents événements, comme cette vidéo Twitter où la police interdit à un citoyen de filmer alors qu’il en a le droit. 

D’autres articles

La situation des journalistes dans le monde en 2019

Comme chaque année, RSF propose un bilan de la situation des journalistes dans le monde. Cette année, 49 journalistes ont été tués, soit le plus faible total depuis 2003. Mais la situation mondiale est hétérogène et très complexe. Certains pays sont à la pointe de nouvelles pratiques difficiles à évaluer statistiquement. Découvrez les statistiques de 2019, au cœur de la lutte pour la liberté d’informer.

49 journalistes tués en 2019, un chiffre en baisse

Parmi eux, 31 journalistes ont été assassinés en raison de leur travail. Les 18 autres l’ont été dans l’exercice de leur fonction mais n’était pas délibérément visés.

En tête de ces pays, la Syrie, qui est toujours en guerre, compte 10 journalistes tués et plus de 30 otages. Certains le sont depuis plusieurs années, comme le sud-africain Shiraaz Mohamed dont c’est la troisième année de captivité.

Parmi ces 30 journalistes retenus en otage, beaucoup d’entre eux ne donnent plus signe de vie.

Les pays en guerre sont-ils moins risqués pour les journalistes ? 

Le record de journalistes tués n’est pas détenu par la seule Syrie, le Mexique est à égalité.

Le pays aux 2000 fosses révélées par une équipe de journalistes (qui ont établi une carte consultable ici et fait changer les lois mexicaines grâce à leur enquête), est clairement un terrain de guerre pour les journalistes.

Découvrez l’enquêtes sur les 2000 fosses mortuaires recensées par les journaliste mexicains

Interview de Mago Torres: “la menace contre les journalistes existe, notre travail y répond”.

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Cette victoire des journalistes d’investigation sur l’Etat mexicain ne doit pas cacher les autres défaites du pays face à la liberté de la presse.

Face à la dizaine de journalistes tués, l’impunité est totale: 90% des meurtres de journalistes ne sont jamais jugés. Ce taux d’impunité de crime commis contre les journalistes est le pire au monde.

Le festival de cinéma Viva Mexico dont la MDJ est partenaire chaque année, a remis le prix du meilleur film au documentaire « Disparos », qui raconte l’histoire d’un journaliste mexicain dont les amis sombrent peu à peu dans les puissants gangs mexicains.

Festival Viva Mexico ! – Le prix de la MDJ remis au documentaire “Disparos”. 

“Lors d’une couverture à Guerrero, lui et d’autres journalistes sont pris au piège entre les mains d’un groupe armé qui va les kidnapper…”

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Aucun journaliste tué en-dehors de son pays

Cela peut sembler surprenant. Les journalistes qui enquêtent dans leur pays risquent plus qu’à l’étranger. Ainsi, couvrir une guerre, ou se rendre dans des pays pour enquêter sur des sujets dangereux comme le narcotrafic ou les problèmes environnementaux, serait moins dangereux qu’enquêter sur son propre pays.

La journaliste mexicaine Norma Garabia Sarduza en est un triste exemple: assassinée alors qu’elle avait reçu plusieurs menaces suite à ses enquêtes sur la corruption de la police locale.

Dans ce pays, même la protection étatique ne suffit pas quand elle existe: le journaliste Francisco Romero Diaz a été tué alors qu’il bénéficiait d’une protection rapprochée de l’État mexicain.

389 journalistes en prison

Ce chiffre fourni par RSF augmente de 12% en un an et ne prend pas en compte «les journalistes enfermés quelques heures, quelques jours, voire plusieurs semaines.» Pourtant ce type d’arrestation est en nette progression.

Outre l’arrestation et la privation de liberté, les conditions de vie des journalistes en prison sont particulièrement draconiennes. Le journaliste de la MDJ Ghys Fortuné Bemba Dombe en a fait l’expérience au Congo Brazzaville.

“De l’enfer à la liberté” – L’enfermement arbitraire durant 18 mois au Congo Brazzaville

En prison. «La nourriture est-elle empoisonnée? Peu importe, il faut la nettoyer avant consommation, elle est si rare: seulement trois repas par semaine. Les sévices physiques ne suffisant pas à briser un esprit combatif, l’humiliation est donc de mise.»

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RSF pointe aussi du doigt la situation des journalistes prisonniers en Turquie et en Chine.

La Chine détient à elle seule 120 journalistes en prison, soit le double de 2018. La plupart des nouvelles arrestations concernent la minorité ouighours pour laquelle les investigations sont très difficiles. La MDJ a accueilli cette année un journaliste ouighour en danger, son portrait est à lire prochainement. 

Des journalistes qui ne sont plus journalistes: l‘inquiétant exemple du Yemen

Mais au-delà des chiffres, certaines situations inquiètent, le Yemen est un exemple. Pays en guerre où la censure règne en maître comme en témoigne notre article, les journalistes changent de profession.

“La plupart des français ne savent pas ce qu’il se passe au Yemen”

Aujourd’hui, beaucoup de journalistes sont en prison, comme les écrivains, les activistes… Il n’y a plus aucun journal qui publie quotidiennement au Yemen, sauf le journal intitulé 14 octobre qui est pro-gouvernemental. Il est uniquement publié dans la nouvelle capitale, Aden. Il glorifie les rebelles et les saoudiens au détriment du gouvernement légitime.”

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Bien que le bilan soit moins meurtrier que l’année passée avec deux morts contre 18, il y a en fait de moins en moins de journalistes. Ainsi le rédacteur en chef du célèbre journal Al Tafasseel est devenu vendeur d’objets d’occasion.

C’est aussi le cas de l’Afghanistan, pays le plus meurtrier pour les journalistes en 2018. En un an, il y a statistiquement moitié moins de journaliste dans le pays.

La liberté d’informer en 2020

Entre les arrestations arbitraires, la prison (et les conditions d’enfermement), les kidnappings (57 en 2019) et l’impunité des crimes contre les journalistes, le combat pour la liberté d’informer reste plus que jamais d’actualité.

L’intégralité du rapport RSF est à découvrir ici.

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«Ni le Congo du Sud, ni du Nord, mais le Congo du cœur» – Présentation du livre de Ghys Fortuné Bemba Dombe, résident à la MDJ

Malgré les efforts, certaines conférences se transforment en meeting politique. Il aura fallu toute l’énergie du journaliste Ghys Fortuné pour rappeler l’objectif de cette rencontre: la sortie de son livre «de l’enfer à la liberté». De nombreuses personnes sont venues l’écouter. Parmi eux, d’éminents représentants dont d‘anciens ministres congolais. Les propos du journaliste sontt donc scrutés à la lettre près.

En guise d’introduction, le rôle essentiel de la liberté d’informer pour exercer la liberté de voter. Sans les bonnes informations, comment peut-on savoir pour qui on vote?

Contextualiser le rôle de chacun est essentiel, mais c’est bien le parcours de Ghys Fortuné qui intéresse les invités. Par exemple, sa volonté inébranlable de ne pas céder malgré les pressions subies: 18 mois de prison, 19 kilos en moins.

Or, il suffisait d’avouer la non véracité des articles, reconnaitre la calomnie (alors que toutes les informations avaient été scrupuleusement vérifié par lui-même) ; si il avouait, il sortait.

Ghys Fortuné a donc pris la parole, énumérant les violences subies comme autant d’anecdotes trahissant le calvaire des prisonniers au Congo. Tandis que certains prisonniers entrent et sortent selon les bons vouloirs de la République, Ghys Fortuné croupit dans une cellule où les conditions sanitaires sont déplorables.

«Les Congolais continuent de payer un lourd tribut pour les manipulations tribalistes et les querelles manigancées par les politiciens pour leurs intérêts personnels. Quelques exemples :

  • Trois guerres civiles en trois décennies qui ont entrainés de milliers de morts
  • Malgré sa richesse (pétrole, forêt, hydrographie, végétation etc.), le Congo est classé par le PNUD parmi le pays à indice de développement humain faible ;
  • Une économie exsangue souffrant d’un endettement colossal et de crises à répétition alors que le pays a bénéficié d’une remise de sa dette à la fin de la première décennie des années 2000 et a accumulé des revenus pétroliers faramineux pendant en 2010 et 2015 ;
  • Délitement d’un État qui ne fonctionne pas, où règne l’arbitraire et l’impunité. La faillite systémique a permis l’émergence d’une catégorie de citoyens cherchant à dénoncer la mauvaise gouvernance et les multiples dérives régimes.

Dans cet élan Talassa, notre organe de presse, a pris une part active à cette démarche. À partir de ce moment nous étions devenus une cible pour le pouvoir. Les hommes du système nous ont intenté procès sur procès depuis la création du journal Talassa en 2001. J’ai été victime d’intimidations, d’harcèlements, de tentatives d’enlèvement et d’assassinat et de plusieurs arrestations avant la dernière, en janvier 2017, qui a duré 18 mois.»

En prison, les rumeurs courent. Dehors, il y aurait tel ou tel événement qui s’attaque au moral des prisonniers politiques.

En prison, les sévices s’attaquent aussi bien à l’esprit qu’au corps

La nourriture est-elle empoisonnée? Peu importe, il faut la nettoyer avant consommation, elle est si rare: seulement trois repas par semaine. Les sévices physiques ne suffisent pas à briser un esprit combattif, l’humiliation est donc de mise.


L’Etat congolais lui confisque ses biens, ses comptes en banque, les autorités ratissent larges: même les cadeaux apportés par sa famille en prison disparaissent.


Ghys Fortuné sort de la prison pour des interrogatoires qui ne mènent à rien, à peine a-t-il la possibilité de faire des allers-retours à l’hôpital malgré une condition physique qui se dégrade chaque jour.

«Mon incarcération a été un véritable enfer. Je suis sortie de là avec plusieurs pathologies. Mêmes à mes pires ennemis je ne souhaite pas qu’ils vivent ce que j’ai subi au cours des 18 mois d’incarcération:

  • Sévices corporels ;
  • Pressions psychologiques ;
  • Privation de visite ;
  • Privation de sommeil ;
  • Privation de nourriture (2 repas par semaine ; par compassion Norbert Dabira me donnait de la nourriture) ;
  • Privation de soins ;
  • Enfermement en isolement total et complet dans des cellules sans électricité où je dormais à même le sol. Elles prenaient l’eau à chaque pluie. Elles étaient d’une insalubrité insupportable et infestées de souris, cafards, scorpions et fourmis, moustiques et vers de terre. En guise de toilette j’avais un seau sans couvercle que je vidais selon l’humeur de la hiérarchie pénitencière (tous les 24, 48, 72 heures voir plus).
  • Il est arrivé de partager ma cellule de la maison d’arrêt de Brazzaville avec des psychopathes assassins envoyés surement dans le but de m’achever. Mais grâce à Dieu notre cohabitation de 2 mois s’est déroulée sans problème.»

Et à force d’insister, la folie, la paranoïa, la solitude et la crainte pour ses proches sont devenus ses compagnons de cellule. En revanche, le désespoir n’a jamais été la bienvenue.


L’Etat congolais lui confisque ses biens, ses comptes en banque, les autorités congolaises ratissent larges: même les cadeaux apportés par sa famille en prison disparaissent. On y découvre un système où chaque chef fait ce qu’il veut sur son territoire de compétence, c’est du harcèlement quotidien.

L’objectif? Faire craquer Ghys Fortuné. S’il ne craque pas physiquement, les autorités visent le mental. Et à force d’insister, la folie, la paranoïa, la solitude et la crainte pour ses proches sont devenus ses compagnons de cellule. En revanche, le désespoir n’a jamais été la bienvenue.

Soutien à Ghys Fortuné via Mediapart

«Pour sortir le Congo d’une situation économique délabrée et d’une situation politique qui fait craindre l’éclatement du pays, il faut un sursaut citoyen, surtout de la part des « intellectuels ».

Toutefois, les personnes qui ont connu la torture, le harcèlement, l’emprisonnement, les violences sexuelles, les familles qui ont perdu leurs biens gagnés à la sueur, ceux qui ont perdu des parents… portent dans leur chair et dans leur esprit des stigmates profonds indicibles.

Ces personnes sont souvent amenées à croiser les responsables de cette violence institutionnelle, leurs bourreaux, qui, en raison de l’impunité qui les protège, continuent à les narguer, à les intimider voire à les menacer afin qu’elles se taisent.

Leur peur l’emporte ainsi sur la rage. Alors, ce sursaut, la réconciliation et la paix sont-elles possibles dans un pays qui porte autant de blessures, autant d’injustice, autant d’impunités…?

Comment faire pour préserver réellement l’unité nationale dans un tel environnement et dans ces conditions?

Dans ces conditions: Comment vivre avec l’horreur? Nul ne doit empêcher le recouvrement de la mémoire, surtout pas les bourreaux. Ensuite l’oubli ne se fera qu’à certaines conditions…

Cependant, quelles que soient les souffrances subies et les difficultés il faut toujours positiver ; en effet, les congolais ont à vivre ensemble, ont à reconstruire un pays détruit par l’égoïsme, la bêtise et la folie des Hommes.

Il faut donc pardonner et aimer même les traitres et les bourreaux comme le firent Jésusde Nazareth pendant qu’on le clouait sur le poteau et, par la suite, ceux qui ont véhiculé son message de pardon, de réconciliation et de paix comme Paul de Tarse et, plus près de nous, Mahatma Ghandi, Martin Luther King, Nelson Mandela….

La force du pardon est le véritable antidote à la tristesse provoquée par la rancune et la vengeance. La réconciliation et la paix sont-elles possibles dans un pays qui porte autant de blessures ? Comment faire pour préserver réellement l’unité nationale dans un tel environnement et dans ces conditions?

Les Congolais peuvent-ils prendre exemple sur l’Allemagne et la France qui se sont fait des guerres atroces, mais qui ont pourtant trouvé la voie pour se réconcilier et se donner un avenir partagé. Les Congolais peuvent-ils prendre exemple sur le Rwanda et sur l’Afrique du Sud? »

Les questions du public

Le public est varié: des confrères prennent la parole pour apporter leur soutien, louer le courage et s’interroger sur l’avenir du Congo Brazzaville.

La réponse de Ghys est toujours la même. Il leur parle d’amour. «Il faut s’aimer et ainsi se respecter».


Quand un homme d’une cinquante d’années à qui on a gelé les comptes et fermer tous les titres de presse et les entreprises qu’il a créé, l’expression «nouvelle vie» n’est pas heureuse.


Au problème politique s’ajoute les problèmes ethniques, les congolais du nord et du sud ne se réconcilient pas, pire le cycle des vengeances continue. Face à cette dramatique situation qui perdure, Ghys Fortuné ose prendre cet exemple personnel.

Ses parents (sous-entendu des personnes de son ethnie) ont violé une femme et sa fille il y a des années. Pourtant, lorsque l’Etat congolais a gelé ses comptes et que ses meilleurs soutiens ne pouvaient plus rien pour lui, la fillette violée (devenue femme) a pris la décision de payer les frais scolaires des enfants de Ghys Fortuné. Au-delà de la somme, le risque social pris état conséquent (aider un paria politique). Elle a su pardonner. Elle a su mettre en place l’amour qui crée plus qu’un simple pont entre ceux du Nord et ceux du Sud, elle réunit les enfants du Congo.

Cette anecdote, comme beaucoup d‘autres, donne de l’espoir aux personnes venus assister à l’événement.

Démonstratif, Ghys Fortuné continue sur cette ligne lorsque le représentant officiel pour l’Europe du parti politique au pouvoir (qui l’a donc mis en prison) prend la parole. Ils évoquent leur constat respectif et mettent en valeur les points de convergence plutôt que de divergence.

Combattif, Ghys Fortuné peut enfin savourer ce moment qui représente pour lui la transition entre l’horreur qu’il a vécu et cette nouvelle vie qui s’offre à lui. Nouvelle vie? Quand un homme d’une cinquante d’années à qui on a gelé les comptes et fermer tous les titres de presse et les entreprises qu’il a créé, l’expression «nouvelle vie» n’est pas heureuse.

Mais il a de quoi être fier. Et c’est sans l’once du moindre doute qu’il affirme: «Je vous le dis chers amis, un jour je retournerai au Congo!»

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Hong Kong: comprendre la crise par la liberté de sa presse

Alors que la Chine est classée 177 sur 180 dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontière (RSF), la presse de la région administrative spéciale de Hong Kong a elle, pendant longtemps, bénéficié de son système libéral. Mais depuis la rétrocession en 1997, la donne a drastiquement changé. Hong Kong a chuté de la 18e place en 2002 à la 73e cette année. Les manifestations se déroulant depuis 3 mois à Hong Kong pourraient annoncer un tournant décisif pour le futur de la presse.

Grâce au “un pays, deux systèmes”, Hong Kong a longtemps accueilli les grandes agences de presse étrangère (AFP, Reuters pour ne citer qu’eux). Les réseaux Internet ne souffrent pas non plus du Grand Firewall chinois : des sites comme Google ou Facebook sont accessibles sans compromis. Mais derrière cette façade, la presse subit depuis les années 2000 de graves attaques de son voisin communiste.

Définitivement abandonné le 4 septembre, le projet de loi d’extradition vers la Chine a été pointé du doigt dès son annonce par les organismes de défense des droits de la presse comme étant une menace importante pour les journalistes hongkongais et leurs sources. Jusqu’ici, la Chine organisait des kidnappings pour ramener sur son territoire des opposants à l’étranger, mais le nouveau projet de loi menaçait, avec l’accord avec les autorités hongkongaises, de permettre des extraditions par la voie légale.

Hong Kong, un îlot pour la presse libre en Asie

En juillet 2018, on comptait à Hong Kong 78 quotidiens de presse, pour la majorité en langues chinoise ou anglaise. Ils cohabitent depuis toujours, à l’image de la société hongkongaise, une grande variété d’opinions dans la presse. Le grand clivage politique étant la relation avec la Chine, entre les médias dit pro-démocrates (Apple Daily, Passion Times) et les médias pro-chinois (Sing Pao Daily News, The Standard, Sing Tao Daily). Cependant, les sensibilités de ces médias varient également sur les questions politiques, libérales, internationales ou sociales.

En parallèle, deux journaux sont contrôlés par Pékin via le Bureau de liaison à Hong Kong (Wen Wei Po, Ta Kung Pao). Ces quotidiens diffusent la vision officielle de l’actualité mondiale et nationale du Parti communiste chinois (PCC), mais selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, ils sont considérés aux yeux des Hongkongais comme les journaux les moins crédibles.

Michel Bonnin dans l’émission d’Arrêt sur Images du 23 août 2019

Au départ opposé au projet de loi qui menaçait leur liberté économique, le milieu des affaires a ensuite fait marche arrière pour s’aligner avec la Chine après que le régime leur ait rappelé que c’est du marché économique chinois dont ils dépendent.

Des journaux hongkongais déjà sous influence chinoise

Fin 2015, le rachat du South China Morning Post (SCMP), le quotidien anglophone le plus important de Hong Kong par le groupe Alibaba (plateforme de vente Chinois) a mis en lumière la fragilité de l’indépendance des médias.

Depuis, le journal a été à plusieurs reprises accusé de collaboration avec les autorités chinoises. En juillet 2015, Zhao Wei est arrêtée et retenue prisonnière pour “incitation à la subversion du pouvoir de l’État”.

Un an après cette avocate et activiste des droits de l’Homme en Chine sort de prison mais reste sous le coup d’une importante surveillance. Au moment de sa libération, le SCMP publie alors les confessions de la jeune avocate qui explique “réaliser d’avoir emprunté un chemin dangereux et souhaite se repentir. Je ne suis plus la même personne.”

Ni son avocat, ni son mari n’avait pu obtenir le droit de s’entretenir avec elle depuis son incarcération.

Même histoire pour Gui Minhai, écrivain suédois d’origine chinoise qui travaillait pour la librairie hongkongaise Causeway Bay Books. Entre octobre et décembre 2015, cinq employés sont enlevés, dont Gui Minhai, kidnappé lors d’un voyage en Thaïlande. Début 2016, les cinq libraires réapparaissent à la télévision nationale. Ils confessent plusieurs délits, expriment leurs regrets puis purgent leurs peines. Gui Minhai est le dernier des cinq libraires à être libéré en octobre 2017 mais il est interdit de sortie de territoire.

Quelques mois plus tard, nouveau rebondissement, Gui Minhai retourne en prison. Prétextant une visite médicale, des diplomates suédois auraient tenté de l’extraire du pays mais les autorités chinoises l’ont intercepté avant.

Gui a insisté pour l’interview [avec le SCMP], il souhaite dire la “vérité” au public” – Au South China Morning Post on reste évidement septique, on met des guillemets autour de “vérité”

C’est à ce moment que le journal hongkongais South China Morning Post intervient.

Dans un article publié en février 2018, le bouquiniste hongkongais réapparaît dénonçant une machination de la Suède qui l’aurait piégé. “J’ai honte de mon comportement. J’ai commis beaucoup d’erreurs (…) Je souhaite à ma famille une vie heureuse. Ne vous inquiétez pas pour moi.” “J’aimerais désormais rester vivre en Chine. (…) Je souhaite que le gouvernement suédois cesse de me contacter et arrête de dramatiser mon cas.”

C’est la seconde confession de Gui Minhai mais celle-ci ne convainc pas sa fille, Angela Gui, plus que la première. Depuis 2015, elle dénonce sa détention comme politique et exige le retour de son père.

En avril, Tammy Tam, rédactrice en chef du SCMP lui répondait dans un éditorial : “Nous vous assurons catégoriquement que nous n’avons pas collaboré avec les autorités chinoises. (…) En tant que journalistes, nous faisons couramment face à des décisions difficiles. Ici, nous avons dû choisir entre interviewer votre père dans ce cadre contrôlé ou ne rien faire.”

Mais cette déclaration d’indépendance de la rédactrice en chef sonne faux alors qu’en 2015, 6 mois avant le rachat du journal, quatre éditorialistes du SCMP, connus pour leur opposition au régime chinois, étaient forcés de quitter la rédaction.

Dans un éditorial, le Asia Sentinel (journal où travaille également Philip Bowring, un des éditorialistes écartés du SCMP) soupçonnait déjà le Bureau de liaison à Hong Kong, souvent taxé d’être un organe d’influence chinois, d’être derrière ces évictions.

Les confessions forcées, un “classique” des médias chinois

Les confessions publiques comme celles qu’on fait Zhao Wei et Gui Minhai sont très répandues dans les médias chinois, elles sont réalisées en collaboration avec les autorités et diffusées aux heures de grande écoute de la télévision publique chinoise.

En réalité, ces confessions sont produites sous la menace et représentent une des nombreuses pratiques utilisées par le régime pour tisser la toile de sa propagande. Celles-ci n’ont jamais fait illusion à Hong Kong ou à l’international et visent majoritairement le public chinois sensible à la propagande du PCC.

Mais voir apparaître ce type de pratique propagandiste à Hong Kong, dans un média pourtant censé être indépendant du pouvoir, semble indiquer que la Chine continentale a déjà commencé à reprendre la main sur la presse hongkongaise.

Dans un article pour la revue Made in China en novembre 2018, Magnus Fiskesjö, anthropologue et ami de Gui Minhai estimait la réputation du journal définitivement ternie: “Ces récentes affaires montrent que le South Chinia Morning Post [depuis son rachat par Alibaba] ne peut désormais plus être considéré comme une organisation de presse indépendante.”

Une opinion qui semble partagée par les Hongkongais, alors même que le journal était auparavant perçu comme le quotidien le plus sérieux de la presse. Selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, le SCMP est le journal qui a le plus perdu en crédibilité entre 2003 et 2016.

Un nouveau journalisme d’opposition

En réponse à la pression chinoise grandissante, de nouveaux médias web au financement alternatif sont apparus avec une ligne radicalement opposée à la rétrocession de Hong Kong.

Extrait d’une manifestation du 5 août filmé à 360° par Hong Kong Free Press

Né dans le sillage de la Révolution des parapluies de 2014, Hong Kong Free Press (HKFP) est un journal web anglophone.

Ce média fonctionne par donation, selon un modèle non lucratif et affiche une transparence sur ses finances. Sa couverture alternative des manifestations de 2019 diffère du reste de la profession, les journalistes filment les rassemblements et affrontements au côté des manifestants.

FactWire est une agence de presse bilingue apparue en 2016. Elle se concentre sur l’investigation des affaires nationales et fonctionne sur un modèle économique similaire à HKFP. Sa première enquête exposa les graves défauts de qualité des rames de métros hongkongaises importés de Chine continentale. Depuis le début des manifestations, FactWire couvre les cas de violences policières en recoupant le déroulé des événements grâce aux dizaines de vidéos disponibles sur la toile.

Face à une influence chinoise de plus en plus présente, ces nouveaux médias entendent peser sur le marché de l’information hongkongaise en mettant en avant la liberté d’expression, la démocratie et les droits de l’Homme contre le système chinois. Un climat de peur entretenu par des attaques contre les journalistes.

Des journalistes pro-démocratie pris pour cible

Kevin Lau au club des correspondants internationaux de Hong Kong le 9 mai 2015

On m’a souvent demandé ces deux dernières années si la presse à Hong Kong était en danger. Maintenant, je crois que la réponse est claire comme de l’eau de roche. Elle l’est.”

Le Ming Pao est un des plus gros journaux de la presse hongkongaise, de tendance plutôt libérale et en faveur de l’ouverture vers Pékin. En 2014, le journal participait à une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les paradis fiscaux mis en place par le gouvernement de Xi Jinping et le PCC [Parti Communiste Chinois].

Le 26 février 2014, Kevin Lau, rédacteur en chef au Ming Pao est attaqué au couteau alors qu’il sortait de sa voiture. Deux hommes appartenant aux triades hongkongaises lui infligent de multiples blessures au dos et aux jambes.

Pour la sphère politique, aucun lien ne peut être établi entre l’attaque de Kevin Lau et une atteinte à la liberté de la presse. Mais le Ming Pao, rejoint par toute la profession journalistique, dénoncent alors cette attaque comme un crime contre la liberté de la presse.

Mais cette attaque rejoint la liste grandissante des violences contre les journalistes depuis la fin des années 90.

  • En 1996, le journaliste Leung Tin-Wai se fait mutiler au hachoir dans son bureau de travail.
  • En 1997, Albert Cheng, journaliste de radio se fait poignarder dans le parking de son lieu de travail.
  • Chen Ping éditeur du magazine iSun Affairs subit un passage à tabac en 2013
  • Deux jours plus tard le patron de l’Apple Daily, Jimmy Lai, retrouve une machette et une hache en guise d’avertissement à son domicile vandalisé.

Tous partagent une opinion opposée à la rétrocession de Hong Kong.

La question du mobile de l’attaque s’est ensuite posée. À ce moment là, Kevin Lau et la rédaction du Ming Pao collabore avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) pour une enquête sur les montages fiscaux organisés par l’élite politique chinoise du PCC.

Une corrélation qui n’a pas été plus approfondie, n’ayant aucune preuve que l’attaque ait été commandée depuis la Chine, les organisations de protection des journalistes ont préféré écarter toute hypothèse prématurée.

Après 11 arrestations et 2 condamnations, l’enquête n’est finalement pas parvenue à déterminer de commanditaire, cependant ces même triades hongkongaises sont depuis réapparues à plusieurs reprises. Contre le mouvement pro-démocrate en fin 2014, et également le 22 juillet dernier où cette fois-ci, elles ont été aperçues collaborant avec les forces de police hongkongaise dans de nombreuses vidéos amateur compilées par le New York Times.

La rétrocession de Hong Kong en 1997 a porté un grand coup au journalisme hongkongais et les affaires d’ingérence se sont succédées. Face aux pressions chinoises, le modèle libéral hongkongais ne semble pas capable de protéger la liberté de sa presse et tend au contraire, sous la pression, à collaborer avec Pékin. Reste la société hongkongaise, qui elle, après 14 semaines de mobilisation, ne semble pas l’entendre de cette oreille.

Une présence massive sur les réseaux sociaux et un important retour du journalisme citoyen

Si la situation pour la presse semble s’assombrir à Hong Kong, la mobilisation elle ne semble pas diminuer.

Alors que les manifestants étaient quelques dizaines de milliers dans les rues en 2014, les cortèges ont rassemblé cette année près de deux millions de personnes mi-juin et 1,7 million le 18 août, alors même que le mouvement tend à se radicaliser.

Dans Le Temps du débat sur France Culture, Eric Sautedé, analyste politique basé à Hong Kong, évoque un soutien populaire de près de 80% et une mobilisation de 25% des citoyens (pour une population de 7,4 millions).

“Be Water”: slogan phare de la mobilisation

Dans ce contexte, le mouvement a développé une présence d’une importance sans précédent sur les réseaux sociaux.

La communication autour des mobilisations, empreinte de culture asiatique, est massive et a largement dépassé les frontières chinoises (voir thread twitter du photojournaliste Maxime Reynié sur les visuels partagées sur les réseaux)

Suivant le modèle du réseau de journalisme citoyen Indymedia en Europe et Amérique du Nord (ensemble de médias citoyens locales de tendance de gauche radicale), In-Media version hongkongaise s’est développé à Hong Kong de façon collaborative depuis 2004.

Alors que le journalisme citoyen à connu un fort déclin en Occident au profit des réseaux sociaux, In-Media a continuer à fonctionner au gré des mobilisation contre la gouvernance chinoise.

Le site de In-Media connaît depuis le début des manifestations des pics d’affluence (classé 82.000e début juin, inmediahk.net est aujourd’hui 38.000e mondial selon les statistiques de trafic Web Alexa) tandis que la page Facebook compte elle plus de 560.000 abonnés.